Mission commune d'information sur le rôle et la place des femmes dans la vie publique


MISSION COMMUNE D’INFORMATION CHARGÉE D’ÉTUDIER LA PLACE ET LE RÔLE DES FEMMES DANS LA VIE PUBLIQUE

AUDITIONS DU 22 JANVIER 1997 (2)


Mercredi 22 janvier 1997 - Présidence de Mme Nelly Olin, président

(suite et fin)

La mission commune d’information a ensuite entendu Mme Gisèle Halimi, présidente de la commission « vie politique » de l’Observatoire de la parité.

Ayant fait part de son grand intérêt pour la création d’une mission sénatoriale sur la place et le rôle des femmes dans la vie publique -ce qui contribuait à une réflexion pluraliste- Mme Gisèle Halimi a présenté les grandes lignes de son rapport. Elle a indiqué qu’il s’agissait d’un travail composite fondé sur une analyse statistique comparée et sur une analyse des moyens juridiques, en vue de répondre aux objectifs assignés à l’Observatoire de la parité entre les hommes et les femmes par le décret du 18 octobre 1995 : réunir des données, analyser les causes de la sous-représentation des femmes dans la vie publique, rechercher les moyens de favoriser les programmes d’actions et formuler toutes recommandations et propositions de réformes législatives ou réglementaires, permettant de corriger les dysfonctionnements de notre démocratie.

Puis, elle a constaté que la France, avec moins de 6 % de femmes au sein du Parlement, se situait au dernier rang des Etats de l’Union européenne. Parmi les causes susceptibles d’expliquer cette situation, Mme Gisèle Halimi a d’abord cité le poids des grandes religions monothéistes -dont l’Observatoire avait entendu les représentants- leurs représentations symboliques influant sur l’organisation de la vie quotidienne, de la vie civile et de la vie politique. Elle a ensuite mentionné des raisons d’ordre culturel non liées à la religion, la société ayant organisé une ségrégation des tâches selon laquelle « les hommes faisaient les lois et les femmes faisaient les moeurs ». Mme Gisèle Halimi a rappelé que les philosophes du XVIIIème siècle avaient représenté la femme comme un « sous-citoyen », voire comme un « non-citoyen ». Elle a décelé dans la situation actuelle l’héritage de la Révolution française, soulignant que la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789, en dépit de ses ambitions universalistes, était en fait entachée d’un double péché originel : le maintien de l’esclavage et l’exclusion de la femme du domaine politique. Elle a considéré que cette déclaration se fondait sur une notion du citoyen enracinée dans son époque, c’est-à-dire uniquement un homme, uniquement de race blanche et de surcroît un bourgeois. Elle a ensuite présenté les mesures proposées dans son rapport, en distinguant les mesures « accessoires ou de substitution » -l’incitation financière, par exemple- et les mesures « volontaristes ». Elle a constaté que les responsables des principaux partis politiques admettaient tous que la situation faite aux femmes était inacceptable et qu’il convenait de prendre des mesures pour y remédier. Elle a néanmoins observé que ces mesures n’avaient pas été prises, contrairement à ce qui avait été spontanément fait dans la plupart des autres pays, notamment en Europe du Nord où la représentation était quasi paritaire. Elle a cité l’exemple de l’Espagne -22 % de femmes au Parlement- ou de l’Italie -13 %-, deux pays ayant pourtant le même passé religieux et culturel que la France mais où les partis politiques avaient su prendre des initiatives pour faire évoluer la situation. Elle a ajouté qu’à défaut d’initiatives des partis français, il faudrait s’engager dans une politique volontariste, c’est-à-dire légiférer, la loi devant définir les conditions de l’égalité politique des femmes, sans doute en recourant à des quotas. Mme Gisèle Halimi a alors évoqué les conditions dans lesquelles avait été invalidée par le Conseil constitutionnel, en novembre 1982, une disposition dont elle-même avait pris l’initiative, selon laquelle aucune liste ne devait comporter plus de 75 % de candidats de même sexe. En dépit de certains avis selon lesquels le Conseil constitutionnel pourrait aujourd’hui évoluer sur ce point s’il était saisi, elle a indiqué que la majorité des juristes consultés en doutait et considérait inévitable une révision de la Constitution, raison pour laquelle la commission avait formulé une proposition en ce sens, qui semblait avoir reçu l’agrément du Premier ministre à condition d’en reformuler le texte dans une rédaction moins coercitive. Mme Gisèle Halimi a récapitulé les principales objections formulées à l’encontre de cette proposition : une remise en cause de l’unité du Peuple français et de l’universalisme républicain, et le risque d’engager un processus communautariste susceptible de déboucher sur une législation particulière pour chaque catégorie de Français. Mme Gisèle Halimi a réfuté ces arguments en faisant valoir que les femmes ne constituaient pas une « catégorie » mais que comme les hommes, elles les englobaient toutes et les engendraient. Elle a ensuite abordé la procédure de cette révision constitutionnelle, marquant sa nette préférence pour le recours à l’article 11 qui autorisait le référendum lorsque la consultation concernait l’organisation des pouvoirs publics. Sans méconnaître les critiques formulées contre cette procédure -son caractère plébiscitaire et la mise à l’écart de la représentation nationale- elle a préconisé le recours à l’article 11 plutôt qu’à l’article 89 pour ne pas obliger les parlementaires hommes à voter une mesure dont l’effet serait de réduire notablement leur représentation. Elle a rappelé par ailleurs que, depuis quatre ans, tous les sondages indiquaient que les Français étaient majoritairement favorables à la parité ou à l’institution de quotas, un sondage de novembre 1996 révélant notamment que 86 % d’entre eux se prononçaient pour une parité institutionnalisée. Elle a également observé que plusieurs propositions de loi avaient été déposées dans ce sens, leurs auteurs n’appartenant toutefois pas aux grands partis politiques.

Mme Anne Heinis, tout en souhaitant l’augmentation du nombre de femmes dans la vie politique, s’est déclarée réservée sur les mesures proposées. Il lui a semblé nécessaire d’organiser au préalable un débat sur la parité, les sondages reposant peut-être sur un phénomène de mode et ne lui paraissant pas de nature à véritablement éclairer l’opinion publique. Elle s’est également interrogée sur le niveau de parité à retenir au regard de la proportion démographique hommes/femmes, sur son éventuelle extension à d’autres secteurs de la société -les métiers, par exemple- et a déploré le recours systématique à une approche comptable de cette question. Elle s’est aussi déclarée choquée par la perspective d’une incitation financière revenant à « payer les partis pour qu’ils prennent des femmes ». Elle a indiqué ne pas partager les analyses de Mme Gisèle Halimi à propos de la notion de « catégories » et a estimé que les catégories biologiques -les sexes, notamment- n’avaient aucun rapport avec les catégories sociologiques. Elle a enfin souligné l’accélération des évolutions récentes dans la place des femmes dans la société, peut-être de nature à résoudre spontanément cette question. Elle a fait observer que cette dynamique reposait essentiellement sur le souhait des femmes d’accéder à davantage de responsabilités et a mis en garde contre le risque de remettre en cause le dialogue existant entre hommes et femmes en France. En réponse, Mme Gisèle Halimi a contesté que l’évolution des mentalités traduite dans les sondages puisse n’être qu’un phénomène de mode, notant d’ailleurs que ceux-ci allaient tous dans le même sens depuis plus de quatre ans. Elle a rappelé que le droit européen poussait également depuis plus de dix ans à l’égalité entre les hommes et les femmes. Insistant sur la régression observée depuis 1946, elle a estimé que permettre aux femmes de s’exprimer à parité dans la sphère politique aurait des incidences importantes dans les autres domaines. Elle a signalé que le versement d’une prime aux partis politiques avait déjà été suggéré par le Conseil de l’Europe et était pratiqué en Belgique. Elle n’y a cependant vu qu’une mesure de substitution à une mesure législative plus radicale. Elle a enfin considéré que le thème du souhait ou non des femmes d’entrer en politique était une fausse question, le vrai problème se situant en fait au niveau des investitures.

Mme Anne Heinis a observé que dans son département, le nombre des femmes élues aux conseils municipaux avait considérablement augmenté en vingt-cinq ans.

Mme Maryse Bergé-Lavigne a considéré que le vrai débat sur la parité n’avait pas encore eu lieu et que certaines tentatives de listes mixtes n’avaient pas donné les résultats escomptés. Elle est revenue sur la crainte exprimée par Mme Elisabeth Badinter de voir l’universalisme républicain remis en cause par une modification de la Constitution. Tout en se déclarant favorable à la volonté de modifier l’image de la République, elle s’est déclarée réservée sur l’instauration d’une contrainte constitutionnelle qui remettrait en cause la liberté de choisir. Enfin, elle a craint que l’augmentation du nombre des femmes élues ne se traduise pas pour autant par une meilleure politique en faveur des femmes.

Mme Gisèle Halimi a admis que l’objection de Mme Elisabeth Badinter était pertinente, mais qu’il n’y avait pas de véritable alternative, la recherche d’une solution par voie législative ayant échoué en 1982. Elle n’a pas souhaité s’engager dans le débat de savoir si les femmes mèneraient une politique en faveur des femmes dans la mesure où les femmes élues ne représenteraient pas des femmes mais la République et seraient comme telles amenées à dialoguer à égalité avec les hommes. Elle a noté à ce propos que le prochain débat à l’Assemblée nationale aurait lieu à 95 % entre des hommes. En conclusion, Mme Gisèle Halimi a indiqué qu’une convention de l’Organisation des nations unies (ONU) contre les discriminations à l’égard des femmes autorisait déjà les Etats à prendre des mesures temporaires et spécifiques pour lutter contre les discriminations dans la vie publique. Elle a constaté que cette convention, votée en 1979, signée par la France en 1980, ratifiée en 1983 et applicable depuis sa publication le 12 mars 1984, n’avait connu aucune suite. Elle a précisé que les constitutionnalistes interrogés par la commission sur la parité considéraient qu’elle n’était pas d’application immédiate, sans d’ailleurs avoir proposé de solution pour la rendre applicable. Elle a jugé que la hiérarchie des normes devrait pourtant permettre, sur la base de cette convention, de prendre des mesures favorables aux femmes sans réviser la Constitution.

En réponse à Mme Michelle Demessine à propos de la position du Premier ministre sur le recours à la procédure du référendum, Mme Gisèle Halimi a fait part que M. Alain Juppé avait jugé, lors la remise du rapport, que la situation actuelle était inacceptable, que l’Observatoire avançait des propositions judicieuses méritant d’être examinées et qu’une modification de la Constitution, à condition que l’amendement ait un caractère plus potestatif que coercitif, pouvait paraître une solution appropriée.