MISSION COMMUNE D'INFORMATION CHARGÉE D'ÉTUDIER LA PLACE ET LE RÔLE DES FEMMES DANS LA VIE PUBLIQUE

AUDITIONS DU  MARDI 4 MARS 1997


Mardi 4 mars 1997 - Présidence de M. Lucien Neuwirth, vice-président.

La commission a procédé à l'audition de Mme Brigitte Dionnet, membre du comité national du Parti communiste français et de Mme Michèle Guzman, responsable aux femmes pour le Parti communiste français.

Mme Michèle Guzman a tout d'abord jugé très positive la constitution au Sénat d'une mission d'information sur les femmes et la vie publique. Elle a souligné qu'en dépit d'un taux d'activité en croissance permanente (45,7 % en 1996), les femmes demeuraient très minoritaires dans les lieux de décision. Elle a relevé qu'elles étaient encore loin d'occuper le même type d'emplois que les hommes et d'entretenir le même rapport à l'emploi. Elle a, par ailleurs, considéré que le développement rapide du travail à temps partiel constituait un signe avant-coureur d'une remise en cause de la dynamique de l'emploi des femmes. Après avoir exposé que les femmes -et surtout les jeunes filles- étaient également davantage touchées par la montée du chômage, elle a relevé qu'elles étaient de plus en plus contraintes à recourir aux différents types d'emplois précaires ou au « sous-emploi ». Elle s'est inquiétée du fait que l'aggravation de la situation de l'emploi des femmes ait pour corollaire l'aggravation des rapports sociaux des femmes au travail. Elle a jugé tous ces phénomènes très préoccupants car ils touchaient à un domaine où les femmes avaient acquis leur autonomie.

Mme Michèle Guzman a estimé que la domination du milieu professionnel par les hommes expliquait la faiblesse de la représentation des femmes dans les postes à responsabilités, tant dans le secteur privé que dans le secteur public. Elle a, par ailleurs, souligné que la politique familiale tendait à ramener les femmes au foyer et contribuait à faire régresser les mentalités, l'ambiguïté de la politique des congés parentaux confortant la « ségrégation sexuée » du marché du travail et la division traditionnelle des tâches au sein de la famille. Elle a avancé d'autres éléments qui, selon elle, ne favorisaient pas l'évolution vers une société de femmes et d'hommes libres et égaux : la négation de la diversification des formes de la famille, les restrictions touchant les services publics (maternités et crèches notamment), la remise en cause du droit à choisir sa maternité, etc. Elle a souligné que les femmes restaient massivement sous-représentées dans la vie associative, syndicale, politique et, de manière générale, dans tous les lieux de décision. Elle a exposé que la revendication paritaire était, pour les communistes, une question de démocratie, le 29ème Congrès du Parti communiste ayant décidé d'accorder la primauté au rôle de l'individu. Elle a ajouté que dans une époque aspirant à une meilleure possibilité de comprendre et de maîtriser des choix, la parité était l'expression féminine de cette aspiration. Elle a estimé que la volonté des femmes de prendre toute leur place dans la vie publique était intimement liée à leur combat pour la liberté et l'égalité, contre toutes les formes de domination. Elle a souligné que les femmes ne se plaçaient pas en situation « d'assistées » en ce domaine mais avaient choisi l'action. Tout en considérant le débat prévu pour le 11 mars prochain à l'Assemblée nationale sur les travaux de l'Observatoire de la parité comme une étape utile, elle a cependant rappelé qu'avant d'être accordé en 1944, le droit de vote des femmes avait déjà fait l'objet de 77 débats à la Chambre des députés et de 26 au Sénat, entre 1901 et 1936.

S'agissant des quotas, Mme Michèle Guzman a jugé que, s'ils n'assuraient pas l'égalité, ils tendaient à réduire l'inégalité en instaurant davantage de mixité. Elle a relevé que si les quotas procédaient le plus souvent d'une politique volontariste des partis, la parité comptait, pour s'imposer, sur une sensibilisation de l'opinion publique qui conduirait à l'instaurer par une loi, ceci d'autant plus que la chute de la confiance portée aux institutions représentatives était sévère. Après avoir relevé que 82 % des Français se prononçaient en faveur de la féminisation de la vie politique, elle a estimé que la reconnaissance de l'égalité entre hommes et femmes en politique entraînerait une amélioration de la condition féminine dans l'ensemble de la société. Elle a considéré que cette reconnaissance impliquait aussi que la parité puisse être imposée dans tous les domaines de la société. Elle a souligné que la parité n'avait pas pour objet d'établir une proportion numérique dans une démocratie universaliste, mais de fonder l'égalité sur la différence entre les deux sexes reconnue comme symbole de la démocratie. Elle a insisté sur la nécessité qu'une loi crée une obligation de résultat en ce domaine et fixe une nouvelle règle du jeu électoral pour atteindre l'objectif d'égalité, seule méthode pour amener le pouvoir politique à renoncer à ses privilèges. Le principe de la parité étant posé comme objectif, elle a considéré que sa mise en oeuvre devrait être progressive et s'accompagner de mesures annexes touchant notamment au mode de scrutin (avec l'instauration de la proportionnelle) et au statut de l'élu.

Mme Michèle Guzman a estimé que la féminisation de la vie politique devait s'imposer à la France contemporaine, non pas en terme d'affrontement, mais de complémentarité, de façon à contribuer à la modification du fonctionnement du monde politique par des comportements et une organisation du travail différents.

Mme Joëlle Dusseau a demandé si la spécificité française résidant dans le fort taux de femmes travaillant à temps complet, n'entravait pas l'engagement politique de ces dernières.

Mme Brigitte Dionnet a réfuté cette analyse, relevant que la participation croissante des femmes à la vie professionnelle s'était accompagnée de leur plus fort investissement dans la vie sociale et que les difficultés des femmes à entrer en politique résidait davantage dans l'impact de la crise économique (crainte pour les enfants en termes d'échec scolaire, de sécurité, etc.) que dans la vie professionnelle elle-même.

M. Lucien Neuwirth, président, a souligné que l'effet de « prime au sortant » gênait le renouvellement du corps politique, aussi bien en ce qui concernait les femmes que d'autres catégories.

Répondant à Mme Joëlle Dusseau qui s'interrogeait sur la position du Parti communiste quant à une éventuelle modification de la Constitution destinée à instaurer la parité, Mme Michèle Guzman a indiqué qu'il y serait favorable si la nécessité s'en faisait sentir.

Mme Joëlle Dusseau a ensuite demandé quelles étaient les propositions concrètes avancées par le Parti communiste pour qu'une plus grande limitation du cumul des mandats entraîne le remplacement effectif d'hommes par des femmes.

Mme Michèle Guzman a indiqué que le Parti communiste en était au stade de la réflexion sur ce point, ajoutant que ce sujet ne pouvait être traité isolément et devait s'inscrire dans un ensemble cohérent. Elle a en revanche écarté le recours à des incitations financières, d'autant que le Parti communiste avait ses propres méthodes de financement, essentiellement par ses militants.

En réponse à Mme Joëlle Dusseau qui l'interrogeait sur les autres propositions du Parti communiste, Mme Michèle Guzman a exposé que celles-ci figuraient dans deux propositions de loi déposées sur le Bureau des Assemblées depuis 1994. Elle a précisé qu'une de ces propositions de loi, récemment redéposée, avançait des propositions précises concernant par exemple le congé formation, les heures de travail consacrées à l'exercice de mandats, la protection des élus contre le licenciement, etc. Elle a, par ailleurs, souligné la responsabilité de l'Etat en ce domaine, attestée par le faible nombre des femmes dans les emplois à la discrétion du Gouvernement avec, par exemple, au 1er juin 1995, seulement 6 % des directeurs d'aministration centrale, 11 % des recteurs ou 3,4 % des préfets. Elle a estimé qu'il appartenait à chaque parti de prendre des mesures concrètes en la matière, ce que le Parti communiste avait réalisé à l'occasion de différentes élections, mais qu'une loi demeurait nécessaire pour les obliger à tous s'engager dans cette voie.

M. Lucien Neuwirth, président, est convenu de la responsabilité des partis dans la faible place faite aux femmes dans la vie politique. Il a considéré que l'évolution devait venir des militants eux-mêmes et que les femmes devaient se montrer revendicatives, soulignant qu'au sein de notre République, elles devaient bénéficier d'une citoyenneté à part entière.

Après avoir rendu hommage au Parti communiste, qui enregistrait le plus fort taux de représentation de femmes tant au Sénat que parmi les maires par exemple, Mme Maryse Bergé-Lavigne a relevé que ce parti semblait plus volontaire que les autres en la matière. Notant que la lutte des femmes, aujourd'hui considérée comme essentielle, était dans le passé jugée secondaire par rapport à la lutte sociale générale, elle s'est interrogée sur les raisons de cette évolution du Parti communiste.

Mme Brigitte Dionnet a attribué cette évolution, non à un changement d'individus, mais à une nouvelle démarche politique conduisant à une autre hiérarchisation des priorités. Elle a précisé que la démarche du Parti communiste partait des besoins des individus, pris tant individuellement que collectivement. Le parti a donc travaillé avec les femmes, dans le but de satisfaire leurs exigences et d'enrichir le débat avec ses propositions. Elle a souligné que, représentant 40 % des effectifs du Parti communiste, les femmes constituaient une richesse tant pour le combat féminin que pour celui du Parti communiste.

Après avoir relevé qu'aucun groupe ne disposait d'une « solution toute faite », Mme Michèle Demessine s'est félicitée que ce problème fût devenu une vraie question politique, alors que l'on avait jusqu'ici confié aux seules femmes le soin de lui trouver une solution. Elle a souligné que l'expérience du Parti communiste tenait au fait qu'il s'était penché sur ce problème de longue date puisque, dès 1925, le Parti avait présenté des candidates aux élections municipales, alors même que les femmes ne disposaient pas encore du droit de vote. Elle a cependant indiqué que des obstacles de fond interdisaient d'espérer des avancées rapides en ce domaine, ce qui incitait à mettre en oeuvre le concept de parité. Elle a précisé que ces obstacles tenaient, d'une part, à la vie des femmes elle-même et, d'autre part, à l'insuffisance des moyens donnés aux citoyens pour qu'ils s'investissent dans la vie politique. Elle en a déduit la nécessité de réformer le statut de l'élu.

Mme Brigitte Dionnet a estimé que l'introduction progressive du scrutin proportionnel serait également un signe positif mais que le mode de scrutin ne devait pas être dissocié d'autres problèmes, posant ainsi la question globale de nos institutions.

Mme Michèle Bergé-Lavigne a fait part de ses hésitations quant au concept de parité et s'est interrogée sur l'impact éventuel des récentes élections municipales à Vitrolles.

Mme Michèle Guzman a jugé que le « mandat par délégation » confié au nouveau maire de Vitrolles n'affectait pas le débat et que le souci de parité impliquait naturellement l'élection de davantage de femmes issues de tous les partis.

M. Lucien Neuwirth, président, a rappelé l'utilisation en 1947 d'un mode de scrutin original qui permettait à l'électeur d'inscrire sur son bulletin cinq choix préférentiels parmi les candidats de la liste, notant cependant que cette formule n'avait plus été utilisée depuis.

M. Philippe Richert, rapporteur, a assuré que la mission ferait tout son possible pour faire évoluer rapidement le rôle et la place des femmes dans la vie publique en France. Estimant qu'à cette fin, il convenait de libérer des mandats en leur faveur, il a évoqué la question du cumul des mandats. Il a estimé qu'en cas d'interdiction des cumuls verticaux (un mandat national et un mandat local), les élus concernés conserveraient très probablement leur mandat national, ce qui ne libérerait donc pas de place aux femmes au plus haut niveau d'exercice du pouvoir. Il s'est, par conséquent, interrogé sur la possiblité de faire évoluer la situation en jouant sur le cumul entre deux mandats de niveau équivalent. Il a, à cet égard, cité en exemple Mme Janine Bardou qui avait renoncé à son mandat de président de conseil général lorsqu'elle était devenue sénateur.

Mme Janine Bardou a indiqué qu'elle avait respecté une tradition de la Lozère consistant à ne pas cumuler les mandats de parlementaire et de président de conseil général, mais qu'elle avait hésité entre ces deux derniers. Elle a relevé que cette tradition, toujours louée, n'avait pourtant jamais été imitée, alors qu'une telle règle s'avérait nécessaire. Elle a cependant jugé indispensable l'exercice d'un mandat local par les parlementaires. Elle a estimé que l'instauration du scrutin proportionnel pouvait être utile mais que son efficacité réelle dépendrait des partis. Elle a, à cet égard, cité l'exemple des élections législatives de 1986 à l'occasion desquelles davantage de femmes avaient été inscrites sur les listes de son parti, mais peu en rang utile. Elle en a conclu que seule la participation des femmes aux comités d'investiture des partis serait de nature à faire évoluer la situation. Elle a enfin qualifié de « très urbaines » les discussions sur la place des femmes dans la vie publique, jugeant que l'on accordait trop peu d'intérêt aux femmes en milieu rural. A cet égard, elle a salué le département de la Lozère qui avait élu une femme à la tête du conseil général.

En réponse, Mme Brigitte Dionnet a insisté sur le fait que les femmes étaient en général défavorables au cumul des mandats et que les modes actuels d'exercice de la politique pouvaient constituer pour elles un repoussoir. Elle a estimé que, pour parvenir à élargir le partage des responsabilités, il convenait de conjuguer différents facteurs, notamment l'instauration du scrutin proportionnel.

Répondant ensuite à M. Philippe Richert, rapporteur, qui s'interrogeait sur l'éventualité d'une distinction entre le statut de l'élu et celui de l'élue, Mme Brigitte Dionnet a estimé nécessaire la mise en oeuvre de discriminations positives de nature à réduire les inégalités existant dans le domaine politique, à l'instar des droits spécifiques accordés dans le but de permettre aux femmes de mener de front une vie professionnelle et leur vie privée.

Estimant nécessaire un débat sur un éventuel statut inégalitaire des élus, Mme Joëlle Dusseau a souhaité que soit envisagée une période transitoire de dix ans, durant laquelle des mesures fortement incitatives permettraient de combler le retard. Elle a déploré la difficulté d'appréhender les réalités sociologiques, eu égard au manque de renseignements concernant l'âge moyen des élus, l'âge d'accès au premier poste électif et la durée de détention des mandats.

Après avoir souligné la quasi-absence de statistiques en fonction des sexes en cette matière, M. Philippe Richert, rapporteur, a demandé si la première limitation du cumul des mandats en 1985 avait ou non permis d'accroître la proportion de femmes parlementaires.

Mme Brigitte Dionnet a répondu que la présence importante de femmes communistes au Sénat démontrait que la volonté politique permettait d'obtenir des résultats en la matière.

M. Lucien Neuwirth, président, a souligné la croissance du nombre des femmes maires et conseillères municipales en milieu rural.

Mme Maryse Bergé-Lavigne a jugé dangereuse l'idée d'un statut spécifique pour les élues, car elle comportait le risque d'enfermer les femmes dans un statut qui ne tendrait qu'à leur permettre d'exercer, parallèlement à leur mandat, les mêmes responsabilités familiales qu'aujourd'hui. Elle s'est en revanche déclarée favorable à l'amélioration globale du statut de l'élu, tant en faveur des femmes que des hommes.

M. Ambroise Dupont a déclaré partager ce point de vue.

M. Lucien Neuwirth a souhaité que l'on donne davantage de moyens aux femmes élues, notamment en matière d'aide à l'exercice des responsabilités familiales.

Mme Michèle Guzman a craint que la coexistence de deux statuts n'entraîne un accroissement des inégalités. Elle a souhaité que, dans le cadre d'un statut unique, des mesures de discrimination positives puissent répondre aux besoins des élus des deux sexes. Elle a enfin rappelé le souci du parti communiste de voir une loi traduire la volonté politique en ce domaine et être assortie de toutes les mesures d'accompagnement évoquées.