Mission commune d'information sur la place et le rôle des femmes dans la vie publique


MISSION COMMUNE D’INFORMATION CHARGÉE D’ÉTUDIER LA PLACE ET LE RÔLE DES FEMMES DANS LA VIE PUBLIQUE

AUDITIONS DU 29 JANVIER 1997 (1)


Mercredi 29 janvier 1997 - Présidence de Mme Nelly Olin, président

Au cours d’une première séance tenue dans la matinée, la mission commune a tout d’abord procédé à l’audition de Mme Sylvie Ulrich, présidente de l’Union féminine civique et sociale.

Mme Sylvie Ulrich a tout d’abord observé que selon l’acception donnée aux termes « vie publique » -pris dans leur sens large d’activité professionnelle ou leur sens plus restreint de vie politique- la place des femmes dans la vie publique avait évolué de manière contrastée, voire opposée, mais que dans tous les cas, on trouvait peu de femmes à des postes de responsabilité. Elle a considéré que la sous-représentation des femmes dans la vie politique, qui plaçait la France en position de « lanterne rouge de l’Europe », était de moins en moins acceptée par les Français. Estimant que l’action d’associations telles que l’Union féminine civique et sociale (UFCS) avait sans doute contribué à la prise de conscience de cette exception française, elle a souhaité que ces associations puissent disposer de moyens financiers suffisants pour poursuivre leur action. Après avoir rappelé la longue expérience de l’UFCS en matière de formation civique depuis 1925, date de sa création, Mme Sylvie Ulrich, s’est félicitée que la France ait franchi, en 1995, le cap des 21 % de femmes dans les conseils municipaux. Elle a, en revanche, souligné qu’aux élections à scrutin uninominal -les élections législatives, par exemple- il y avait aujourd’hui moins d’élues qu’en 1946. Observant qu’il était difficile d’imaginer un pays dirigé sans la « moitié de ses forces vives », véritable « pays hémiplégique », elle a estimé qu’on ne saurait imputer la sous-représentation des femmes en politique à leur moindre compétence. Elle s’est déclarée convaincue que la question ne se poserait plus dans les mêmes termes si le nombre des élues atteignait une masse critique de 30 %, ce qui n’est le cas dans aucune assemblée française. Après avoir évoqué le cas de pays plus avancés que la France en ce domaine, Mme Sylvie Ulrich a estimé que la solution de ce problème passait par une volonté politique de modernisation au même titre que pour l’économie ou l’école. Elle a remarqué que si chacun s’accordait à souhaiter la parité dans la plupart des domaines, par exemple la vie professionnelle, il faudrait appliquer le même raisonnement à la vie politique. Elle a indiqué que l’UFCS était favorable au principe de la parité et, en dépit des réserves d’ordre philosophique suscitées par les quotas, à l’introduction de « pourcentages progressifs et transitoires ». Comme mesures complémentaires, elle a cité : la limitation du cumul et du renouvellement des mandats, des mesures d’accompagnement en faveur des femmes à l’issue de leur mandat, l’accès des femmes aux instances dirigeantes des partis et l’aménagement du temps de travail. Elle a enfin réaffirmé la volonté de l’UFCS de poursuivre ses actions de formation et de sensibilisation et de promouvoir, à travers l’ensemble de ses relais nationaux, l’adoption des mesures citées. Elle ne s’est déclarée défavorable au principe d’un référendum sur la question de la parité, avec le risque cependant que les délais pour l’organiser fassent tomber ce référendum en pleine période électorale, ce qui pourrait en fausser les résultats. En conclusion, Mme Sylvie Ulrich a insisté sur l'idée de partenariat entre les hommes et femmes, souhaitant qu’ils s’enrichissent de leurs différences plutôt que de s’opposer. Elle a d’ailleurs souligné que ce débat n’aurait de sens qu’à condition d’y associer largement les hommes.

Appelée par M. Philippe Richert, rapporteur, à préciser la notion de « pourcentages progressifs et transitoires », elle a jugé impossible d’atteindre la parité sans recourir aux quotas, mais qu’en raison de la connotation péjorative associée à cette notion, elle préférait celle de pourcentages progressifs et transitoires, qui mettait mieux en évidence le caractère provisoire du système et la possibilité de l’adapter au fil des scrutins et en fonction du type d’élection. Mme Monique Ben Guiga a estimé que la participation encore récente des femmes à la vie politique justifiait l’accent mis sur leur formation mais que, compte tenu des retards accumulés, il fallait s’engager aujourd'hui dans une phase de rattrapage. A cet égard, elle a souhaité que les pourcentages obligatoires soient progressifs, certes, mais également ambitieux. Elle s’est enfin déclarée opposée au cumul des mandats - « un truc d’hommes pour tenir le pouvoir »- estimant que cette pratique « enkystée dans la Ve République » n’était pas conciliable avec les charges familiales que les femmes continuaient d’assumer. Mme Sylvie Ulrich a fait observer que la parité consistait également à développer un partenariat entre les hommes et les femmes dans tous les domaines, y compris domestique, afin d’y concevoir des solutions ensemble.

En réponse à une question de Mme Michelle Demessine sur le mode d’expression au quotidien, en dehors des associations féministes, de l’aspiration des femmes à une plus grande participation à la vie politique, elle a indiqué que cette aspiration encore récente se traduisait, entre autres, par la volonté des femmes de ne plus se contenter d’un siège au conseil municipal mais de briguer un mandat cantonal ou national. Elle a noté que lorqsu’elles étaient minoritaires, les élues avaient du mal à s’exprimer en tant que femmes, préférant souvent se « couler dans le moule des hommes », mais qu’elles avaient plus qu’avant tendance à revendiquer ouvertement leur identité féminine.

En réponse à une question de Mme Nelly Olin, président, elle a indiqué que le nombre de cotisants de l’UFCS s’élevait à environ 10.000, dont une grande proportion d’adhérents actifs. Elle a également précisé que l’association disposait de 57 salariés permanents, d’où son inquiétude devant les restrictions des subventions allouées aux associations telles que l’UFCS.

Interrogée par M. Philippe Richert, rapporteur, Mme Monique Ben Guiga et M. Denis Badré sur l’influence des modes de scrutin municipaux, différents selon la taille de la commune, Mme Sylvie Ulrich a précisé qu’on ne disposait pas de statistiques globales sur ce sujet mais que la sous représentation des femmes était apparemment plus prononcée dans les grandes villes, où les partis politiques jouaient un rôle plus important.

Citant l’exemple de sa commune, Mme Nelly Olin, président, a fait observer que la vie politique restait ouverte à des non-inscrits et ne passait pas nécessairement par l’adhésion à un parti.

Mme Hélène Luc a estimé que la moindre participation des femmes dans les partis était peut-être imputable à leur souci d’une approche plus concrète de la politique, leur faisant préférer l’engagement dans le secteur associatif, dont beaucoup de responsables femmes seraient parfaitement capables d’accéder à un mandat national sans passer d’abord par un conseil municipal.

La mission commune d’information a ensuite procédé à l’audition de Mme Régine Saint-Criq, présidente de l’association Parité.

Mme Régine Saint-Criq a indiqué que l’association Parité militait depuis la signature de la charte d’Athènes lors du premier Sommet européen « Femmes et pouvoir », en 1994, pour l’organisation d’un débat au Parlement sur la place des femmes dans la société comme cela avait été le cas dans certains Parlements d’autres pays d’Europe. Ayant formulé à plusieurs reprises cette suggestion au président du Sénat, elle s’est félicitée de la création de la mission d’information et a souhaité qu’elle contribue à « faire reculer les conservatismes machistes » faisant de notre pays la « lanterne rouge de l’Europe ». Evoquant les très nombreux rapports déjà publiés sur ce thème, elle a souhaité que les travaux de la mission débouchent enfin sur des mesures concrètes pour remédier aux déséquilibres persistants de la représentation des hommes et des femmes dans les assemblées électives. A cet égard, elle a déploré l’absence de volonté politique de la France, signataire de la plate-forme de Pékin mais qui n’avait jusqu’à présent adopté aucune des réformes préconisées, alors même que les français, dans les sondages, se montraient majoritairement favorables à des mesures volontaristes, comme une limite d’âge pour les fonctions électives (82 %), la limitation du cumul des mandats (62 %), l’introduction d’une dose de proportionnelle (64 %) ou un quota de femmes au Parlement (56 %). Mme Régine Saint-Criq a relevé que sous la pression de l’opinion publique, les partis politiques commençaient à formuler des propositions visant à une représentation plus équilibrée des hommes et des femmes. Elle a distingué, à ce propos, les forces politiques qui souhaiteraient inscrire la parité, fût-ce pour une période transitoire, dans la loi après révision de la Constitution (« Les Verts », le Parti socialiste, le Parti communiste et les partisans de M. François Léotard) de celles pour qui l’ouverture de l’espace politique aux femmes relevait de la vie interne des partis sans qu’il y ait lieu de légiférer (le RPR et l’UDF dans son ensemble).

Mme Régine Saint-Criq a ensuite indiqué que son association faisait siennes les solutions proposées récemment par le rapport de l'Observatoire de la parité. Elle a ajouté qu'elle ne croyait pas à une possible résorption des inégalités par la simple évolution naturelle de la vie politique et qu’en conséquence, des mesures de discrimination positive étaient inévitables et impliquaient l’inscription du principe de parité dans la Constitution. Compte tenu de l’état favorable de l’opinion publique, elle a marqué sa préférence pour la voie référendaire, un vote du Parlement réuni en Congrès paraissant plus aléatoire. Elle a également préconisé une série de mesures complémentaires : l’aménagement du statut de l’élu afin de mieux concilier obligations professionnelles et activités politiques, la limitation du cumul des mandats et des fonctions politiques ainsi que de leur renouvellement dans le temps, le recours au scrutin de liste, plus propice à l’application de la parité, le lancement de campagnes institutionnelles sur les femmes et la politique, l’annonce le soir des scrutins des résultats provisoires en fonction du sexe des élus et non plus uniquement selon les familles politiques, la parité dans les nominations aux emplois à la discrétion du Gouvernement et une meilleure représentation des femmes au Conseil économique et social. Elle a également souhaité que l’observatoire de la Parité exerce une sorte de contrôle sur les nominations à la discrétion du Gouvernement. Mme Régine Saint-Criq a conclu son exposé par une citation : « les volontés précaires se traduisent par des discours, les volontés fortes par des actes ».

Constatant une sous-représentation des femmes dans des postes de décision ailleurs qu’en politique, M. Philippe Richert, rapporteur, s’est demandé si on ne sous-estimait pas les liens entre la situation des femmes dans la société civile et dans la vie publique et si, dans cette perspective, l’engagement croissant des femmes dans le monde professionnel n'aurait pas, à terme, des conséquences positives dans la sphère politique. Mme Régine Saint-Criq en est convenue, tout en soulignant que les inégalités dans la vie politique étaient sans commune mesure avec celles de la société civile, puisqu’avec 53 % d’électrices, les assemblées parlementaires ne comptaient que 6 % d’élues, ce qui, à ses yeux, n’honorait pas la France. Elle a jugé spécieux d’imputer ce phénomène au seul choix des électeurs, la responsabilité en incombant aux partis politiques maîtres des investitures. Elle a également déploré que malgré un taux d’activité élevé, les femmes demeurent très minoritaires dans certaines instances comme le Conseil économique et social.

Mme Gisèle Printz a noté que dans ce débat, la maternité -une des dimensions constitutives de la femme- n’était que trop rarement évoquée.

Ayant souligné que le groupe communiste républicain et citoyen avait largement contribué à la création de la mission commune d’information, par la participation d’un de ses membres à la conférence de Pékin et par ses demandes réitérées d'un débat au Sénat sur ce thème, Mme Hélène Luc a rappelé que son groupe avait déposé une proposition de loi visant à favoriser la représentation des femmes en politique et que le parti communiste avait placé des femmes à des postes de haute responsabilité. Elle a également noté que les six femmes de son groupe étaient élues dans des départements à scrutin proportionnel, ce qui en démontrait les effets positifs pour peu que les partis acceptent de placer des candidates en rang éligible.

M. Philippe Richert, rapporteur, a précisé que l’initiative de cette mission commune d'information incombait à l’ensemble des présidents de groupes et de commissions permanentes avec l’appui du Président du Sénat. Evoquant le prochain débat à l’Assemblée nationale annoncé par le Premier ministre, il a indiqué que conjointement avec Mme Nelly Olin, président de la mission, il avait demandé au Premier ministre de venir s’exprimer sur ce sujet.

Mme Ben Guiga a souscrit à l’ensemble des propositions de l’association Parité. Elle a également souligné les difficultés que rencontraient les femmes pour concilier leurs engagements dans la vie politique et leurs responsabilités professionnelles et familiales, observant par exemple que jamais un parti politique n’avait eu l’idée de prévoir une crèche ou une garderie d’enfants lors d’un congrès.

M. Badré a jugé fallacieux d’affirmer que 53% de l’électorat n’étaient représentés que par 6 % d’élues, car les élus avaient vocation à représenter l’ensemble de leurs concitoyens quel que soit leur sexe ou leur opinion. Il a considéré que cette logique de représentation des femmes par des femmes ne pouvait que conduire à une « société en miettes » où finalement chacun ne serait plus représenté que par lui-même ou ses semblables. Il a par ailleurs estimé qu’il ne fallait pas surestimer le rôle des partis politiques par rapport à l’engagement sur le terrain.

En réponse, Mme Régine Saint-Criq a considéré : - que la maternité ne représentait pas une contrainte plus forte dans la vie politique que dans la vie professionnelle ; - que le scrutin de liste pouvait constituer un instrument efficace, mais qu’il ne garantissait pas une meilleure représentation des femmes, en l’absence de mesures contraignantes ou à défaut de volonté politique ; - que le travail sur le terrain avait une grande importance, certes, mais qu’il n’assurait aucunement aux femmes une pleine reconnaissance par l’appareil de leur parti.