Mission commune d'information sur la place et le rôle des femmes dans la vie publique


MISSION COMMUNE D'INFORMATION CHARGÉE D'ÉTUDIER

LA PLACE ET LE RÔLE DES FEMMES DANS LA VIE PUBLIQUE

AUDITIONS DU 19 MARS 1997


Mercredi 19 mars 1997 - Présidence de Mme Nelly Olin, présidente.

La mission commune d'information sur la place et le rôle des femmes dans la vie publique a tout d'abord procédé à l'audition de Mme Marcelle Devaud, ancienne vice-présidente du Sénat, et de Mme Micheline Galabert, présidente de l'Association des femmes de l'Europe méridionale.

Mme Marcelle Devaud a tout d'abord jugé très positive la création d'une mission commune d'information sur la place et le rôle des femmes dans la vie publique, surtout dans une assemblée à laquelle elle conservait un attachement tout particulier mais qui s'était si longtemps opposée au vote des femmes.

Elle a ensuite évoqué l'évolution sensible de la condition féminine depuis le XIXe siècle, « le plus machiste de l'histoire », jusqu'au XXe siècle, qui avait permis aux femmes d'accéder à la citoyenneté, avant de souligner le paradoxe de la condition féminine en France, pays où le travail des femmes à temps plein est le plus répandu, mais où les femmes demeuraient les moins représentées dans les lieux de pouvoir et dans les instances dirigeantes.

Se déclarant personnellement opposée au système des quotas, « déplaisant et humiliant », Mme Marcelle Devaud a néanmoins jugé le concept de parité équitable et conforme aux principes de la démocratie, tout en reconnaissant que la parité ne saurait être atteinte que « par étapes ».

Estimant peu souhaitable de réviser, à nouveau, la Constitution, afin de favoriser la mixité de la vie politique, fût-ce par une disposition transitoire -« le crédo des démocrates » ne devant pas subir d'incessantes modifications-, Mme Marcelle Devaud a estimé préférable de faire en sorte qu'une loi organique assure une meilleure représentation des femmes dans les assemblées parlementaires. Elle a également évoqué plusieurs mesures n'impliquant pas de réformer la Constitution, pour peu néanmoins que les partis politiques en acceptent le principe : la limitation du nombre des candidatures du même sexe au sein d'une liste et, dans le cadre du scrutin uninominal, l'obligation de désigner un candidat et un suppléant de sexes différents.

Elle a par ailleurs insisté sur les obstacles aux candidatures féminines que présentaient les partis politiques français, relevant en particulier le très faible nombre de femmes au sein des comités d'investiture. Pour ceux-ci, a-t-elle ajouté, « une femme de plus, c'est un homme de moins ». En revanche, elle s'est déclarée persuadée que si des circonscriptions étaient confiées à des femmes compétentes, les électeurs n'hésiteraient pas à voter pour elles et que l'attitude des partis politiques à l'égard des femmes pourrait s'en trouver modifiée par un effet d'entraînement.

Mme Marcelle Devaud a également relevé l'influence positive susceptible d'être exercée, quant à l'accès des femmes à la vie politique, par des mesures telles que la réduction du cumul des mandats. Elle a considéré que cette proposition, sans doute « peu en vogue au Sénat », posait un véritable problème d'éthique politique mais qu'elle serait beaucoup mieux acceptable aujourd'hui que sous la IVe République, du fait de la décentralisation et de l'ampleur des tâches assumées par les exécutifs locaux.

Puis elle a souligné la nécessité d'inscrire dans le traité sur l'Union européenne le principe de l'égalité des chances entre hommes et femmes, moins réducteur que celui de l'égalité des rémunérations auquel se limitait l'article 119 du Traité de Rome.

En conclusion, Mme Marcelle Devaud a affirmé que l'accès des femmes à la vie publique « n'est pas une affaire de femmes, mais doit s'inscrire dans l'évolution de notre société vers une nouvelle organisation du travail compatible avec les contraintes des femmes ». Le degré de civilisation des Etats se mesurant à la participation des femmes à la vie publique, elle a ajouté que sur ce point « La France doit devenir un Etat civilisé ».

Mme Micheline Galabert a posé la question de l'apport du point de vue féminin au fonctionnement de l'Etat, relevant que la quatrième conférence mondiale sur les femmes de Pékin, en septembre 1995, avait conclu ses travaux sur la nécessité d'introduire la problématique féminine dans tous les aspects de la vie publique.

Aussi a-t-elle regretté que la réflexion sur la réforme de l'Etat en France ait été mise en oeuvre sans intégrer les préoccupations relatives aux femmes (le « mainstreaming »), observant par exemple que les études d'impact désormais jointes à chaque projet de loi ne prenaient pas en compte cette dimension. De même, elle a relevé que l'évaluation des politiques publiques ne comportait pas de critère d'appréciation sur le plan de l'égalité des chances entre hommes et femmes.

Se référant aux mesures volontaristes mises en oeuvre au Royaume-Uni et en Irlande afin de privilégier l'accès des femmes aux emplois publics de responsabilité, Mme Micheline Galabert a estimé qu'en France, l'Etat n'utilisait pas les prérogatives dont il pourrait pourtant faire usage -les nominations aux emplois à la discrétion du Gouvernement, par exemple- afin de faire progresser la situation des femmes.

Soulignant l'enjeu, pour la cause des femmes, de l'élargissement de l'Union européenne aux pays d'Europe centrale et orientale, où la situation des femmes était loin d'être favorable, Mme Micheline Galabert a jugé essentiel d'intégrer explicitement le principe de l'égalité des chances entre hommes et femmes dans le modèle social européen. Elle a, à cet égard, déploré que l'égalité entre hommes et femmes ne soit abordée, dans le Traité de Rome, qu'au travers du principe de l'égalité des rémunérations.

Elle a ensuite commenté les diverses propositions évoquées dans la perspective de la conférence intergouvernementale, afin que l'égalité entre hommes et femmes soit inscrite comme une stipulation du Traité européen. Elle a néanmoins fait part de l'opposition de la France à l'intégration, dans le Traité de Rome, de la notion de « mainstreaming » (intégration des préoccupations relatives aux femmes dans l'ensemble des politiques publiques).

Mme Danièle Pourtaud a indiqué qu'à sa connaissance, il ne semblait pas encore s'être dégagé d'accord sur le principe de la prise en compte dans le traité européen du principe d'égalité des chances entre hommes et femmes au-delà du domaine professionnel. Elle a évoqué une proposition néerlandaise qui tendrait à autoriser les Etats à prendre des mesures de discrimination positive, non pas seulement en faveur des femmes, mais plus généralement en faveur du sexe sous-représenté.

A ses craintes qu'une telle rédaction se révèle préjudiciable à la cause des femmes, Mme Micheline Galabert a objecté qu'une formule permettant de privilégier le sexe sous-représenté éviterait opportunément que des sphères entières d'activités soient monopolisées par l'un ou l'autre des deux sexes.

Mme Michelle Demessine a rappelé que la directive du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail, n'était pas encore transposée dans le droit français.

A la demande de Mme Michelle Demessine, Mme Micheline Galabert a précisé que le rapport français sur la mise en oeuvre des principes adoptés lors de la 4e Conférence mondiale sur les femmes, censé être présenté à l'ONU à la fin de l'année 1996, était encore en préparation.

La mission commune d'information a ensuite procédé à l'audition de Mme Christiane Jourdan, présidente de l'Action catholique générale féminine (ACGF).

Mme Christiane Jourdan a tout d'abord mentionné, parmi les objectifs de l'ACGF définis en 1983, « la promotion individuelle et collective des femmes [...] dans un ensemble humain où hommes et femmes se reconnaissent comme partenaires ». Elle a indiqué que l'ACGF entretenait ainsi des contacts réguliers avec quelque 25.000 adhérentes regroupées en 2.000 équipes réparties dans toute la France et se réunissant tous les mois.

Elle a également exposé l'importante activité éditoriale de l'ACGF, évoquant, entre autres, une étude entreprise sur les femmes de la Bible, ainsi qu'une relecture de l'Evangile de Saint-Luc faisant apparaître que le concept de parité y était déjà présent. Elle a souligné qu'une relation nouvelle entre hommes et femmes, fondée sur la parité, était indispensable à la construction du royaume de Dieu.

A cet égard, elle a estimé que la parité hommes-femmes devait être instaurée dans tous les domaines de la vie, et que le concept de démocratie paritaire permettait de prendre en compte la dualité de la nature humaine fondée sur une « irréductible différence » entre ses composantes féminine et masculine.

Mme Christiane Jourdan a souligné que l'engagement de l'ACGF en faveur de la promotion des femmes s'était manifesté dès le lendemain de la première guerre mondiale, quand la Ligue, aïeule de l'ACGF, fondée en 1901 en réaction contre la république laïque, avait commencé à militer pour le vote des femmes et en faveur des syndicats féminins. Elle a indiqué que l'ACGF soutenait les femmes candidates aux élections et les incitait à s'engager dans la vie politique.

Dans cette perspective, elle a précisé qu'avait été créée en décembre 1992, sous l'influence de l'ACGF, l'association « Elles aussi » -fédération d'associations féminines- dans le but de soutenir des candidatures féminines aux élections municipales. Elle n'a pas exclu que cette initiative ait contribué à l'augmentation du nombre de conseillères municipales, passé de 17,1 % en 1989 à 21,8 % en 1995. Elle a indiqué que l'action de l'association « Elles aussi » se poursuivrait en vue des élections de 1998.

M. Philippe Richert, rapporteur, a souhaité savoir si dans son action en faveur de l'engagement des femmes dans la vie politique, l'ACGF avait rencontré des difficultés spécifiques liées à la sensibilité catholique.

Mme Christiane Jourdan a répondu que le document des évêques français publié en 1991 « La politique, affaire de tous », témoignait du souci de l'Eglise catholique d'inciter tous les chrétiens, y compris les femmes, à participer à la vie politique, le principal obstacle à leur engagement politique venant plutôt de leurs réticences face à ce type d'engagement, tant parce qu'elles n'étaient pas certaines de pouvoir y faire face durablement qu'en raison des difficultés qu'elles rencontraient pour concilier toutes leurs activités. A cet égard, elle a estimé que l'aménagement du temps de travail pourrait être de nature à favoriser l'engagement politique ou associatif des femmes.

En réponse à M. Jean-Louis Lorrain, qui s'interrogeait sur la place des femmes dans l'Eglise catholique elle-même, Mme Christiane Jourdan a mentionné la création récente, auprès d'un nombre encore très limité d'évêques, de femmes déléguées à la Pastorale des femmes. Elle a précisé que l'ACGF, sans revendiquer l'ordination de femmes, estimait que des ministères nouveaux pouvaient être créés pour les femmes dans l'Eglise catholique.

La mission commune d'information a enfin procédé à l'audition de Mme Nicole Bécarud, présidente de l'Association française des femmes diplômées d'université.

Après avoir retracé sa carrière professionnelle et militante associative, Mme Nicole Bécarud a indiqué que l'Association française des femmes diplômées d'université (AFFDU) avait été créée en 1920 et constituait aujourd'hui la branche française de la Fédération internationale des femmes diplômées d'université (FIFDU). Elle a précisé que, fondée à l'origine sur la conviction que l'éducation des filles était non seulement la clé de la promotion des femmes, mais aussi un véritable facteur de paix, l'AFFDU avait pour objet d'inciter et d'aider les jeunes filles à poursuivre des études supérieures de haut niveau, notamment au moyen d'aides financières attribuées grâce aux dons et legs perçus par l'association. Elle a cependant souligné les limites de cette action liées aux ressources réduites de l'AFFDU.

Elle a ajouté que l'action de l'AFFDU s'orientait également aujourd'hui vers l'aide à l'insertion professionnelle des diplômées, et pourrait s'étendre au soutien de jeunes femmes en difficulté.

Elle a évoqué les dernières manifestations organisées par l'AFFDU, ayant porté sur différents thèmes comme « travailler en Europe pour des femmes-cadres », « l'adaptation des diplômes au monde économique » ou « parité hommes-femmes dans le monde du travail : réalité ou illusion ? ».

Elle a précisé que, membre fondateur de la coordination « Demain, la parité», l'AFFDU avait publié un rapport sur la place des jeunes filles dans les études scientifiques et dans les classes préparatoires scientifiques, qui serait suivi d'une étude sur la place des jeunes filles dans les écoles d'ingénieurs et les écoles de commerce.

Mme Nicole Bécarud a enfin souligné que l'appartenance de l'AFFDU à une fédération internationale regroupant quelque 200.000 femmes diplômées d'université dans 67 pays conférait à cette association une représentativité internationale non négligeable, dans la perspective de l'organisation à Paris, en 1998, d'une conférence mondiale de l'UNESCO sur l'enseignement supérieur, dont l'un des thèmes porterait sur l'accès des femmes à l'enseignement supérieur.

Interrogée par M. Philippe Richert sur les moyens de favoriser la parité dans l'enseignement supérieur français, Mme Nicole Bécarud a estimé que la présence encore trop modeste des jeunes filles dans les filières d'excellence scientifique pouvait s'expliquer par des raisons culturelles, qui faisaient que les jeunes filles n'abordaient généralement pas les concours avec autant de confiance que leurs camarades masculins. Parmi les incitations susceptibles de favoriser l'accès des jeunes filles aux études scientifiques, elle a cité la Bourse de la vocation scientifique et technique.

Mme Nicole Bécarud a également estimé qu'une action de sensibilisation devrait être entreprise auprès des enseignants et des orienteurs qui, parents eux-mêmes, reproduisaient trop souvent les comportements dominants. Elle a par ailleurs attiré l'attention sur les clichés et les stéréotypes que renvoyaient de la femme les manuels scolaires et les livres pour enfants. Elle a insisté sur la nécessité d'orienter les jeunes filles en dehors de tout préjugé et seulement en fonction des besoins anticipés du monde du travail. Puis elle a estimé que les femmes cadres devaient bénéficier d'un meilleur accès à la formation permanente.

Elle a observé qu'à l'heure actuelle, si les filles étaient aussi présentes dans l'enseignement supérieur que les garçons, voire plus, elles rentabilisaient généralement moins bien leur diplômes et qu'elles interrompaient souvent leur formation plus tôt que leurs condisciples masculins.

Elle a enfin souligné qu'une des spécificités de l'AFFDU était de recruter ses adhérentes sur le seul critère du diplôme (Bac + 3), indépendamment de toute considération sur leurs fonctions sociales, d'où une grande diversité des compétences et des statuts au sein de l'association. Elle a indiqué qu'à ce titre, l'AFFDU était régulièrement consultée par certains intervenants publics, par exemple le CEREQ (centre d'études et de recherches sur les qualifications) ou les délégués régionaux aux droits des femmes.

M. Jean-Louis Lorrain ayant considéré que les diplômes ne représentaient sans doute pas le facteur le plus important dans la réussite professionnelle, et ayant jugé que des études approfondies mais trop spécialisées pouvaient devenir un facteur d'exclusion sur le marché du travail, Mme Nicole Bécarud a fait observer que le chômage touchait généralement moins les jeunes diplômés que les non-diplômés. Elle a toutefois reconnu que s'il convenait d'encourager les jeunes à acquérir des diplômes au niveau le plus élevé, leur attitude à l'égard de la carrière devait aujourd'hui changer, les diplômés devant intégrer la nécessité d'être mobiles au cours de leur carrière.

Mme Hélène Luc a marqué à cet égard que les gens diplômés avaient plus de facilités, non seulement à trouver un emploi, mais aussi à se reconvertir par la suite. Elle s'est néanmoins interrogée sur la prise en charge du coût de la formation, les collectivités locales étant de plus en plus sollicitées, dans ce domaine comme dans d'autres. Elle a par ailleurs déploré la très nette sous-représentation des femmes parmi les recteurs et les présidents d'université.

Mme Nicole Bécarud a constaté que parmi les candidats à un poste, les femmes étaient souvent plus diplômées que les hommes, mais que les candidatures féminines n'étaient privilégiées que pour les postes fonctionnels dépourvus de pouvoir, alors que les postes opérationnels étaient de préférence confiés à des hommes, tendance qu'elle a résumée en une phrase : « Quand on cherche des compétences, on prend des femmes. Quand on doit donner du pouvoir, on ferme aux femmes ».

Parmi les actions volontaristes à entreprendre pour que les mentalités changent, elle a cité l'importance symbolique du vocabulaire. Dans cette optique, elle a estimé que la féminisation des titres, commune dans d'autres Etats francophones, devrait être plus systématique quand le génie de la langue le permet. Elle a enfin estimé que la désignation de femmes à des postes de haute responsabilité pourrait constituer un moyen de faire évoluer la perception de la place des femmes dans la vie publique.

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