MISSION COMMUNE D'INFORMATION CHARGÉE D'ÉTUDIER LA PLACE ET LE RÔLE DES FEMMES DANS LA VIE PUBLIQUE

AUDITIONS DU  MERCREDI 5 MARS 1997


Mercredi 5 mars 1997 - Présidence de Mme Nelly Olin, président

La mission commune a procédé à l'audition de M. Jean-François Mancel, secrétaire général du Rassemblement pour la République (RPR).

En introduction, M. Jean-François Mancel a constaté que la sous-représentation des femmes dans la vie politique faisait de la France « la lanterne rouge » des pays de l'Union européenne. Il a reconnu que le RPR avait dans ce domaine beaucoup de chemin à accomplir. Après avoir mentionné que les femmes représentaient 40 % des adhérents du RPR, il a souligné l'investissement réel des femmes dans l'activité militante de son parti, indiquant qu'elles n'y occupaient pourtant que 10 à 20 % des postes de responsabilité au niveau cantonal, départemental ou national. Il a cependant remarqué que le nombre de femmes secrétaires départementaux avait doublé depuis un an et demi. Il a estimé que cette tendance devrait s'accroître notamment grâce à la mise en place depuis 1996 de contrats d'objectif entre les fédérations départementales et le centre national du RPR, comportant explicitement un objectif de parité et incitant à l'augmentation du nombre d'adhérentes. Aussi a-t-il souhaité que le RPR puisse franchir d'ici deux ans une étape en atteignant une parité réelle au niveau des adhérents. Il a par ailleurs indiqué qu'à l'occasion de la journée de la femme, le RPR organiserait dans une centaine de départements des opérations de communication pour montrer que les femmes ont toute leur place dans la vie politique.

Abordant la préparation des échéances électorales de 1998, M. Jean-François Mancel a indiqué que pour les cantonales -où les investitures relevaient des comités départementaux- des orientations avaient été données en vue d'atteindre la parité entre les candidats. Pour les législatives, il a admis que le nombre important de candidats RPR sortants constituait un handicap à l'investiture de femmes, car il serait injuste de refuser l'investiture à un sortant homme ayant accompli un travail efficace sur le terrain et soutenu l'action du Gouvernement au Parlement. Il a, par ailleurs, fait observer que l'important n'était pas le nombre de femmes investies, mais le nombre de femmes élues et qu'il prenait date après les élections afin de comparer les résultats du RPR avec ceux d'autres partis affichant un nombre très important de femmes candidates. Il a également rappelé que son parti avait souhaité que pour les prochaines législatives soit introduite une mixité dans l'équipe des candidats, titulaire et suppléant. Réfutant les critiques qu'avait suscitées cette proposition, il a expliqué que d'après sa propre expérience, la fonction de suppléant donnait à des femmes l'occasion d'acquérir la compétence et la notoriété nécessaires pour se présenter elles-mêmes à un scrutin avec les meilleures chances de succès. Il a jugé, à cet égard, que la parité consistait moins à présenter 50 % de candidates qu'à instaurer une réelle égalité des chances. Il a ensuite indiqué que le conseil national du RPR avait imposé pour les listes aux régionales un quota d'un tiers de femmes en position d'éligibles. Il a évalué que cette mesure était susceptible de faire passer le nombre des élues RPR de 38 à environ 100 à 120, pour un total actuel de 375 conseillers régionaux RPR.

M. Jean-François Mancel a ensuite fait valoir que si le Conseil national du RPR avait approuvé l'objectif de la parité et adopté ces différentes mesures, il avait clairement écarté la mise en place par voie législative ou constitutionnelle de quotas au niveau national. Il a toutefois indiqué qu'à titre personnel, il s'interrogeait sur l'opportunité d'introduire dans la Constitution, dans une formulation qui restait à définir, l'objectif d'une plus grande représentation des femmes afin d'afficher « un signal fort » et de montrer que le monde politique était conscient de la nécessité d'une plus grande mixité.

Mme Nelly Olin, président, a alors indiqué que cette analyse, dont elle appréciait la clarté et la sérénité, la confortait dans l'idée que le débat ne devait pas se poser en terme de conflit entre hommes et femmes ni même en terme de quotas, expression qu'elle a jugée péjorative pour les femmes.

M. Lucien Neuwirth a fait valoir que si les femmes étaient des citoyennes à part entière depuis 1944, l'obstacle principal à une plus grande féminisation de la vie politique résidait dans les partis politiques, véritables « sas obligatoires ». Il s'est demandé si le RPR n'aurait pas intérêt à imposer au niveau des postes de responsabilité militante -délégués cantonaux, par exemple- une mixité des équipes afin que chaque responsable se voit adjoindre une personne de l'autre sexe. Il a jugé que cette mesure donnerait sans doute l'occasion à des femmes d'acquérir l'expérience des responsabilités et la notoriété qui leur permettraient ensuite d'être élues. Il a enfin estimé qu'il serait désobligeant d'introduire dans la Constitution des mesures spécifiques aux femmes, alors même que l'objectif recherché était l'égalité entre les sexes.

M. Jean-François Mancel est convenu que l'instauration d'une mixité à tous les postes de responsabilité militante serait de nature à favoriser l'égalité des chances et que c'était précisément ce que visaient les contrats d'objectifs au RPR. Il a, par ailleurs, fait observer que l'égalité des chances entre hommes et femmes était d'autant plus importante pour un parti politique se réclamant du Général de Gaulle que c'était lui qui avait reconnu le droit de vote aux femmes en 1944. Revenant sur son idée d'inscrire dans la Constitution des dispositions spécifiques, il a précisé qu'il s'interrogeait encore sur l'opportunité d'une telle mesure. Il s'est demandé, à ce propos, s'il ne serait pas judicieux d'ajouter à l'article premier de la Constitution -selon lequel la France assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion- la mention « sans distinction de sexe »

M. Lucien Lanier s'est déclaré très réservé sur cette perspective.

Observant que les propositions de révision de la Constitution visaient jusqu'à présent à permettre l'instauration de quotas, M. Philippe Richert, rapporteur, s'est interrogé sur la nécessité d'engager une procédure aussi lourde pour une disposition finalement symbolique. Il a, par ailleurs, demandé des précisions sur la position du Conseil national du RPR quant à l'instauration d'une limite d'âge pour la candidature aux élections et à une nouvelle restriction du cumul des mandats.

M. Jean-François Mancel a répondu que s'il n'était pas question d'instaurer des quotas au niveau national, il ressentait pour sa part une aspiration forte à un affichage symbolique illustrant la volonté de faire avancer la cause des femmes. Concernant le cumul des mandats, il a précisé que le RPR avait arrêté sa position, consistant à le limiter à un mandat national et un mandat local, sans pour l'instant interdire le cumul d'un mandat national et d'une fonction exécutive dans une collectivité locale. Il a, par ailleurs, souligné que l'instauration d'une limite d'âge de 75 ans pour les candidats avait été une décision difficile. Il a indiqué, en outre, qu'elle ne permettrait pas de présenter autant de femmes que de sièges libérés, car le RPR avait rencontré des difficultés à trouver pour certaines circonscriptions une candidate valable, ce qui démontrait la nécessité de former en amont des femmes prêtes à accéder aux postes à responsabilité.

Observant qu'on jugeait souvent les femmes pas assez prêtes pour se porter candidates, Mme Maryse Bergé-Lavigne s'est demandée si on avait les mêmes exigences envers les hommes. Se référant à l'instauration par le parti socialiste d'un quota de 30 % de candidates aux législatives, elle a fait observer qu'on avait objecté à cette décision l'absence de femmes compétentes mais que le résultat montrait qu'il s'agissait avant tout d'une question de volonté politique. Tout en s'interrogeant sur la nécessité d'inscrire la notion de parité dans la Constitution, elle a remarqué que la consécration constitutionnelle du droit à l'emploi, par exemple, n'avait pas eu d'incidence pratique, au point qu'on pouvait juger superflu de faire figurer dans la Constitution une formule de pur affichage. Elle a par ailleurs souhaité savoir si le Premier ministre entendait annoncer des mesures novatrices lors du débat sur les femmes à l'Assemblée nationale. Elle a également demandé comment avait été perçue, au sein du RPR, l'éviction de la plupart des femmes du premier Gouvernement de M. Alain Juppé.

M. Jean-François Mancel a estimé que les difficultés du RPR en ce domaine n'étaient pas propres à son mouvement, même si le nombre de candidats sortants constituait dans son cas un handicap important. Il a relevé à ce propos que pour des formations dans l'opposition n'ayant que peu de sortants, il était beaucoup plus facile de présenter de nombreuses femmes. Il a observé de surcroît une très grande diversité d'attitude au sein des différentes fédérations départementales. S'agissant du débat prévu à l'Assemblée nationale, il a déclaré ignorer les intentions du Premier ministre. Il a considéré par ailleurs que le remaniement du Gouvernement de M. Alain Juppé n'avait constitué en aucune manière une agression à l'égard des femmes mais qu'il illustrait en définitive qu'en politique, les femmes étaient traitées avec ni plus ni moins d'égard que les hommes. Il a, en outre, jugé que l'émotion suscitée chaque fois qu'une femme était évincée démontrait que la normalisation des rapports entre hommes et femmes n'était pas encore ancrée dans les mentalités. Il a surtout considéré qu'il ne s'agissait pas de placer à des postes de responsabilité des femmes parce qu'elles sont femmes, mais seulement pour leur compétence ou leur expérience.

Après avoir observé que l'on appliquait plus volontiers aux femmes qu'aux hommes l'idée qu'il faudrait un long apprentissage pour se présenter à une élection, Mme Nicole Borvo a dénoncé la rareté des femmes dans les postes de responsabilité alors même qu'elles étaient nombreuses à militer. Elle a appelé de ses voeux une amélioration du statut de l'élu afin de mieux concilier vie professionnelle, vie familiale et vie politique, estimant que cette réforme était aussi nécessaire pour les hommes que pour les femmes. Elle a également souhaité l'instauration d'un scrutin proportionnel, plus favorable aux femmes, ainsi que l'inscription de la notion de parité dans un texte légal, jugeant à cet égard que cette mesure mobiliserait les citoyens et les associations autour d'une revendication légitime.

M. Jean-François Mancel a estimé que les difficultés des femmes à s'imposer dans la vie politique n'étaient guère différentes de celles des hommes jeunes qui doivent se battre pour s'imposer en politique face aux plus anciens. Evoquant le cas de Mme Edith Cresson, il s'est déclaré persuadé que l'intensité -injuste à ses yeux- des critiques dont son action avait été l'objet était imputable au fait qu'elle soit une femme.

M. Lucien Neuwirth a établi un parallèle entre la situation des femmes voulant entrer en politique et celle des jeunes à la recherche d'un premier emploi, dont on exigeait une expérience professionnelle alors même qu'ils n'étaient pas encore entrés dans la vie active.

Mme Paulette Brisepierre a souligné que s'il était difficile pour une jeune femme de concilier vie professionnelle, vie politique et vie familiale, dans la mesure où les femmes assuraient encore un rôle prépondérant dans l'éducation des enfants, la situation était en revanche très différente pour les femmes n'ayant plus cette charge. Elle a estimé qu'une nouvelle répartition des tâches au sein des couples pourrait faire évoluer la situation, même si l'éducation des enfants représentait pour les femmes une chance tout autant qu'une charge.

M. Jean-François Mancel est convenu qu'une meilleure répartition des tâches familiales serait de nature à favoriser l'engagement des femmes dans la vie politique, notant cependant qu'elle se heurtait encore à la réticence des hommes. Il a également observé que les femmes exerçant des fonctions électives étaient naturellement beaucoup plus réservées sur des mesures volontaristes que les simples militantes aspirant à ces fonctions.

Mme Nelly Olin, président, en se référant à son parcours personnel, a fait valoir qu'être une femme n'était pas nécessairement un handicap dans une carrière politique. Elle a avant tout jugé primordial que les femmes manifestent leurs compétences.

Jugeant que l'émancipation des femmes passait au premier chef par le travail, M. Lucien Lanier a souhaité plus d'égalité entre les hommes et les femmes dans ce domaine. Il a en revanche considéré qu'en politique, si des mesures de sensibilisation étaient envisageables, il ne fallait surtout pas mettre « la loi avant les boeufs » mais faire confiance à l'évolution de la société.

Rappelant que, de façon générale, il fallait aujourd'hui faire « moins de textes et mieux les faire », M. Jean-François Mancel a admis qu'il était effectivement préférable de faire confiance aux partis politiques, tout en souhaitant une véritable accélération des évolutions actuelles. Il a espéré à cet égard que, sur deux élections législatives, le RPR atteigne environ 50 % de femmes élues à l'Assemblée nationale.

M. Philippe Richert, rapporteur, a émis des doutes sur la possibilité pour le RPR d'atteindre ce résultat en si peu de temps, compte tenu du faible nombre des sièges disponibles en raison du poids des sortants masculins. Il est toutefois convenu que l'évolution de l'opinion publique et la mobilisation récente des partis politiques permettaient d'espérer une réelle progression. Il a estimé que, dans ces conditions, la question était de savoir quels moyens étaient à mettre en oeuvre pour accélérer le mouvement.

M. Jean-Louis Lorrain a fait observer que l'image actuelle du monde politique pouvait présenter peu d'attrait pour les femmes et qu'à l'inverse, une meilleure représentation des femmes pouvait améliorer l'image de la classe politique dans l'opinion publique.

M. Jean-François Mancel a conclu en observant qu'une rénovation des pratiques politiques et du fonctionnement de notre démocratie tout entière lui paraissait indispensable à l'aube du XXIè siècle, faute de quoi non seulement les femmes mais aussi les hommes risqueraient fort de se détourner de la politique, ajoutant qu'à ses yeux, une meilleure représentation des femmes dans la vie publique pouvait contribuer à cette rénovation.