Mission commune d'information sur la place et le rôle des femmes dans la vie publique


MISSION COMMUNE D'INFORMATION CHARGÉE D'ÉTUDIER LA PLACE ET LE RÔLE DES FEMMES DANS LA VIE PUBLIQUE

AUDITION DU MARDI 11 MARS 1997


Mardi 11 mars 1997 - Présidence de M. Lucien Neuwirth, vice-président

La mission commune d'information a procédé à l'audition de M. Lionel Jospin, Premier secrétaire du parti socialiste.

M. Lionel Jospin, Premier secrétaire du parti socialiste, a tout d'abord souligné l'actualité du débat sur la place des femmes dans la société. Il a constaté que, malgré les avancées législatives du début des années 1980, notamment en matière d'égalité professionnelle et salariale ou de lutte contre les comportements ségrégatifs, l'égalité des droits reconnue par la loi n'avait pas entraîné une égalité de fait, d'autant que ces droits restaient fragiles et étaient régulièrement attaqués. Il a également considéré qu'une volonté politique d'ouvrir plus largement la vie publique aux femmes ne pouvait être dissociée de mesures visant à combattre les inégalités sociales dont elles étaient victimes, notamment en matière de chômage, de salaire ou de travail précaire.

M. Lionel Jospin a ensuite constaté la place trop faible des femmes dans la vie publique, qui, de l'avis commun, n'honorait pas la France, citant à cet égard quelques chiffres : 21,72 % de conseillères municipales, 29,89 % de femmes députés européens, mais seulement 12,58 % de conseillères régionales, 5,10 % de conseillères générales et 7,53 % de maires.

Il a ensuite présenté la place des femmes au sein du parti socialiste, avec 7,2 % des effectifs du groupe à l'Assemblée nationale et 6,7 % de celui du Sénat, 14,5 % des conseillers régionaux et 5,6 % des conseillers généraux, les pourcentages des élues socialistes maires et conseillères municipales étant équivalents aux moyennes nationales. Il a toutefois souligné que le groupe socialiste au Parlement européen comportait 46,6 % de femmes, après constitution de la liste paritaire de 1994. Il a également constaté que les femmes s'investissaient en nombre moins important que les hommes dans les partis et que leur nombre s'amenuisait au fur et à mesure que l'on s'élevait dans la hiérarchie. Il a indiqué que le parti socialiste avait fixé dans ses statuts un quota de femmes à tous les échelons, établi à 10 % en 1972, 15 % en 1977, 20 % en 1987 et 30 % en 1990. Il a précisé que 30 % des adhérents au parti socialiste étaient des femmes, celles-ci représentant 14,5 % des secrétaires de section, 6,8 % des responsables de fédérations départementales, tandis que le bureau comptait 24,65 % de femmes et le secrétariat 37 %, auxquels s'ajoutaient également 30 % des déléguées nationales.

M. Lionel Jospin a souligné que l'objectif de parité au sein du parti socialiste n'était pas seulement un affichage ou un « argument de vente », mais traduisait une véritable volonté de sensibiliser les acteurs politiques à la nécessité de remédier à l'archaïsme de la situation actuelle. Il a rappelé que, devenu Premier secrétaire du parti socialiste, il avait proposé avec succès, en octobre 1995, de fixer un objectif de parité dans les statuts, réforme qui devrait être validée au cours du Congrès de 1997. Il a précisé qu'elle se traduirait par la mise en oeuvre de la parité dans les scrutins de listes, ce qui devrait concerner les élections régionales, et qu'elle avait abouti à la définition d'un quota de 30 % de candidatures de femmes pour les scrutins uninominaux, en tenant compte des circonscriptions gagnables. M. Lionel Jospin a remarqué que cette volonté interne de réforme contrastait avec l'immobilisme observé dans les partis de la majorité et a souligné que le parti socialiste, mettant ses actes en conformité avec ses idées, souhaitait combattre la confiscation du pouvoir par un petit nombre d'élus.

Evoquant les causes de la lenteur de la progression de la place des femmes dans la vie publique française, M. Lionel Jospin a tout d'abord cité leur accession tardive (1945) au droit de vote, le scrutin majoritaire uninominal, le scrutin indirect au Sénat, ainsi que le cumul et la durée des mandats. Il a aussi observé que les impératifs familiaux et les tâches domestiques, ajoutés à leur vie professionnelle, dissuadaient les femmes de s'engager dans la vie politique et que beaucoup d'entre elles semblaient éprouver certaines réticences à l'égard du pouvoir politique tel qu'il était exercé, le jugeant trop éloigné des préoccupations concrètes, incapable d'apporter des solutions à leurs problèmes et consacré trop exclusivement aux joutes oratoires et aux conflits de pouvoir. M. Lionel Jospin a vu dans cette situation de blocage un signe d'obsolescence et d'inadaptation des réponses politiques à la vie sociale, contre lequel le parti socialiste avait décidé de réagir, notamment :

- par une restriction supplémentaire du cumul des mandats et des fonctions : interdiction du cumul d'un mandat parlementaire national et d'un mandat parlementaire européen, d'un mandat parlementaire et d'une fonction exécutive locale, de deux fonctions exécutives, impliquant l'interdiction du cumul entre la fonction de ministre et une fonction exécutive locale ou le cumul de deux fonctions exécutives locales. Pour la mise en oeuvre de ce dispositif, le Premier secrétaire du parti socialiste a suggéré qu'une loi assure l'étalement sur huit ans (1999-2007) de l'application de ces dispositions à l'occasion du renouvellement de chaque assemblée ;

- par une uniformisation à cinq ans de la durée de tous les mandats ;

- par un élargissement du scrutin proportionnel à une partie des députés sur des listes nationales, et aux élections sénatoriales à partir de trois sièges ; - par la généralisation du scrutin de type municipal à l'ensemble des communes, agglomérations et régions ; - par l'élection des députés au Parlement européen dans le cadre de grandes circonscriptions régionales ;

- par l'extension des élections au suffrage direct, avec un scrutin de liste de type municipal pour la région et un scrutin mixte pour le département. M. Lionel Jospin a indiqué que son parti n'avait pas encore fixé de position concernant le Sénat ;

- par la mise en forme d'un statut de l'élu afin, notamment, d'inciter les femmes à s'engager dans la vie politique ; - enfin, par une révision de la Constitution destinée à consacrer le principe de parité hommes/femmes afin de rendre possibles des initiatives législatives destinées à le mettre en oeuvre. M. Lionel Jospin a également évoqué la possibilité d'instituer des mesures incitatives, par exemple en octroyant un complément de financement aux partis politiques en fonction du nombre de leurs élues au Parlement.

En réponse à M. Philippe Richert, rapporteur, qui l'interrogeait sur l'inscription de quotas dans la loi et sur l'étalement sur huit ans de la réforme des règles de cumul, M. Lionel Jospin a rappelé que la question des quotas avait été posée au parti socialiste dès 1970 et que ceux-ci s'étaient progressivement imposés pour aboutir, en 1994, à une liste paritaire aux élections européennes puis, en 1995, au voeu de proposer 30 % de candidates socialistes aux prochaines élections législatives, cette évolution devant concerner ultérieurement les autres scrutins. Il a souligné que cette attitude, même si elle devait rester unilatérale, ne constituait en aucune façon un handicap pour son parti, mais qu'en revanche, une limitation supplémentaire du cumul des mandats ne pouvait être décidée que par une loi applicable à l'ensemble des partis, afin que les candidats socialistes ne soient pas désavantagés par rapport aux autres candidats. Il a appelé de ses voeux un consensus qui permettrait d'accélérer cette réforme. Il a souligné que les quotas, s'ils avaient pu susciter certaines réticences depuis les années soixante-dix, emportaient aujourd'hui l'adhésion de beaucoup de femmes. Il a écarté l'argument selon lequel les quotas représenteraient une sorte de protection d'une minorité, les femmes ne constituant pas une minorité mais une partie constitutive de l'humanité. Il a observé qu'ils permettaient d'atteindre un objectif de parité et a souligné les avantages de la mixité. Il a ajouté que le parti socialiste était ouvert à toute proposition visant à atteindre cet objectif à condition qu'il ne s'agisse pas d'un débat prétexte.

Mme Joëlle Dusseau, après avoir revendiqué le titre de « sénatrice », a tenu à relativiser l'opposition souvent faite entre le fort engagement des femmes dans le mouvement associatif et leur faible investissement en politique, la hiérarchie associative étant aussi masculine que la hiérarchie politique, y compris dans des associations très féminisées. Elle a établi un parallèle avec le faible nombre de femmes maires, ce qui freinait leur accession au mandat de conseiller général, et ainsi de suite. Elle a également constaté que le scrutin uninominal défavorisait les femmes et a mentionné l'hypothèse évoquée par le parti communiste d'un statut « sexué » de l'élu.

Mme Hélène Luc a rappelé l'importance de la journée mondiale de la femme qui, malgré ses détracteurs, avait le mérite de familiariser l'opinion publique avec l'idée de parité, non seulement dans la vie économique mais également dans la vie politique. Elle a opposé les inconvénients du scrutin uninominal aux avantages du scrutin proportionnel quant à l'élection de femmes, notant que les sept élues de son propre groupe étaient toutes sénateurs de départements où l'élection se faisait à la représentation proportionnelle. Elle a cependant constaté que les élections au conseil général, très personnalisées, pouvaient difficilement reposer sur un scrutin de liste.

M. Lionel Jospin a reconnu que les femmes accédaient difficilement aux postes de responsabilité au sein du mouvement associatif. Il a également considéré que le scrutin proportionnel favorisait indiscutablement la présence de femmes, rappelant que ce mode de scrutin avait figuré à plusieurs reprises dans le programme du parti socialiste et qu'il avait été introduit en 1986 pour les élections législatives. Il a toutefois souligné qu'aujourd'hui, le parti socialiste n'était plus favorable à la proportionnelle intégrale, lui préférant, pour les législatives, un scrutin majoritaire combiné avec l'élection de députés à la proportionnelle sur une liste nationale. Il a estimé que les femmes pourraient bénéficier de mesures spécifiques dans le cadre d'un statut de l'élu et que les journées consacrées à la femme constituaient un symbole important. Il a ajouté que l'objectif de parité, dont il n'était pas totalement convaincu au départ, lui paraissait un moyen de « frapper fort pour faire avancer réellement la mixité ».

Mme Maryse Bergé-Lavigne a observé que cet objectif de parité n'avait pas eu beaucoup d'effets et qu'il convenait de se fixer une obligation de résultat, la parité devant, à cette fin, être inscrite dans la Constitution, soit par référendum, soit par un vote du Congrès.

M. André Maman a souligné la réticence des hommes face à cette obligation de parité. Il s'est interrogé sur les incidences de la parité politique au regard des inégalités sociales dont souffraient les femmes et sur le fait que, dans plusieurs Etats, ces dernières n'étaient parvenues à accéder aux fonctions politiques qu'en raison du déplacement du véritable pouvoir vers d'autres centres de décision, les milieux économiques notamment.

M. Lionel Jospin a estimé que la mise en place d'un statut de l'élu supposait un consensus entre les partis politiques. Il a évoqué la tentative faite par M. Marcel Debarge d'instaurer un tel statut, abandonnée en raison du risque d'accentuer le discrédit des élus soupçonnés de vouloir s'octroyer certaines facilités alors que l'opinion publique se débattait dans de graves difficultés économiques. Il a également souligné que la ségrégation entre les sexes revêtait une dimension culturelle, attestée par l'exclusion des femmes de certaines professions ou la déconsidération attachée à certaines fonctions quand elles devenaient presque entièrement féminisées. Il a enfin contesté que dans les Etats évoqués par M. André Maman, notamment dans les pays scandinaves, le Parlement ne soit plus un lieu de pouvoir, reconnaissant toutefois que la question était de savoir si le vrai pouvoir était encore le pouvoir politique.