Mission commune d'information sur le rôle et la place des femmes dans la vie publique


AUDITION DU 15 AVRIL 1997


Mardi 15 avril 1997 - Présidence de Mme Nelly Olin, président.

La mission commune d'information sur la place et le rôle des femmes dans la vie publique a procédé à l'audition de M. François Léotard, président de l'Union pour la démocratie française (UDF).

M. François Léotard, sans revenir sur le constat maintes fois dressé de la faible place réservée aux femmes dans la vie publique française, a tout d'abord souligné que cette situation fâcheuse donnait une très mauvaise image de notre démocratie dans les pays étrangers et causait du tort à notre pays au moment même où la France accentuait son ouverture sur l'extérieur. Il a cité, à titre d'exemple, un éditorial du Herald Tribune paru récemment à ce sujet. Il a vu dans cette situation, non pas une fatalité française mais une pratique « pathologique », ancrée dans nos traditions culturelles et politiques. Il a estimé qu'elle devait être combattue dans le cadre d'un accord des principales forces politiques. Il a considéré que la sous-représentation féminine était aussi une injustice à laquelle une loi devait remédier, la loi ayant démontré sa capacité à vaincre d'autres injustices comme, en son temps, le travail des enfants, l'absence de congés payés et bien d'autres. Il n'a pas exclu que cette situation puisse être une des causes du malaise politique ambiant et qu'elle favorise le vote extrémiste, alimenté par des facteurs qui n'étaient probablement pas qu'économiques.

Avant d'aborder les solutions envisageables, il a identifié deux obstacles à surmonter : une difficulté d'ordre constitutionnel, d'abord, avec le principe d'égalité enraciné dans l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, les réticences du milieu politique, ensuite.

Il a également insisté sur la spécificité de l'identité féminine, notamment la maternité et le lien à l'enfant, qui commandait de concevoir des solutions adaptées. M. François Léotard a également justifié la nécessité de favoriser l'accès des femmes à la vie publique par la montée actuelle des valeurs féminines, notamment le sens de la vie, la volonté de dialogue et un certain pragmatisme. Il a fait sienne l'idée de Mme Béatrice Majnoni d'Intignano pour qui les femmes avaient un meilleur rapport au temps -car elles souhaitaient préserver une vie privée- et un meilleur rapport au pouvoir, recherché non comme une fin en soi mais un moyen d'y rendre des services. Il a fait observer que dans les conseils municipaux, où les femmes étaient en nombre relativement plus important qu'ailleurs, les élus locaux avaient quotidiennement l'occasion d'apprécier toutes ces qualités féminines.

En raison même des obstacles à surmonter, il a alors fait part de sa conviction que seul le recours au peuple par la voie référendaire pouvait être de nature à changer la situation, brisant en un seul temps les difficultés constitutionnelles et l'hostilité des milieux politiques. Il a estimé que la question soumise au peuple devrait englober d'autres « pathologies » du système et permettre de moderniser la vie politique dans son ensemble, le projet de loi devant aussi traiter le problème des modes de scrutin, limiter la durée des mandats, interdire les cumuls.

Concernant les modes de scrutin, M. François Léotard a regretté leur trop grande diversité, leur hétérogénéité ainsi que leur instabilité, une majorité nouvelle ayant toujours tendance à vouloir modifier les règles du jeu électoral. Il a, à ce propos, fait état de sa préférence pour un mode de scrutin de type municipal, qui pourrait être généralisé à tous les échelons. Il a souligné que le recours accru au scrutin de liste favoriserait l'accès des femmes aux responsabilités politiques.

Rappelant des propositions déjà anciennes, il s'est ensuite prononcé, à titre personnel, en faveur d'une limitation dans le renouvellement des mandats -pas plus de deux mandats successifs, comme aux Etats-Unis- soulignant que cela favoriserait le renouvellement du personnel politique et l'accès des jeunes et des femmes aux mandats électifs. Il a réfuté l'argument suivant lequel ce serait à l'électeur de trancher, dans la mesure où sa liberté de choix, loin d'être totale, était déjà largement encadrée par la loi, avec par exemple les règles sur les inéligibilités. M. François Léotard a vu dans le cumul des mandats le principal obstacle au renouvellement de la classe politique, ajoutant qu'à ses yeux, « un homme - un mandat » constituait l'objectif à atteindre. Il a néanmoins reconnu que sa position était loin de faire l'unanimité. Il a souligné que la France était un des seuls pays où les mandats pouvaient se cumuler, au point de susciter l'étonnement, voire l'ironie, de nos partenaires étrangers. Il a estimé qu'une interdiction légale de tout cumul favoriserait une plus grande représentativité des élus et leur garantirait plus de disponibilité et de meilleures conditions de travail. Il a remarqué, à cet égard, que les élus nationaux français étaient trop souvent absents des réunions internationales le week-end, du fait qu'ils devaient aussi consacrer de leur temps à leur circonscription locale. Il a précisé qu'à ses yeux, interdire les cumuls supposerait en même temps d'améliorer le statut de l'élu.

S'agissant de la place des femmes dans la vie publique, M. François Léotard a noté qu'au cours du débat à l'Assemblée nationale, le Premier ministre avait reconnu l'intérêt du scrutin proportionnel qui permet de composer des listes mixtes. A titre personnel, il a également jugé souhaitable, le cas échéant, de subordonner pour une durée provisoire de cinq ou dix ans, le versement de l'aide publique aux partis politiques à la présence de 50 % de femmes sur leurs listes aux scrutins locaux et nationaux.

En conclusion, il s'est déclaré convaincu que l'approbation des Français à ces mesures serait massive, la classe politique ne pouvant dès lors plus s'y opposer. Il a estimé qu'elles formaient un ensemble cohérent favorisant une modernisation de la vie politique vers plus de transparence, plus de fluidité et plus de démocratie. Il a rappelé à cet égard que l'UDF avait déjà déposé une proposition de loi sur le scrutin de liste, tout en convenant qu'elle n'était sans doute plus suffisante au regard du rôle déterminant joué aujourd'hui par les femmes, à la pointe du combat démocratique, comme en témoignait leur engagement pour la paix en Bosnie-Herzégovine, en Corse, au Pakistan ou en Amérique latine. A une époque où le terme « citoyen » était particulièrement valorisé -au point d'être employé comme un adjectif usuel appliqué, par exemple, à l'entreprise- il a estimé que la France n'aurait pas véritablement trouvé les valeurs « citoyennes » de la République tant qu'elle n'aurait pas suffisamment pris en compte la place des femmes dans la vie politique.

Mme Nelly Olin, président, s'est déclarée très sensible à l'hommage que l'intervenant venait ainsi de rendre à toutes les femmes.

M. Philippe Richert, rapporteur, a observé que la limitation du cumul des mandats aboutirait sans doute à libérer les postes les moins importants, que le scrutin de liste favorisait certes l'accès des femmes à la vie politique, mais qu'il demeurait peu probable de voir des femmes placées en tête de liste à l'occasion des élections régionales, ou de leur voir attribuer les postes les plus valorisants. A propos du cumul des mandats, il a constaté que la charge de travail des élus était rarement conciliable avec une vie de famille normale. Il a indiqué qu'à sa connaissance, les élus allemands n'étaient guère plus nombreux que les Français dans les réunions internationales, mais simplement parce qu'au lieu de cumuler des mandats, ils tenaient à consacrer leur week-end à leur vie familiale.

Il s'est ensuite interrogé sur ce qu'il adviendrait d'une révision constitutionnelle en cas d'absence de soutien de la majorité aux mesures préconisées par M. François Léotard. M. François Léotard a répondu que c'était précisément pour passer outre aux réticences des milieux politiques qu'il proposait un référendum.

A la demande de M. Lucien Neuwirth, M. François Léotard a précisé que, pour lui, il devait s'agir d'un référendum organisé sur la base de l'article 11 de la Constitution, la question étant posée sur l'ensemble des mesures destinées à moderniser la vie politique.

Sur l'impossibilité de concilier la vie politique avec une vie de famille normale, il a observé que les hommes politiques acceptaient une charge de travail extravagante mais en totale contradiction avec les idées de diminution et de partage du temps de travail qu'ils prônaient pour la société. Il a également fait valoir les intérêts divergents, parfois antagonistes, entre un mandat national et les préoccupations liées aux mandats locaux. Se référant à un point de vue du président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, M. Pierre Mazeaud, il a estimé que les conditions d'élaboration et la qualité des lois seraient meilleures avec moins d'absentéisme, imputable en large part aux cumuls. Il a considéré que les mesures récentes mises en oeuvre à l'Assemblée nationale, telles que le blocage des votes en milieu de semaine, se révélaient insuffisantes et ne remplaçaient pas la présence physique du député lors de l'élaboration de la loi. Il a souligné que des lois médiocres favorisaient les contentieux et, en définitive, la judiciarisation de notre société au détriment de la décision politique. Enfin, persuadé que le monde politique ne se réformerait pas de lui-même, il a jugé indispensable le recours au référendum, seul à même de débloquer la situation.

M. Lucien Neuwirth a rappelé qu'un référendum de l'article 11 de la Constitution supposait désormais que le Parlement ait son mot à dire. Il a par ailleurs souligné que le statut de l'élu était un élément fondamental en cas de non-cumul des mandats car il pouvait être parfois très difficile de se réinsérer en cas de non-réélection.

Mme Michelle Demessine s'est déclarée « pour une fois » en accord avec la plupart des analyses et propositions de M. François Léotard, jugeant très pertinent l'emploi du terme « pathologie » pour caractériser la situation actuelle. Elle a, à son tour, souligné l'importance de la place des femmes dans le cadre d'une modernisation de la vie politique. Elle a considéré que la situation française était « honteuse » sur un plan international. Elle a tiré du débat à l'Assemblée nationale un bilan négatif, marqué selon elle par la « désinvolture » de la plupart des interventions. Elle a accepté l'idée d'un référendum si cela se révélait nécessaire, tout en soulignant qu'il lui paraissait difficile de ne pas se préoccuper de faire évoluer les partis politiques. Elle a constaté que le programme des partis politiques ne tenait nullement compte des atouts que représenteraient les femmes pour la vie publique, accusant ainsi un véritable déficit de fond. Elle a également fait observer que la plupart des parlementaires avaient beaucoup de difficultés à imaginer une situation sans cumul des mandats, ce que, pour sa part, elle parvenait très bien à concevoir. Elle a ajouté que les modes de scrutin poussaient eux-mêmes au cumul. Enfin, elle a estimé que la réforme du mode de scrutin proposée entraînerait des bouleversements considérables dans les structures institutionnelles.

M. François Léotard, relevant la mauvaise image -qu'il a jugée injuste- des parlementaires dans l'opinion publique, a souhaité sa revalorisation pour éviter qu'elle serve d'argument au Front National. Il a réfuté l'idée selon laquelle un parlementaire dépourvu de mandat local serait un mauvais parlementaire ou ne ferait que de mauvaises lois -sauf à soutenir que les parlementaires de la plupart des pays étrangers sont de mauvais parlementaires parce qu'ils ne cumulent pas- rappelant qu'il lui serait toujours possible de consulter les élus locaux, comme cela se pratique chaque fois. Il a récusé les critiques émises à l'encontre du débat à l'Assemblée nationale et a déclaré partager l'analyse selon laquelle la place des femmes dans la vie publique relevait d'un débat de fond en rapport avec la démocratie. Il a justifié la nécessité de lier statut de l'élu et limitation du cumul des mandats, notamment pour prévoir le versement d'indemnités décentes aux élus locaux et des pensions de retraites suffisantes aux maires. Il a, à cet égard, rendu un hommage appuyé à l'action des élus locaux. Il s'est enfin interrogé sur la possibilité d'assurer des conditions plus égales de retour à la vie active en cas de non-renouvellement du mandat, notant une forte disparité de situation selon que l'ex-élu était ou non fonctionnaire.

M. Lucien Neuwirth ayant à son tour insisté sur le lien entre les cumuls et le statut de l'élu, M. François Léotard a considéré qu'un maire à temps plein devait percevoir une indemnité équivalente à celle d'un parlementaire. Il a également jugé souhaitable de réfléchir à des mesures évitant que la fonction publique « colonise progressivement » le Parlement, en prévoyant, par exemple, une perte de droit de la qualité de fonctionnaire après un certain temps de mandat. Parallèlement, il a estimé nécessaire de mettre en place un soutien public à l'engagement des salariés du secteur privé dans les fonctions électives et, en fin de mandat, une amélioration des retraites des élus. Il a jugé symptomatique et très inquiétant qu'aux dernières municipales, 40 % des maires sortants ne se soient pas représentés.

M. José Balarello est pleinement convenu de la nécessité de traiter simultanément le problème du cumul et celui du statut de l'élu. Il a par ailleurs constaté la place croissante des femmes dans la vie locale. Il a ensuite souligné qu'une législation anti-cumul aurait le mérite de favoriser la qualité du travail législatif, trop souvent confisqué par les cabinets ministériels et l'administration. Il a toutefois insisté sur la nécessité d'adopter une démarche pragmatique, consistant d'abord à accoutumer l'opinion publique à la présence des femmes dans les scrutins municipaux, l'augmentation de leur nombre dans les autres fonctions s'opérant par la suite d'elle-même et progressivement. Il s'est enfin interrogé sur l'absence de femmes à la tête des très grandes entreprises.

Mme Nelly Olin, président, a évoqué l'expérience belge de l'institution de listes paritaires, dont il serait intéressant d'observer les conséquences à terme.

M. François Léotard a fait observer que la progression des femmes dans les scrutins municipaux était déjà devenue une réalité et qu'il n'y avait donc pas priorité à agir dans cette voie. En revanche, il a jugé nécessaire d'agir sur d'autres élections où le retard demeurait très important et où une évolution sensible, en l'absence de mesures volontaristes, ne pourrait être attendue avant plusieurs décennies. Il a déclaré ne pas avoir d'opinion arrêtée sur les causes de l'absence des femmes dans la hiérarchie des grandes entreprises, avançant cependant l'hypothèse que les femmes refuseraient les contraintes d'horaires imposées aux cadres ou entretiendraient un rapport au pouvoir différent de celui de leurs collègues masculins.

M. Gérard Braun a fait observer à M. François Léotard que sur ces sujets, il était assez isolé au sein même de sa propre famille politique, et s'est interrogé sur la possibilité concrète, en cas de succès du référendum, d'appliquer toutes ces mesures en même temps.

M. François Léotard a considéré que les Français accueilleraient bien ces réformes et que, même si les partis politiques ne jouaient qu'imparfaitement le jeu au départ -en plaçant leurs candidates dans des circonscriptions peu gagnables, par exemple- l'évolution se ferait inéluctablement. Il est revenu sur la nécessité de combattre cette image d'une forteresse défendant ses intérêts, trop souvent attachée au monde politique. Il est cependant convenu que les mesures qu'il proposait pouvaient sembler brutales et autoritaires et qu'elles risquaient d'être mal perçues par les intéressés.

M. Philippe Richert, rapporteur, se plaçant dans l'hypothèse « un homme-un mandat », s'est interrogé sur la possibilité de l'appliquer avec 36.000 communes, soulignant qu'elle supposerait à la fois d'accélérer le regroupement des communes -comme cela s'était produit en Allemagne- et de dégager des moyens financiers considérables. Il a, en particulier, estimé qu'il faudrait prévoir des dispositifs permettant aux candidats non réélus de retrouver un emploi ou de percevoir des indemnités. Liant cette réforme à celle de l'administration territoriale, il a souhaité savoir si son coût avait été évalué.

En réponse, M. François Léotard a indiqué qu'après avoir été longtemps partisan du bénévolat, il avait constaté que ce système favorisait avant tout les fonctionnaires et qu'il avait donc évolué en faveur d'une meilleure indemnisation des mandats pour permettre à toutes les catégories de citoyens de les exercer. Il a jugé indispensable de faire admettre que la démocratie avait un coût. Il a estimé que la question du regroupement de communes devait être abordée très prudemment, s'interrogeant même sur sa nécessité dans la mesure où les quelque 500.000 élus locaux constituaient une véritable richesse pour notre démocratie. Il a craint qu'à vouloir se priver de cette richesse, on s'engage dans un processus de déqualification de la fonction élective, comme aux Etats-Unis où les personnalités les plus brillantes préféraient souvent exercer dans le privé. Dans le même ordre d'idée, il a déploré que les maires soient de plus en plus souvent mis en examen, voire condamnés au pénal, en l'absence de toute faute personnelle, la pénalisation croissante de l'action municipale risquant à terme de dissuader les candidats à cette fonction.