Mercredi 15 décembre 2021

- Présidence de M. François-Noël Buffet, président, Mme Sophie Primas, président de la commission des affaires économiques, Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales, M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, et de M. Claude Raynal, président de la commission des finances -

La réunion est ouverte à 9 h 05.

Sécurité d'acheminement des communications d'urgence - Examen du rapport d'information

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Nous sommes réunis pour examiner le rapport d'une mission de contrôle réunissant plusieurs commissions, dont je salue les présidents. Nous entendrons leurs rapporteurs : Jean-Michel Houllegatte pour la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, Patrick Kanner pour la commission des lois, Patrick Chaize pour la commission des affaires économiques, Marie-Pierre Richer pour la commission des affaires sociales et Jean Pierre Vogel pour la commission des finances.

Comme vous le savez, une panne sur le réseau d'Orange, le 2 juin dernier, a fortement perturbé les communications d'urgence, causant la mort de quatre personnes. Cette mission a procédé à l'audition de Didier Vidal, administrateur interministériel des communications électroniques de défense, de Stéphane Richard, alors PDG d'Orange, et de Guillaume Poupard, directeur général de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi).

Mme Marie-Pierre Richer, rapporteure au nom de la commission des affaires sociales. - Le 2 juin dernier, une panne massive sur le réseau de l'opérateur Orange a fait obstacle à l'acheminement de 10 000 communications d'urgence ayant, vraisemblablement, causé la mort d'au moins quatre personnes.

Devant les risques vitaux que font courir de telles pannes, le Sénat a souhaité prendre toute la mesure du dysfonctionnement survenu en instituant la présente mission d'information composée de MM. Jean-Pierre Vogel et Patrick Chaize, de M. Jean-Michel Houllegatte et moi-même, respectivement nommés par les commissions des finances, des affaires économiques, du développement durable et des affaires sociales. La commission des lois a nommé Mme Françoise Dumont et MM. Loïc Hervé et Patrick Kanner, tous trois rapporteurs de la loi du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels, dite loi « Matras », dont l'article 17 modifie les obligations à la charge des opérateurs en matière d'acheminement des communications d'urgence.

Afin d'établir la lumière sur les faits survenus, la mission a procédé aux auditions de Didier Vidal, administrateur interministériel des communications électroniques de défense, de Stéphane Richard, alors PDG d'Orange, et de Guillaume Poupard, directeur général de l'Anssi. Par ailleurs, l'Anssi a publié, le 19 juillet dernier, un rapport sur la panne du 2 juin, en lien avec l'inspection générale de l'administration, l'inspection générale des affaires sociales, le commissariat aux communications électroniques de défense et le conseil général de l'économie.

Ces auditions et la lecture de ce rapport ont été particulièrement instructives : les communications d'urgence sont certes soumises à un régime juridique spécial, mais sont transmises via une technologie relativement classique qui n'est pas distincte de celle qui est utilisée pour les appels ordinaires.

Le code des postes et des communications électroniques (CPCE) les définit comme des communications entre un utilisateur final et le centre de réception des communications d'urgence, dont le but est de demander et de recevoir des secours d'urgence de la part des services d'urgence qui sont chargés de la sauvegarde des vies humaines, des interventions de police, de la lutte contre l'incendie et de l'urgence sociale, comme le précise le même code.

En France, les numéros d'urgence sont relativement nombreux : on n'en compte pas moins de 13. Certains sont connus de tous, tels que le 17, le 15 ou le 18, mais d'autres le sont moins, comme le 114 permettant l'accès des services d'urgence aux personnes à déficience auditive ou le 191 pour les urgences aéronautiques.

Les obligations des opérateurs en matière de communications d'urgence sont prévues à l'article 33-1 du CPCE, qui a connu de nombreuses modifications en un temps relativement limité. Il prévoyait initialement des obligations en lien avec « les conditions de permanence, de qualité, de disponibilité, de sécurité et d'intégrité du réseau et du service qui incluent des obligations de notification à l'autorité compétente des incidents de sécurité ayant eu un impact significatif sur leur fonctionnement » ainsi que « l'acheminement gratuit des communications d'urgence ».

Toutefois, cet article a été réécrit par l'ordonnance du 26 mai 2021 transposant la directive du 11 décembre 2018 établissant le code des communications électroniques européen. Dans la rédaction issue de cette transposition par ordonnance, seul un critère de gratuité de l'acheminement des communications d'urgence a été retenu et il n'est plus fait mention des conditions de permanence, de qualité, de disponibilité et d'intégrité du réseau. Cet article a ensuite été modifié par la loi « Matras » à la suite de la panne.

M. Jean-Michel Houllegatte, rapporteur au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - D'un point de vue technique, ces treize numéros d'urgence formulés sous forme courte, tels que le 17, le 18 ou le 15 sont, en réalité, convertis en un numéro long, à dix chiffres, attribué au centre de traitement de l'appel d'urgence correspondant le plus proche géographiquement du lieu d'émission de l'appel.

Ainsi, une victime souhaitant joindre les pompiers à la suite d'un accident se produisant à Bordeaux verra son appel au 18 transmis, en réalité, au service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Gironde via un numéro à dix chiffres à plusieurs égards semblable au numéro attribué à un particulier par un opérateur.

La transmission des appels passés par le biais des numéros d'urgence est assurée grâce à différentes technologies, et 85 % d'entre eux sont utilisés par des centres qui ont un raccordement en RTC, c'est-à-dire via le réseau téléphonique commuté qui assure historiquement le service de téléphonie par un réseau « cuivre ».

L'acheminement de la grande majorité des communications d'urgence par le réseau « cuivre », dont l'opérateur historique est Orange, présente des fragilités. La première est inhérente à la phase de transition de ce réseau, qui permet le raccordement de la téléphonie fixe, vers les réseaux en VoIP, qui assurent notamment l'accès à une offre internet à haut débit.

L'année 2021 constitue une année historique de croisement des courbes : le nombre d'abonnés utilisant les réseaux de fibre optique a dépassé le nombre d'abonnés utilisant le réseau « cuivre ». Dans une perspective de mutation technologique et d'amélioration de la connectivité sur notre territoire, un plan stratégique d'extinction progressive du réseau cuivre à l'horizon de 2030 a été mis en place par l'opérateur. Des tests sont réalisés actuellement dans certaines zones.

Dans son rapport d'information relatif à l'examen des crédits dédiés au numérique et aux télécommunications du projet de loi de finances (PLF) pour 2022, la commission des affaires économiques insistait sur le fait que l'extinction progressive du réseau cuivre et les investissements réalisés dans le déploiement des réseaux de fibre optique ne devaient pas se traduire par un désengagement de l'opérateur en matière de qualité de service et d'entretien des réseaux pour les très nombreux abonnés dont la connexion dépend encore du réseau « cuivre ».

Rapporteur pour avis de ces crédits, j'ai également insisté sur l'importance de l'entretien du réseau « cuivre » ; des injonctions pourraient être adressées à Orange pour rappeler que le réseau « cuivre » a toute son utilité et qu'il est important de continuer à s'y intéresser.

Au regard de l'importance des enjeux, le Gouvernement a annoncé un « plan Cuivre » en mai dernier, qui précise les engagements supplémentaires qui doivent être pris par Orange, notamment le maintien d'un investissement annuel à hauteur de 500 millions d'euros pour l'entretien du réseau sur l'ensemble du territoire.

Toutefois, ce « plan Cuivre », tout comme le plan stratégique d'extinction du réseau « cuivre » d'Orange, ne semble pas contenir de dispositions spécifiques relatives aux centres de traitement des appels d'urgence et à la transition de leur raccordement du réseau cuivre vers les réseaux en VoIP.

Des engagements spécifiques et supplémentaires doivent être pris afin que les interventions sur le réseau « cuivre » ne conduisent pas de nouveau à des dysfonctionnements significatifs dans l'acheminement des appels d'urgence. Ces préoccupations sont accentuées dans les territoires ruraux dans lesquels on constate des difficultés d'accès géographique aux soins - du fait d'un éloignement de l'offre médicale - et un temps d'intervention des services de secours en moyenne plus élevé qu'en zone urbaine. Il faut absolument leur éviter la double peine en y ajoutant des difficultés à contacter les services d'urgence.

La seconde fragilité est liée à la période suivant l'extinction du réseau cuivre puisque la multiplication des opérateurs qui vont émerger sur le réseau risque de diluer leur responsabilité en cas de panne. Dans cette perspective, nous appelons à une clarification du régime de responsabilité.

M. Patrick Kanner, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. - Je parlerai également au nom de mes collègues rapporteurs Françoise Dumont et Loïc Hervé, qui n'ont pu être présents aujourd'hui.

Le rapport de l'Anssi du 19 juillet 2021 a pu établir une chronologie très précise des évènements qui corrobore les explications fournies par le PDG d'Orange quant à la source de la panne. La panne a été initiée à 16 heures par une opération de maintenance sur les équipements de VoIP d'Orange, à Lille, à laquelle a fait suite une modification de configuration de l'ensemble des call servers d'Orange permettant l'interconnexion entre les réseaux IP et le RTC.

Selon ce même rapport, cette modification de configuration a très rapidement entraîné « une hausse des échecs de communications vers les numéros des services d'urgence » sur le réseau Bouygues Télécom, une « chute soudaine » des appels entrants auprès du SAMU du Nord ainsi que des difficultés rencontrées par le SAMU de Paris et par la brigade des sapeurs-pompiers de Paris. Seize minutes après les modifications de configuration ayant engendré la panne, les services techniques d'Orange ont identifié le problème et mobilisé des experts en interne. Toutefois, le rapport souligne une « insuffisante réactivité ».

En effet, à partir de l'identification du problème intervenue à 17 heures, il aura, par exemple, fallu à Orange : plus d'une heure pour effectuer un signalement interne faisant état du fait que les services d'urgence d'Île-de-France, du Grand Est et du département du Nord étaient injoignables ; près de deux heures pour signaler cet incident majeur au Centre opérationnel interministériel des crises ; près de trois heures pour organiser la première réunion de la cellule de crise interne à Orange ; près de quatre heures pour établir un premier contact avec un autre opérateur pour signaler un dysfonctionnement sans préciser l'impact particulier sur les numéros d'urgence et dix-sept heures trente pour organiser la première réunion avec les opérateurs tiers.

De leur côté, les différents services d'urgence concernés ont fait part d'une grande réactivité que nous tenons à saluer en diffusant, notamment, des numéros de contournement à dix chiffres permettant de les contacter.

Particulièrement touchés par la panne, plusieurs SAMU ont fait preuve d'efficacité et d'initiative. C'est notamment le cas des SAMU du Nord et d'Île-de-France, qui ont été parmi les premiers services d'urgence concernés et qui ont rapidement relayé l'information à l'association nationale des SAMU-Urgences de France, afin de mettre en place une cellule de crise informelle. Cette association a joué un rôle clé dans la remontée d'informations.

En outre, le SAMU du Nord a très rapidement contribué à diffuser un numéro à dix chiffres, y consacrant jusqu'à dix postes dans le cadre de sa cellule de crise, qui sera, par la suite, mise à profit pour réceptionner les appels à destination du SDIS du Nord et à destination du 17. Les numéros à dix chiffres des SAMU de chaque département seront finalement diffusés à la population par le ministère de la santé via son site internet et les agences régionales de santé (ARS). Ils ont aussi été relayés par les médias en continu.

Malgré les efforts fournis, à leur niveau, par les services d'urgence concernés, la panne a conduit à ce que 10 000 appels d'urgence n'aient pu aboutir, selon l'estimation fournie par Stéphane Richard.

Les conséquences ont été lourdes puisque quatre décès ont été attribués à cette panne par le ministère de l'intérieur. Au-delà de ce chiffre, il semble particulièrement difficile, à l'heure actuelle, d'établir avec certitude les conséquences réelles de cette panne tant elles peuvent être multiples, notamment en matière de perte de chance pour les victimes n'ayant pas réussi à joindre un service d'urgence ou l'ayant joint après plusieurs tentatives rendues infructueuses par la panne.

M. Patrick Chaize, rapporteur au nom de la commission des affaires économiques. - La panne du 2 juin 2021 a fait l'objet de plusieurs mesures d'enquête et d'évaluation visant à en analyser les causes et les conséquences afin d'en prévenir les apparitions futures. Ainsi, l'opérateur Orange a, de lui-même, mis en place un audit interne « sans délai », comme nous l'indiquait son PDG, Stéphane Richard.

Le rapport d'évaluation le plus complet sur la panne est le rapport de l'Anssi du 19 juillet dernier. Nous saluons la qualité de ce document qui aboutit à une série de recommandations opérationnelles.

Sa recommandation « Clarifier et renforcer les obligations de service public qui s'imposent à l'acheminement des services d'urgence » s'est déjà partiellement traduite par la modification des dispositions législatives applicables aux opérateurs en matière d'appels d'urgence. En effet, l'article 17 de la loi « Matras » réintroduit une obligation de continuité de l'acheminement des communications d'urgence, obligation qui avait été récemment supprimée.

Cette évolution législative est à mettre en perspective avec les évolutions réglementaires récentes prises dans le cadre de la transposition de la directive européenne du 11 décembre 2018. Ces deux étapes marquent donc un premier pas dans la mise en oeuvre de la recommandation du rapport précité.

Toutefois, ces avancées concernent les dispositions générales applicables aux opérateurs de télécommunications, mais pas leurs obligations de service public. En effet, cette directive européenne ne considère pas que l'acheminement des communications d'urgence fasse partie des obligations du service universel des communications électroniques.

La portée d'une obligation générale applicable aux opérateurs est moindre que celle d'une obligation de service public.

L'état actuel du droit, ainsi que la panne massive intervenue sur les réseaux d'Orange, nous conduit à nous interroger sur l'avenir du service universel des communications électroniques. Depuis la fin de l'année 2020, le Gouvernement n'a toujours pas désigné de nouveau prestataire pour assurer ce service universel. Nous appelons donc à la mise en oeuvre rapide d'une nouvelle procédure de désignation du prestataire de service universel avec des obligations renforcées en matière d'acheminement des communications d'urgence renvoyant a minima aux dispositions de l'article L. 33-1 du CPCE, qui consacre une obligation générale de continuité de l'acheminement des communications d'urgence.

Comme de coutume, le Sénat veillera à ce que le décret d'application prévu par l'article 17 de la loi « Matras » soit publié dans des délais raisonnables et qu'il respecte tant la lettre de la loi que la volonté du législateur.

Nous veillerons également à utiliser nos prérogatives en matière de contrôle pour nous assurer que le Gouvernement favorise l'émergence de solutions technologiques permettant d'améliorer la fiabilité des transmissions des appels d'urgence, comme le recommande le rapport du 19 juillet.

En tant que parlementaires, nous veillerons à contribuer à une réflexion d'ensemble sur l'avenir du secteur des télécommunications. Cette panne souligne l'ampleur des défis à relever dans ce secteur. Ces défis sont nombreux, liés et interconnectés : ils ne devraient pas être examinés séparément. Pour les années à venir, c'est d'une stratégie globale dont nous avons besoin.

S'interroger sur les raisons de la panne du 2 juin dernier, c'est poser la question des obligations de service public des opérateurs et de l'avenir du service universel des communications électroniques.

S'interroger sur ce service universel, c'est poser la question de la transition technologique du réseau « cuivre » vers les réseaux fibre pour garantir un accès internet haut débit sur l'ensemble du territoire.

Cette transition ne doit laisser personne de côté, la qualité de service doit être assurée jusqu'au dernier mètre et jusqu'au dernier abonné.

Nous voulons que le plan Cuivre du Gouvernement et que les engagements pris sur ce sujet par Orange intègrent des dispositions spécifiques relatives à la transmission des appels d'urgence et au raccordement des centres de traitement de ces appels.

M. Jean Pierre Vogel, rapporteur au nom de la commission des finances. - Il convient de développer de nouvelles possibilités d'informer les populations en cas de panne des numéros d'urgence. Les développements de mon rapport de 2017 sur le volet mobile du système d'alerte et d'information des populations (SAIP) et l'intérêt pour la technologie de Cell Broadcast sont de nouveau d'actualité.

Il convient de prédéfinir les moyens alternatifs par le biais desquels les services de secours pourraient être contactés en cas de panne des numéros d'appel d'urgence. À ce titre, la mission d'information appelle à une réflexion profonde ouverte à l'ensemble des technologies disponibles.

Enfin, nous tenons à formuler une mise en garde des plus solennelles : alors que la panne du 2 juin a permis de prendre conscience des enjeux vitaux de la transmission des appels d'urgence, nous attirons l'attention sur un autre risque majeur qui concerne le traitement de ces appels d'urgence par les services d'incendie et de secours.

Ces appels sont traités par des SDIS via des systèmes, les systèmes de gestion des alertes et de gestion opérationnelle (SGA-SGO), qui leur permettent, en temps réel, d'identifier, de localiser et de mobiliser les moyens humains et matériels dont ils disposent pour répondre à une alerte donnée. Ces systèmes sont véritablement la moelle épinière des services d'incendie et de secours et de leur capacité opérationnelle.

Or, certains SGA-SGO, devenus particulièrement obsolètes, ne sont plus mis à jour par leurs éditeurs et certains systèmes anciens ne proposent pas les fonctionnalités récentes telles que la géolocalisation des appels d'urgence.

C'est la raison pour laquelle le projet NexSIS 18-112 a été initié en 2016. Il est porté par l'Agence du numérique de la sécurité civile (ANSC), dont notre collègue Françoise Dumont a été présidente, afin d'offrir aux SDIS qui le souhaitent une solution permettant le remplacement de leurs SGA-SGO.

Sept services d'information et de secours devaient initialement voir leurs SGA-SGO actuels remplacés par le système NexSIS en 2021, puis quatorze services d'incendie et de secours supplémentaires ainsi que la brigade des sapeurs-pompiers de Paris en 2022. Cependant, le conseil d'administration de l'ANSC du 7 juillet 2021 a révélé que le calendrier initial ne pourrait être tenu.

Ce retard fait craindre des pannes lourdes des SGA-SGO obsolètes ne pouvant être remplacés dans les temps. De telles pannes auraient des conséquences dramatiques dans les départements concernés, sans aucune commune mesure avec la panne des numéros d'appels d'urgence connue le 2 juin dernier.

Ce retard n'est pas imputable aux équipes de l'ANSC dont nous tenons à souligner l'excellence du travail et l'exemplarité de l'engagement. Mais elles ne suffisent pas à compenser le manque de moyens affectés par l'État à cette agence que le Sénat n'a cessé de souligner : d'abord dans mon rapport d'information « NexSIS 18-112 : un projet de mutualisation des systèmes d'information des SDIS, dont l'intérêt sur les plans économique et opérationnel doit être garanti », puis dans les rapports que Françoise Dumont et moi-même avons commis sur les crédits affectés à la sécurité civile lors du dernier PLF.

J'ai souligné que le plafond d'emplois de l'ANSC a été maintenu à 12 équivalents temps plein travaillé (ETPT) dans le PLF pour 2022, malgré les demandes de moyens humains supplémentaires formulées par l'agence. Françoise Dumont a, elle, dénoncé la faiblesse de la dotation de soutien aux investissements structurants des SDIS qui finance exclusivement l'ANSC à hauteur de 2 millions d'euros au sein du PLF pour 2022.

Alors que cette dotation avait été créée en 2016 pour redéployer les économies permises par la réforme de la prestation de fidélisation et de reconnaissance (PFR) à destination des sapeurs-pompiers volontaires, l'écart cumulé entre les économies réalisées au titre de la nouvelle PFR et les montants redistribués via la dotation aux investissements structurants n'a cessé de croître et était évalué, en 2020, à plus de 62 millions d'euros. Un redéploiement complet des économies déjà réalisées au travers du passage à la nouvelle PFR permettrait donc de couvrir largement les besoins de l'ANSC pour la mise en place du programme NexSIS.

Au regard des conséquences de la panne du 2 juin dernier, du caractère vital du programme NexSIS, du retard déjà enregistré pour son déploiement, des engagements financiers significatifs portés par les SIS et de la baisse récurrente de la dotation aux investissements structurants des SDIS qui assure le financement de ce programme, nous réitérons le souhait d'un effort financier conséquent de l'État pour le financement de l'ANSC.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Je remercie l'ensemble des rapporteurs pour ce travail.

Les commissions autorisent la publication du rapport d'information.

La réunion, suspendue à 9 h 30, est reprise à 9 h 40.

Proposition de loi visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte et proposition de loi organique visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d'alerte - Examen du rapport et des textes de la commission

M. François-Noël Buffet, président. - Nous examinons le rapport sur la proposition de loi visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte et la proposition de loi organique visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d'alerte.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'objet de ces propositions de loi ordinaire et organique est de renforcer la protection des lanceurs d'alerte : il s'agit des personnes qui, dans l'intérêt de la société, signalent à une autorité compétente ou révèlent au public des informations sensibles, voire confidentielles, au risque de s'exposer à des mesures de représailles ou de voir leur responsabilité engagée.

Ces deux textes, dus à l'initiative du député Sylvain Waserman, visent principalement à transposer en droit français une directive européenne du 23 octobre 2019, mais ils vont au-delà de ce qu'exige le droit européen.

Permettez-moi d'abord quelques remarques générales.

Un régime de protection des lanceurs d'alerte comprend deux séries de dispositions. Il comprend, d'une part, des mesures de protection. Les lanceurs d'alerte peuvent bénéficier d'une exonération de responsabilité pénale, disciplinaire ou civile, pour le cas où ils porteraient atteinte à un secret protégé par la loi, à une obligation contractuelle ou statutaire de discrétion ou de loyauté, voire pour le cas où ils commettraient des infractions pénales connexes, par exemple le vol de documents ou l'abus de confiance. Les mesures de protection peuvent également comprendre l'interdiction de mesures de représailles, notamment dans un cadre professionnel, interdiction qui peut être assortie de sanctions pénales. Des dispositions peuvent être prises pour aider le lanceur d'alerte en cas de contentieux, soit qu'il conteste une mesure de représailles, soit qu'il doive lui-même se défendre contre des poursuites, dans le cadre de ce que l'on appelle les « procédures bâillons ».

D'autre part, un régime de protection des lanceurs d'alerte fixe les conditions nécessaires pour bénéficier de ces protections. Il y a, d'abord, des conditions de fond, qui peuvent tenir, soit à la personne du lanceur d'alerte - le régime peut être ou non réservé aux personnes physiques - soit à la nature des faits signalés ou révélés - il peut s'agir de la violation de règles de droit, de menaces ou de préjudices pour certains intérêts protégés... - soit au degré de gravité de ces faits, soit au degré de connaissance des faits par le lanceur d'alerte - on peut ou non se contenter de simples soupçons, de faits connus par personne interposée... - soit encore aux motivations du lanceur d'alerte - la protection peut être réservée à ceux qui agissent de manière désintéressée.

Ensuite, le régime fixe généralement des conditions d'ordre procédural : les lanceurs d'alerte ne sont pas autorisés à divulguer publiquement les informations dont ils disposent sans les avoir préalablement signalées aux personnes compétentes et sans leur avoir laissé le temps d'y apporter une réponse appropriée.

Tout régime de protection des lanceurs d'alerte doit ménager une juste conciliation entre plusieurs intérêts légitimes : il s'agit, d'un côté, de faciliter la révélation de faits socialement nuisibles et de protéger ceux qui les révèlent, et d'un autre côté, de maintenir des garanties suffisantes pour que les secrets protégés ne soient pas trop facilement éventés et pour préserver la réputation des personnes physiques et morales contre des alertes abusives ou inconsidérées.

Il existe depuis fort longtemps, en droit français, des dispositifs visant à faciliter la révélation d'infractions pénales ou d'autres manquements. Toutefois, ces dispositifs sont longtemps restés lacunaires et incohérents. C'est ce qui a amené le législateur à instituer un régime général de protection des lanceurs d'alerte, avec la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « loi Sapin 2 ».

La loi Sapin 2 définit un lanceur d'alerte comme « une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ».

Pour bénéficier des protections offertes par le régime, un lanceur d'alerte doit donc, en premier lieu, satisfaire aux conditions de fond qui découlent de cette définition légale : il doit s'agir d'une personne physique ; les faits révélés doivent constituer une violation d'une règle de droit applicable en France ou encore une menace ou un préjudice pour l'intérêt général ; ces faits doivent être graves ; les faits eux-mêmes et leur qualification doivent être manifestes, et le lanceur d'alerte doit en avoir eu personnellement connaissance ; enfin, le lanceur d'alerte doit agir de manière désintéressée et de bonne foi.

Sur le plan procédural, le signalement doit en principe être d'abord porté à la connaissance du supérieur hiérarchique, de l'employeur ou d'un référent désigné par celui-ci. Des procédures internes spéciales de recueil des signalements doivent être mises en place dans les plus grandes organisations. En l'absence de diligences de la personne destinataire de l'alerte interne, le signalement peut être adressé à l'autorité judiciaire, à l'autorité administrative ou aux ordres professionnels. Ce n'est qu'« en dernier ressort » que le signalement peut être rendu public, sauf « en cas de danger grave et imminent ou en présence d'un risque de dommages irréversibles ».

Sous réserve de respecter ces conditions, le lanceur d'alerte bénéficie d'une irresponsabilité pénale, pour le cas où l'alerte porterait atteinte à un secret protégé par la loi, et d'une protection contre les sanctions disciplinaires et les mesures de représailles qui pourraient être prises par son employeur public ou privé. Il bénéficie aussi, dans les faits, quoique la loi ne soit pas explicite sur ce point, d'une exonération de responsabilité civile.

Toutefois, ces mesures de protection ne s'étendent pas aux personnes qui divulgueraient des faits couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client.

Malgré ces avancées, le bilan de la loi Sapin 2 est mitigé. Plusieurs difficultés ont été relevées, en particulier dans un récent rapport d'information de nos collègues députés Raphaël Gauvain et Olivier Marleix.

Tout d'abord, certaines des conditions exigées pour bénéficier du régime protecteur des lanceurs d'alerte laissent au juge une marge d'appréciation trop importante et font ainsi planer sur les personnes concernées un risque juridique dissuasif. Il en va ainsi tout particulièrement de la condition selon laquelle le lanceur d'alerte doit agir de manière désintéressée.

Ensuite, l'obligation faite au lanceur d'alerte d'effectuer d'abord un signalement par la voie interne l'expose à des représailles. Par ailleurs, nombre d'entreprises et d'administrations n'ont pas mis en place les procédures de signalement interne imposées par la loi ; lorsqu'elles existent, les garanties d'indépendance des personnes chargées du traitement des signalements et de confidentialité des informations restent insuffisantes. Quant aux canaux de signalement « externe », ils restent mal identifiés.

Enfin, l'accompagnement juridique et financier des lanceurs d'alerte est très insuffisant. L'association La Maison des lanceurs d'alerte, que j'ai entendue, fait état d'une augmentation continue du nombre de demandes de conseil ou de soutien financier, auxquelles elle peine à répondre avec ses faibles moyens.

Depuis l'entrée en vigueur de la loi Sapin 2, une directive a été adoptée le 23 octobre 2019 par le Parlement européen et le Conseil, qui vise à imposer un cadre minimal pour la protection des lanceurs d'alerte dans les États membres de l'Union européenne.

Par rapport au droit français en vigueur, le champ matériel d'application de cette directive est plus limité à certains égards, plus large à d'autres égards.

Son champ est plus limité, tout d'abord, parce que le régime qu'elle définit ne s'applique qu'aux signalements de violations du droit de l'Union européenne dans des domaines limitativement énumérés. En outre, le régime ne s'applique qu'aux personnes qui signalent des informations obtenues dans le cadre de leurs activités professionnelles.

En revanche, la directive a vocation à s'appliquer quel que soit le degré de gravité des violations signalées ou révélées ; que ces violations aient ou non un caractère manifeste, à condition toutefois qu'il existe des « soupçons raisonnables » non seulement aux violations, mais aussi aux tentatives de dissimulation de celles-ci ; et quelles que soient les motivations du lanceur d'alerte.

La procédure d'alerte est, quant à elle, moins contraignante pour le lanceur d'alerte que ce que prévoit le droit français en vigueur. En particulier, la directive prévoit que les lanceurs d'alerte puissent directement effectuer un signalement auprès d'une autorité externe, sans passer par le canal interne. Les entités publiques et privées sont ainsi encouragées à mettre en place des canaux de signalement interne robustes, auxquels les lanceurs d'alerte puissent faire confiance.

Le régime protecteur prévu par la directive comprend des interdictions de représailles, une exonération de responsabilité civile et pénale, diverses mesures de soutien, ainsi que des sanctions à l'encontre des personnes qui cherchent à faire obstacle aux alertes.

Les deux propositions de loi dont nous sommes saisis visent à transposer cette directive, mais elles vont au-delà. Tout en reprenant le cadre général défini par la directive - en ce qui concerne les mesures de protection destinées aux lanceurs d'alerte ainsi que les conditions de fond et de procédure pour en bénéficier - ces textes conservent le champ matériel d'application, extrêmement vaste, du régime actuel de l'alerte en droit français.

Comme l'a souligné le Conseil d'État, ce choix permet de « préserver la clarté et l'intelligibilité du dispositif de protection des lanceurs d'alerte en évitant, autant que possible, de poser des règles distinctes selon la nature des violations signalées ». Néanmoins, le Conseil d'État recommandait, sur certains points, d'opérer des distinctions selon que les signalements concernés entrent ou non dans le champ d'application de la directive. Je vous proposerai de reprendre certaines de ces recommandations.

Plus largement, mes amendements ont pour objet de parfaire l'équilibre entre, d'une part, la protection des lanceurs d'alerte et des personnes qui leur portent assistance et, d'autre part, la sauvegarde des secrets protégés et des intérêts matériels ou moraux des personnes physiques ou morales qui peuvent être injustement mises en cause par une alerte.

En ce qui concerne la nature des informations susceptibles de faire l'objet d'une alerte, je vous proposerai de rétablir une condition tenant à la gravité des faits visés - tout en acceptant que ces informations puissent fournir de simples « soupçons raisonnables », et non la certitude qu'une violation a été ou va être commise.

Mon amendement se situe donc à mi-chemin de la position de l'Assemblée nationale et de celle du Conseil d'État, qui, dans son avis, avait invité le législateur, « avant de supprimer la condition tenant au caractère "grave et manifeste" des violations signalées ou d'introduire la référence à la notion d'"informations sur des violations" dans l'ensemble du champ couvert par les dispositions nationales », à « évaluer l'impact de telles mesures, notamment en ce qui concerne les risques de détournement du dispositif de protection ».

S'agissant des procédures, je vous proposerai de rétablir des conditions plus rigoureuses pour que des informations puissent être rendues publiques sans signalement préalable à l'autorité compétente. Seul un danger imminent, manifeste et d'une gravité suffisante justifie de « court-circuiter » les procédures normales de signalement.

Je vous proposerai également de clarifier l'articulation des phases de signalement externe et de divulgation publique, qui comporte des lacunes dans le texte de l'Assemblée nationale, ce qui fait peser un risque juridique sur les lanceurs d'alerte.

En ce qui concerne les mesures de protection, je vous proposerai, comme la directive le prévoit, que le lanceur d'alerte ne soit civilement et pénalement irresponsable que s'il était nécessaire, pour sauvegarder les intérêts en cause, de divulguer l'intégralité des informations qui ont effectivement été divulguées. Le législateur européen a voulu éviter que des dizaines de milliers de documents confidentiels puissent être diffusés sur internet au seul motif que l'un de ces documents laisse penser qu'une violation, même mineure, a été commise.

Je vous proposerai de préciser que l'irresponsabilité pénale des lanceurs d'alerte en cas d'atteinte à un secret protégé par la loi, irresponsabilité que les députés ont étendue à la soustraction d'informations ou de documents, ne s'étend ni aux atteintes à la vie privée ni aux atteintes aux traitements automatisés de données. Nous avons été nombreux à recevoir des messages d'éleveurs de nos départements qui craignent que ce texte ne facilite la tâche à des associations qui n'hésitent pas à s'introduire sans autorisation et même par effraction dans des exploitations, afin de prendre quelques images et de les publier en ligne... La protection des lanceurs d'alerte n'autorise pas tout.

Je vous proposerai aussi diverses améliorations plus techniques, visant notamment à ce que les interdictions de représailles s'appliquent non seulement aux salariés et aux fonctionnaires, mais aussi aux travailleurs indépendants et aux personnes placées dans des situations de travail atypiques, comme les bénévoles ou les stagiaires.

Les lanceurs d'alerte ont également besoin de soutien psychologique, voire d'un soutien financier dans le cas où ils ont fait l'objet de mesures de représailles professionnelles et doivent engager un contentieux.

À ce sujet, les députés ont fait feu de tout bois, y compris en prévoyant des mesures juridiquement douteuses, parce que l'article 40 de la Constitution les empêchait de créer un fonds spécial d'aide aux lanceurs d'alerte. On peut le regretter. Ce fonds aurait pu être alimenté par le produit des amendes infligées aux personnes qui cherchent à faire obstacle au lancement d'une alerte. Le Gouvernement peut seul pallier ce manque.

Au-delà des lanceurs d'alerte eux-mêmes, la proposition de loi prévoit d'étendre le bénéfice du régime de protection à plusieurs catégories de personnes en lien avec ces derniers, notamment aux « facilitateurs », définis comme les personnes physiques et les personnes morales de droit privé à but non lucratif qui aident un lanceur d'alerte dans ses démarches. À cet égard, le texte va plus loin que la directive du 23 octobre 2019, qui n'inclut parmi les « facilitateurs » que les personnes physiques. Plusieurs amendements ont été déposés à ce sujet, dont nous aurons à débattre.

Conformément à la directive, je vous proposerai de sanctionner pénalement les signalements effectués de mauvaise foi.

Enfin, je vous proposerai quelques compléments à la proposition de loi organique, qui vise à élargir les compétences d'ores et déjà reconnues au Défenseur des droits pour l'accompagnement des lanceurs d'alerte.

M. Ludovic Haye. - Nous convergeons sur la nécessité de profiter de la transposition de la directive du 23 octobre 2019 pour consolider le régime français des lanceurs d'alerte et le rendre pleinement opérationnel. L'Assemblée nationale était unanime sur ce sujet : un rapport d'évaluation transpartisan a constaté le caractère parfois dissuasif et faiblement protecteur du régime découlant de la loi Sapin 2. Sylvain Waserman en a tiré toutes les conséquences dans cette proposition de loi, tout en aménageant un équilibre indispensable pour éviter les effets de bord ou d'aubaine.

Nous saluons plusieurs avancées, notamment l'adaptation des critères de définition des lanceurs d'alerte et l'extension des protections aux personnes physiques et morales qui leur sont liées. Je pense aussi à l'abolition, conformément à la directive européenne, de la hiérarchie entre les canaux de signalement internes et externes, qui peut enrayer les signalements. Je salue aussi le renforcement de la protection des lanceurs d'alerte, avec l'interdiction des mesures de représailles à leur encontre et une meilleure protection contre les « procédures bâillons ».

Les amendements du rapporteur réécrivent le texte de manière assez globale et parfois complexe. Je pense notamment aux propositions de modification de l'article 1er, qui distinguent deux régimes d'alerte en fonction du champ matériel des informations signalées. La complexité que ce dualisme pourrait introduire semble confirmée par la modification proposée à l'article 11 ter, qui, pour en tirer les conséquences, semble rétablir un canal de signalement spécifique au sein du code monétaire et financier.

Autre exemple, à l'article 2, vous proposez des modifications qui restreignent le champ des personnes morales de droit privé à but non lucratif pouvant être définies comme facilitateurs, mais qui étendent également largement leurs prérogatives en tant que facilitateurs. Elles pourraient ainsi aller jusqu'à effectuer, pour le compte du lanceur d'alerte, un signalement ou une divulgation. La portée de ce resserrement et de cette extension au sein d'un même amendement interroge.

Nous saluons l'accord du rapporteur sur le principe d'une réforme et d'un renforcement de la protection des lanceurs d'alerte ainsi que certaines améliorations, mais nous restons vigilants : il faut suivre la ligne de crête que la majorité d'entre nous recherchent.

M. Jérôme Durain. - Je félicite le rapporteur pour la qualité de son travail et la clarté de son propos. Ces deux textes, attendus, sont bienvenus. La transposition de la directive européenne d'octobre 2019 s'inscrit dans le droit fil d'un travail législatif d'inspiration française : c'est la philosophie qui irriguait la loi Sapin 2 qui a abouti à la directive.

Il y a eu un large accord politique, comme en témoigne le vote à l'unanimité à l'Assemblée nationale - et même le soutien de Médiapart, c'est dire ! Il est difficile d'amender à ce stade, car ce texte est réussi et consensuel. Nous nous félicitons de l'extension de la protection aux personnes morales à but non lucratif, de la reconnaissance des trois piliers de l'alerte, de la définition des lanceurs d'alerte et des facilitateurs, de la lutte contre les « procédures bâillons », d'une meilleure reconnaissance du Défenseur des droits.

Il reste des possibilités d'amélioration, comme nous l'ont dit les organisations que nous avons rencontrées : le recours au statut de salarié protégé, la création d'un fonds de solidarité, le rôle plus complet du Défenseur des droits... Nous déposerons peut-être des amendements en séance sur ces sujets.

Nous sommes inquiets de certains amendements restrictifs, qui viennent notamment de milieux agricoles. Attention à ne pas toucher à l'équilibre obtenu. Ne nous trompons pas de cible ; nous pourrions, sinon, amoindrir la portée de ce texte très attendu. Nous essaierons de préserver cette ligne de crête.

M. Guy Benarroche. - Nous soutenons le texte issu de l'Assemblée nationale qui va dans le bon sens et qui améliore le statut du lanceur d'alerte. Il prévoit des dispositions indispensables, à la suite de manquements relevés. Nous proposerons des amendements pour l'améliorer.

Je remercie le rapporteur de son travail. Toutefois, certaines propositions affaibliraient le texte de l'Assemblée nationale, notamment le régime général de protection des lanceurs d'alerte. L'octroi du statut de facilitateur à certaines catégories de personnes morales seulement - même si ce statut évolue positivement - est trop limitatif. L'ajout d'un article prévoyant une infraction pénale à l'encontre des personnes ayant procédé à un signalement ou à une divulgation publique de mauvaise foi est un peu délicat et pourrait être mal perçu.

Il est dommage de revenir sur la possibilité que la provision visant à couvrir les subsides du lanceur d'alerte puisse être définitivement acquise, ainsi que sur la suppression de l'article permettant au tribunal correctionnel de prononcer des amendes lorsqu'une constitution de partie civile a été abusive ou dilatoire. Nous exprimerons notre position sur ces sujets et présenterons des amendements, mais nous sommes favorables à ce texte.

M. François Bonhomme. - Je comprends la nécessité d'encadrer la notion de lanceur d'alerte et de transposer la directive européenne. Cependant, je m'interroge sur la pratique du Défenseur des droits et son droit d'autosaisine. À force d'en abuser, ne risque-t-il pas de modifier notre perception de la notion de lanceur d'alerte, qui se diffuse dans le débat public ?

Mme Éliane Assassi. - Je remercie le rapporteur de son travail. L'action des lanceurs et lanceuses d'alerte représente une nouvelle forme de contrôle des citoyens au service des valeurs de la République. Nous devons protéger ces hommes et ces femmes qui dénoncent ceux qui, en toute connaissance de cause, commettent des actes contraires à nos lois et à nos principes.

L'ensemble des organisations non gouvernementales, associations et syndicats de défense des lanceurs et lanceuses d'alerte ont oeuvré ces derniers mois pour que la transposition de la directive européenne de 2019 soit la meilleure possible en droit français. Les résultats de cette mobilisation sont satisfaisants, au vu du texte adopté par l'Assemblée nationale.

Il y a de nombreux enjeux en matière de libertés publiques et de droit à l'information des citoyens. Certains des amendements du rapporteur sont préoccupants. Nous y travaillerons et réservons notre vote pour la séance publique.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Monsieur Bonhomme, le Défenseur des droits ne peut s'autosaisir en ce qui concerne la protection des lanceurs d'alerte, quoiqu'il puisse être saisi facilement.

Le texte sera examiné en séance le 19 janvier. Nous avons donc suffisamment de temps pour le retravailler si nécessaire.

M. François-Noël Buffet, président. - Il nous reste à fixer le périmètre indicatif des propositions de loi pour l'application de l'irrecevabilité prévue à l'article 45 de la Constitution.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur - Je vous propose de considérer que le périmètre de la proposition de loi ordinaire inclut des dispositions relatives au régime de protection des lanceurs d'alerte, entendus comme les personnes qui signalent ou divulguent publiquement des informations portant sur la violation de règles de droit ou d'autres formes de menace ou de préjudice pour des intérêts protégés, et qui sont de ce fait susceptibles de s'exposer à des sanctions pénales, disciplinaires ou civiles ou à des mesures de représailles.

Ces dispositions comprennent, d'une part, des mesures de protection relevant de divers champs du droit - droit pénal et disciplinaire, droit civil, procédures juridictionnelles, droit du travail, droit de la fonction publique... - et, d'autre part, des conditions de fond et de procédure imposées pour bénéficier de ces mesures de protection.

Je vous propose de considérer que le périmètre de la proposition de loi organique inclut des dispositions relatives aux compétences exercées par le Défenseur des droits pour assister les lanceurs d'alerte, défendre leurs droits et évaluer l'efficacité des règles de droit et des procédures visant à les protéger.

EXAMEN DES ARTICLES DE LA PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Afin de limiter les risques de dérives, je vous propose, au travers de mon amendement COM-20, de limiter l'application du régime général de protection des lanceurs d'alerte au signalement et à la divulgation publique de faits présentant un certain degré de gravité, comme c'est le cas aujourd'hui en droit français. Cette condition de gravité ne serait toutefois pas exigée en ce qui concerne la violation des règles de droit européen limitativement énumérées par la directive du 23 octobre 2019.

Par ailleurs, je propose de substituer aux notions de « menace » et de « préjudice pour l'intérêt général », qui laissent une marge d'appréciation excessive au juge, celle d'actes ou d'omissions allant à l'encontre des objectifs poursuivis par les règles de droit. En démocratie, c'est au peuple et à ses représentants, et non aux tribunaux, qu'il appartient de dire ce qui relève ou non de l'intérêt général.

M. Guy Benarroche. - Je me permets d'insister sur le fait que cet amendement restreint très nettement le champ des lanceurs d'alerte.

Notre groupe ne suivra pas le rapporteur sur ce point.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Mon amendement n'est nullement restrictif au regard du droit en vigueur.

L'amendement COM-20 est adopté ; les amendements COM-8, COM-9, COM-10, COM-13 et COM-14 deviennent sans objet.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Les amendements identiques COM-2 et COM-56, ainsi que l'amendement COM-5, répondent à une préoccupation légitime.

Il s'agit de faire en sorte que le régime de protection des lanceurs d'alerte ne soit pas détourné de son objet par des personnes physiques ou des associations qui, au nom de l'intérêt général tel qu'elles le conçoivent, n'hésitent pas à s'introduire dans des domiciles privés ou des locaux professionnels et à y prendre des images ou des documents, pour ensuite les diffuser sur internet.

Nous avons en particulier été alertés sur le cas de l'association L214, dont les membres, au nom de la protection animale, s'introduisent sans autorisation ou même par effraction dans des élevages, tournent des clips vidéo plus ou moins biaisés de quelques secondes, avant de les publier sur internet, sans même prévenir l'exploitant.

La protection des lanceurs d'alerte n'autorise pas tout. Ce n'est pas la loi de la jungle. Il existe des procédures et des agents publics assermentés pour mener, s'il y a lieu, des perquisitions dans les domiciles et les locaux professionnels. Je souscris donc aux objectifs de ces amendements.

En revanche, le dispositif proposé n'est pas le bon. Il s'insère au milieu de dispositions qui fixent les exceptions au principe selon lequel les secrets protégés par la loi ne sont pas opposables aux lanceurs d'alerte qui effectuent un signalement ou une divulgation dans les conditions légales.

Par conséquent, je suis défavorable à ces amendements. Je vous proposerai une solution différente, qui consiste à écrire expressément dans la loi que l'irresponsabilité pénale dont bénéficient les lanceurs d'alerte ne s'étend pas aux atteintes à la vie privée réprimées par le code pénal, lesquelles comprennent aussi bien la violation de domicile stricto sensu que l'intrusion irrégulière dans des locaux professionnels.

Les amendements COM-2, COM-56 et COM-5 ne sont pas adoptés.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Mon amendement COM-21 vise à supprimer un membre de phrase superflu.

L'amendement COM-21 est adopté.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'amendement COM-19 vise à créer un droit d'alerte sur des informations couvertes par le secret de la défense nationale.

Il n'est pas interdit de mener une réflexion à ce sujet. Toutefois, le dispositif est inabouti et, en outre, beaucoup trop laxiste. On ne peut pas affaiblir à ce point la protection de secrets nécessaires pour sauvegarder les intérêts supérieurs de la Nation. Avis défavorable.

L'amendement COM-19 n'est pas adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Mon amendement COM-22 vise à compléter la liste des mesures de protection offertes aux facilitateurs et aux autres personnes en lien avec un lanceur d'alerte. Le texte de l'Assemblée nationale comporte des lacunes, sans doute involontaires.

L'amendement COM-22 est adopté.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Mon amendement COM-23 et les amendements identiques COM-3, COM-7 et COM-57 abordent une question importante, celle de l'extension aux personnes morales du statut protecteur de « facilitateur ».

La directive européenne impose aux États membres d'offrir aux personnes qui assistent les lanceurs d'alerte les mêmes protections qu'à ces derniers, mais elle ne vise, parmi les « facilitateurs », que les personnes physiques.

Les députés ont voulu aller plus loin. Le texte initial incluait, parmi les « facilitateurs », toutes les personnes morales. Le risque de dérive était manifeste : des entreprises concurrentes ou des fonds spéculatifs auraient pu encourager le lancement d'alertes pour porter atteinte à la réputation, donc à la valeur économique de certaines entreprises.

Les députés ont finalement limité ce champ aux « personnes morales de droit privé à but non lucratif ». Cela me semble encore trop large. On ne peut pas négliger le risque que des associations de façade soient créées, soit par des détenteurs d'intérêts économiques, soit même par des puissances étrangères, pour déstabiliser des entreprises ou des administrations françaises. Dans le secteur associatif, on trouve le pire comme le meilleur. Certaines ONG ont une gouvernance et un mode de financement très opaques.

C'est pourquoi j'ai déposé un amendement visant à réserver le bénéfice du statut de facilitateur aux syndicats représentatifs et aux associations spécialement agréées par le Gouvernement. En contrepartie, ces syndicats et associations agréées se seraient vu expressément reconnaître la faculté d'adresser un signalement ou de divulguer des informations pour le compte d'un lanceur d'alerte. Cela aurait permis au lanceur d'alerte de ne pas s'exposer inutilement - au moins dans un premier temps, car, en cas de contentieux, la personne morale aurait pu être contrainte de révéler l'identité du lanceur d'alerte, afin de prouver qu'elle s'inscrivait bien dans le régime légal de l'alerte.

Plusieurs de nos collègues proposent d'aller plus loin, en réservant aux seules personnes physiques le bénéfice du statut de facilitateur, ce qui correspond à une stricte transposition de la directive.

Je sais que ce sujet suscite beaucoup de crispations. Il doit être possible de trouver un juste équilibre d'ici à la fin de la navette. Pour l'heure, il me semble que le plus sage est de nous en tenir strictement à la directive.

Je retire donc mon amendement COM-23, au bénéfice des amendements COM-3, COM-7 et COM-57. Nous pourrons continuer à travailler d'ici à l'examen en séance pour parfaire le dispositif.

M. Alain Richard. - Je souscris tout à fait à la démarche et au cadrage proposés par le rapporteur.

Les associations sont agréées par le Gouvernement, mais sous le contrôle du juge. Il y a donc bien une présomption d'impartialité et de responsabilité.

Pouvez-vous me confirmer que le bénéfice du statut de facilitateur sera réservé aux syndicats représentatifs ? Compte tenu des signes d'affaiblissement du mouvement syndical et de la captation d'organisations syndicales par des groupes idéologiques pour faire tout autre chose que du syndicalisme, la représentativité, au moins dans la branche, serait une première protection contre ces détournements.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Mon amendement vise les syndicats représentatifs à l'échelon national, au niveau de l'entreprise, de l'établissement ou de l'administration concernée.

L'amendement COM-23 est retiré.

Les amendements COM-3, COM-7 et COM-57 sont adoptés.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Avec l'amendement COM-17, nos collègues proposent de substituer à la notion de « personnes physiques » celle de « tiers », afin d'englober les personnes morales.

Je n'y suis pas favorable. Quoique sa formulation puisse prêter à interprétation, la directive vise ici clairement les personnes physiques. Elle cite l'exemple de « collègues » ou de « proches » de l'auteur du signalement, qui risquent de faire l'objet de mesures de représailles.

L'amendement COM-17 n'est pas adopté.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 3

L'amendement rédactionnel COM-24 est adopté.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Mon amendement COM-25 concerne la procédure de signalement interne ouverte aux lanceurs d'alerte.

Outre diverses améliorations d'ordre technique ou rédactionnel, je vous propose d'inscrire dans la loi la faculté, pour les entités soumises à l'obligation d'établir une procédure interne de recueil et de traitement des signalements, d'avoir recours à un prestataire externe, comme l'autorise la directive. Par ailleurs, je propose d'élargir au maximum les possibilités de mutualisation offertes aux collectivités territoriales membres d'un centre de gestion : l'amendement prévoit que ces collectivités puissent confier au centre de gestion le recueil et le traitement des signalements ; seules celles qui emploient plus de 250 agents devraient traiter en interne les signalements entrant dans le champ d'application de la directive, car celle-ci ne laisse pas le choix.

L'amendement COM-25 est adopté ; l'amendement COM-11 devient sans objet.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Avec mon amendement COM-26, je vous propose de confier au Gouvernement le soin d'assouplir par décret les règles applicables aux sociétés appartenant à un même groupe, dans toute la mesure compatible avec la directive. Il s'agit de répondre à un besoin de clarification et de simplification, qui a été exprimé lors de nos auditions.

L'amendement COM-26 est adopté.

Les amendements rédactionnels COM-27 et COM-28 sont adoptés.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Mon amendement COM-29 vise à imposer aux autorités externes compétentes l'obligation de rendre compte annuellement de leur action au Défenseur des droits. Mme Hédon, que j'ai auditionnée, craint de devoir aller « à la pêche » aux renseignements nécessaires pour élaborer son rapport.

L'amendement COM-29 est adopté.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Mon amendement COM-30 tend à clarifier l'articulation entre les phases de signalement externe et de divulgation publique des informations, dans le cas où l'autorité externe saisie ne serait pas l'une des autorités sectorielles compétentes désignées par voie réglementaire.

L'amendement COM-30 est adopté.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Mon amendement COM-31 concerne les conditions dans lesquelles un lanceur d'alerte serait autorisé à divulguer publiquement les informations dont il dispose sans avoir procédé préalablement à un signalement « externe » auprès de l'autorité compétente. À mes yeux, seul un danger manifeste, imminent et d'une gravité suffisante, ces trois conditions étant cumulatives, peut justifier de court-circuiter les procédures normales de signalement. Nous nous devons d'apporter des garanties suffisantes pour la sauvegarde des secrets protégés et des intérêts matériels et moraux des personnes qui peuvent être injustement mises en cause.

L'amendement COM-31 est adopté.

L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 3 bis (nouveau)

L'article 3 bis est adopté sans modification.

Article 4

L'amendement rédactionnel COM-32 est adopté.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Mon amendement COM-33 a pour objet d'assurer la conformité de la proposition de loi à la directive en ce qui concerne les conditions dans lesquelles l'identité du lanceur d'alerte peut être divulguée.

Conformément à la directive, l'identité du lanceur d'alerte ne peut être communiquée à l'autorité judiciaire elle-même que si cela résulte d'une obligation prévue par le droit national. Les motifs pour lesquels son identité est communiquée à l'autorité judiciaire doivent, sauf cas exceptionnel, être fournis au lanceur d'alerte, y compris lorsqu'il a effectué un signalement par le canal interne.

L'amendement COM-33 est adopté.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Mon amendement COM-34 vise à supprimer la durée limite de trente ans pendant laquelle des « données anonymisées » pourraient être conservées et à préciser le sens de cette notion.

L'amendement COM-34 est adopté.

L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 4

L'amendement COM-1 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - La directive européenne prévoit des sanctions à l'encontre des personnes ayant sciemment signalé ou divulgué publiquement de fausses informations.

Les dispositifs aujourd'hui prévus par le droit en matière de diffamation et de dénonciation calomnieuse ne répondent que partiellement à cette exigence. En particulier, le délit de dénonciation calomnieuse n'est constitué que pour des dénonciations effectuées auprès d'une autorité disposant du pouvoir d'y donner suite ou de saisir l'autorité compétente, ce qui ne serait pas nécessairement le cas de toutes les autorités externes intervenant dans le cadre d'une alerte.

Mon amendement COM-35 comble cette lacune.

L'amendement COM-35 est adopté et devient article additionnel.

Article 5

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Mon amendement COM-36 concerne les irresponsabilités civile et pénale dont bénéficie le lanceur d'alerte ayant agi conformément aux procédures légales.

Outre diverses améliorations d'ordre technique ou rédactionnel, je vous propose de clarifier et de limiter le champ de ces irresponsabilités. Il est bien évidemment légitime que les lanceurs d'alerte bénéficient de ces protections. Compte tenu des risques auxquels ils s'exposent, cela est indispensable. Toutefois, accorder ces protections de manière trop légère ouvrirait la porte à des alertes abusives, loufoques, voire malveillantes. Le subtil équilibre qui doit être trouvé ne me semble pas complètement atteint dans le texte qui nous est proposé.

Pour y parvenir, cet amendement apporte deux modifications majeures.

Il limite le champ de l'irresponsabilité civile et pénale aux seules informations dont le signalement ou la divulgation était nécessaire à la sauvegarde des intérêts en cause : dans un objectif de responsabilisation des lanceurs d'alerte, il s'agit d'éviter le signalement ou la divulgation d'une masse d'informations ou de documents dont une partie serait sans lien avec les faits justifiant l'alerte.

Il explicite le fait que le bénéfice de l'irresponsabilité pénale ne s'étend pas aux atteintes à la vie privée ou aux atteintes aux systèmes de traitement automatisé : elle pourrait, par exemple, être opposée en cas de vol de documents ou d'abus de confiance, mais pas en cas de violation de domicile ou de locaux professionnels.

Cet amendement vise à répondre très concrètement aux craintes qu'a pu susciter ce texte, dans le monde agricole notamment.

L'amendement COM-36 est adopté ; l'amendement COM-16 devient sans objet.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Mon amendement COM-37 procède à une transposition in extenso des mesures de représailles prohibées listées par la directive. Le système de renvois prévu par la proposition de loi serait en effet source de confusion et d'insécurité juridique.

Premièrement, la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale revient à exclure du champ de la protection les personnes qui ne sont soumises ni au code du travail ni au statut général de la fonction publique. On peut notamment citer les travailleurs indépendants, les personnes situées dans une relation de travail atypique, comme les travailleurs des plateformes, les candidats à des procédures de recrutement, les collaborateurs occasionnels, comme les stagiaires ou les bénévoles... Le retour à une liste de portée générale et « dépersonnalisée » pallie ce risque d'omission.

Deuxièmement, la méthodologie des renvois pose une difficulté conceptuelle. Construire un régime à vocation généraliste par renvoi à des dispositions sectorielles n'est ni logique ni lisible ; c'est la démarche inverse qui doit être privilégiée, soit l'adaptation des régimes sectoriels au régime général.

Troisièmement, il est préférable, dans un souci de clarté, de faire figurer l'ensemble des mesures de représailles prohibées au sein d'une seule et même disposition,.

L'amendement COM-37 est adopté ; les amendements COM-15 et COM-18 deviennent sans objet.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Mon amendement COM-38 a trait aux aménagements de la procédure contentieuse en cas de recours d'un lanceur d'alerte contre des représailles ou de procédure bâillon.

Il apporte tout d'abord deux améliorations techniques : il rappelle la possibilité du défendeur de construire sa défense sur d'éventuelles méconnaissances de la procédure d'alerte et clarifie le rôle du juge dans l'appréciation du respect des conditions légales d'alerte. 

Surtout, il revient sur la possibilité que la provision visant à couvrir les subsides du lanceur d'alerte puisse être définitivement acquise. En plus d'être intellectuellement contestable, celle-ci est constitutionnellement incertaine. Comment imaginer de décider du caractère définitif d'une provision avant même toute décision sur le fond et alors que le lanceur d'alerte pourrait perdre son procès ? Cela me paraît tout à fait déraisonnable.

L'amendement COM-38 est adopté.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'amendement COM-6 limite le bénéfice de l'irresponsabilité aux seuls actes directement liés au signalement ou à la divulgation publique d'informations pour les besoins de l'alerte.

Je partage le raisonnement de son auteur : si les protections accordées aux lanceurs d'alerte sont légitimes et nécessaires, le risque de les voir dévoyées n'est pas à négliger. Accorder l'irresponsabilité pénale et civile trop légèrement ouvrirait la porte à des alertes potentiellement loufoques, voire malveillantes.

C'est pourquoi je vous ai proposé de circonscrire le champ de ces irresponsabilités aux seules informations dont le signalement ou la divulgation était nécessaire à la sauvegarde des intérêts en cause et d'inscrire noir sur blanc dans la loi que l'irresponsabilité pénale ne couvre pas les atteintes à la vie privée ou aux systèmes de traitement automatisé de données - nous avons adopté un amendement en ce sens tout à l'heure.

J'émets donc un avis défavorable à l'amendement COM-6 et, pour les mêmes raisons, aux amendements COM-58 et COM-4.

L'amendement COM-6 n'est pas adopté, non plus que les amendements COM-58 et COM-4.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'amendement COM-12 entend élargir le bénéfice du secret des sources aux personnes morales « facilitatrices d'alerte ».

Le secret des sources ne me paraît tout simplement pas transposable au cas des lanceurs d'alerte. Ceux-ci sont des personnes physiques, qui devront bien naturellement révéler leur identité dans le cas d'un signalement à une autorité interne ou externe. Surtout, le secret des sources a été conçu spécifiquement pour les journalistes, pour garantir l'exercice de leur mission d'information du public. Il me paraît sain que cette protection demeure l'apanage des journalistes. Avis défavorable.

L'amendement COM-12 n'est pas adopté.

L'article 5 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 6

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Mon amendement COM-39 réécrit quasiment tout l'article 6 : il articule le régime général d'alerte prévu par la proposition de loi avec les régimes sectoriels figurant dans le code du travail. Le résultat nous paraît plus lisible.

L'amendement COM-39 est adopté.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Mon amendement COM-40 s'inscrit dans la lignée du précédent.

L'amendement COM-40 est adopté.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Mon amendement COM-41 complète la réécriture de l'article 6.

L'amendement COM-41 est adopté.

L'article 6 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 7

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Mon amendement COM-42 supprime les dispositions relatives à un nouveau référé-liberté « droit d'alerte », où la condition d'urgence serait présumée.

Je partage, sur ce point, l'avis du Conseil d'État et du Gouvernement, qui y sont franchement défavorables. Il convient de ne pas complexifier outre mesure le paysage procédural existant et de ne pas créer une rupture d'égalité entre les requérants selon la liberté fondamentale dont la violation serait alléguée. L'actuel référé-liberté suffit.

L'amendement COM-42 est adopté.

L'amendement rédactionnel COM-43 est adopté.

L'article 7 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 8

L'amendement rédactionnel COM-44 est adopté.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Mon amendement COM-45 concerne la possibilité de publier les jugements sanctionnant les auteurs de représailles ou de procédure bâillon. Il inscrit clairement dans la loi le caractère de sanction que revêtiraient ces décisions de publication.

L'amendement COM-45 est adopté.

L'article 8 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 8 bis (nouveau)

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Mon amendement COM-46 supprime une disposition introduite par le Gouvernement qui est sans rapport avec le régime des lanceurs d'alerte.

L'amendement COM-46 est adopté.

L'article 8 bis est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 9

L'article 9 est adopté sans modification.

Article 10

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Mon amendement COM-47 concerne le pouvoir du juge administratif d'enjoindre la réintégration des agents publics lanceurs d'alerte ayant fait l'objet d'une révocation.

Outre diverses améliorations d'ordre technique, il rehausse l'ambition du dispositif en prévoyant que le juge puisse prescrire la réaffectation à son poste précédent de toute personne ayant fait l'objet d'un changement d'affectation. Concrètement, cette rédaction permet de répondre aux situations où un agent s'est retrouvé « placardisé » du fait de son alerte. Cela constitue une protection supplémentaire.

L'amendement COM-47 est adopté.

L'article 10 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 11

L'article 11 est adopté sans modification.

Article 11 bis (nouveau)

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Mon amendement COM-48 articule le régime général d'alerte avec les régimes sectoriels prévus dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux.

L'amendement COM-48 est adopté.

L'article 11 bis est adopté dans la rédaction issue dans travaux de la commission.

Article 11 ter (nouveau)

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'article 11 ter vise à articuler le régime général de protection des lanceurs d'alerte avec divers régimes spéciaux prévus par le code monétaire et financier. Mes amendements procèdent à des ajustements techniques. 

Les amendements COM-49, COM-50, COM-51, COM-52 et COM-53 sont adoptés.

L'article 11 ter est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 12 A (nouveau)

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Mon amendement COM-54 vise à assurer l'extension en Polynésie française, à Wallis-et-Futuna et en Nouvelle-Calédonie de l'ensemble des dispositions relatives à la protection des lanceurs d'alerte.

L'amendement COM-54 est adopté.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Mon amendement COM-55 est un amendement de coordination outre-mer.

L'amendement COM-55 est adopté.

L'article 12 A est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 12

L'article 12 est adopté sans modification.

Article 13 (supprimé)

L'article 13 demeure supprimé.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

EXAMEN DES ARTICLES DE LA PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE

Article 1er

L'article 1er est adopté sans modification.

Après l'article 1er

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Mon amendement COM-2 prévoit la nomination d'un nouvel adjoint du Défenseur des droits, chargé de l'accompagnement des lanceurs d'alerte. Nous essayons de donner plus de moyens au Défenseur des droits sans tomber sous le coup de l'irrecevabilité financière.

L'amendement COM-2 est adopté et devient article additionnel.

Article 2

L'amendement rédactionnel COM-3 est adopté.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. -La proposition de loi organique prévoit que le Défenseur des droits puisse être saisi par toute personne pour rendre un avis sur sa qualité de lanceur d'alerte, au regard des conditions prévues par la loi Sapin 2. Je vous propose, au travers de mon amendement COM-4, d'étendre cette compétence aux régimes spéciaux d'alerte.

L'amendement COM-4 est adopté ; l'amendement COM-1 devient sans objet.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 3 (nouveau)

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Mon amendement COM-5 vise à porter d'un à deux ans la périodicité du rapport d'évaluation du Défenseur des droits sur le système de protection des lanceurs d'alerte. Cela répond à une demande de l'actuelle Défenseure des droits elle-même, qui pourra, du reste, consacrer un paragraphe de son rapport annuel au sujet.

L'amendement COM-5 est adopté.

L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

La proposition de loi organique est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

M. François-Noël Buffet, président. - La proposition de loi et la proposition de loi organique seront examinées en séance publique le mercredi 19 janvier 2022.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

PROPOSITION DE LOI

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1er

Mme DI FOLCO, rapporteur

20

Définition du lanceur d'alerte

Adopté

Mme Mélanie VOGEL

8

Extension aux personnes morales à but non lucratif de la définition du lanceur d'alerte

Satisfait ou sans objet

Mme Mélanie VOGEL

9

Motivations et bonne foi du lanceur d'alerte

Satisfait ou sans objet

Mme Mélanie VOGEL

10

Suppression de la condition tenant à ce que le lanceur d'alerte ait eu personnellement connaissance des informations concernées, lorsqu'elles ont été obtenues en dehors du cadre de ses activités professionnelles.

Satisfait ou sans objet

Mme Mélanie VOGEL

13

Suppression de la dérogation relative au secret des délibérations judiciaires, au secret de l'enquête et de l'instruction

Satisfait ou sans objet

Mme Mélanie VOGEL

14

Ajout de la notion de "risque pour l'intérêt général"

Satisfait ou sans objet

M. CANÉVET

2

Exclusion du régime de l'alerte des informations dont l'obtention résulte d'une infraction pénale autonome

Rejeté

Mme HAVET

56

Exclusion du régime de l'alerte des informations dont l'obtention résulte d'une infraction pénale autonome

Rejeté

M. MENONVILLE

5

Exclusion du régime de l'alerte des informations dont l'obtention résulte d'une intrusion illégale dans le domicile d'autrui ou sur son lieu de travail

Rejeté

Mme DI FOLCO, rapporteur

21

Cas des dérogations aux secrets prévus par la loi

Adopté

Mme Mélanie VOGEL

19

Alerte portant sur des informations couvertes par le secret de la défense nationale

Rejeté

Article 2

Mme DI FOLCO, rapporteur

22

Mesures de protection bénéficiant aux facilitateurs et autres personnes en lien avec un lanceur d'alerte

Adopté

Mme DI FOLCO, rapporteur

23

Personnes morales agissant en tant que facilitateurs

Retiré

M. CANÉVET

3

Suppression de l'octroi du statut de facilitateur aux personnes morales de droit privé à but non lucratif

Adopté

M. MENONVILLE

7

Suppression de l'octroi du statut de facilitateur aux personnes morales de droit privé à but non lucratif

Adopté

Mme HAVET

57

Suppression de l'octroi du statut de facilitateur aux personnes morales de droit privé à but non lucratif

Adopté

Mme Mélanie VOGEL

17

Protection des personnes « en lien avec un lanceur d'alerte »

Rejeté

Article 3

Mme DI FOLCO, rapporteur

24

Rédactionnel

Adopté

Mme DI FOLCO, rapporteur

25

Signalement interne

Adopté

Mme Mélanie VOGEL

11

Accord des instances de dialogue social sur la procédure de signalement interne

Satisfait ou sans objet

Mme DI FOLCO, rapporteur

26

Procédure de signalement interne - règles applicables aux groupes de sociétés

Adopté

Mme DI FOLCO, rapporteur

27

Rédactionnel

Adopté

Mme DI FOLCO, rapporteur

28

Rédactionnel

Adopté

Mme DI FOLCO, rapporteur

29

Obligation pour les autorités externes compétentes de rendre compte annuellement de leur action au Défenseur des droits

Adopté

Mme DI FOLCO, rapporteur

30

Articulation entre les phases de signalement externe et de divulgation publique

Adopté

Mme DI FOLCO, rapporteur

31

Conditions de divulgation publique directe des informations

Adopté

Article 4

Mme DI FOLCO, rapporteur

32

Rédactionnel

Adopté

Mme DI FOLCO, rapporteur

33

Condition de divulgation de l'identité du lanceur d'alerte

Adopté

Mme DI FOLCO, rapporteur

34

Conservation de données anonymisées

Adopté

Articles additionnels après l'article 4

M. DUPLOMB

1

Répression pénale de la violation de domicile

Irrecevable (48-3)

Mme DI FOLCO, rapporteur

35

Sanction des alertes abusives

Adopté

Article 5

Mme DI FOLCO, rapporteur

36

Clarification et limitation du champ des irresponsabilités civiles et pénales

Adopté

Mme Mélanie VOGEL

16

Inopposabilité du devoir de réserve aux agents publics lanceurs d'alerte

Satisfait ou sans objet

Mme DI FOLCO, rapporteur

37

Liste des mesures de représailles prohibées

Adopté

Mme Mélanie VOGEL

15

Liste des mesures de représailles prohibées

Satisfait ou sans objet

Mme Mélanie VOGEL

18

Retrait du terme "abusive" pour qualifier une orientation vers un traitement psychiatrique ou médical de représailles.

Satisfait ou sans objet

Mme DI FOLCO, rapporteur

38

Aménagements de la procédure contentieuse

Adopté

M. MENONVILLE

6

Limitation de l'irresponsabilité du lanceur d'alerte aux actes directement liés au signalement ou à la divulgation publique des informations

Rejeté

Mme HAVET

58

Limitation de l'irresponsabilité du lanceur d'alerte aux actes directement liés au signalement ou à la divulgation publique des informations

Rejeté

M. CANÉVET

4

Limitation de l'irresponsabilité du lanceur d'alerte aux actes directement liés au signalement ou à la divulgation publique des informations

Rejeté

Mme Mélanie VOGEL

12

Extension du secret des sources aux personnes morales facilitatrices d'alerte

Rejeté

Article 6

Mme DI FOLCO, rapporteur

39

Articulation entre le régime général d'alerte et les régimes sectoriels prévus par le code du travail

Adopté

Mme DI FOLCO, rapporteur

40

Articulation entre le régime général d'alerte et l'obligation d'alerte en cas de produits ou procédés dangereux pour la santé publique ou l'environnement

Adopté

Mme DI FOLCO, rapporteur

41

Articulation du régime général d'alerte avec les régimes sectoriels d'alerte prévus par le statut général de la fonction publique

Adopté

Article 7

Mme DI FOLCO, rapporteur

42

Suppression du référé-liberté "droit d'alerte"

Adopté

Mme DI FOLCO, rapporteur

43

Amendement rédactionnel

Adopté

Article 8

Mme DI FOLCO, rapporteur

44

Amendement rédactionnel

Adopté

Mme DI FOLCO, rapporteur

45

Publication des sanctions envers les auteurs de représailles ou de procédures bâillons

Adopté

Article 8 bis (nouveau)

Mme DI FOLCO, rapporteur

46

Suppression d'article

Adopté

Article 10

Mme DI FOLCO, rapporteur

47

Injonction à la réintégration des agents publics lanceurs d'alerte

Adopté

Article 11 bis (nouveau)

Mme DI FOLCO, rapporteur

48

Articulation entre le régime général d'alerte et les régimes sectoriels dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux

Adopté

Article 11 ter (nouveau)

Mme DI FOLCO, rapporteur

49

Procédures spéciale de signalement, par les membres du personnel des établissements de crédit, sociétés de financement et assimilés, de manquements aux règles applicables aux prestataires de services bancaires et d'investissement

Adopté

Mme DI FOLCO, rapporteur

50

Procédures spéciale de signalement des manquements aux règles prudentielles

Adopté

Mme DI FOLCO, rapporteur

51

Procédures spéciale de signalement, par les membres du personnel des entreprises d'investissement et assimilées, de manquements aux règles applicables aux prestataires de services bancaires et d'investissement

Adopté

Mme DI FOLCO, rapporteur

52

Procédure de signalement externe de manquements divers auprès de l'Autorité des marchés financiers ou de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution

Adopté

Mme DI FOLCO, rapporteur

53

Procédure de signalement interne de manquements divers, au sein des entités soumises au contrôle de l'Autorité des marchés financiers ou de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution

Adopté

Article 12 A (nouveau)

Mme DI FOLCO, rapporteur

54

Application outre-mer

Adopté

Mme DI FOLCO, rapporteur

55

Coordination outre-mer

Adopté

PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article additionnel après l'article 1er

Mme DI FOLCO, rapporteur

2

Adjoint du Défenseur des droits chargé de l'accompagnement des lanceurs d'alerte

Adopté

Article 2

Mme DI FOLCO, rapporteur

3

Rédactionnel

Adopté

Mme DI FOLCO, rapporteur

4

Avis du Défenseur des droits sur la qualité de lanceur d'alerte au regard de régimes spéciaux

Adopté

Mme Mélanie VOGEL

1

Délai imparti au Défenseur des droits pour répondre à une demande d'avis sur la qualité de lanceur d'alerte

Satisfait ou sans objet

Article 3 (nouveau)

Mme DI FOLCO, rapporteur

5

Périodicité du rapport d'évaluation du Défenseur des droits

Adopté

La réunion, suspendue à 10 h 40, est reprise à 16 h 30.

Situation migratoire à Calais - Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur

M. François-Noël Buffet, président. - Monsieur le ministre, nous souhaitons vous entendre sur la situation migratoire dans le Calaisis, et plus généralement sur le littoral du nord de la France, qui est très difficile.

Les migrants sont pour la plupart d'entre eux victimes de réseaux et tentent de traverser la Manche dans des conditions abominables, pour rejoindre la Grande-Bretagne. En raison des récents événements, en particulier le drame survenu le 24 novembre, nous souhaitons avoir un éclairage précis sur la situation.

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur. - C'est un problème complexe et international : les migrants sont présents dans les Hauts-de-France, mais aussi sur toute la façade nord de notre continent. Il y a des départs de Belgique, de Hollande, de la Picardie, de la Normandie, de la Bretagne...

Le Gouvernement est mobilisé pour lutter contre les filières de transit irrégulier, filières criminelles qui utilisent la misère des gens pour être grassement rémunérées. Depuis le 1er janvier 2021, nous avons interpellé 162 personnes, mises en cause par les enquêteurs ; 41 organisations criminelles ont été démantelées. Il est difficile de reconstituer ces filières, de lutter contre ces réseaux qui se jouent de nos frontières et échangent sur des messageries cryptées. Ils utilisent des femmes, des hommes et des enfants pour se faire de l'argent. De notre côté, nous manquons de coopération internationale pour les combattre.

En deux ans, les passages en small boats - petits bateaux - ont augmenté de 285 %. Pourtant, il y a quinze fois moins de migrants dans les Hauts-de-France qu'il y a cinq ans. Actuellement, il y a environ 2 000 migrants entre Grande-Synthe et Calais. Comment expliquer cette situation ? Le gouvernement de Bernard Cazeneuve et les gouvernements de l'actuel Président de la République ont réussi à sécuriser entièrement les passages d'hier : ports de Calais, de Dunkerque, de Boulogne et d'Ouistreham, ainsi que le tunnel sous la Manche. La jungle de Calais et le camp de Sangatte ont été démantelés. Depuis janvier 2020, il n'y a quasiment plus de passages par ces endroits, fortement sécurisés grâce à l'argent britannique. Désormais, la seule solution pour se rendre en Grande-Bretagne est de traverser la Manche en bateau.

Les nationalités des trafiquants se confondent, malheureusement, avec la nationalité des migrants, ce qui complique le travail de la police. Hormis pour le Vietnam, ces migrants viennent principalement de pays en guerre ou connaissant une forte déstabilisation politique : Kurdistan irakien et iranien, Syrie, Afghanistan, Soudan, Érythrée... Ce sont des pays connaissant des difficultés climatiques, économiques et politiques. Souvent, ce sont les mêmes personnes qui s'occupent de l'intégralité du trafic de personnes, par exemple de Bagdad jusqu'à Londres.

On observe de plus en plus de passages de bateaux : il y en a eu 2 162 en 2021, contre seulement 330 en 2019 et 1 326 en 2020. C'est la même chose en Belgique. À l'inverse, le nombre de migrants découverts dans des camions diminue fortement depuis 2019 - ils étaient trois fois plus nombreux à utiliser ce moyen entre 2014 et 2018. Le nombre de personnes par bateau a plus que doublé, ce qui fragilise des embarcations déjà de très mauvaise qualité. Or la Manche est une mer froide, peu calme, et elle connaît le plus grand passage de bateaux à travers le monde : des bateaux font l'aller-retour entre les ports du nord de l'Europe - Anvers, Rotterdam, Zeebrugge, Dunkerque, Calais, Le Havre et l'Asie, l'Amérique latine ou les États-Unis. La mondialisation a entraîné une augmentation de 900 % des containers sur les mers, dont la Manche est l'autoroute. Le risque de collision est énorme pour ces frêles embarcations. Le 24 novembre, il y avait 29 personnes sur le bateau, dont trois enfants et des femmes enceintes. Certes, pour traverser la Manche, on ne parcourt que 30 kilomètres si l'on part de Calais - et non de Boulogne, comme on le sait depuis Jules César et Napoléon...

Les routes utilisées par les migrants traduisent la déstabilisation de certaines parties du monde. La première est celle provenant de la Corne de l'Afrique - Érythrée, Éthiopie, Soudan... Il y a une route passant par la Turquie, une autre en Méditerranée centrale, passant par la Libye et la Tunisie, puis l'Italie, Menton... Une grande partie des migrants ne s'arrête pas en France et souhaite aller en Angleterre, et non demander l'asile en Europe.

La seconde route est celle du Moyen-Orient, plus compliquée, avec des migrants originaires d'Iran, d'Irak - souvent du Kurdistan - et de Syrie. La route traditionnelle passe par la Turquie, la Grèce, puis l'Italie et Menton. Une nouvelle route passe par la Biélorussie : les migrants partent d'Irak, vont en Syrie, puis à Minsk, avant de rejoindre la Pologne, puis l'Allemagne, la Belgique et la France. Un des deux rescapés du 24 novembre avait utilisé cette route trois semaines auparavant, et avait réussi à passer de Biélorussie en Pologne. Ce n'est pas une route qui va arriver : elle est déjà là.

Les moyens de surveillance sont importants, mais ne sont pas la solution à cette situation. Les lieux de départ sont désormais plus proches de Dunkerque, en raison des nombreux démantèlements près de Calais sous les trois derniers gouvernements. Certains migrants attendent même en Belgique, et traversent la frontière facilement, dans de nombreux points de passages. Un tiers des small boats partent d'une zone entre Bray-Dunes et Dunkerque, 28 % des environs de Calais, et le reste du côté de Boulogne, Berck et Le Touquet. Or, plus on s'éloigne de Calais, plus on met de temps à traverser la Manche et plus le passage est difficile. Le bateau qui a fait naufrage le 24 novembre était parti de Loon-Plage, près de Dunkerque.

Les réseaux sont de deux types : des réseaux irako-kurdes, très structurés et violents, et des réseaux venant de la Corne de l'Afrique, plus artisanaux et communautaires. Mais tous font du trafic d'êtres humains.

Je voudrais développer deux exemples concrets pour illustrer mon propos. Le 19 mai 2021, 49 migrants, essentiellement des Vietnamiens, ont été découverts sur la plage de La Panne, en Belgique. Une filière de small boats a été mise à jour, avec un réseau criminel très organisé. Ses responsables ont organisé les passages en France. Nous nous sommes aperçus, à la suite de dénonciations, qu'il y a eu des tentatives d'homicide à Grande-Synthe, camp qui abritait des lieutenants du réseau, ainsi qu'à Osnabrück, plaque tournante des bateaux : on ne peut plus acheter ce type de bateaux dans le nord de la France, et je remercie les sociétés qui ont accepté de ne plus en vendre. Cependant, on peut les trouver en Allemagne. En France, nous avons démantelé un réseau de 16 personnes, dont 13 sont encore sous écrou. La justice répond bien au travail de la police. Le complice qui avait commandité la venue de ces migrants résidait en Grande-Bretagne ; le stockage des bateaux, rames, moteurs et gilets de sauvetage était réalisé aux Pays-Bas ; le circuit financier, en Belgique... Nous avons eu besoin d'Europol pour échanger toutes ces données afin d'identifier ces personnes.

Autre exemple qui semble absurde : en octobre 2021, dans le nord de l'Allemagne, la police allemande arrête deux personnes qui chargent 5 moteurs de bateau, 200 gilets de sauvetage et 9 zodiacs : une croisière sur le Rhin ? La police, trouvant cela louche, a confisqué le matériel. Puis un homme s'est présenté à la police le lendemain, plaidant l'erreur : il avait une facture turque, une adresse de livraison en région parisienne. Mais on a retrouvé ces moteurs 15 jours plus tard, immatriculés à Douvres, puisque nos amis britanniques nous donnent quand même quelques informations... L'Allemagne paraît loin de Calais, mais nous manquons de culture commune en matière d'opérations judiciaires sur des affaires concernant du petit matériel qui coûte quelques centaines, voire quelques milliers d'euros, et dont le commerce est légal généralement. Mais on aurait pu éviter ce genre de trafic.

Le matériel vient de Chine, est livré par conteneurs à Istanbul, puis, de là, rejoint l'Union européenne grâce à l'union douanière. Il y a peu de contrôles des douanes sur le commerce de bateaux, de moteurs ou de gilets de sauvetage, matériel qui n'est théoriquement pas lié au trafic de drogue ou aux grands réseaux criminels... Il n'est pas interdit de faire commerce de ce genre de produits. Ce matériel est envoyé ensuite dans des lieux qui concentrent une forte communauté irako-kurde. Évidemment, la route empruntée par le matériel n'est pas la même que celle des migrants, afin de ne pas mettre au jour ce trafic.

Le rescapé du 24 novembre que j'ai évoqué a payé 5 500 euros le passage entre Damas et Dunkerque, puis 3 200 euros la traversée de la Manche. Pour moins de 10 000 euros à son passeur, il aurait pu faire Bagdad-Londres. Ces réfugiés fuient la misère ou la détresse politique. Ce migrant est arrivé à Minsk, a traversé la Pologne à pied puis en véhicule, s'est arrêté à Sarrebruck. La police allemande l'a arrêté, sans papiers. Il a déposé une demande d'asile et il a été relâché. Mais il n'a pas voulu rester en Allemagne et est parti à Paris, puis à Calais. À Grande-Synthe, il a pu partir quelques heures après et a rencontré son second passeur pour traverser la Manche, avant le naufrage.

Le trafic de migrants n'est pas toujours considéré comme un trafic à la hauteur des moyens d'investigation qu'a la police française. La direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) a une cellule, la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) y travaille, mais elles n'ont pas les mêmes moyens d'écoute téléphonique ou d'interception que pour les réseaux terroristes.

Nous avons besoin absolument de la coopération avec la Grande-Bretagne. En juillet 2020, nous avons créé une cellule franco-britannique, avec des officiers de renseignement anglais à Coquelles. Certes, nous manquons de réponses lorsque nous demandons l'identification de numéros de téléphone britanniques trouvés sur des passeurs ou des complices. Les Britanniques n'ont pas très envie d'avouer qu'une grande partie des passeurs ou des responsables sont en Angleterre.

Nous travaillons avec Europol, qui a accepté, après ce drame, d'envoyer des officiers traitants dans la région de Calais. Nous travaillons aussi avec la Belgique et les Pays-Bas.

Sur le volet judiciaire, nous devons aussi davantage coopérer, notamment sur le matériel. Je remercie le gouvernement allemand du travail commun réalisé. Nous devons mieux comprendre comment cela fonctionne. On pourrait imaginer des facturations obligatoires pour les achats de bateaux, un achat en carte bancaire uniquement, et non en liquide, pour remonter les réseaux, voire des interdictions de vente dans certains cas. Mais c'est d'autant plus difficile qu'il s'agit de petit matériel se vendant extrêmement facilement partout en Europe et dont le commerce est difficile à contraindre.

Deuxième difficulté, notre relation avec l'Angleterre : nos amis britanniques n'ont plus de voies d'accès légales à leur pays. Comme toute démocratie, chacun peut y demander l'asile, mais encore faut-il pouvoir accéder à ce pays pour déposer une demande d'asile. Or, comme le tunnel et les ports leur sont fermés et que l'on contrôle encore plus l'espace aérien, il n'y a plus de voie légale d'accès. Depuis le Brexit, il n'y a pas de négociations frontalières avec nos amis britanniques. Nous n'avons plus de relations officielles sur l'immigration. Le seul moyen, pour les migrants, de rejoindre une partie de leur famille ou pour déposer une demande d'asile en Angleterre, c'est de prendre un small boat.

En Angleterre, il y a 1,2 million d'immigrés clandestins, soit le double de la France. On l'a vu dans les parcours des naufragés : nombre d'entre eux veulent rejoindre leur famille. Or les Anglais n'expulsent quasiment personne - 6 000 personnes par an -, tandis que la France expulse 30 000 personnes chaque année sur 600 000 immigrés clandestins. Le Parlement trouve parfois que ce n'est pas assez... En Angleterre, vous êtes quasiment sûr de ne pas vous faire expulser.

Le marché du travail britannique vit en grande partie sur le travail clandestin, ce que Karl Marx appelait « l'armée de réserve ». En Angleterre, vous pouvez travailler et payer des impôts alors que vous n'avez pas de papier, ce qui n'est pas le cas en France.

Il y a très peu de demandes d'asile en Angleterre : 30 000 par an, contre 150 000 en France. Il faut rétablir une voie légale pour passer en Angleterre, via un traité entre l'Union européenne et le Royaume-Uni. Durant ces longs mois, il y a eu des refus à la fois de la Commission européenne, mais surtout du Premier ministre britannique qui a fini par l'accepter et l'écrire noir sur blanc au Premier ministre français. Les Britanniques veulent que nous ouvrions des bureaux de demande d'asile en France, mais ce serait créer encore un appel d'air. Nous sommes prêts à recevoir des personnes reconduites à la frontière britannique. En contrepartie, nous souhaiterions que le regroupement familial et les demandes d'asile en Grande-Bretagne soient permis. On pourrait imaginer un échange d'un pour un, avec un solde migratoire nul. Cela diminuerait l'attractivité de la côte d'Opale, si les migrants étaient certains, après avoir passé la Manche, de devoir retourner en Europe, puis dans leur pays d'origine. Près de 60 % des migrants traversant la Manche sont éligibles au droit d'asile en France, mais seulement 3 % d'entre eux le demandent, malgré des relances. Ils veulent rejoindre leur famille ou travailler en Grande-Bretagne, pas rester en France.

M. François-Noël Buffet, président. - Vous n'avez pas évoqué les passages par Ceuta et Melilla de migrants qui remontent ensuite par l'Espagne, les Pyrénées et la Gironde. Ces migrations ne vont-elles pas jusqu'à Calais ?

M. Gérald Darmanin, ministre. - Ces migrations sont souvent marocaines et algériennes. Or il y a, en France, de grosses communautés originaires de ces pays. Beaucoup viennent pour du regroupement familial. Certains vont jusqu'à Calais ou Dunkerque, mais ce n'est pas la route principale.

M. Dany Wattebled. - Merci pour ces éléments précis.

La situation du Calaisis est alarmante. La jungle de Calais a été démantelée à plusieurs reprises. Or les migrants reviennent. Il y a eu 1 500 migrants à Grande-Synthe, puis 600... La législation britannique amène à un point d'achoppement, car, une fois la Manche passée, on peut travailler clandestinement. À cela s'ajoute un problème humain, lorsqu'on voit ces migrants périr en mer.

Jean-Pierre Decool avait réalisé un travail de terrain avec vous. Avez-vous progressé avec les Britanniques ? On a l'impression, comme pour le Brexit, que c'est tout pour eux, rien pour les autres. Les accords du Touquet étaient une grande avancée, mais on a l'impression qu'il n'y a pas de retour. Pour ma part, quand je n'ai pas de retour sur un accord, à un moment, j'arrête ! Les Britanniques sont actifs, mais ne jouent pas le jeu. À quel moment va-t-on arrêter ?

Les 62 millions d'euros ont-ils été versés ? C'est un pourboire pour tenir tout l'ensemble... C'est comme pour la pêche, où ils donnent quelques licences, mais jouent les prolongations pour les autres.

Comment limiter les flux migratoires ? Nos amis belges raccompagnent les migrants à la frontière française, poreuse, avec un plat pays. Ce n'est pas un sujet facile.

Enfin, je m'interroge sur les sanctions pénales applicables aux passeurs. Le trafic d'êtres humains relève quasiment du crime contre l'humanité. Aujourd'hui, les condamnations sont presque risibles. En tant que législateurs, nous aurions intérêt à montrer les crocs, car nous savons très bien que les dérives auxquelles nous assistons vont s'accélérer.

Mme Brigitte Lherbier. - Nous sommes très meurtris par les noyades du 24 novembre. Il est également très fréquent de retrouver des corps. Toute la côte est touchée.

La Société nationale de sauvetage en mer (SNSM) a dénombré 143 interventions sur la zone de Gris-Nez depuis le début de l'année 2021. Je rappelle qu'il s'agit d'une association à but non lucratif, essentiellement alimentée par des dons. Peut-on organiser tous ces sauvetages uniquement avec des dons ? Que compte faire le Gouvernement ? Les naufragés qui sont secourus sont-ils réellement pris en charge ?

Je voudrais être certaine que les bateaux misérables qui ont été saisis et qui sont vendus aux enchères ne retombent pas entre de mauvaises mains.

M. Jean-Yves Leconte. - La situation est très compliquée. Le Royaume-Uni a fermé quasiment toutes les voies légales. Cela a même été dénoncé au parlement britannique. Le Royaume-Uni n'est pas si attractif : certains veulent y aller, mais ce n'est pas le cas de tous ceux qui arrivent en Europe. Les Britanniques sont très fermes avec nous, mais, pour eux, une fois que les personnes ont passé la plage, tout va bien. Ils ne peuvent pas tout exiger de nous avec de tels principes.

Pouvez-vous nous confirmer que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) continue de faire des missions foraines ? Ne pensez-vous pas qu'il faudrait modifier certaines de nos dispositions en matière d'asile, afin qu'un demandeur puisse rapidement apprendre la langue et obtenir un travail ? Je comprends bien vos réserves quant aux missions foraines que l'équivalent britannique de l'Ofpra pourrait exercer auprès de Calais, mais il faut trouver une manière d'avoir des voies légales.

Quelles instructions en matière de biens personnels donnez-vous aux forces de l'ordre face à des personnes qui ont toute leur vie dans un sac à dos ?

Mme Catherine Di Folco. - Pouvez-vous faire un point sur la mission de médiation conduite par le préfet Didier Leschi ? Quelles étaient les revendications des militants associatifs qui ont fait une grève de la faim ? Des réponses ont-elles été apportées par l'État ? La situation s'est-elle apaisée ? Si oui, l'apaisement est-il durable ?

Mme Muriel Jourda. - De quoi parlez-vous lorsque vous indiquez qu'il y a quinze fois moins de migrants ? Selon le tableau que vous nous avez montré, 34 000 migrants passaient en 2019, contre 51 000 aujourd'hui.

Comment faites-vous pour établir qu'il y a 600 000 clandestins en France ? Dans nos rapports pour avis sur les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », nous déplorons souvent l'absence de décompte officiel.

Mme Nadine Bellurot. - Le Président de la République a exprimé l'ambition d'une réforme de l'espace Schengen pour protéger nos frontières, éviter les drames que vous avez évoqués et assurer la sécurité des Européens. Comment envisagez-vous concrètement le pilotage politique de Schengen ?

Le chef de l'État souhaite également la création d'un mécanisme de soutien d'urgence aux frontières en cas de crise. Pensez-vous pouvoir surmonter les fractures internes à l'Union européenne sur le sujet ?

À votre avis, le nouveau paquet migratoire européen verra-t-il le jour ?

M. Jean-Pierre Sueur. - Je remercie le président de la commission des lois d'avoir organisé ce débat en ces temps de discours extraordinairement démagogiques sur l'immigration. J'ai été sensible aux propos d'un ancien Président de la République expliquant que nous étions sans doute au début des phénomènes migratoires. Avec la crise écologique, ceux-ci vont s'accentuer. Un monde sans migrations n'existera jamais.

Il y a eu des scènes difficiles, avec des tentes lacérées. Quelles sont les relations entre l'État, les collectivités et les associations ? Parvenez-vous à trouver des solutions positives ? Face à une situation aussi difficile, il n'y a certainement pas de remède miracle. Vous faites en sorte que les personnes puissent être abritées dans d'autres lieux en France, mais encore faut-il qu'elles souhaitent y aller.

Quelle est votre analyse sur l'action de Frontex en mer du Nord, notamment s'agissant de la vigilance accrue à l'égard des embarcations et de leurs promoteurs ? À l'évidence, pour éviter les drames, il faut sanctionner. Y a-t-il suffisamment de moyens ? Que peut faire la France ?

Un nouveau traité entre le Royaume-Uni et l'Europe me semble incontournable. Je pense que tout sera fait au cours des six prochains mois pour y parvenir, même si cela ne sera sans doute pas facile. Le Royaume-Uni a une grande responsabilité en la matière.

M. François-Noël Buffet, président. - Je rappelle que Frontex est l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes.

M. Philippe Bonnecarrère. - Pouvez-vous nous apporter un éclairage sur l'environnement juridique des problématiques d'asile et d'immigration du côté britannique ? Nos voisins d'outre-Manche, qui n'expulsent pas les personnes arrivant sur leur territoire, élaborent une nouvelle législation, de notre point de vue totalement exorbitante. Pourtant, ils sont membres de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Et même si leur « système constitutionnel » diffère du nôtre, un embryon de contrôle de constitutionnalité semble se mettre en place.

Dans vos discussions avec le Royaume-Uni en vue d'un nouveau traité, quelle est la latitude de l'exécutif britannique ? Est-elle absolue ? Ou y a-t-il des contre-pouvoirs et des éléments d'équilibre juridique ?

M. Gérald Darmanin, ministre. - Je crois que nous avons progressé avec nos voisins d'outre-Manche. Nous avons tenu un langage de vérité au gouvernement britannique. Nos interlocuteurs ont eu besoin de quelques mois pour bien comprendre que nous n'étions ni leurs vassaux, ni leurs garde-frontières, ni leurs supplétifs.

Nous leur avons expliqué qu'il était absurde d'espérer 100 % de « non-traversée », qu'il était assez étonnant pour un pays si attaché à sa propre souveraineté de réclamer de pouvoir envoyer ses soldats ou ses policiers sur les plages d'un autre et qu'ils devaient participer financièrement à la protection de la frontière, conformément à leurs engagements. Nous nous sommes un peu fâchés, mais, désormais, ils payent.

La situation reste très difficile, pour trois raisons. D'abord, la crise liée à la covid mobilise tous les gouvernements, et singulièrement le gouvernement britannique. Ensuite, en dépit des déclarations du gouvernement Johnson selon lesquelles il n'y aurait plus d'immigration avec le Brexit, il n'y a jamais eu autant de personnes qui traversent la Manche. Enfin, nous sommes confrontés aux difficultés liées à la vie intérieure britannique : d'une part, le patronat anglais ne souhaite pas que les règles soient modifiées, et le gouvernement conservateur est sans doute assez attentif à son point de vue ; d'autre part, la Cour européenne des droits de l'homme donne souvent raison aux personnes souhaitant rester sur ce territoire.

En matière de condamnations, si certains ne croient pas au caractère dissuasif des sanctions, d'autres, dont je suis, estiment que le code pénal a tout de même des vertus. Le garde des sceaux souhaite porter la sanction en cas de trafic d'êtres humains de cinq à dix ans. Il y aura peut-être une difficulté juridique, car il faudra imaginer une nouvelle incrimination pénale. Il serait utile que le garde des sceaux et le Parlement y réfléchissent ensemble. On ne peut pas mettre sur le même plan l'action de militants aidant des personnes à venir sur notre territoire, même si je désapprouve leur comportement, et celle de passeurs qui se servent criminellement d'êtres humains pour gagner de l'argent.

Je partage le sentiment de Mme Lherbier sur la tragédie du 24 novembre et sur le travail extrêmement courageux de la SNSM. Nous devons en effet travailler à une meilleure répartition de ses moyens matériels et humains. L'option de subventions de la part des collectivités locales, voire de l'État ne doit pas être exclue. La ministre des armées annoncera dans quelques jours des moyens supplémentaires pour faciliter l'aide aux bateaux en détresse dans le nord de la France.

Les missions foraines de l'Ofpra sont un sujet intéressant. Une sous-préfecture à Dunkerque et une sous-préfecture à Calais font ce travail quasiment à plein temps. Le problème est que des personnes veulent rejoindre leur cousin, leur mère, leur fils ou leur fiancé au Royaume-Uni : nous aurons beau leur proposer les meilleures conditions du monde, le lien familial, filial, amoureux ou affectif l'emportera toujours. Mais nous ne renonçons pas. J'ai d'ailleurs demandé qu'il y ait une grande campagne de communication sur le sujet.

Lors des évacuations de squat ou de jungle, les affaires des migrants sont désormais entreposées dans une consigne et classées nominativement, et les intéressés ou les associations peuvent aller les récupérer. Le mot d'ordre est extrêmement clair : il n'y a plus de privation de biens personnels.

Lorsque les policiers et les gendarmes mènent des opérations d'évacuation, c'est souvent à la demande des maires, par exemple de Calais, de Dunkerque ou de Grande-Synthe - vous aurez noté la très grande hétérogénéité politique de ces élus -, pour des raisons de lutte contre l'insalubrité. Nous ne pouvons pas laisser des femmes et des enfants vivre sans eau, électricité, gaz et sécurité. Depuis le 1er janvier 2021, nous avons relogé 14 400 migrants. Mais certaines personnes ne souhaitent pas être relogées, car elles veulent rester près de la mer pour pouvoir aller en Angleterre. Le discours sur la nécessité de ne pas démanteler les camps au nom de l'humanité est contre-productif. Cela revient à laisser les migrants dans la main des passeurs, ce qui est tout à fait inacceptable.

La question des affaires des migrants faisait partie des revendications des grévistes de la faim. J'ai chargé M. Leschi d'une mission de médiation.

À ma connaissance, des tentes n'ont été lacérées que dans le Nord, pas dans le Pas-de-Calais, et après des interventions de police : cela n'a jamais été le fait des policiers ou des gendarmes. La préfecture du Nord avait contracté un marché avec une société qui prévoyait de récupérer un certain nombre de biens, notamment des tentes, pour pouvoir les détruire. J'ai demandé aux préfets du Nord et du Pas-de-Calais de désormais bien préciser dans les appels d'offres qu'aucune tente ne devait être lacérée.

Si certaines revendications, comme sur les affaires, sont légitimes, d'autres ne sont pas recevables. Encore une fois, s'opposer au démantèlement des camps, c'est acter la reconstitution des jungles. Tous les gouvernements, quelle que soit leur couleur politique, ont dû procéder à des démantèlements.

Nous ne pouvons pas laisser, sous couvert de bonne conscience, des camps se reconstituer quand les personnes vivent dans des conditions de salubrité déplorables et sont dans la main des passeurs, sans parler des difficultés occasionnées pour les riverains.

Sur la question des revendications militantes, la mission de médiation confiée à Didier Leschi a été utile. Vous avez vu que les grèves de la faim ont cessé. Nous sommes parvenus à trouver un dialogue.

Comment est-ce que je parviens au chiffre de 600 000 clandestins ? D'abord, je me réfère au livre de Patrick Stéfanini, dont l'estimation s'élève entre 600 000 et 800 000 ; ensuite, sachant qu'il y a 380 000 bénéficiaires de l'aide médicale d'État (AME), je peux évaluer que le nombre effectif de clandestins approche le double, en considérant qu'un clandestin sur deux ne fait pas valoir ses droits parce qu'il ne les connaît pas. Ce chiffre ne répond donc pas aux critères rigoureux de la science, mais il me semble réaliste dans ses proportions.

L'espace Schengen a été créé quand l'objectif était d'assurer la libre circulation des personnes, au service du rêve européen, avec un marché économique prospère. C'est un grand acquis de la construction européenne, mais il n'a pas été inventé en pleine vague de terrorisme. C'est pourquoi nous avons rétabli quelque 4 000 policiers et gendarmes aux frontières intracommunautaires. Il n'y a jamais eu autant de contrôles à ces frontières. C'est une décision de François Hollande, que nous avons renforcée après l'attentat de Nice.

En ouvrant l'espace Schengen, nos prédécesseurs n'avaient pas prévu que les frontières extérieures de l'Europe seraient aussi poreuses qu'elles le sont devenues et, si nous sommes favorables à la libre circulation intracommunautaire, c'est à la condition que les frontières extérieures soient tenues. Or ce que nous voyons, ce sont des flux migratoires importants et une incapacité de l'Union européenne à imposer une sorte d'harmonisation de la politique migratoire avec des frontières extérieures maitrisées. Lors de la présidence française de l'Union, nous porterons le projet de la Commission européenne d'un screening systématique des personnes entrant sur le territoire européen, pour distinguer très vite ceux qui sont considérés comme éligibles à l'asile de ceux qui ne le sont pas et qui auront alors une réponse de non-admission. Le screening aura aussi l'avantage, par exemple, de prendre date dans toute procédure : si le mineur non accompagné qui aura déclaré avoir 17 ans lors d'un contrôle en Espagne se déclare encore mineur dix-huit mois plus tard lors d'un contrôle à Paris, nous aurons une preuve à lui opposer, indépendamment des tests osseux, dont on connaît les difficultés.

Pour résumer l'idée du Président de la République, il faut traiter l'immigration comme un problème politique, et pas seulement technique. Il faut gouverner la zone Schengen comme nous gouvernons la zone euro. Il est normal qu'un continent souverain contrôle les entrées sur son territoire. Ce contrôle serait confié aux ministères de l'intérieur des pays membres, comme il appartient aux ministères de l'économie de gérer l'euro. C'est une révolution dans la façon dont l'Europe envisage le sujet. La Commission européenne travaille sur des réformes importantes, en particulier sa proposition de pacte migratoire. La présidence française va y travailler, et je crois savoir que l'Allemagne est d'accord avec notre façon de voir les choses.

Quelles sont les relations avec les collectivités territoriales et avec les associations ? Les collectivités sont fatiguées - c'est le cas de Calais, qui connaît cette situation depuis longtemps. Elles sont solidaires, et je les en remercie. Elles engagent des dépenses publiques pour le ramassage des ordures, pour l'accompagnement social, l'écoute, la formation, la sécurité, des dépenses que l'État ne compense pas intégralement - nous en discutons ensemble. Les collectivités et les associations entretiennent parfois des relations tendues. L'État peut même intervenir à la demande des collectivités contre les options prises par les associations.

La maire de Calais, par exemple, m'a demandé, à cause de problèmes de sécurité, de ne plus faire distribuer de repas en centre-ville, sachant que l'État y distribue 2 200 repas quotidiens, pour un montant de 4 millions d'euros. Le préfet a donc pris un arrêté d'interdiction, qui a été contesté en justice. Le tribunal administratif nous a donné raison, puis le Conseil d'État, mais que n'ai-je entendu alors... Il y a des moments où la collectivité locale demande à l'État des interventions qui sont en contradiction avec ce que demandent les associations, et le rôle du ministre, c'est de concilier les positions, dans le sens de l'intérêt général.

Côté associations, je dirais qu'il y a deux types d'attitudes. Il y a les associations qui, même si elles contestent la politique conduite par le Gouvernement, acceptent de coopérer, de recevoir de l'aide publique pour accompagner les migrants dans le logement, la santé, le soutien scolaire, et il y a celles qui refusent toute coopération, tout lien avec les pouvoirs publics - je pense en particulier à une dizaine d'associations de droit britannique présentes sur notre littoral, avec des militants britanniques qui aident les migrants à traverser la Manche, ce que nous avons signalé au gouvernement britannique, qui est toujours preste à exiger de nous que nous empêchions tout départ depuis nos côtes, mais qui ne contrôle même pas l'aide qu'y apportent ses propres ressortissants.

Sommes-nous au début du sujet migratoire ? Oui, je le pense, en raison de nombreux facteurs : la crise climatique, les crises politiques, le manque de travail... Il y a aussi le développement même des pays pauvres, lequel, contrairement à ce que l'on entend dire, sera un facteur de migrations : c'est quand les pays se développent qu'il y a plus de candidats au départ disposant de moyens de partir, d'aller faire faire des études à leurs enfants en Europe. Ce constat va à l'encontre de l'idée qu'en aidant les pays d'origine on limitera les départs, mais c'est ce qui se passe dans la réalité, et c'est ce que connaissent par exemple des pays comme l'Algérie, qui est une terre d'émigration vers l'Europe, mais aussi d'immigration depuis les pays subsahariens. En tout état de cause, personne n'a de baguette magique, contrairement à ce que certains veulent faire croire dans le débat public.

Frontex, ensuite, n'est pas très présente dans les situations difficiles. En arrivant au ministère de l'intérieur, j'avais demandé la surveillance des nouvelles frontières avec le Royaume-Uni. Quelques mois plus tard, Frontex me répond qu'un avion britannique assurera la surveillance de la frontière... Or les règles d'équité dans la protection des données m'ont fait valoir qu'il ne serait pas judicieux qu'un avion britannique assure cette surveillance, et c'est finalement un avion danois qui nous aide. Faut-il des agents de Frontex au sol ? Je ne le crois pas, mais cela ne nous empêche pas de penser que Frontex est perfectible. Je me rendrai la semaine prochaine à son siège, en Pologne, et je m'entretiendrai aussi avec les responsables de la Commission européenne, en préparation de la présidence française. Nous recherchons à améliorer le mécanisme intergouvernemental qui permettrait à quelques États d'agir face à des situations particulières.

M. Jean-Yves Leconte. - Je reste sur ma faim quant à l'absence de voie légale en Grande-Bretagne.

M. Gérald Darmanin, ministre. - Ce serait une façon de donner plus de poids encore aux Anglais. En effet, si nous acceptions d'être le bureau d'asile du Royaume-Uni, en gardant ses frontières - alors qu'aucun pays au monde ne fait garder sa frontière par un autre pays... -, nos voisins continueraient de ne pas accorder l'asile, et les candidats continueraient de vouloir traverser clandestinement.

En revanche, en créant une voie légale, comme nous le proposons, nous répondrions en Européens et nous enlèverions une manne aux passeurs. Je ne vois pas pourquoi une grande démocratie comme le Royaume-Uni ne l'accepterait pas.

M. François-Noël Buffet, président. - Nous aurons l'occasion d'y revenir, en particulier lors d'un débat que nous consacrerons au sujet en mai prochain. Je ne saurais trop recommander la lecture d'un rapport que le Sénat a consacré, en 2017, à l'espace Schengen.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 45.