Discours du Président du Sénat, M. Gérard Larcher,
à l’occasion du Ier Forum du Sénat ivoirien avec les collectivités territoriales
« La représentation des collectivités territoriales face aux défis de la décentralisation – Le Sénat à l’écoute des acteurs de la décentralisation »
(Yamoussoukro, le 17 février 2020)



Monsieur le Président du Sénat de la République de Côte d’Ivoire,
Monsieur le Ministre d’État, Ministre de la Défense,
Monsieur le Ministre en charge des relations avec les Institutions,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires, Sénateurs de la République de Côte d’Ivoire et Sénateurs de la République française,
Messieurs les Ambassadeurs,
Madame et Messieurs les Gouverneurs de districts,
Messieurs les Préfets de régions,
Madame et Messieurs les Présidents de Conseils régionaux,
Monsieur le Président de l’Assemblée des régions,
Mesdames et Messieurs les Maires,
Monsieur le Président de l’Association des Maires,
Monsieur le Maire de Yamoussoukro,
Mesdames et Messieurs,

Un immense honneur : c’est ce que je ressens à cet instant, pour le Sénat français dans son ensemble et tous les Sénateurs qui m’accompagnent, en mesurant l’accueil que vous nous réservez dans cette magnifique enceinte de la Fondation Félix Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix.

Vous me permettrez de débuter mes propos en célébrant la mémoire du Président Félix Houphouët-Boigny. Chaque pays a son grand homme, qui personnifie une époque, et demeure une référence incontournable, y compris pour les générations qui ne l’ont pas connu.

C’est le Général de Gaulle pour les Français.
C’est Félix Houphouët-Boigny pour la Côte d’Ivoire et les Ivoiriens, qu’il a marqués de son empreinte indélébile.

L’estime que se portaient les deux hommes d’État et les liens étroits qu’ils ont entretenus, malgré les aléas de l’histoire, sont symbolisés dans un document rare, en dépôt au Sénat : un exemplaire original de la Constitution de la Ve République française. Et cette Constitution est emblématique dans l’histoire de nos relations. Elle porte la signature d’un seul Africain, mais quel Africain : Félix Houphouët-Boigny.

J’ai le plaisir de vous remettre un fac-similé, Monsieur le Président du Sénat, de la Constitution française de 1958, qui porte la signature de Félix Houphouët-Boigny.

L’amitié entre la Côte d’Ivoire et la France est aussi ancrée dans le présent. Elle se construit pour l’avenir.

Désormais, notre amitié revêt une dimension supplémentaire. Elle est scellée par un choix commun en faveur du bicamérisme, que l’on doit en Côte d’Ivoire au Président Ouattara. J’ai déjà eu l’occasion de vous le dire : la Côte d’Ivoire est la bienvenue dans la famille du bicamérisme, qui ne cesse de s’élargir de par le monde.

Pourquoi davantage de parlementaires, a-t-on parfois l’occasion d’entendre en France ou ailleurs ? Parce que le bicamérisme, ce n’est pas seulement deux chambres : le bicamérisme porte une conception de la vie publique et une vision de la société.

Une conception de la vie publique : j’ai coutume de dire que les 2ndes chambres sont, dans leur principe, un « balancier stabilisateur » des institutions. Elles apportent un recul indispensable et de la densité au débat parlementaire et à l’adoption des lois. Si la sagesse n’est pas l’apanage des 2ndes chambres, ce n’est pas pour rien que les Sénats sont communément qualifiés de Haute assemblée ou de chambre des Sages !

Une vision de la société ensuite : le Sénat français et le Sénat ivoirien ont en partage un lien consubstantiel avec les collectivités territoriales. Avec toutes les collectivités territoriales, pour qu’aucune, même la plus reculée, la moins favorisée, ne se sente exclue ou mal représentée au sein de la Nation. Les Sénats sont à votre écoute, Mesdames et Messieurs, et ce Forum, qui rassemble tous les acteurs du maillage territorial ivoirien, l’illustre ô combien.

Nos deux Sénats ont d’ailleurs eu l’occasion de formaliser, à travers un accord de coopération que nous avons signé, Monsieur le Président, en novembre 2018 à Paris, leur volonté de travailler ensemble sur les questions ayant trait aux collectivités territoriales. Dans cet accord de coopération, nous avions tenu à mentionner expressément l’échange d’expériences dans le domaine de l’organisation territoriale et la décentralisation.

Aujourd’hui, nous transformons ces mots en action !

La France, vous le savez Mesdames et Messieurs, est un pays de tradition centralisée. Toute l’histoire de France, jusqu’à une période récente, tend au même objectif : le renforcement progressif de l’État central.

Si la France a choisi, au début des années 1980, la décentralisation, c’est paradoxalement le fruit de cette histoire. Pour un État unitaire, comme la France, la décentralisation est apparue comme la seule voie susceptible de donner plus d’autonomie et de pouvoirs aux collectivités territoriales, dans le respect plein et entier de la cohérence de la Nation et de la souveraineté de l’État. Elle a enclenché une dynamique et de l’innovation.

Car, contrairement au fédéralisme, la décentralisation, ce n’est pas l’effacement de l’État central. La décentralisation garantit le maintien de l’unité nationale. La République reste une et indivisible !

L’une des implications majeures de ce choix est que la décentralisation ne s’est pas alors effectuée dans un contexte de revendications de telle ou telle entité contre l’autorité de l’État. Au contraire, l’État, à travers la déconcentration, a canalisé et accompagné la décentralisation. Les deux doivent aller de pair : on ne peut concevoir un État ne déléguant aucun pouvoir à ses représentants locaux, face à des entités décentralisées exerçant des prérogatives étendues.

La déconcentration seule serait vide de sens.
La décentralisation seule serait entravée par des services de l’État trop lointains.
Décentralisation et déconcentration sont condamnées à cheminer ensemble, pour le meilleur uniquement !

Ne nous cachons pas les choses : tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, pour reprendre la critique de Voltaire à l’égard de la philosophie de Panglos, dans Candide. Rien n’est acquis d’avance et la détermination, doublée de patience, est mère de
toutes les vertus. La décentralisation se heurte parfois à des réticences de la part des administrations centrales, voire à des tentatives de recentralisation, comme nous l’observons actuellement en France.

Les Sénats sont là pour veiller à ce que l’approfondissement de la décentralisation soit un processus continu.

Pour une raison simple : la décentralisation n’est pas qu’un mode d’organisation institutionnel. Ce n’est pas un « mécano » administratif. C’est un principe d’organisation territoriale et de participation citoyenne à la chose publique, qui s’appuie fondamentalement sur deux piliers :
 
- l’autonomie, qui favorise une meilleure prise en compte des aspirations des citoyens, et permet aux collectivités territoriales d’être au plus près de leurs besoins ; cela nécessite d’être doté de moyens propres ;
- la subsidiarité, pour qu’au niveau local puisse être accompli ce que l’État est moins à même de mettre en œuvre avec efficacité.

Autonomie, subsidiarité, mais aussi égalité. Je voudrais insister sur ce point.

De nombreux pays souffrent aujourd’hui de disparités territoriales profondes. La France est parmi ces pays, avec des métropoles qui concentrent les richesses, les services, les emplois, et des régions rurales ou des petites villes qui sont marginalisées. Je sais que la Côte d’Ivoire est, traditionnellement, confrontée à des enjeux semblables, entre une région côtière très attractive et un arrière-pays qui ambitionne de le devenir.

Le développement de la ville Yamoussoukro, devenue capitale politique et administrative de la Côte d’Ivoire en 1983, est aussi le fruit d’une volonté d’atténuer les disparités territoriales. En choisissant une ville située plus au centre du pays, en voulant l’ériger en modèle, vos grands devanciers avaient pleinement conscience des enjeux liés à un développement plus harmonieux.

Car les déséquilibres territoriaux ne sont pas exclusivement économiques. Ils sont aussi sociaux.

Aujourd’hui, le contexte a évolué. Mais la réponse reste la même, et au Sénat de la République française, nous en sommes convaincus : sans approfondissement de la décentralisation, sans une nouvelle génération de la décentralisation, les fractures que connaissent nos sociétés ne pourront être dépassées. Nous y travaillons en 2020.

N’attendons pas de la décentralisation qu’elle résolve toutes les difficultés, comme une formule magique. Il n’existe pas une seule manière de décentraliser, et je ne suis pas ici pour vous faire part d’un quelconque modèle transposable tel quel. Ce n’est ni ma prétention, ni mon tempérament !

Mais c’est un constat : partout où les collectivités locales sont fortes, l’autorité de l’État dans son ensemble progresse, la radicalité s’étiole, le développement se fait plus inclusif. « On ne combat pas l’exode rural en interdisant l’accès des villes, mais en aidant les jeunes et les adultes à avoir sur place un égal accès à la dignité, au bien-être, à un habitat décent, à l’éducation, à la culture, à la santé » : ces mots, que je viens de citer et qui sont ceux du Président Félix Houphouët-Boigny, n’ont rien perdu de leur portée.

Vous me permettrez, Monsieur le Président, de m’adresser plus spécifiquement aux maires de Côte d’Ivoire. La commune, pour nous Français, c’est la vie de tous les jours. C’est la cellule qui créé le lien social, c’est une forme de famille transcrite dans les institutions. Les maires, les conseillers municipaux, en France, sont les responsables politiques en lesquels les citoyens placent le plus d’espoir et de confiance.

Votre mission, Mesdames et Messieurs les Maires, est grande et noble. Je sais que, comme en France, vous pourrez compter sur l’appui et le soutien indéfectible de votre Sénat, pour le bien-être de vos concitoyens, des Ivoiriens et de la Côte d’Ivoire dans son ensemble !

Vive la Côte d’Ivoire ! Vive la France ! Et vive l’amitié entre nos deux Sénats et nos deux pays ! 

Seul le prononcé fait foi