Mission commune d'information sur la place et le rôle des femmes dans la vie publique


MISSION COMMUNE D'INFORMATION CHARGÉE D'ÉTUDIER LA PLACE ET LE RÔLE DES FEMMES DANS LA VIE PUBLIQUE

AUDITIONS DU 5 FEVRIER 1997


La mission commune d'information a procédé à l'audition de Mme Anne-Marie Couderc, ministre délégué pour l'emploi, chargé par délégation du ministre du travail et des affaires sociales des questions relatives aux droits des femmes.

Après s'être félicitée de la création de la mission commune d'information, qui allait dans le sens des préoccupations du Gouvernement en faveur d'un plus large accès des femmes à la vie politique, Mme Anne-Marie Couderc a souligné que les discriminations dont souffraient les femmes concernaient non seulement la sphère politique mais également l'ensemble de la sphère sociale et professionnelle. Elle a fait valoir que dans de nombreux domaines il fallait passer d'une égalité de droit à une égalité de fait, soulignant que cela ne pouvait se faire que sur la base d'un vrai partenariat homme-femme pour l'égalité, dans le respect des différences de chacun.

A cet égard, elle a observé, comme l'avait fait la délégation française à la conférence de Pékin, que d'un côté s'exprimait la crainte que l'égalité des sexes ne conduise à une société asexuée où les femmes aligneraient leur comportement et leur mode de vie sur celui des hommes mais, que de l'autre, l'idée d'une spécificité sexuelle souvent associée à la reconduction de schémas inégalitaires était combattue. Elle a estimé qu'il s'agissait là d'un faux débat, le fait que les femmes et les hommes disposent de droits identiques n'ayant pas pour effet de les rendre eux-mêmes identiques.

Appelant de ses voeux une présence équilibrée des femmes et des hommes dans la prise de décision politique, Mme Anne-Marie Couderc a indiqué qu'il s'agissait aussi bien d'une question d'égalité que de la recherche d'une nouvelle organisation de la société, où hommes et femmes pourraient mettre en oeuvre toutes leurs capacités.

Abordant les diverses pistes d'explication de la sous-représentation des femmes, elle a tout d'abord évoqué le conservatisme du pouvoir qui, plutôt qu'une volonté délibérée de discrimination sexiste, s'expliquerait pour une large part par la prééminence des hommes sur les secteurs du pouvoir. Elle a, à cet égard, estimé que notre organisation politique conduisait, à travers la pratique du cumul des mandats ou la tradition de la « prime au sortant », à freiner les évolutions. Aussi a-t-elle indiqué que ménager un accès plus large aux femmes, comme d'ailleurs aux jeunes générations, permettrait, dans la situation actuelle, un renouvellement important de la classe politique.

Mme Anne-Marie Couderc a ensuite fait observer que les modes actuels d'accès et d'exercice du pouvoir et notamment l'organisation du temps dans la vie politique -les réunion tardives, les repas prolongés- s'avéraient, dans la pratique, particulièrement discriminants pour les femmes, en particulier pour celles qui supportaient parallèlement le poids de charges familiales.

Evoquant alors la conception qu'avaient les femmes de la vie politique, Mme Anne-Marie Couderc a indiqué que si les femmes évitaient parfois l'exercice du pouvoir, c'était tant par « auto-exclusion » qu'en raison d'une conception différente de leurs priorités. Elle a estimé, en outre, que la défiance des femmes à l'égard des idéologies, de pratiques politiques très largement fondées sur la parole et le discours, entrait sans doute pour une part importante dans la distance qu'elles entretenaient par rapport au pouvoir et expliquait en partie que les femmes soient moins présentes au stade du militantisme que les hommes. Elle a précisé, à cet égard, que les femmes représentaient moins de 25 % des effectifs de militants dans les partis politiques et moins de 30 % des adhérents syndicaux, le taux de syndicalisation des femmes en France étant près de moitié moindre de celui des hommes : 7 % contre 13 %.

Le ministre a également évoqué certains facteurs propres à la sphère politique comme l'accession tardive des femmes à l'égalité civique et civile, expliquant au moins en partie la lenteur de leur progression dans les instances de décision politique. Elle a fait observer que les comparaisons internationales montraient une certaine corrélation entre la proportion de femmes élues et la date à laquelle elles avaient obtenu le droit de vote, citant à titre d'exemple la Finlande où le droit de vote des femmes datait de 1906 et qui comptait aujourd'hui 38 % de femmes parlementaires.

Abordant les modalités pour parvenir à l'équilibre homme-femme dans la vie publique, elle a souhaité tout d'abord que soient prises en compte dans toutes les politiques générales et sectorielles, nationales et locales, l'intérêt des femmes, leurs préoccupations et les retombées les concernant. Après avoir soutenu la nécessité de faire évoluer les mentalités par une action politique volontariste, elle a considéré que la place des femmes dans la vie publique dépendrait en fin de compte de leur place dans la vie sociale et, notamment, dans les lieux de décision au sein des administrations, des entreprises et des syndicats.

Mme Anne-Marie Couderc a, à cet égard, indiqué qu'elle avait réuni le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle, composé des administrations, des partenaires sociaux et d'experts afin que des mesures soient prises en ce sens, précisant que trois thèmes avaient été retenus : la situation comparée des hommes et des femmes en matière de rémunération, la diversification du temps de travail, les actions pour l'égalité professionnelle dans les branches, les entreprises et les établissements.

Elle a également souligné la nécessité d'être particulièrement attentif à la place des femmes lors des nominations aux emplois à la discrétion du Gouvernement et lors de la création de conseils, commissions, organes consultatifs ou groupes de travail. A ce propos, elle a indiqué que la part des femmes dans les emplois laissés à la décision du Gouvernement s'était légèrement accrue -4,2 % à 5,1 % en 1995- mais demeurait très faible. Citant la nomination d'une femme préfet de région, d'une femme secrétaire générale de la défense nationale ainsi que de plusieurs ambassadrices, elle a estimé que la situation s'améliorait, mais qu'elle avait néanmoins tenu à adresser à l'ensemble de ses collègues du Gouvernement un courrier appelant leur attention sur la faible représentation des femmes dans la haute fonction publique. Mme Anne-Marie Couderc a souhaité que cette politique soit d'autant plus suivie qu'il existerait une forte corrélation entre l'accession de femmes aux fonctions publiques et le nombre de femmes élues, comme le démontraient des études effectuées dans plusieurs pays européens.

Mme Anne-Marie Couderc a ensuite rappelé qu'au début de l'année 1979, Mme Monique Pelletier, ministre délégué à la famille et à la condition féminine, avait proposé d'instituer un quota de 20 % des femmes dans les élections municipales pour les villes de plus de 2.500 habitants et que le Gouvernement de M. Raymond Barre avait déposé un projet de loi instaurant la mixité des listes -avec un minimum d'une représentation de 20 % de chaque sexe- qui avait été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale par 439 voix contre 3, avant que la campagne présidentielle de 1981 n'interrompe la procédure parlementaire ; puis que Mme Gisèle Halimi avait déposé un amendement instaurant un quota de sièges pour l'un ou l'autre des deux sexes, censuré par le Conseil constitutionnel au motif qu'il méconnaissait trois principes constitutionnels, la liberté de l'électeur, l'égalité entre les candidats et la liberté de candidature.

Concluant de cet historique que le sujet ne pouvait être traité sans un débat approfondi sur ses incidences juridiques et politiques, elle a déclaré que le Gouvernement avait pour ces raisons, sous l'impulsion du président de la République, retenu une méthode de travail destinée à garantir la pertinence des options retenues.

Après avoir retracé les conditions de la création de l'Observatoire de la parité, Mme Anne-Marie Couderc a indiqué que son rapport, remis le 15 janvier dernier au Premier ministre, préconisait un éventail de propositions actuellement expertisées au niveau interministériel. Soulignant qu'il s'agissait du premier rapport officiel, elle a indiqué que le Premier ministre avait souhaité que les propositions de l'Observatoire puissent être examinées par les assemblées. Elle a précisé que le président de l'Assemblée nationale avait été saisi au vu de l'organisation d'un débat et qu'elle-même devait rencontrer prochainement le président Monory pour connaître son point de vue.

Sur le contenu du rapport, elle a indiqué que le Premier ministre partageait le constat dressé par l'Observatoire et dénonçait le retard français dans l'admission des femmes au sein de la sphère politique. Distinguant parmi les propositions du rapport les mesures d'accompagnement des mesures volontaristes (législatives ou constitutionnelles), elle a fait observer que pour les constitutionnalistes entendus par l'Observatoire, l'instauration de la parité ou de quotas devait nécessairement passer par une révision constitutionnelle. Notant que les professeurs Carcassonne et Demichel y étaient très favorables, les Doyens Vedel et Favoreu opposés de même que le Professeur Duhamel qui suggérait cependant une période transitoire pour assurer l'égalité, avant un retour au droit commun, elle a précisé que la procédure considérée comme la meilleure dans une telle hypothèse passait par un référendum de l'article 11 de la Constitution pour peu qu'on admette, avec la majorité des constitutionnalistes, qu'il s'agissait effectivement de l'organisation de pouvoirs publics.

Mme Anne-Marie Couderc a cependant souhaité attirer l'attention sur la nécessité de ne pas remettre en cause un certain nombre de principes fondamentaux. Après avoir jugé qu'il ne serait pas raisonnable d'imposer des obligations de faire aux partis ou de sanctionner ou restreindre le choix des électeurs, elle a indiqué qu'il relevait de la responsabilité de chaque parti politique de faire une part plus importante aux femmes dans ses structures et à l'occasion des élections, même s'il faudrait peut-être prendre des mesures pour les y inciter, au moins à titre transitoire. Elle a, ensuite, estimé nécessaire de bien mesurer les risques de dérapages susceptibles de remettre en cause certaines valeurs républicaines comme la liberté du suffrage, la libre organisation des partis, l'unité et l'indivisibilité de la République et l'égalité des citoyens. Elle a souhaité que ces réformes s'accompagnent sur le terrain par l'information et la formation de nos concitoyens, jugeant que l'équilibre de la participation homme-femme dans la vie politique ne pouvait entrer plus largement dans les faits que si chaque homme, chaque femme se sentait concerné par « la vie de la cité » et retrouvait ainsi confiance dans la politique.

Le ministre s'est déclaré persuadé qu'une pression de tous les instants, doublée des engagements des partis, ferait « sauter les verrous des archaïsmes et des conservatismes ». Croyant plus à une évolution qu'à une révolution dans ce domaine, elle a indiqué qu'elle misait beaucoup sur l'investissement des femmes dans la vie locale, point d'ancrage et lieu efficace d'expression, où le pragmatisme, le sens du terrain et de l'humain permettaient aux femmes de s'exprimer pleinement et sans doute mieux que d'autres, mais aussi dans les partis politiques, point de passage obligé vers les investitures.

Consciente d'avoir plus formulé des questions, exposé une méthode et précisé des limites, que proposé des solutions, Mme Anne-Marie Couderc a fait valoir qu'elle ne pouvait exprimer de préférences avant que ne s'engage le débat au Parlement. Elle a enfin jugé important qu'à une année d'échéances électorales, le Sénat puisse exprimer son point de vue et appuyer la démarche engagée par le Gouvernement.

Après avoir remercié Mme Anne-Marie Couderc pour son intervention, Mme Nelly Olin, président, a estimé que le ministre avait renforcé la conviction de la mission sur l'importance de ses travaux et l'avait rassurée sur la bonne articulation entre sa démarche et celle du Gouvernement.

M. Philippe Richert, rapporteur, a remercié Mme Anne-Marie Couderc, non seulement pour son intervention mais pour l'exemplarité de son engagement politique. Rappelant que le ministre lui avait confié une mission d'information sur l'image de la femme dans les manuels scolaires, il s'est déclaré convaincu que la recherche d'un juste équilibre entre hommes et femmes était un enjeu majeur tant pour le fonctionnement de la démocratie que pour le développement de la société. Il a souhaité que le Sénat soit partie prenante à la réforme qui pourrait s'engager à l'initiative du Gouvernement, dans le prolongement du rapport de l'Observatoire de la parité. Estimant que les solutions rapides et définitives étaient sans doute peu nombreuses, il a appelé à un débat le plus large possible afin de s'assurer que « le remède choisi ne soit pas pire que le mal ». Il s'est enfin interrogé sur les difficultés concrètes que poseraient des quotas obligatoires dans les scrutins uninominaux, rien ne pouvant interdire à un candidat de se présenter sans l'investiture d'un parti.

M. Alain Gournac a indiqué qu'il avait eu beaucoup de difficulté à présenter une liste municipale composée de 50 % de femmes, nombre de femmes qu'il avait sollicitées hésitant à s'engager dans la vie politique. Il a, par ailleurs, demandé au ministre sa position personnelle sur les quotas et les recommandations qu'elle souhaitait faire à la mission, ajoutant que le Président Jacques Chirac avait fait part de son souhait de recevoir la mission une fois ses travaux achevés.

Après avoir observé que la situation actuelle montrait que les femmes hésitaient parfois à voter pour des femmes, M. Bernard Joly a souhaité savoir si le ministre en tant que citoyen avait, dans l'absolu, une préférence pour les femmes candidates.

Relevant que depuis 1972, date de sa première élection, la place des femmes dans la vie politique, et notamment dans les conseils généraux, n'avait guère évolué, Mme Janine Bardou a constaté la réticence des femmes à s'engager dans la vie publique. Elle s'est demandé, à cet égard, s'il n'y avait pas un lien entre l'engagement croissant des femmes dans la vie professionnelle et leur relatif désintérêt pour la vie politique. Revenant sur la proposition d'une limitation plus stricte du cumul des mandats ou du recours au scrutin proportionnel, elle a estimé que cela ne résoudrait pas la situation tant que les partis ne seraient pas décidés à présenter des femmes. Elle en a voulu pour exemple les législatives de 1986, où les femmes n'avaient pas été élues en plus grand nombre en dépit de la représentation proportionnelle. Aussi s'est-elle déclarée en faveur d'une composition à parité des comités d'investiture des partis politiques ainsi que d'un mécanisme d'incitation financière.

Elle a, enfin, observé que l'instauration d'une parité aurait pour inconvénient d'écarter l'investiture d'hommes qui pourraient, par ailleurs, avoir fait preuve de leur engagement et de leur efficacité. Elle a donc souligné que ce qui importait c'était d'aider les femmes à vouloir s'engager dans la politique.

Après s'être interrogé sur l'enrichissement que les femmes étaient susceptibles d'apporter à la politique, M. Jean-Louis Lorrain a souhaité savoir dans quelle mesure une plus grande participation des femmes à la vie politique pourrait réduire le fossé qui sépare aujourd'hui les Français de la classe politique.

Mme Nelly Olin, président, a indiqué qu'elle avait eu aussi beaucoup de mal à faire participer des femmes à sa liste municipale, soulignant qu'avant de prendre des mesures volontaristes, il fallait s'assurer que les femmes étaient prêtes à s'engager dans la vie politique, ce qui supposait également un engagement de leur famille.

Mme Anne-Marie Couderc est convenue que l'évolution de notre société passait par le développement de la participation des femmes dans tous les domaines, ce qui impliquait de modifier l'image de la femme véhiculée dès le plus jeune âge. Après avoir rappelé que le droit de vote ne constituait pas la seule conquête des femmes, mais que d'autres mesures tout à fait essentielles, tel le principe d'autonomie financière ou la possibilité du divorce par consentement mutuel, avaient favorisé une émancipation des femmes, elle a reconnu que la sphère politique était sans doute le domaine où les évolutions avaient été les plus lentes, soulignant qu'il était de notre devoir d'accélérer le processus en marche, et notamment de « débloquer les verrous » qui résidaient essentiellement dans les partis politiques.

Elle a ensuite indiqué, qu'à l'évidence, on ne votait pas pour quelqu'un en fonction de son sexe, mais pour son engagement envers des valeurs que l'on partage. Elle a, en outre, observé que si, en tant que ministre, elle n'avait pas l'impression d'agir très différemment d'un homme, elle pensait que les femmes, habituées à gérer des intérêts contradictoires, avaient, en général, un sens du dialogue, de l'ouverture, et du consensus plus marqué que les hommes.

Commentant les propositions avancées par l'Observatoire de la parité, Mme Anne-Marie Couderc a souligné que l'introduction de quotas pourrait avoir des conséquences importantes sur des principes fondamentaux de la République tels que la souveraineté nationale, l'égalité des citoyens et l'indépendance de l'élu, qu'il convenait d'évaluer. Elle a également observé que la mise en oeuvre de quotas posait, en outre, des problèmes pratiques en ce qui concerne le choix du type d'élection, de scrutin, de mécanismes de surveillance voire de sanctions. Revenant sur le principe d'une incitation financière visant à faciliter l'accès des femmes à la vie politique, elle a indiqué que certains points mériteraient d'être précisés, mais que dans l'ensemble, une telle proposition, si elle n'était pas entièrement satisfaisante en raison de l'aspect péjoratif de « cette prime aux femmes », pouvait néanmoins présenter un certain intérêt.

Elle est alors convenue que les mesures d'accompagnement, telles que la limitation plus stricte des mandats, n'auraient pas d'effets immédiats, mais pourraient favoriser l'arrivée de nouveaux élus. Elle a, enfin, fait valoir qu'il importait, avant tout, de donner envie aux femmes de s'impliquer dans la vie politique et de faire prendre conscience à chacun des obstacles qui subsistent à un plus large accès des femmes à la vie politique. Dans cette perspective, elle a souhaité que la réflexion sur le statut des élus, et sur des congés électoraux soit poursuivie afin d'aider les femmes « à entrer en politique et à y rester ».