Mission commune d'information sur la place et le rôle des femmes dans la vie publique


MISSION COMMUNE D'INFORMATION CHARGÉE D'ÉTUDIER LA PLACE ET LE RÔLE DES FEMMES DANS LA VIE PUBLIQUE

AUDITIONS DU 18 FEVRIER 1997


Mardi 18 février 1997 - Présidence de M. Jean-Louis Lorrain, vice-président.-

La mission commune d'information sur la place et le rôle des femmes dans la vie publique a procédé à l'audition de Mme Christine Chauvet, présidente de l'association des femmes chefs d'entreprise (AFCE).

Mme Christine Chauvet a tout d'abord précisé que l'AFCE avait été fondée en 1945 à l'instigation d'une femme devenue maître de forges, et qui avait ressenti les besoins d'information et de formation des femmes chefs d'entreprise. Elle a précisé que l'association comportait 40 délégations en France, était membre associé du Conseil national du Patronat français (CNPF) et qu'elle était à l'origine de la création de 30 associations au statut similaire à l'étranger. Elle a indiqué que l'association se fixait pour objectif d'accroître la présence des femmes dans les instances de décision économique, dont elles étaient trop souvent exclues, qu'il s'agisse des chambres de commerce, des tribunaux de commerce, des conseils de prud'hommes, des associations pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (ASSEDIC), etc... Elle a constaté que les femmes n'occupaient que 5 % des 70.000 mandats patronaux au sein des différentes instances paritaires. Elle a estimé que dans ce domaine, comme dans la vie politique, le problème de la sous-représentation des femmes persistait. Elle a illustré son propos de quelques chiffres, relevant que les femmes représentaient plus de 52 % de la population, 44 % des actifs, 26 % des chefs d'entreprise, 30 % des créateurs d'entreprise (contre 55 % aux Etats-Unis), 48,9 % des diplômés et 60 % des diplômes d'études supérieures, 41 % du corps médical, 45 % de la magistrature, 25 % des cadres d'entreprises mais seulement 5 % des cadres supérieurs, taux comparable à celui de la présence féminine dans les assemblées parlementaires. Mme Christine Chauvet en a conclu que les françaises n'exerçaient toujours pas les responsabilités auxquelles elles pouvaient prétendre dans la vie économique et sociale. Elle a rappelé que les femmes s'étaient pleinement exprimées dans le champ de liberté qui leur avait été ouvert entre 1900 et 1939 dans le domaine de la famille et de la gestion du patrimoine familial ; qu'elles avaient pris leur place naturelle dans le domaine économique et social, deuxième champ de liberté qui s'était ouvert à elles entre 1945 et 1995. Elle a souhaité que les femmes puissent dorénavant accéder aux « hiérarchies figées » dont elles restaient aujourd'hui exclues, dans la vie politique, au sein des grands corps et dans toutes les organisations où le pouvoir demeurait dévolu par cooptation ou nomination. Elle a estimé que les femmes devaient accéder aux responsabilités inhérentes à la vie de la cité, et ceci pas uniquement en cas de guerre ou de cataclysme... Après avoir relevé que pas une seule femme n'était à la tête de l'une des 200 premières entreprises françaises, Mme Christine Chauvet a indiqué que, face à ce blocage, les femmes choisissaient souvent de créer leur propre entreprise, d'où le taux élevé de ces créations par des femmes. Elle a jugé que ce blocage, spécifique à la France, venait du centralisme français, qui tendait à renforcer les hiérarchies. Exposant les raisons sociologiques de l'accès aux femmes aux fonctions de chef d'entreprise, elle a rappelé que la seconde guerre mondiale avait fait accéder de nombreuses veuves à ces fonctions, le chômage des conjoints, les nombreux divorces et le bon niveau de formation des femmes expliquant aujourd'hui leur implication dans l'économie. Elle a jugé dommageable que les femmes aient tendance, comme aux Etats-Unis, à se positionner comme une minorité porteuse de revendications, ce qui n'avait d'ailleurs pas donné de résultats probants, alors qu'elles devraient naturellement prendre leur place et ne pas attendre de soutien ou d'assistanat. Par ailleurs, elle a regretté que les propos du ministre en charge du droit des femmes ne correspondent pas aux résultats des travaux de l'Observatoire de la parité. Elle a observé que les propositions formulées par cette instance étaient trop tardives pour pouvoir être mises en oeuvre avant les prochaines élections législatives ou régionales, mais qu'elles avaient le mérite de lancer le débat. Les prochaines échéances électorales utiles se situant désormais en 2003, elle a déploré que la France franchisse le cap de l'an 2000 avec les mêmes statistiques qu'il y a 50 ans. Elle a souhaité que s'instaure une vaste réflexion sur le sujet, non seulement au Parlement, mais également au sein des conseils régionaux, des conseils généraux, des grandes villes, ainsi qu'au plan européen. Évoquant les différentes propositions avancées par l'Observatoire, Mme Christine Chauvet a indiqué que l'AFCE étant « plutôt allergique » aux quotas, privilégiant la compétence des femmes comme critère de sélection. Elle n'a pu cependant que constater l'échec de toutes leurs tentatives dans le domaine politique, admettant que les quotas pourraient avoir pour unique mérite de jouer un rôle de déclencheur et de levier, pour un temps limité, afin de combler le retard pris grâce à une « vague compensatoire ». Elle a ensuite estimé qu'encourager les partis à choisir des candidates par le biais d'incitations financières revenait, en quelque sorte, à accorder plus de valeur à un député femme qu'à un député homme, jugeant cette solution constitutionnellement contestable mais sans l'écarter si elle était un moyen utile d'évolution. Elle a toutefois souligné que la condition de l'efficacité de toute mesure résidait dans son impact direct sur la vie des partis politiques. Elle a, par ailleurs, remarqué que l'introduction d'une dose de proportionnelle pour une période temporaire interviendrait trop tard pour les prochaines échéances électorales, et que le problème de la participation des femmes lui paraissait susceptible de faire l'objet d'un référendum, à condition que la question soit correctement posée. Elle a conclu que si, sur le plan des principes, elle restait opposée aux quotas, ces derniers étaient peut-être la seule solution efficace, à la condition d'être appliqués pour une période temporaire. Soulignant la nécessité de prendre en compte l'existence des rapports de force dans la vie politique, elle a évoqué une dernière solution jamais sérieusement envisagée : la constitution de listes de femmes, en particulier pour les élections au scrutin proportionnel. Elle s'est déclarée convaincue que les partis politiques, à gauche comme à droite, tiendraient mieux compte des femmes s'ils se voyaient exposés au risque de perdre ne serait-ce que 5 % des voix au bénéfice de listes féminines. A cet égard, elle a signalé que l'AFCE avait suscité la constitution d'une liste « Femmes d'Alsace », sur laquelle deux candidates avaient été élues. Elle a, par ailleurs, indiqué que les américaines chefs d'entreprise finançaient une association pour le soutien des femmes en politique, tous partis confondus, soulignant l'importance du combat collectif si les femmes voulaient réellement parvenir à quelque chose. Elle a relevé que l'accès des femmes à l'Assemblée nationale tenait encore trop souvent à un certain népotisme ou à un accident (suppléance), en dehors du cas de quelques femmes issues de la technocratie. Contestant ces seuls modes d'accès à la représentation nationale, Mme Christine Chauvet a souhaité que l'évolution soit plus naturelle et plus représentative de la réalité du pays.

Commentant les propos de Mme Christine Chauvet sur les quotas, M. Claude Estier, excluant le recours à une révision constitutionnelle, a estimé que c'était aux partis de faire preuve de volonté politique, en se fixant des quotas et en s'assurant de leur respect. Il a souligné les efforts accomplis en ce sens par le parti socialiste. Excluant que la Constitution soit modifiée à cet effet, il a estimé qu'il appartiendrait aux partis de fixer un quota et surtout de s'assurer de leur respect. Il a fait observer que le parti socialiste avait réalisé beaucoup d'efforts dans ce sens. Mme Christine Chauvet a craint à ce propos que les partis ne soient tentés d'inscrire les femmes en fin de liste ou de leur confier des circonscriptions perdues d'avance.

Répondant à une question de M. Philippe Richert, rapporteur, sur le cumul des mandats, Mme Christine Chauvet a souligné qu'il était d'ores et déjà limité et qu'un certain cumul permettait aux élus de rester au fait des réalités du terrain. En revanche, elle a jugé peu probable qu'un renforcement de l'interdiction des cumuls libère beaucoup de postes au profit des femmes par simple effet d' « appel d'air », notant que les mesures déjà prises dans ce sens n'avaient entraîné pratiquement aucune amélioration.

M. Jean-Louis Lorrain, président, a demandé si l'AFCE avait pris des initiatives de nature à favoriser l'accès aux mandats patronaux, dont le monde politique pourrait s'inspirer. Mme Christine Chauvet a indiqué que l'AFCE, seule association active en la matière, préparait des candidates aux différentes élections professionnelles et veillait à ce qu'elles exercent activement leurs mandats. Relevant que la vie politique était le miroir de la société,

Mme Annick Bocandé a souligné que les femmes s'y trouvaient confrontées aux mêmes difficultés et combats que dans les entreprises ou les syndicats patronaux. Elle a partagé l'opinion de l'orateur, selon laquelle la reconnaissance des femmes s'obtiendrait grâce à leur compétence et à la condition que les partis leur accordent la place qui leur était due.

Mme Christine Chauvet a souligné qu'en cas de blocage dans le secteur économique, les femmes pouvaient toujours créer leur propre entreprise, mais que cette échappatoire n'existait pas dans le domaine politique, où elles étaient obligées de passer sous les fourches caudines des partis. Elle a rappelé que les femmes représentaient 30 % des militantes dans les syndicats, 30 % dans les associations et 25 % dans les partis, mais qu'après quatre à cinq ans, faute de pouvoir accéder aux postes de responsabilités, elles préféraient se consacrer à d'autres centres d'intérêt.

Réagissant au propos de M. Jean-Louis Lorrain, président, qui soulignait le nombre de femmes maires dans le monde rural, elle a regretté qu'a contrario une seule femme soit maire d'une ville de plus de 100.000 habitants et seulement 35 femmes dans les villes de plus de 30.000 habitants. Mme Christine Chauvet a déploré que les élues soient, le plus souvent, cantonnées au domaine social alors que citoyennes à part entière, elles devaient pouvoir intervenir dans tous les domaines.

Puis la mission commune d'information a procédé à l'audition de Mme Andrée Heymonet, représentante de l'Association des présidents de conseils régionaux (APCR).

Mme Andrée Heymonet s'est d'abord réjouie que l'ensemble des groupes politiques du Sénat ait décidé de réfléchir à la place et au rôle des femmes dans la vie publique. Elle a indiqué qu'après avoir exercé le métier d'infirmière et avoir occupé des responsabilités syndicales, elle était entrée dans la vie politique lors des municipales de 1971, qu'elle avait ensuite été élue conseiller régional en 1986 et que, dans ces deux enceintes, elle s'était en particulier occupée des affaires sociales puis des affaires relatives à la mer et au port de Toulon. Mme Andrée Heymonet a exposé qu'en 1986, constatant le faible nombre de femmes dans les conseils régionaux, elle avait proposé au président de l'Association nationale des élus régionaux de regrouper les conseillères régionales françaises au sein d'une section particulière dont l'animation lui avait été confiée. Elle a insisté sur l'important travail de terrain effectué par cette section, notamment à l'occasion de nombreux déplacements en province.

Forte de cette riche expérience, Mme Andrée Heymonet a constaté que si les femmes étaient de mieux en mieux reconnues dans la vie économique et sociale, elles restaient encore largement à l'écart de la politique et du pouvoir. Après avoir rappelé la faible proportion de femmes, tant au Parlement que dans les assemblées locales, elle a souligné que seulement trois régions françaises étaient présidées par une femme. Citant alors Stendhal, pour qui « l'admission des femmes à la vie politique serait la marque la plus sûre de la civilisation », elle a observé que la France accusait un net retard en ce domaine. Elle a estimé que si les femmes n'accédaient pas aux plus hautes sphères politiques ou demeuraient trop souvent confinées dans le secteur des affaires sociales, de la santé ou de la condition féminine, cela tenait à plusieurs causes, en particulier la difficulté pour les femmes d'entrer en politique avant l'âge de 40 ans, du fait qu'elles étaient alors obligées de « mener trois vies de front », professionnelle, familiale et publique, -sauf à considérer la politique comme un véritable métier et à augmenter en conséquence les indemnités versées aux élus- et les obstacles internes liés aux moeurs politiques. A cet égard, elle a souligné qu'il était parfois aussi difficile pour une femme que pour un homme de s'insérer dans une vie politique marquée par un certain conservatisme et où les places à pourvoir restaient rares, appelant de ses voeux un renouvellement de la classe politique par la jeunesse, la féminisation et la diversité. En outre, elle a constaté que les femmes devaient encore souvent faire preuve de qualités et de compétences supérieures à celles des hommes pour briguer un mandat important. Dans ce contexte, Mme Andrée Heymonet a estimé que la méthode des quotas, bien que non satisfaisante sur un plan théorique, et qui lui avait tout d'abord paru inadaptée et paradoxale, lui semblait, après mûre réflexion, un « passage obligé » pour « lancer la machine et faire évoluer le comportement des dirigeants des partis politiques ». Elle a rejeté les objections habituelles au système des quotas, en particulier le prétendu risque d'extension à d'autres minorités -les minorités représentant 50 % de la population étant « assez rares... »- ou encore l'insuffisance du nombre de femmes compétentes susceptibles de pourvoir tous les postes qui leur seraient réservés du fait des quotas, puisqu'à l'évidence, il y avait assez de femmes de valeur pour peu qu'on veuille bien les motiver et surtout les solliciter. Elle a par ailleurs estimé qu'il était devenu important d'envisager un élargissement et une diversification du paysage politique français, qui manquait de modernité, d'où la désaffection croissante des électeurs et, peut-être, de remettre en cause la notion de cumul des mandats, car cela permettrait aux femmes de s'impliquer, non pas dans le sens d'une « invasion féminine » mais simplement d'un rééquilibrage entre les hommes et les femmes parmi les élus. En conclusion, Mme Andrée Heymonet a souhaité que les femmes s'engagent dans la vie publique, comme elle-même l'avait fait durant 26 ans de passion et de volonté de participer à l'avenir d'une ville, d'un département et d'une région.

Mme Maryse Bergé-Lavigne a souhaité connaître plus précisément les objectifs poursuivis lors de la création d'une « section femmes » au sein de l'Association nationale des élus régionaux et les résultats de cette expérience en termes de promotion des femmes dans la vie publique. Se référant à sa propre expérience ou à celle de Mme Andrée Heymonet, pour qui être femmes n'avait pas représenté un obstacle, elle s'est également interrogée sur les raisons pour lesquelles les femmes restaient si absentes du monde politique. Mme Andrée Heymonet a répondu qu'elle avait souhaité créer cette « section femmes » en 1986 parce qu'elle avait été frappée par le faible nombre de femmes élues dans les différentes régions françaises.

Tout en jugeant utiles les actions de cette section, notamment les déplacements effectués dans les différentes régions, elle a reconnu que la « section femmes » n'avait pas « pesé lourd dans les décisions ou dans les investitures », ce qui ne l'empêchait pas de poursuivre son combat.

Elle a par ailleurs précisé, en réponse à une question de M. Philippe Richert, rapporteur, qu'elle avait été désignée par l'APCR pour s'exprimer devant la mission sur le problème des femmes, mais qu'elle développait le point de vue de la « section femmes » de l'association et non celui de l'APCR en tant que telle.

M. Marcel Debarge a estimé que sans un changement des mentalités, il serait très difficile de faire évoluer rapidement la situation actuelle et que de ce point de vue, les pouvoirs publics et les partis politiques avaient une responsabilité particulière vis-à-vis de l'opinion publique, au-delà du domaine strictement politique. Il a considéré que la limitation du cumul des mandats ne conduisait pas nécessairement à l'élection de femmes car la clé du changement résidait avant tout dans les initiatives que pouvaient prendre les partis politiques. Il a également jugé difficile d'instituer un système de quotas, notamment pour des raisons constitutionnelles, et qu'une réforme du mode de scrutin constituerait probablement un meilleur moyen d'accroître la place des femmes en politique, même si cette réforme ne paraissait pas aisée. Quoi qu'il en soit, il lui a semblé important d'accentuer le cours naturel des choses par un « coup d'accélérateur ».

Mme Andrée Heymonet s'est à nouveau déclarée convaincue que la méthode des quotas était un « passage obligé », notant que la Suède, par exemple -où le nombre des élues était important- avait appliqué cette méthode. Elle a également considéré que les initiatives que pouvaient prendre les partis politiques étaient déterminantes.

M. Michel Rufin a estimé qu'un changement de mode de scrutin ne représentait pas la panacée car à défaut de quotas imposés par la Constitution, rien n'assurait que les partis accepteraient d'inscrire sur les listes un nombre suffisant de femmes.

Mme Gisèle Printz a émis un doute sur le nombre de femmes prêtes à s'engager en politique, rappelant que dans sa circonscription il avait parfois été difficile de trouver des femmes candidates et que pour les mères de famille, il était pratiquement impossible de s'engager avant 40 ans.

M. Alain Gournac a partagé cette analyse et souligné l'existence d'un véritable blocage des mentalités, peu propice à une plus grande présence féminine en politique.

Mme Andrée Heymonet, quoique convaincue que de nombreuses femmes compétentes étaient prêtes à s'investir en politique, a admis qu'elles avaient du mal à cumuler une vie professionnelle, une vie familiale et une vie politique.

Mme Maryse Bergé-Lavigne a considéré que le recours à des structures réservées aux femmes dans telle ou telle instance pouvait apparaître comme un moyen de « dédouaner » celle-ci et de la dispenser de s'engager sur la question des femmes. Elle a ensuite rappelé que les femmes qui désiraient s'engager en politique culpabilisaient lorsqu'elles avaient des enfants en bas âge et qu'elles ne pouvaient en fait s'investir qu'à partir d'un certain âge ou si elles appartenaient à un milieu social aisé. De ce point de vue, elle a indiqué que la limitation du cumul des mandats serait une bonne chose et que la principale évolution devrait venir des partis politiques.

Mme Andrée Heymonet a estimé que les initiatives qui se développaient actuellement pour promouvoir la présence des femmes en politique répondaient à un mouvement de fond et étaient porteuses d'espoir.

M. Philippe Richert, rapporteur, tout en considérant que le non-cumul des mandats n'assurait pas une garantie de faire élire des femmes, il avait néanmoins le mérite de libérer des postes où elles avaient des chances de s'insérer.

Enfin, la mission commune d'information a procédé à l'audition de Mme Virginie Barré, présidente de l'Association des femmes journalistes (AFJ).

Mme Virginie Barré a d'abord indiqué que son association avait deux vocations : promouvoir la place des femmes dans les rédactions et les postes de décision et faire évoluer l'image de la femme dans les médias. Sur le premier aspect, Mme Virginie Barré a indiqué que s'il apparaissait souvent qu'il y avait de nombreuses femmes journalistes, celles-ci n'étaient en fait que 37 % du total des journalistes et que dans la presse quotidienne régionale on comptait une femme pour 4,6 hommes, à la télévision une femme pour 3,4 hommes et dans les agences de presse une femme pour 1,8 homme. En revanche, elle a souligné que dans la presse la moins prestigieuse, c'est-à-dire spécialisée, technique et professionnelle, on comptait à peu près autant de femmes que d'hommes. Elle a ensuite précisé que les femmes journalistes étaient en moyenne plus diplômées que les hommes, qu'elles représentaient 50 % des pigistes, et plus de la moitié des chômeurs. A l'inverse elle a indiqué que seuls 25 % des cadres étaient des femmes et que sur 549 directeurs de médias on comptait seulement 62 femmes. Par ailleurs, elle a fait valoir qu'il existait à tous les niveaux une différence de salaire moyenne de 2.800 francs entre les femmes et les hommes journalistes. Elle s'est ensuite félicité du nombre plus élevé de femmes "grand reporter", mais elle a souligné que les grands reportages donnaient lieu aujourd'hui à des salaires plus faibles et qu'ils n'étaient plus la voie d'accès aux postes de responsabilité. Elle a ajouté que d'une façon générale les femmes journalistes travaillaient plus souvent le week-end, pendant les vacances et tôt le matin, car il leur était plus difficile de refuser ce type d'horaires, ce qui traduisait aussi le fait que 63 % des hommes journalistes étaient mariés mais seulement 37 % des femmes journalistes. Enfin, Mme Virginie Barré a reconnu que la proportion de femmes journalistes avait beaucoup progressé au cours des dernières années puisqu'elle était passée de 24 % en 1981 à 37 % aujourd'hui, mais elle a regretté le manque de statistiques sexuées en France, ce qui rendait des études plus approfondies difficiles. Puis, Mme Virginie Barré a évoqué la manière dont l'information était traitée en France, soulignant que la hiérarchie des sujets était toujours la même depuis des années et qu'elle était essentiellement fondée sur une culture et des valeurs masculines. Elle a insisté sur la difficulté de faire évoluer cette hiérarchie car on opposait toujours à cette demande une atteinte aux règles de l'objectivité. Elle en a conclu que les sujets qui intéressaient les femmes ne figuraient pas en bonne place dans l'information et que cela apparaissait, par exemple, très nettement dans les magazines économiques, où plus de 90 % des photos représentaient des hommes.

Mme Virginie Barré a alors exposé les résultats d'une étude menée sur une journée d'information dans 10 grands médias nationaux. Elle a indiqué que, sur l'ensemble des personnes citées par ces médias, il n'y avait que 17 % de femmes dont 60 % étaient citées sans leur profession, ce qui n'était pas le cas pour les hommes, et un quart étaient citées sans nom de famille ce qui n'était pratiquement jamais le cas pour les hommes. Enfin, 25 % étaient présentées comme victimes alors qu'il n'y avait qu'un homme sur 11 dans cette situation. Elle a montré que ce décalage dans la perception des hommes et des femmes dans les médias était mal connu et que la plupart des journalistes étaient très surpris lorsqu'on leur présentait cette étude. Mme Virginie Barré a enfin donné des exemples de situation et de mots auxquels est associée une image mentale masculine.

M. Jean-Louis Lorrain, président, a alors fait valoir qu'il existait une presse féminine de qualité qui traitait notamment de problèmes généraux.

Mme Virginie Barré a souligné que la presse féminine n'avait pas pour objet l'information générale et que, d'ailleurs, on ne demandait pas à la presse masculine de remplacer le travail d'information des quotidiens et des hebdomadaires. Elle a indiqué que s'il était vrai qu'on voyait beaucoup de photos de femmes dans la presse féminine, il n'y avait pas de raison pour que l'information figurant dans la presse générale ne soit pas mixte.

M. Philippe Richert, rapporteur, s'est félicité que grâce à cette audition la mission commune d'information s'intéresse aussi à la place de la femme dans la société et non pas seulement dans le monde politique. Il a rappelé que dans son travail en cours sur la parité dans les manuels scolaires, il faisait le même type de constatations, puisque les héros ou les exemples cités étaient le plus souvent masculins. Il a alors souhaité savoir quels types de propositions on pouvait formuler pour remédier à ces situations.

Mme Virginie Barré a évoqué les oppositions auxquelles se heurtaient les journalistes dès qu'ils voulaient modifier quelque chose dans la présentation de l'information. Elle a estimé très significatif que lors d'un récent colloque international sur la liberté de la presse, on ait oublié d'inviter des femmes journalistes alors que dans de nombreux pays les femmes n'ont même pas accès à cette profession. Mme Virginie Barré a toutefois insisté sur les textes juridiques qui pouvaient être d'ores et déjà utilisés : un arrêté de 1986 pour la terminologie - que chaque journaliste devrait appliquer - ou la convention relative à l'élimination des discriminations envers les femmes, ratifiée par la France, mais pas toujours appliquée. C'est pourquoi Mme Virginie Barré a estimé nécessaire une meilleure circulation de l'information sur ces questions et regretté qu'il n'existe pas dans les études françaises de modules réservés à la question des femmes, comme cela était le cas dans toutes les universités anglo-saxonnes.

Mme Maryse Bergé-Lavigne a constaté que les femmes journalistes devaient, comme les femmes politiques, être meilleures et plus disponibles que les hommes, mais elle a estimé que les femmes journalistes semblaient accéder plus facilement à des postes de responsabilité. Elle a demandé à la présidente de l'AFJ s'il lui paraissait plus important de féminiser le mot de sénateur en sénatrice ou de faire en sorte que l'"image" de sénateur renvoie aussi bien à un homme qu'à une femme.

Mme Virginie Barré a estimé très important que la grammaire et la linguistique soient correctement utilisées lorsqu'on parle de femmes. Elle a constaté que si l'on avait facilement inventé les mots d'ordinateur ou de logiciel on n'arrivait toujours pas à créer les mots de députée ou de sénatrice. Elle a estimé tout aussi important qu'une attention vigilante soit portée au niveau du langage utilisé, rappelant qu'on parlait facilement d'une directrice d'école mais rarement d'une directrice d'entreprise. Elle a enfin souligné que l'expression "Mme le Président" était absurde sur le plan grammatical.

M. Jean-Louis Lorrain, président, a insisté sur l'importance de l'image, en particulier pour les élections, et considéré que dans cette optique des efforts devaient être faits en matière de communication ou même d'éducation pour ne pas dévaloriser ou déformer l'image des femmes.

Mme Virginie Barré a indiqué qu'il y avait peu de travaux en France sur la représentation comparée des hommes et des femmes par les médias et notamment par la télévision. Elle a regretté la force d'inertie française dans ce domaine car certains pays européens comme la Suède avaient fait des travaux très approfondis sur cette question.

M. Philippe Richert, rapporteur, a souligné que la question de la représentation des hommes et des femmes était un sujet essentiel, sur lequel des évolutions apparaissaient, et qui représentait un réel enjeu pour la démocratie.