Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Commission spéciale de vérification des comptes (Candidatures)

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances (Candidatures)

Modification de l'ordre du jour

Rappel au Règlement

Immigration, intégration et asile (Urgence - Suite)

Discussion des articles (Suite)

Article premier

Article 4 (Appelé en priorité)

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (Nominations)

Commission spéciale chargée de vérifier et d'apurer les comptes (Nominations)

Immigration, intégration et asile (Urgence - Suite)

Discussion des articles (Suite)

Article 4 (Appelé en priorité - Suite)

Article 5 bis




SÉANCE

du mercredi 3 octobre 2007

3e séance de la session ordinaire 2007-2008

présidence de M. Jean-Claude Gaudin,vice-président

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Commission spéciale de vérification des comptes (Candidatures)

M. le président. - L'ordre du jour appelle la nomination des membres de la commission spéciale chargée de vérifier et d'apurer les comptes.

Conformément à l'article 8 du règlement, la liste des candidats remise par les bureaux des groupes a été affichée.

Cette liste sera ratifiée s'il n'y a pas d'opposition dans le délai d'une heure.

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances (Candidatures)

M. le président. - L'ordre du jour appelle la désignation de deux membres de la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Le groupe du RDSE m'a fait connaître qu'il proposait la candidature de M. Georges OTHILY.

Le groupe CRC m'a fait connaître qu'il proposait la candidature de Mme Odette TERRADE.

Ces deux candidatures ont été affichées. Elles seront ratifiées si la Présidence ne reçoit pas d'opposition dans le délai d'une heure.

Modification de l'ordre du jour

M. le président. - Par lettre en date de ce jour, M. le Secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement a demandé au Sénat de bien vouloir siéger le jeudi 4 octobre au soir pour la suite de l'examen du projet de loi relatif à l'immigration, à l'asile et à l'intégration. Il reste quelque 190 amendements à examiner sur des questions qui méritent un débat approfondi de la part du Sénat.

Par ailleurs, le Gouvernement a inscrit à l'ordre du jour du mercredi 10 octobre après-midi le projet de loi relatif à la violation des embargos et autres mesures restrictives. S'il n'y a pas d'opposition, je donne acte de cette communication et le Sénat siégera le mercredi 10 octobre à 15 heures pour l'examen de ce projet de loi.

Rappel au Règlement

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Plutôt que de tenir jeudi une troisième séance de nuit consécutive, nous aurions pu continuer mercredi prochain l'examen du texte sur l'immigration, vu que la faiblesse du Parlement fera que nous ne débattrons plus des régimes spéciaux de retraite. Mais je constate que vous avez déjà prévu un nouvel ordre du jour pour mercredi, la place est prise. Quoiqu'il en soit, nous regrettons que l'organisation de nos travaux soit à ce point incertaine et mouvante ! (On parle de bon plaisir sur les bancs socialistes)

M. le président. - Je vous donne acte de votre rappel au Règlement. Je salue chaleureusement Mme Odette Terrade, qui retrouve son siège parmi nous : bienvenue, ma chère collègue ! (Applaudissements)

Immigration, intégration et asile (Urgence - Suite)

Discussion des articles (Suite)

M. le président. - L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile.

Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus aux amendements n°s79 et 125 tendant à supprimer l'article premier.

Je rappelle au Sénat que l'article 4 ainsi que l'amendement n°94, tendant à insérer un article additionnel après l'article 4, seront examinés en priorité après l'article premier.

CHAPITRE IER

Dispositions relatives à l'immigration pour des motifs de vie privée et familiale et à l'intégration

Article premier

Après l'article L. 411-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il est inséré un article L. 411-8 ainsi rédigé :

« Art. L. 411-8. - Pour lui permettre de préparer son intégration républicaine dans la société française, le ressortissant étranger âgé de plus de seize ans et de moins de soixante-cinq ans pour lequel le regroupement familial est sollicité bénéficie, dans son pays de résidence, d'une évaluation de son degré de connaissance de la langue et des valeurs de la République. Si cette évaluation en établit le besoin, l'autorité administrative organise à l'intention de l'étranger, dans son pays de résidence, une formation dont la durée ne peut excéder deux mois, au terme de laquelle il fait l'objet d'une nouvelle évaluation de sa connaissance de la langue et des valeurs de la République. Le bénéfice du regroupement familial est subordonné à la production d'une attestation de suivi de cette formation qui doit être délivrée dans le mois suivant la fin de ladite formation, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État. Ce décret précise notamment le délai maximum dans lequel les résultats de l'évaluation doivent être communiqués, le délai maximum dans lequel l'évaluation et la formation doivent être proposées, le nombre d'heures minimum que cette dernière doit compter, les motifs légitimes pour lesquels l'étranger peut en être dispensé ainsi que les modalités selon lesquelles une commission désignée par le ministre chargé de l'immigration conçoit le contenu de l'évaluation portant sur la connaissance des valeurs de la République. »

M. le président. - Amendement n°79, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe CRC.

Supprimer cet article.

Mme Éliane Assassi. - L'évaluation du niveau de connaissance du français et des valeurs de la République devrait, selon le Gouvernement, « préparer l'intégration républicaine dans la société française et éviter le communautarisme ». Le chemin du regroupement familial est déjà très long, cette exigence supplémentaire rend son issue parfaitement hypothétique. Avec les nouvelles conditions de ressources, le contrat d'accueil et d'intégration pour les familles, les tests ADN, cette évaluation restreint l'accès au regroupement familial. L'administration a déjà du mal à traiter les dossiers dans des délais raisonnables, la formation à la langue et aux valeurs de la République va tenir les familles éloignées plus longtemps encore. Cette mesure porte atteinte au droit de vivre en famille, droit inaliénable et protégé par la convention européenne des droits de l'homme et la convention européenne de 1989 relative aux droits de l'enfant.

Nous autoriserions un étranger à venir travailler chez nous, mais pas sa famille à le rejoindre : quel pays ose se comporter ainsi ? A force de restreindre le droit de vivre en famille, ne craignez-vous pas que l'étranger ne rejette la société qui prétend l'accueillir de cette façon ? Qui évaluera le niveau du candidat au regroupement familial ? Qui prendra la formation en charge ? Ne va-t-on pas discriminer les étrangers, selon qu'ils sont ou non francophones ? Vous demandez aux étrangers de connaître les valeurs de la République, alors que votre politique tourne le dos aux valeurs les plus sacrées de notre République : la liberté, l'égalité, la fraternité, la solidarité, la coopération, le respect du vivre ensemble ! Nous préférons supprimer l'article.

M. le président. - Amendement identique n°125, présenté par Mme Michèle André et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Mme Michèle André. - Cet article contrevient effectivement au droit de vivre en famille. La réalité, et c'est l'agence nationale d'accueil des étrangers et des migrations (ANAEM) qui le rappelle, c'est que 71 % des personnes concernées maîtrisent déjà le français. Mais cette contrainte supplémentaire rendra les visas plus difficiles d'accès, en particulier pour tous ceux qui habitent loin du consulat français ! Les délais seront encore allongés, les difficultés accrues et avec elles le nombre de sans-papiers, en particulier des femmes qui voudront rejoindre leur époux.

M. le président. - Amendement n°127, présenté par Mme Michèle André et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Dans la première phrase du texte proposé par cet article pour  l'article L. 411-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, remplacer les mots :

âgé de plus de seize ans

par le mot :

majeur

M. Louis Mermaz. - Nous contestons cet article sur le plan de la morale même. Cependant, pour éviter le pire et puisque notre amendement de suppression a peu de chance d'être adopté, nous proposons cet amendement de repli.

Le projet de loi soumet certains bénéficiaires, ou plutôt certaines victimes, du regroupement familial à de nouvelles conditions telles que la connaissance de la langue française et des valeurs de la République.

Pourtant, la loi du 27 juillet 2006 avait instauré, pour ces mêmes personnes, le contrat d'accueil et d'intégration, qui prévoyait une formation linguistique et civique. Puisqu'un mécanisme d'intégration existe déjà, pourquoi en créer un nouveau ? On nous dit que l'intégration de la personne qui aura été formée dans son pays d'origine sera plus aisée. Mais comment expliquer alors que nous envoyions nos propres enfants apprendre les langues vivantes à l'étranger ? Ce qui est bon pour nous ne le serait pas pour les enfants originaires du sud de la planète ?

M. Gérard Delfau. - Très bien !

M. Louis Mermaz. - Avez-vous pensé aux coûts de transport et d'hébergement pour les enfants de 16 ans qui devront suivre une formation linguistique loin de chez eux ? Ce que vous proposez est déraisonnable, inapplicable et dangereux et je pense que M. Raffarin ne me démentira pas. Il faut donc voter cet amendement de soulagement.

M. le président. - Amendement n°48, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin, Voynet et MM. Desessard et Muller.

Dans la première phrase du texte proposé par cet article pour l'article L. 411-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, remplacer le mot :

seize

par le mot :

dix-huit

Mme Alima Boumediene-Thiery. - La Cour européenne des droits de l'homme considère les mineurs comme des personnes vulnérables qui doivent bénéficier d'un traitement particulier : « pour un parent et son enfant, être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale ». Or ce projet de loi, loin de faciliter le regroupement familial, le rend plus difficile alors que tel n'est pas le cas en Norvège, en Suède ou en Finlande.

En outre, ce texte est contraire à l'article 10 de la Convention relative aux droits de l'enfant qui dispose que « toute demande faite par un enfant ou ses parents en vue d'entrer dans un État partie aux fins de réunification familiale est considérée par les États parties dans un esprit positif, avec humanité et diligence ». L'article 3-1 précise que l'intérêt des enfants doit primer dans toutes les décisions prises par les institutions publiques ou privées de protection sociale, les tribunaux, les autorités administratives ou les organes législatifs.

A son tour, le Conseil d'État a rappelé que l'article 3 de cette Convention, qui protège « l'intérêt supérieur de l'enfant », peut utilement être invoqué devant le juge.

M. le président. - Amendement identique n°80, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe CRC.

Mme Éliane Assassi. - Les mineurs auront beaucoup plus de mal à suivre une formation linguistique dans leur pays d'origine et il est évident que l'apprentissage du français sera plus aisé dans le cadre des relations sociales nouées en France. D'ailleurs, les jeunes Français ne vont-ils pas à l'étranger pour suivre des stages linguistiques ? Pourquoi ce qui est bon pour eux ne le serait pas pour des enfants venus chez nous rejoindre un parent ?

Prévoir une obligation de formation pour les jeunes de 16 à 18 ans ne sera pas sans conséquences sur les regroupements familiaux et il est à craindre que les réponses administratives arrivent trop tard et que les mineurs soient devenus, entre temps, majeurs.

M. le président. - Amendement n°47, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin, Voynet et MM. Desessard et Muller.

Dans la deuxième phrase du texte proposé par cet article pour l'article L.  411-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, remplacer le mot :

Organise

par les mots :

, ou les services déconcentrés de celles-ci, organisent

Amendement n°46, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin, Voynet et MM. Desessard et Muller.

Dans la deuxième phrase du texte proposé par cet article pour l'article L. 411-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, après le mot :

Organise

insérer les mots :

dans les plus brefs délais

Mme Alima Boumediene-Thiery. - Cet article est discriminant puisque ce sont les enfants issus des familles les plus pauvres qui ne pourront pas suivre de formation, les coûts du trajet, de l'hébergement et de la formation elle-même étant prohibitifs. Il faut donc prévoir des sites décentralisés pour permettre aux enfants de toute condition d'y avoir accès.

M. le président. - Amendement n°1, présenté par M. Buffet au nom de la commission.

Remplacer les deux dernières phrases du texte proposé par cet article pour l'article L. 411-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile par trois phrases ainsi rédigées :

 La délivrance du visa est subordonnée à la production d'une attestation de suivi de cette formation. Cette attestation est délivrée immédiatement à l'issue de la formation. Un décret en Conseil d'État fixe les conditions d'application de ces dispositions, notamment le délai maximum dans lequel l'évaluation et la formation doivent être proposées à compter du dépôt du dossier complet de la demande de regroupement familial, le nombre d'heures minimum que la formation doit compter ainsi que les motifs légitimes pour lesquels l'étranger peut en être dispensé. 

M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois. - Les députés ont prévu qu'une commission serait chargée de mettre au point le test de connaissance des valeurs de la République. Nous estimons qu'une telle décision relève du pouvoir réglementaire.

Concernant le respect du délai d'examen des demandes de regroupement familial, il convient de préciser que l'autorité administrative compétente convoque l'étranger en vue de passer le test dès qu'elle est informée du dépôt d'une demande de regroupement familial, afin d'éviter de perdre trop de temps.

Enfin, la précision introduite par l'Assemblée nationale selon laquelle le décret d'application fixe le délai maximum dans lequel les résultats de l'évaluation seront communiqués doit être supprimée. Compte tenu de la simplicité du test, les résultats devront être donnés instantanément.

M. le président. - Sous-amendement n°75, à l'amendement n 1 de M. Buffet au nom de la commission, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin, Voynet et MM. Desessard et Muller.

Dans la dernière phrase du second alinéa de l'amendement n°1, après le mot : 

familial,

insérer les mots :

le contenu de la formation

Mme Alima Boumediene-Thiery. - Que faut-il entendre par « valeurs de la République » ? Liberté, égalité, fraternité, certes. Mais faudra-t-il connaître aussi un couplet de la Marseillaise, les couleurs de notre drapeau et leur signification ?

Avons-nous tous la même perception de ces valeurs ?

M. Jean-Pierre Raffarin. - Bien sûr !

Mme Alima Boumediene-Thiery. - Si c'est le cas, il sera aisé de définir un corpus de valeurs dans le cadre du décret. L'Assemblée nationale a voulu créer une commission. Ce n'est pas nécessaire puisqu'il s'agit simplement de définir le contenu de la formation pour que l'étranger puisse se préparer.

Même s'il n'y a pas d'examen à la clé, précisons que le décret fixera le contenu de la formation.

Il serait intéressant, monsieur le ministre, que vous définissiez quelles sont, à vos yeux, les valeurs de la République. Je me suis posé la question à plusieurs reprises, sans pouvoir y répondre de façon certaine, alors que je suis une républicaine convaincue.

M. le président. - Amendement n°81, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe CRC.

Dans la dernière phrase du texte proposé par cet article pour l'article L. 411-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, après le mot :

dispensé

insérer les mots :

en raison notamment de la distance géographique, de la situation politique du pays, de la situation économique et personnelle du demandeur

Amendement n°82, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe CRC.

Compléter le texte proposé par cet article pour l'article L. 411-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile par une phrase ainsi rédigée :

En cas de non respect de ces délais, le demandeur est dispensé du suivi de la formation.

Mme Éliane Assassi. - Les motifs légitimes pour lesquels l'étranger sera dispensé de formation seront fixés par décret. Nous proposons de préciser les critères retenus puisque la délivrance des visas sera subordonnée au suivi de la formation.

Nous souhaitons également prévoir une sanction en cas de non respect par l'administration des délais prévus par cet article. Fixer des délais ne garantit en effet en rien qu'ils soient respectés.

Je souhaite éviter que les difficultés de mise en route de votre dispositif ne pénalisent les demandeurs.

M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Avis défavorable aux amendements 79 et 125 car l'article crée une simple obligation de moyens afin que les demandeurs puissent bénéficier d'un système de formation.

Pourquoi exclure les 16-18 ans ? Ils ne sont pas soumis à l'obligation scolaire : avis défavorable à l'amendement 127, ainsi qu'aux amendements 48 et 80.

Comment des services déconcentrés pourraient-ils organiser des formations à l'étranger ? Avis défavorable à l'amendement 47.

L'amendement 46 est satisfait par celui de la commission, j'en demande le retrait.

Avis favorable au sous-amendement 75, sous réserve d'une correction formelle et d'y rajouter une virgule après le mot « famille » et une autre après le mot « formation ».

Avis défavorable à l'amendement 81 car le projet renvoie au décret, ainsi qu'à l'amendement 82 puisqu'un délai maximum a déjà été prévu et qu'il faut éviter que l'administration en fixe un si long que cela se retournerait contre les demandeurs.

M. Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement. - Mme Michèle André s'est interrogée sur l'organisation de l'évaluation. Nous partons de ce postulat et de cette conviction que, pour s'intégrer, il faut disposer d'une connaissance élémentaire de la langue : pour étudier, pour trouver un logement, un travail ou pour faire ses courses, il vaut mieux connaître le français. Cela pourra aussi contribuer lutter contre le communautarisme. Ceux qui ne passent pas le test de quinze minutes pourront bénéficier d'une formation, laquelle n'est pas sanctionnée par un diplôme mais l'assiduité permet d'apprécier la motivation. Je ne citerais pas les sondages si un bloc d'enquêtes n'avait montré que 74 % des Français approuvent cette mesure.

M. Louis Mermaz. - Ils étaient 80 % à approuver les accords de Munich. (Murmures à droite)

M. Michel Charasse. - Et 100 % approuvent la suppression des impôts.

M. Brice Hortefeux, ministre. - Y avait-il des sondages du temps d'Édouard Daladier ?

M. Charasse préfèrerait qu'on définisse les principes plutôt que les valeurs de la République mais celles-ci sont déjà définies par le code de l'entrée et du séjour des étrangers. Il s'agit d'une présentation des institutions françaises, des principes d'égalité entre homme et femme, de laïcité, d'État de droit...

M. Robert Bret. - Les Français les connaissent-ils ?

M. Brice Hortefeux, ministre. - Les amendements 79 et 125 supprimeraient un moyen supplémentaire d'intégration pour les étrangers, avis défavorable, ainsi qu'aux amendements 127, 48 et 80 qui excluraient les 16-18 ans alors qu'ils ne sont pas soumis à l'obligation scolaire. L'amendement 47 est du domaine réglementaire mais je comprends votre préoccupation et la formation sera adaptée au contexte. L'ANAEM n'a que...

M. Richard Yung. - ...six

M. Brice Hortefeux, ministre. - ... bureaux. Il faudra donc faire appel aux lycées français, aux alliances françaises, aux centres culturels et à des organismes privés agréés.

L'amendement 46 n'est pas normatif. Les délais seront respectés.

Avis favorable au sous-amendement 75. Depuis 2006, la formation est établie en liaison avec le Haut conseil à l'intégration. L'amendement 1, sous-amendé, apporte d'utiles précisions : avis favorable à cette simplification.

Enfin, avis défavorable aux amendements 81, parce que le décret prévoira les motifs légitimes de dispense, et 82, parce que tout se fera dans le respect des délais fixés par le Conseil constitutionnel.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. - Plus encore que l'article 4, l'article 1 signe un terrible constat d'échec pour la francophonie. Les migrants visés viennent d'abord de pays francophones, du Maghreb et d'Afrique subsaharienne. La France y mène une politique de coopération et leurs ressortissants ont conservé des liens avec elle. Et voilà qu'on se rend compte que ces familles, qui ont un membre en France, ne connaissent pas un mot de français. Quel échec terrifiant ! (Murmures sur les bancs UMP) Vous faites fi des études menées par la Délégation générale à la langue française et aux langues de France mais, dans son rapport 2005, celle-ci s'interrogeait sur les exigences de niveau à formuler et les objectifs réalistes à retenir.

J'ai enseigné le français comme langue étrangère pendant plus de vingt ans en Tunisie. En 80 ou 120 heures de cours, croyez-vous que des jeunes ou des femmes n'ayant eu auparavant aucun contact avec la langue française pourront apprendre quelque chose ? Cela n'a pas de sens.

Il serait plus sérieux de faire du contrat d'accueil et d'intégration un dispositif réellement professionnel, au lieu de confier l'enseignement du français à des associations qui, voyant leurs subventions baisser, confient les cours à des bénévoles. Or, ce n'est pas parce que l'on sait se coiffer que l'on peut être coiffeur, ou parce que l'on parle français que l'on peut l'enseigner. Appliquons les lois précédentes avant de créer de nouvelles dispositions, contestables d'un point de vue pédagogique. Aujourd'hui, aucun examen n'est requis à l'issue de la formation, mais il est probable que la prochaine loi, dans six mois, dans un an, l'exigera.

M. Brice Hortefeux, ministre. - Sans mettre en doute votre sincérité, je confesse que je ne vous comprends pas.

M. Bernard Frimat. - On vous expliquera !

M. Brice Hortefeux, ministre. - Vous avez le souci de la francophonie mais, contrairement à une idée répandue, le nombre de locuteurs français dans le monde augmente : ils étaient 175 millions il y a dix ans et sont aujourd'hui 200 millions.

Comment pouvez-vous affirmer que cette disposition, qui prévoit un enseignement du français, irait à l'encontre de la francophonie ? Qu'il faille du temps pour maîtriser la langue française, j'en conviens, mais, en l'espèce, il ne s'agit pas de la dictée de Bernard Pivot ! Quelques mots usuels suffisent pour, à l'arrivée en France, pouvoir converser, faire ses courses ou trouver du travail. Ne dénaturez pas le dispositif. (Applaudissements à droite)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Nos débats seraient donc guidés par l'opinion. S'il en est ainsi, il faut également prendre en compte un sondage récent selon lequel plus de la moitié des Français considèrent que les parlementaires ne servent à rien.

M. Jean-Patrick Courtois. - Cela dépend lesquels !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Si nous suivons si aveuglément l'opinion, nous pourrions donc enterrer le Parlement...

M. Jean-Patrick Courtois. - Démissionnez !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. -  ...avant qu'il ne s'enterre lui-même par son incapacité, sur ce projet de loi comme sur d'autres, à jouer son rôle et à effectuer le b-a ba de sa mission : réfléchir à l'éthique, aux valeurs de la République... Nous sommes guidés par le Gouvernement, qui lui-même suit des sondages biaisés. Or, notre rôle d'élus est de réfléchir pour élaborer la loi, notre bien commun.

Je constate tout d'abord une contradiction entre le fait de reconnaître que l'État, lorsqu'il accueille un étranger sur son territoire, doit lui enseigner certaines valeurs dans le cadre du contrat d'accueil et d'intégration - je préférerais une vraie politique d'intégration-, et le nouvel impératif contenu dans ce texte, selon lequel il faudrait commencer cette instruction avant l'arrivée en France. Comment concilier cela ? Il vaudrait mieux dire clairement que c'est à l'État qui accueille de faciliter l'apprentissage de la loi et du mode de vie.

Ensuite, concernant l'âge des étrangers concernés : la majorité en France est toujours à 18 ans, même si vous avez tendance à envoyer des enfants de plus en plus jeunes en prison. Dans cet article, les mineurs de 16 à 18 ans sont considérés comme des adultes et doivent suivre les mêmes règles que ces derniers pour rejoindre leur famille. Or, ce sont encore des enfants, et vous faites fi des conventions internationales.

Enfin, comment peut-on demander aux étrangers ce qu'on n'accepterait pas pour des Français ? Ainsi de la connaissance des valeurs de la République, qui sont mal ou pas du tout définies dans le projet de loi. Or, selon certaines enquêtes, nos concitoyens sont peu au fait du fonctionnement des institutions. Il en est de même de la notion de laïcité. Et que se passerait-il si l'on obligeait nos concitoyens à l'étranger à se conformer aux valeurs du pays où ils se trouvent, s'ils devaient, par exemple, dans un état confessionnel, prêter serment sur la Bible ou le Coran ? On se conduit de façon anormale envers des ressortissants d'États souverains. C'est au pays d'accueil de faire en sorte que toute personne présente sur son territoire se conforme aux principes fondamentaux et aux lois en vigueur, dont le non-respect est sanctionné. N'oublions pas que les étrangers n'ont même pas le droit de vote. Et combien de Français connaissent par coeur le premier couplet de la Marseillaise ? (Applaudissements à gauche)

M. David Assouline. - Cet article reflète l'esprit général de cette loi. En matière d'immigration, la majorité alimente l'amalgame et la confusion pour provoquer des réflexes de peur, d'exclusion et de repli sur soi. Les deux précédentes lois sur le sujet n'ont même pas été évaluées que l'on veut créer des restrictions supplémentaires. Au sein de la majorité, vous savez que le sujet est compliqué et que ces nouvelles dispositions auront peu de succès. Mais vous tenez à restreindre l'immigration et à amalgamer immigration de travail, familiale ou politique. Ainsi, le droit de vivre en famille ou de trouver un asile politique en France n'est pour vous que le droit de frauder et de contourner la loi. Ce message est clair dans les interventions de l'UMP hier ici-même ou dans les milieux que vous fréquentez. Vous considérez les droits qui existent en France comme un moyen supplémentaire de contourner la loi et de frauder. C'est un vieux débat que celui des droits de l'homme, entre ceux qui les défendent et ceux qui veulent les restreindre. Si on veut juger la valeur d'un droit à l'impossibilité de le contourner, où va-t-on ?

Le droit de vivre en famille est fondamental, inaliénable. En le restreignant, vous vous attaquez à l'immigration légale, aux familles qui veulent rejoindre un travailleur migrant légalement installé en France. Vous savez parfaitement que, pour une femme qui souhaite retrouver son mari et qui habite dans un village à 200 kilomètres de l'endroit où elle peut passer le test et effectuer la formation, le dispositif est absolument dissuasif. En l'absence de possibilité d'immigration régulière, les liens de la famille et de l'amour poussent certains à franchir les mers. Il s'agit de valeurs fondamentales que vos restrictions n'arrêteront pas facilement.

Des réseaux mafieux assureront la venue en France des épouses de bonne foi. C'est ainsi que l'on alimente l'immigration clandestine.

Quant à l'intégration, elle est assurée d'abord par l'exercice des droits fondamentaux. A-t-il des droits celui qui doit se cacher, se terrer, se faufiler en craignant pour ses enfants scolarisés, celui qui n'ose aller aux Restos du coeur de crainte d'être arrêté ? Pour s'intégrer, il faut pouvoir bénéficier des droits.

Les tests de français ? La venue dans notre pays est un élan qui vaut largement 200 heures de cours ! Monsieur le ministre, lorsque vous passez quinze jours de vacances à l'étranger, vous apprenez bien plus qu'en lisant un manuel. Aujourd'hui, vous nous proposez le Guide du routard ! L'alphabétisation suppose que les personnes sachent lire et écrire dans leur langue maternelle. Or, nous parlons ici de femmes et d'enfants analphabètes même dans leur langue d'origine. Le problème n'est donc pas le test ; vous le savez bien.

Les valeurs de la République ?

M. le président. - Vous avez déjà parlé cinq minutes.

M. David Assouline. - Pour ces femmes et ces gosses vivant à l'étranger, notre tradition d'asile est une illustration extraordinaire de nos valeurs : imaginez ce qu'ils penseront en constatant que la solidarité, l'égalité des droits, l'accueil fraternel sont remis en cause. La meilleure façon de les éduquer, c'est de leur faire connaître nos débats : ils verront que l'opposition défend ces valeurs ! (Marques d'ironie à droite, applaudissements à gauche)

M. le président. - Vous avez parlé six minutes 35 secondes.

M. Jean-Luc Mélenchon. - Beaucoup de choses ayant été dites fort éloquemment, je peux prendre un peu de hauteur.

Nous parlons non de l'immigration en général, mais des conjoints et enfants des travailleurs immigrés en situation régulière.

M. Gérard Delfau. - Eh oui !

M. Jean-Luc Mélenchon. - Il ne s'agit pas de quelques fraudeurs embusqués, sur qui beaucoup se méprennent, mais de ceux qui, n'ayant pas fraudé, respectent la loi en espérant que leur famille les rejoindra. C'est cette blessure de la séparation qui les taraude. Pour eux, vous pensez que tout se passera bien, et que les petits deviendront les compagnons de jeu des nôtres. Vous savez comment cela finit ! C'est ainsi qu'un Français sur trois à un grand-parent immigré. Bref, nous parlons des cousins, des tontons, des papas... : il s'agit de nos familles ! La parole doit donc être respectueuse.

Vous savez bien que les immigrés sont d'abord des hommes et des femmes dont le courage mérite l'admiration. Arrivés sur place, ils produisent toujours plus de richesses qu'ils n'en consomment. Allez-y doucement : nous parlons de famille, nom de hordes, puisque seulement 17 000 personnes ont été admises l'an dernier.

J'ai participé à tous les débats sur l'immigration. Dernièrement, nous avions prévu un contrat, avec une alphabétisation. Ce n'était d'ailleurs pas la plus mauvaise part du contrat. Mais quelle méthode permet d'assurer une initiation linguistique en 80 heures ? Il n'y en a pas ! Votre dispositif revient donc à jeter des sous par la fenêtre. Vous dites qu'il faut non 80 heures mais 120 ; coupons la poire en deux pour aboutir à 100 heures. Avec 17 000 personnes, il faudrait 1 700 000 heures d'enseignement, soit 17 millions d'euros. Bien sûr, tout le monde a vérifié que le budget pour 2008 comportait cette somme ! À défaut, notre débat ne signifierait rien. Le ministre a dit qu'il ne fallait pas être formaliste : la loi étant faite pour aider les candidats, on jugerait de la bonne volonté sur la base de l'assiduité.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Comme à l'école !

M. Jean-Luc Mélenchon. - Il ne s'agit pas ici du petit-bourgeois habitant le sixième arrondissement de Paris, qui suit des cours de langue après s'être initié au macramé ou au yoga... Ceux dont nous parlons devront parcourir des centaines de kilomètres ! Avez-vous prévu des internats pour accueillir femmes et enfants ? Bien sûr que non ! Par suite, vous nous proposez une machine à faux papiers. La commission des lois du Sénat, comme toujours plus raisonnable que les gargouilles législatives de l'Assemblée nationale, a résumé en une formule concise se qu'avaient adopté les députés : un simple certificat de formation. Point barre. Il y aura donc une industrie produisant de tels certificats -une muraille de papier- car nous sommes incapables d'accueillir et de former 17 000 personnes à l'étranger.

Je ne vous accuse de rien ; je comprends votre souhait de régler les flux migratoires, mais les vexations et suspicions n'auront qu'un effet : rendre notre pays odieux au monde entier, car nous n'accepterions pas que l'on exige des Français ce que vous voulez imposer aux conjoints et enfants de ceux qui sont chez nous. Pour le travail qu'ils font ici, pour l'amour qu'ils portent à leurs proches, pour leur courage, nous devons dire aux immigrés : merci ! (Applaudissements à gauche)

M. Charles Pasqua. - C'était très beau !

M. Jean-Pierre Sueur. - En fait de réciprocité, nous n'accepterions pas que les Français allant travailler au Japon soient contraints au préalable d'apprendre le japonais, que la connaissance du chinois soit exigée pour se rendre en Chine, qu'ils doivent suivre 80 à 120 heures de farsi pour aller en Iran, ni que l'apprentissage du hindi soit, avec l'anglais, une condition pour vivre en Inde ! (Mme Borvo Cohen-Seat rit)

Si on l'imposait aux collaborateurs de nos entreprises...

M. Charles Pasqua. - Ou de nos ministres !

M. Jean-Pierre Sueur. - ... qui, fort heureusement, vont à l'étranger, nous ne l'accepterions pas.

Sans revenir sur les questions pratiques, j'observe que de nombreuses personnes habitent à plus de mille kilomètres du consulat le plus proche. Pour que la loi s'applique à tous les candidats au regroupement familial, il faudrait des moyens considérables.

J'ai enseigné le français à des personnes étrangères. (Exclamations à droite) Cela n'a rien d'infâmant !

M. René Garrec. - C'est admirable !

M. Jean-Pierre Sueur. - Je l'ai fait avec plaisir, mais cela exige beaucoup de temps et exclut l'improvisation.

Connaître une langue et partager des valeurs : voilà une certaine idée de la francophonie. Les étudiants étrangers, fort bien accueillis ailleurs, regrettent de devoir parcourir un gymkhana pour étudier dans nos universités. L'ambassadeur de Tunisie m'a dit combien notre image en pâtissait.

Le droit de vivre en famille est imprescriptible, car l'amour et l'affection ne peuvent être subordonnés à des exigences linguistiques. Respectons ce droit ! (Applaudissements à gauche)

M. Pierre-Yves Collombat. - Cet article, parmi d'autres, illustre la dégradation de nos textes de loi, pollués par des notions ambiguës et des dispositifs incertains.

Qui peut croire que le niveau de langue ne sera pas pris en compte quand il s'agira d'accorder un visa ? Quant aux valeurs de la République, nous en avons tous une connaissance intuitive ; mais dans une loi il faut être précis. Dispensera-t-on, par exemple, un enseignement sur le Préambule de la Constitution de 1946, où il est écrit que « chacun a le droit d'obtenir un emploi », que « la Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement », ou encore -horreur !- que « tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité » ? Où commencera-t-on ? Où s'arrêtera-t-on ? Et que dire de la laïcité, question complexe s'il en est ? Prévoira-t-on une option pour les étrangers qui voudront se rendre en Alsace-Lorraine ? En bref, on voit bien le but poursuivi, mais la référence législative sera source de complication. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Michel Charasse. - J'interviens sur l'ensemble des amendements, étant entendu que je préfère largement la rédaction de la commission assortie du sous-amendement de Mme Khiari au texte du Gouvernement.

Un État souverain a le droit d'accueillir qui il veut sur son territoire ; mais nous avons accepté de nombreuses exceptions, la première d'entre elles étant le droit d'asile, quasi sacré, né sous les rois de France et inscrite dans le préambule de 1946. D'autres sont venues avec la construction européenne et les conventions internationales auxquelles nous sommes partie. Je crains que cet article, dont je peux comprendre la philosophie et la logique, ne tombe rapidement sous le coup de sanctions judiciaires, en France ou à Strasbourg, au motif qu'il s'agit d'une collection de manoeuvres dilatoires. Encore heureux que la commission ait prévu un délai pour proposer la formation...

J'appelle aussi le Gouvernement à faire preuve de souplesse, s'agissant des « motifs légitimes pour lesquels l'étranger peut être dispensé » de formation. Dans certains pays, les infrastructures manquent et il n'est pas toujours évident d'obtenir un visa pour se rendre dans un État où elles existent. Je pense aussi aux situations de désordre et de conflit, à tous les cas de force majeure qui seront contrôlés par les juridictions. La France est déjà trop souvent condamnée à Strasbourg, n'en rajoutons pas.

Quant aux valeurs -je préfère parler des principes- de notre République... On sait qu'elle est république, élective, et que le suffrage universel y est la source de tous les pouvoirs... Mais l'étranger auquel on l'aura appris en reviendra vite, pour toutes sortes de raisons, dès le pied posé sur notre sol... Restons simples, étant entendu que le principe le plus fondamental, en dehors de la liberté, c'est la laïcité -qui ne signifie pas, évidemment, que les étrangers sont empêchés de pratiquer la religion de leur choix... (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Gérard Delfau. - Nous parlons en réalité de 4 000 personnes par an... sur 64 millions d'habitants. On lit, page 37 de l'excellent rapport de la commission : « il faut souligner que les Algériens représentent près du quart du public visé. Pourtant, ils ne seront pas légalement obligés de suivre cette nouvelle formation. En effet, les conditions d'entrée et de séjour des Algériens sont régies par l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié (...) qui n'a pas fait l'objet d'avenant depuis 2001. »

Quatre mille personnes seulement... Il faut donc qu'il y ait d'autres raisons à cet article. N'oublions pas que nous parlons de femmes et d'enfants qui veulent rejoindre un travailleur venu chez nous en toute légalité, qui accomplit tous ses devoirs, qui souvent occupe un emploi dont les Français de souche ne veulent pas.

Le Gouvernement mène un mauvais combat, qui atteindra et atteint déjà, notamment en Afrique, l'image de la France -tout cela à cause d'une disposition qui sera inopérante et ne fera qu'inciter à des migrations clandestines. Je voterai la suppression de l'article. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Catherine Tasca. - Admettons que le dispositif de formation n'ait d'autre but que de faciliter l'intégration...

M. Bernard Frimat. - C'est difficile à croire !

Mme Catherine Tasca. - On sait que cette formation sera sommaire ; qu'a prévu le Gouvernement, quels moyens mettra-t-il en oeuvre pour la compléter une fois l'étranger sur notre sol ? Il est déjà très difficile dans les quartiers où vivent les immigrés de trouver une association qui puisse dispenser une formation adaptée...

M. Jean-Claude Peyronnet. - (Mouvements d'impatience à droite où l'on évoque la clôture) Chérissons, comme Voltaire, les idées simples.

Ce texte est dangereux. Il serait plus simple de reconnaître que vous voulez freiner l'immigration ! Or cela serait contraire à notre tradition : la France n'a-t-elle pas accueilli les Russes blancs, les Polonais, les Italiens, les Portugais, les Maghrébins ? Beaucoup se sont parfaitement intégrés, beaucoup ont réussi -notamment les Hongrois ! (Sourires à gauche) C'est cela qui fait la France : un tiers de notre population n'a pas de racines gauloises.

Dommage que l'on n'ait pas demandé aux Français « de deuxième zone » morts au front en 1914 s'ils connaissaient les valeurs de la République : cela leur aurait évité de se faire massacrer ! (Applaudissements à gauche)

M. Brice Hortefeux, ministre. - Je ne répondrai pas individuellement à chaque orateur. (Protestations à gauche) M. Sueur affirme que l'article premier méconnaîtrait la convention européenne protégeant le droit à la vie familiale. C'est faux. Les tests de français sont explicitement autorisés par la directive de 2003 sur le regroupement familial, qui avait été attaquée mais qu'un arrêt de 2006 de la Cour de justice des communautés européennes a jugée parfaitement conforme aux principes protégeant la vie familiale.

Monsieur Charasse, notre réseau diplomatique est quand même le deuxième du monde. Pour les cas difficiles, qui restent marginaux, nous passerons des conventions avec des organismes privés.

M. Robert Bret. - Avec quel budget ?

M. Brice Hortefeux, ministre. - Monsieur Delfau, vous avez raison de souligner la situation particulière des ressortissants algériens, qui ne peuvent pas bénéficier de certaines dispositions votées par le Parlement, comme la carte compétence et talent. Notre objectif est de renégocier les accords bilatéraux avec certains pays étrangers. (Applaudissements à droite)

M. Gérard Delfau. - A suivre...

L'amendement n°79, identique à l'amendement n°125, n'est pas adopté, non plus que les amendements n°s127, 48, identique à l'amendement n°80, 47 et 46

Le sous-amendement n°75 rectifié est adopté, ainsi que l'amendement n°1, modifié.

L'amendement n°81 devient sans objet.

L'amendement n°82 n'est pas adopté.

L'article premier, modifié, est adopté.

Article 4 (Appelé en priorité)

I. - L'article L. 211-2-1 du même code est ainsi modifié :

1° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Pour lui permettre de préparer son intégration républicaine dans la société française, le conjoint de Français âgé de moins de soixante-cinq ans bénéficie, dans le pays où il sollicite le visa, d'une évaluation de son degré de connaissance de la langue et des valeurs de la République. Si cette évaluation en établit le besoin, les autorités mentionnées au premier alinéa organisent à l'intention de l'intéressé, dans le pays où il sollicite le visa, une formation dont la durée ne peut excéder deux mois, au terme de laquelle il fait l'objet d'une nouvelle évaluation de sa connaissance de la langue et des valeurs de la République. La délivrance du visa est subordonnée à la production d'une attestation de suivi de cette formation, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État. Ce décret précise notamment le délai maximum dans lequel l'évaluation et la formation doivent être proposées, le nombre d'heures minimum que cette dernière doit compter, les motifs légitimes pour lesquels l'étranger peut en être dispensé et le délai au terme duquel naît la décision implicite de rejet de la demande de visa. Il précise également les modalités selon lesquelles une commission désignée par le ministre chargé de l'immigration conçoit le contenu de l'évaluation portant sur la connaissance des valeurs de la République. » ;

2° Dans le deuxième alinéa, les mots : « Le visa mentionné à l'article L. 311-7 » sont remplacés par les mots : « Outre le cas mentionné à l'alinéa précédent, le visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois » ;

2° bis À la fin du troisième alinéa, les mots : « dans les meilleurs délais » sont remplacés par les mots : « dans un délai de quatre mois maximum » ;

3° Le dernier alinéa est ainsi rédigé :

« Dans des conditions définies par décret en Conseil d'État, par dérogation à l'article L. 311-1, le visa délivré pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois au conjoint d'un ressortissant français donne à son titulaire les droits attachés à la carte de séjour temporaire prévue au 4° de l'article L. 313-11 pour une durée d'un an. »

II. - Le 3° du I entre en vigueur six mois après la publication de la présente loi.

M. le président. - J'incite les orateurs à respecter leur temps de parole.

M. David Assouline. - La commission est heureusement revenue sur cette restriction insupportable visant les conjoints étrangers de ressortissants français, qui montre bien que vous privilégiez les symboles plutôt que les objectifs rationnels. Le 24 septembre, vous vous indigniez, monsieur le ministre, que 11.000 étrangers seulement soient entrés en France en 2005 pour exercer leur métier, alors que 80.000 seraient venus au titre du regroupement familial. Ces chiffres sont faux : selon l'ANAEM, ces derniers n'étaient que 18.140 en 2006, contre 22.978 en 2005 et 27.267 en 2002. Dans votre enthousiasme, vous noircissez le tableau, pour faire peur au bon peuple : à entendre certains membres de la majorité, il faudrait à tout prix, pour résister à l'envahissement, endiguer le flux incontrôlé d'une immigration familiale forcément frauduleuse. Assez de démagogie ! Il s'agit de vies humaines -c'est un sujet grave, sur lequel nous devons légiférer dignement. La position de la commission des lois est un signe du malaise que provoque votre texte, y compris à droite...

M. Louis Mermaz. - Nous écouterons avec attention le rapporteur, et j'espère qu'il ne restera pas grand-chose de cet article 4, que nous proposons pour notre part de supprimer. Il est absurde d'obliger un étranger, installé régulièrement en France, à faire repartir son épouse pour qu'elle suive un stage linguistique dans son pays d'origine afin d'obtenir un visa de long séjour ! On imagine les dégâts collatéraux que provoquerait une telle mesure, dont même l'OCDE s'est inquiétée.

M. Richard Yung. - On observe une gradation dans votre dispositif : après l'article premier, qui visait tous les étrangers, cet article stigmatise les mariages bi-nationaux. J'ai vécu trente-cinq ans à l'étranger, la plupart de mes amis sont des couples bi-nationaux.

J'ai toujours considéré que ces mariages représentaient une richesse, pour eux et pour notre pays.

Avec ce texte qui stigmatise les mariages binationaux, la France tourne le dos à sa tradition. Bien sûr qu'il vaut mieux connaître la langue du pays où l'on veut vivre mais on ne peut admettre que cet apprentissage soit imposé avant même la venue en France. Tout au plus, à la rigueur, pour une naturalisation.

Le mariage est, en soi, le signe d'une volonté d'intégration linguistique et culturelle. Laissons à ces conjoints le temps de l'apprentissage !

Votre texte, en outre, aura un coût. L'ANAEM, dites-vous ? Mais elle a 6 centres pour plus de 180 pays ! En pratique, ce sont les consulats qui devront s'en charger. Ils n'en ont pas les moyens. Ou bien ce sera au détriment de la tâche qu'ils accomplissent actuellement au service des Français établis à l'étranger : ils sont en quelque sorte nos mairies.

Enfin, vous voulez revenir sur une excellente disposition de la loi de 2006, qui supprimait l'obligation pour le conjoint qui a passé six mois en France de retourner dans son pays d'origine pour y demander un visa. Il ou elle devra donc repartir passer dix-huit mois à Nouakchott, par exemple, y attendre ce papier que vous réclamez.

Vraiment, cet article inique doit être supprimé.

Mme Bariza Khiari. - Depuis 2002, vous n'avez eu de cesse de faire peser le soupçon sur les mariages mixtes. S'unir à un étranger vous paraît tellement inconcevable que cela vous paraît nécessairement un détournement de procédure pour obtenir un titre de séjour. Pourtant, que d'amour, que de persévérance il faut à ces couples à chaque étape de leur vie !

La loi de 2006 sur la validité des mariages s'inscrivait déjà dans cette logique de suspicion et d'hostilité. Et voilà que vous imposez un retour dans le pays d'origine du conjoint de Français, pour demander un visa long séjour. Cela prendra des mois !

Or, ce cortège de mesures vexatoires ne saurait enrayer l'augmentation des mariages mixtes. Les enfants d'immigrés, français, atteignent l'âge où ils aspirent à fonder une famille. Certains d'entre eux ont gardé des liens étroits avec le pays d'origine de leurs parents, et c'est ainsi qu'ils rencontrent leur conjoint. C'est un fait ! Autres phénomènes : la mobilité accrue des individus et la mondialisation qui constitue aussi une ouverture au monde et aux autres cultures. On trouve de plus en plus son conjoint à l'occasion d'une expérience professionnelle ou estudiantine à l'étranger.

Toutes vos dispositions législatives ne parviendront pas à enrayer ces processus ; ni la loi sur la validité des mariages, ni l'obligation d'un retour au pays pour obtenir un visa long séjour, ni même l'obligation d'une formation linguistique n'empêcheront des hommes et des femmes de s'aimer, sans souci des frontières ou des langues. Vous précarisez dans tous les domaines la vie des couples mixtes. La fraude existe, bien évidemment, mais votre riposte est disproportionnée au regard d'une fraude marginale.

En imposant au conjoint de Français un test de langue, assorti si nécessaire d'une formation, vous créez une entrave au droit de vivre une vie familiale normale. Vous créez surtout une disposition contre-productive tant il est vrai que l'apprentissage de la langue est bien plus performant en situation d'immersion.

Mme Alima Boumediene-Thiery. - Cet article instaure une inégalité entre les Français qui ont des amours françaises et ceux qui en ont d'étrangères.

Vous supprimez un article de la loi de 2006 qui avait reçu une très large approbation, et ce quelques mois à peine après le décret du 13 mars 2007. Il ne serait pas efficace, où en est le bilan ? Cette disposition avait l'avantage d'éviter une trop longue séparation, une rupture de cette communauté de vie que, d'autre part, la loi impose. Et il y a le coût du voyage, celui du visa, qui ne sont pas négligeables.

Vous semblez d'autre part ignorer la situation faite aux femmes dans certains pays musulmans : il leur est rigoureusement interdit d'épouser un non-musulman. Les contraindre à retourner dans leur pays pour préparer un tel mariage, c'est leur faire risquer la mort. En êtes-vous conscients ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. - En apparence, il est question d'intégration, de stage linguistique. En réalité, on veut aligner le droit de séjour des conjoints de Français sur celui du regroupement familial des étrangers résidant en France, et l'on réunit les deux sous le vocable d'immigration familiale. Mais ces deux droits sont, jusqu'à présent, très nettement différents. C'est ainsi qu'on ne peut imposer aucune condition de ressources ou de logement à un Français pour accueillir son conjoint : l'immigration liée à un mariage est de droit.

Vous ne parvenez pas à admettre l'idée de mariage mixte. Leur nombre est pourtant destiné à augmenter encore, avec la mondialisation, les migrations de toute sorte qu'elle suscite ou dont elle est l'occasion. Et en France, l'augmentation du nombre de mariages avec des étrangers correspond aussi à une phase transitoire de l'intégration sociale des familles migrantes. Ça vous gêne, mais vous devez m'écouter....

M. le président. - Je vous en prie, veuillez continuer !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. - J'aimerais un peu plus d'attention ! (Vives exclamations à droite)

M. le président. - Le débat aurait pu être déjà clos, mais nous le poursuivons, pour que chacun s'exprime !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. - Cet article ne vise pas le mariage d'un cadre français avec une étudiante américaine, mais les jeunes Français d'origine étrangère qui se marient avec des ressortissants du pays d'origine. Les jeunes gens éduqués en France par des mères étrangères se figurent que la jeune fille du village reproduira le modèle maternel, bonne maîtresse de maison et femme docile, tandis que les jeunes filles peuvent s'illusionner sur les sentiments et les capacités d'adaptation en France des fiancés présentés par la famille ou les proches du pays. Cependant, la sécurité du mariage traditionnel séduit, et ces mariages n'échouent pas plus que les autres.

Ce sont ces mariages de jeunes Français d'origine de Turquie, du Maghreb ou d'Afrique sub-saharienne que les lois successives veulent rendre plus difficiles. Ces lois sont faites seulement pour multiplier les délais, les blocages, accentuer la surcharge de travail administratif, le contentieux, pour décourager ces candidats à ce type de mariage. J'ai entendu des propos explicites dans ce sens, de la part de hauts fonctionnaires !

Or, ces mariages se feront, en dépit des obstacles, et avec eux des travailleurs étrangers viendront en France, car l'immigration familiale est aussi une immigration de travail. Les délais de deux et même trois ans pour la validité des mariages mixtes, alors même que les couples ont des enfants dans l'intervalle, constituent une atteinte disproportionnée au droit de vivre en famille ! J'ai dû récemment encore intervenir pour un couple avec deux enfants...

M. le président. - Veuillez conclure : vous parlez depuis six minutes déjà. Un peu de délicatesse envers l'autre partie de l'hémicycle ! (Vives exclamations à droite, couvrant progressivement la voix de l'oratrice)

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. - Les magistrats ne peuvent même plus appliquer les lois que le Gouvernement fait adopter à sa majorité, l'État de droit ne règne plus. Je voterai la suppression de cet article. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Je pensais jusqu'ici que le Gouvernement ne traitait pas les étrangers de la même façon selon qu'ils avaient ou non épousé un Français ou une Française, mais je vois que tous les étrangers sont à même enseigne : tous pareils, traités moins bien que les Français ! (Exclamations à droite)

M. Charles Revet. - Comment croyez-vous que ça se passe à l'étranger ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - L'an passé, certains de nos collègues de la majorité, mariés à des étrangers -surtout à des étrangères-, s'étaient émus des conditions plus difficiles faites pour les mariages mixtes et ils s'étaient opposés, par compassion, à ce que les étrangers qui se marient à des Français se voient imposer de retourner dans leur pays pour obtenir le visa. Ces collègues compatissants sont silencieux aujourd'hui ! (Exclamations à droite)

L'apprentissage du français et des valeurs de la République serait la moindre des choses pour quelqu'un qui va se marier avec un Français ? Mais le mariage avec un Français s'accompagne naturellement de la volonté d'apprendre le français, de s'intéresser à la France, à sa culture, à ses valeurs ! L'amour et l'intérêt pour le pays de l'être aimé vont de pair, c'est humain ! Pourquoi imposer un apprentissage de la langue ? C'est vexatoire et absurde.

Vous avez refusé l'an passé que l'étranger, après son mariage en France, soit obligé de retourner dans son pays pour obtenir un visa : un peu de constance ! Ou bien l'opinion constatera que les parlementaires plient dès qu'on le leur demande, qu'ils ne servent à rien ! Évitez aux étrangers de devoir revenir chez eux juste après leur mariage, ne serait-ce que pour économiser du kérosène ! (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Sueur. - (Exclamations à droite) Monsieur le Président, j'espère qu'il est encore possible de s'exprimer dans cet hémicycle, conformément à notre Règlement !

M. Dominique Braye. - Oui, mon Père !

M. Jean-Pierre Sueur. - Ce n'est pas nous qui avons déclaré l'urgence, nous ne maîtrisons pas l'ordre du jour, ni nos conditions de travail...

Je souhaite remercier nos trois collègues qui viennent de s'exprimer en parfaite connaissance de cause, étant bien placées pour savoir ce que c'est qu'un mariage mixte.

On demanderait à un adulte de passer un test pour évaluer sa connaissance du français et des valeurs de la République, avant de lui accorder le droit de vivre avec l'une de nos compatriotes : monsieur le Président, votre bon sens méridional vous dit que ce n'est pas sérieux ! Pour les mariages véritables -je ne parle pas des mariages « blancs », qu'il faut combattre-, une telle obligation est vexatoire, et elle ne grandit pas notre pays !

Quant à l'obligation, après le mariage, de retourner dans son pays pour obtenir un visa, j'évoquerai la mémoire de notre regretté collègue Jacques Pelletier. C'est avec éloquence et sagesse qu'il avait su, il y a quelques mois à peine, convaincre ses collègues de la majorité de ne pas imposer ce voyage après le mariage et de préférer la délivrance du visa en France même. Monsieur le ministre, je m'étonne que votre bon sens auvergnat ne vous ait pas retenu contre cette obligation dispendieuse !

En hommage à la sagesse de Jacques Pelletier, j'espère que nos collègues accepteront de maintenir l'obtention du visa en France ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Robert Bret. - Le recours à l'article 40 nous interdit de présenter bien des amendements et nous oblige à nous exprimer davantage sur les articles. Celui-ci subordonne l'obtention du visa à l'attestation de suivi d'une formation au français et aux valeurs de la République, quand une telle formation sera jugée nécessaire. Or, si la maîtrise de la langue est un facteur d'insertion professionnelle certain, pourquoi obliger les étrangers à se former dans leur pays d'origine, et pas, plutôt, leur proposer une formation à leur arrivée en France ?

Le 18 mai 2006, nous avons déposé une proposition de loi dans ce sens, relative au droit de formation à la langue nationale de l'état d'accueil, que nous avons transformée en amendement... déclaré irrecevable. Or, la Charte sociale européenne de 1996, dans son article 19, prévoit que les États s'engagent à favoriser et à faciliter l'enseignement de la langue national de l'état d'accueil aux travailleurs migrants et aux membres de leur famille. La France a ratifié la Charte sociale européenne, qui a donc valeur contraignante.

C'est sur son fondement juridique que nous proposons d'instaurer dans notre code du travail un droit à la formation linguistique pour tous ceux qui, en France, ne maîtrisent pas la langue française.

Nous prévoyons également une rémunération pour les stages linguistiques longs de façon à compenser la perte de salaire ou les frais engendrés par la garde d'enfants.

Si vous voulez vraiment réussir l'intégration des migrants, vous devrez vous inspirer de notre proposition de loi.

M. Yannick Bodin. - La connaissance de notre langue est un outil, sinon une garantie, d'intégration. Son apprentissage doit donc être encouragé mais aussi organisé.

Comme un certain nombre de nos compatriotes se sont mariés à des étrangers qui ne connaissent pas le français, il faut leur permettre de s'intégrer grâce à l'apprentissage de notre langue. C'est encore plus vrai pour les femmes originaires de certains pays où la culture ne prédispose pas à une grande liberté en dehors du foyer familial. Leur émancipation passe donc par cette formation.

Certains pays accueillent les étrangers dès leur arrivée sur leur sol et leur indiquent les associations et les organismes qui dispensent des cours linguistiques. Pourquoi ne vous inspirez-vous pas de ces exemples, monsieur le ministre ?

Je m'interroge aussi sur la façon dont on évalue la connaissance de la langue française dans nos consulats. Il y a sans doute autant de méthodes que de consulats et certaines personnes ne devraient pas se voir confier de telles missions. Prévoir qu'un décret précisera les choses revient à avouer vos doutes : vous savez, au fond de vous, que ces dispositions seront inapplicables.

M. le président. - Nous en arrivons à la discussion des amendements. (On s'en félicite à droite)

Amendement n°92, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe CRC.

Supprimer cet article.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Il a été défendu.

M. le président. - Amendement n°191 rectifié, présenté par MM. del Picchia, Demuynck et Vasselle.

Rédiger comme suit cet article :

L'article L. 211-2-1 du même code est ainsi modifié :

1° Après le premier alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« Sous réserve des conventions internationales, pour lui permettre de préparer son intégration républicaine dans la société française, le conjoint de Français âgé de moins de soixante-cinq ans bénéficie, dans le pays où il sollicite le visa, d'une évaluation de son degré de connaissance de la langue et des valeurs de la République. Si cette évaluation en établit le besoin, les autorités mentionnées au premier alinéa organisent à l'intention de l'intéressé, dans le pays où il sollicite le visa, une formation dont la durée ne peut excéder quinze jours, au terme de laquelle il fait l'objet d'une nouvelle évaluation de sa connaissance de la langue et des valeurs de la République. La délivrance du visa est subordonnée à la production d'une attestation de suivi de cette formation. Cette attestation est délivrée immédiatement à l'issue de la formation. Un décret en Conseil d'État fixe les conditions d'application de ces dispositions, notamment le délai maximum dans lequel l'évaluation et la formation doivent être proposées ainsi que les motifs légitimes pour lesquels l'étranger peut en être dispensé.

« Lorsque la demande de visa émane d'un étranger, dont le conjoint de nationalité française établi hors de France souhaite établir sa résidence habituelle en France pour des raisons professionnelles, les dispositions de l'alinéa précédent ne sont pas applicables, sauf si le mariage a été célébré à l'étranger par une autorité étrangère et n'a pas fait l'objet d'une transcription. »

2° Dans le deuxième alinéa, les mots : « Le visa mentionné à l'article L. 311-7 » sont remplacés par les mots : « Outre le cas mentionné au deuxième alinéa, le visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois » ;

3° Le dernier alinéa est ainsi rédigé :

« Par dérogation à l'article L. 311-1, le visa délivré pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois au conjoint d'un ressortissant français donne à son titulaire les droits attachés à la carte de séjour temporaire prévue au 4° de l'article L. 313-11 pour une durée d'un an. Un décret en Conseil d'État fixe les conditions d'application de ces dispositions. »

M. Robert del Picchia. - (Exclamations à droite) Il y a, sur nos bancs, madame Borvo Cohen-Seat, des sénateurs de l'étranger qui prennent la parole !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - J'en étais sûre !

M. Robert del Picchia. - Comme l'article premier a été adopté, nous devons envisager des mesures spécifiques pour les conjoints étrangers de Français car ils ne peuvent être assimilés à ceux qui demandent à bénéficier du regroupement familial.

Il convient donc de prévoir explicitement que des conventions internationales pourront entièrement dispenser les conjoints du test et de la formation dans le pays où ils sollicitent le visa. Dans ce cas, l'évaluation et la formation pourront se faire à l'arrivée en France, dans le cadre du contrat d'accueil et d'intégration actuellement en vigueur.

Il faut également prendre en compte la situation particulière des couples binationaux qui, vivant à l'étranger, décident de rejoindre la France pour des raisons professionnelles. Si on laisse le texte en l'état, la femme et les enfants d'un cadre rentrant en France pour son travail se verraient appliquer la même législation que celle des autres étrangers.

M. Robert del Picchia. - C'est inconcevable ! Il faut donc dispenser le conjoint étranger des formalités de test et de formation à l'étranger. Cette dispense ne pourra pas s'appliquer si le mariage célébré à l'étranger par une autorité étrangère n'a pas fait l'objet d'une transcription dans les conditions définies par la loi du 14 novembre 2006 relative au contrôle de la validité des mariages.

Dans les autres cas, la formation au français dans le pays d'origine ne pourra excéder quinze jours, afin de ne pas allonger le délai qui sépare la demande de visa de l'arrivée en France.

Enfin, dans un souci de simplification, le visa de long séjour délivré à un conjoint de Français vaudra titre de séjour et autorisation de travail pendant un an : le conjoint de Français n'aura donc pas à se présenter en préfecture pour obtenir une carte de séjour temporaire. (Applaudissements à droite)

M. le président. - Amendement n°9, présenté par M. Buffet au nom de la commission.

Supprimer les 1°, 2° et 2° bis du I de cet article.

M. François-Noël Buffet, rapporteur. - La commission a longuement débattu de l'opportunité d'appliquer aux conjoints de Français le même dispositif que celui prévu à l'article premier. Le débat a été nourri et nous en sommes parvenus à la conclusion que la situation n'était pas exactement la même que pour un couple étranger.

Mme Catherine Tasca. - Certes !

M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Nous vous proposons donc de supprimer l'obligation pour les conjoints de Français de passer un test de langue et de suivre une formation linguistique et civique. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (Nominations)

M. le président. - Le groupe du RDSE et le groupe CRC ont proposé deux candidatures pour la Délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

La présidence n'ayant reçu aucune opposition dans le délai d'une heure, je proclame M. Georges Othily et Mme Odette Terrade membres de cette Délégation.

Commission spéciale chargée de vérifier et d'apurer les comptes (Nominations)

M. le président. - Il a été procédé à l'affichage de la liste des candidats aux fonctions de membres de la commission spéciale chargée de vérifier et d'apurer les comptes. Le délai fixé par le règlement est expiré.

La présidence n'ayant reçu aucune opposition, je proclame membres de cette commission spéciale MM. Joël Bourdin, François Fortassin, Thierry Foucaud, Yves Fréville, Yann Gaillard, Paul Girod, Jean-Jacques Jégou, François Marc, Marc Massion, Jean-Pierre Plancade et François Trucy.

La séance est suspendue à 17h 30.

La séance reprend à 17h 35.

Immigration, intégration et asile (Urgence - Suite)

Discussion des articles (Suite)

Article 4 (Appelé en priorité - Suite)

Mme Michèle André. - Nous comprenons mal qu'on suspende les débats de 18h 30 à 22 heures alors que nous n'avançons pas vite. (Exclamations accusatrices à droite) Cette suspension risque de nous obliger à siéger très tard demain soir.

M. le président. - Nous sommes toujours très attentifs à vos remarques. Il est vrai que certaines interventions de votre groupe auraient pu être résumées. Le Président de la République a invité les parlementaires de la majorité : cela s'est toujours fait. Je regrette pour M. Bret et ses amis...

M. Robert Bret. - Il n'y a aucune chance. (Sourires)

M. Jean-Luc Mélenchon. - Ils ont été invités par d'autres.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Nous comprenons plus ou moins que les parlementaires de la majorité soient convoqués...

A Droite. - Invités !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. -  ... convoqués par le chef de la majorité mais pourquoi reprendre à 22 heures pour deux heures ? Arrêtons-nous tous à 18 heures 30 pour reprendre demain matin : vous pourrez vous amuser plus longtemps.

M. le président. - L'ordre du jour a été fixé et je ne puis accepter votre proposition. J'ajoute que la Haute assemblée est toujours attentive à ne pas siéger durant les journées parlementaires. Reprenons-donc l'examen des amendements.

Amendement n°134, présenté par Mme Michèle André et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Supprimer le 1° de cet article.

Mme Bariza Khiari. - Les propos du rapporteur sur l'amendement n°9 nous conviennent mais nous ne pouvons préjuger du vote de l'Assemblée, d'où ce rappel de notre opposition de principe à ce que le conjoint de français soit soumis à évaluation et formation.

M. le président. - Amendement n°135, présenté par Mme Michèle André et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Supprimer le 2° de cet article.

Mme Bariza Khiari. - Amendement de coordination.

M. le président. - Amendement n°136, présenté par Mme Michèle André et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Supprimer le 2° bis de cet article.

Mme Bariza Khiari. - Coordination.

M. le président. - Amendement n°52, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin, Voynet et MM. Desessard et Muller.

Dans le 2° bis de cet article, remplacer le mot :

quatre

par le mot :

deux

Mme Alima Boumediene-Thiery. - Rendant hommage au courage de M. Pinte, nous voulons revenir au délai prévu par son amendement et sur lequel le Gouvernement est revenu par sous-amendement. Il ne faut pas rallonger une procédure déjà très lourde mais revenir au respect de l'égalité devant la loi comme de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.

M. le président. - Amendement n°93, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe CRC.

Rédiger ainsi le second alinéa du 3° du I de cet article :

« Lorsque la demande de carte de séjour temporaire émane d'un étranger entré régulièrement en France, marié avec un ressortissant de nationalité française et que le demandeur séjourne en France depuis plus de six mois avec son conjoint, la condition prévue à l'article L.311-7 n'est pas exigée. »

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Cet amendement va dans le même sens.

M. le président. - Amendement n°137 rectifié, présenté par Mme Michèle André et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

I - Remplacer le second alinéa du 3° de cet article par deux alinéas ainsi rédigés :

« Lorsque la demande de visa de long séjour émane d'un étranger entré régulièrement en France, marié en France avec un ressortissant de nationalité française et que le demandeur séjourne en France depuis plus de six mois avec son conjoint, la demande de visa de long séjour est présentée à l'autorité administrative compétente pour la délivrance d'un titre de séjour.

« Dans des conditions définies par décret en Conseil d'État, par dérogation à l'article L. 311-1, le visa délivré pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois au conjoint d'un ressortissant français donne à son titulaire les droits attachés à la carte de séjour temporaire prévue au 4° de l'article L. 313-11 pour une durée d'un an. »

II - Supprimer le II de cet article.

Mme Michèle André. - Nous souhaitons revenir à l'amendement Pelletier, voté il y a quelques mois avec l'accord du Gouvernement. Le conjoint de français n'est pas un fraudeur et nous vivons dans un monde ouvert.

M. le président. - Amendement n°180, présenté par Mme Dini et les membres du groupe UC - UDF.

A - Rédiger comme suit le sixième alinéa (3°) du I de cet article :

3° Il est complété par un alinéa ainsi rédigé :

B - En conséquence, supprimer le II de cet article.

Mme Muguette Dini. - Cet amendement a le même objet.

M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement de suppression n°92 : il est partiellement satisfait par l'amendement n°9 de la commission.

L'amendement n°191 rectifié porte exclusivement sur la partie de l'article concernant le dispositif d'évaluation et de formation. Il assouplit la procédure et présente un certain intérêt, mais n'est pas conforme à la position de la commission exprimée dans l'amendement n°9. Pour cette raison, j'y suis défavorable.

Les amendements n°s134, 135, 136 et 52 sont satisfaits par l'amendement n°9. Avis défavorable.

Avis défavorable à l'amendement n°93 : il va plus loin que l'amendement adopté sur l'initiative de M. Jacques Pelletier.

La commission, après en avoir longuement débattu, est favorable également à l'amendement n°137 rectifié, qui rétablit le système prévu par M. Pelletier. L'amendement n°180 est satisfait par l'amendement n°137 rectifié.

M. Brice Hortefeux, ministre. - Avis défavorable aux amendements de suppression n°s92, 134, 135 et 136.

Avis défavorable à l'amendement n°9, qui supprime le dispositif de test et de formation à l'étranger pour les conjoints de Français.

J'en viens à l'amendement n°191 rectifié de M. del Picchia. Pourquoi le projet de loi s'intéresse-t-il de si près au sort des conjoints de Français ? Pour une raison simple : parce que la moitié de l'immigration familiale concerne des conjoints de Français. Si le texte n'avait pas traité ce sujet, on nous l'aurait reproché. Pourquoi refuser au conjoint d'un Français - -un expatrié, par exemple- de commencer sa formation et son intégration dans son pays d'origine ? Aucun argument n'établit que cette possibilité créerait une discrimination entre les conjoints de Français ou d'étrangers, qui peuvent néanmoins bénéficier d'un traitement différent. Cet amendement propose un dispositif équilibré : la possibilité de suivre la formation dans le pays d'origine est maintenue, avec des aménagements liés aux conventions internationales, à la limitation de durée de la formation et à la prise en compte du visa de long séjour. Ce dispositif très novateur permet de simplifier les procédures applicables aux conjoints de Français. Avis favorable à cet amendement : s'il n'était pas adopté, une partie importante de l'immigration familiale serait privée d'un atout supplémentaire dans son parcours d'intégration.

Avis défavorable à l'amendement n°52 : le délai de deux mois serait très difficilement applicable. Avis défavorable aux amendements n°s93, 137 et 180, qui remettent en question le dispositif évoqué.

Mme Michèle André. - Il me paraît important de connaître les arguments de la commission. Nous avons été quasi unanimes en faveur de la suppression des alinéas 1 et 2 afin de retourner au dispositif prévu par l'amendement de M. Pelletier, qui manifestait plus d'ouverture et de confiance. Il est indispensable de suivre la commission en la matière. Le Sénat ferait ainsi preuve de sagesse.

M. Charles Pasqua. - Je soutiens l'amendement de M. del Picchia, qui a le mérite de clarifier les choses : il ne faut pas traiter les conjoints de Français comme les autres étrangers, mais ils peuvent bénéficier, dans leur pays d'origine, de la possibilité d'approfondir leur connaissance de la langue française.

M. Bruno Retailleau. - Sans porter de jugement de valeur, quantitativement, le mariage est la première cause des flux migratoires. Or, le nombre des conjoints de Français a été multiplié par trois en dix ans. Un philtre d'amour aurait-il été répandu dans certains pays ? (Sourires) Autre hypothèse : dans certains cas, le mariage est détourné de sa fonction première et est utilisé comme un moyen de fraude. Aujourd'hui comme hier, certains pensent que le droit à l'immigration est un droit absolu qui prévaudrait sur toute autre considération. Or, les Français se sont exprimés, pas seulement dans les sondages, mais par leurs suffrages. Ils ont choisi l'immigration maîtrisée. Ils ne demandent pas l'abandon des clauses prévues par l'article 4, dont les dispositions étaient légitimes pour éviter les fraudes. Aujourd'hui, le visa court « Schengen » peut être suivi d'un mariage de régularisation. Il serait hypocrite de ne pas le reconnaître ici.

Quels sont nos organes administratifs les mieux à même de régler le problème ? Le consulat, à l'étranger, ex ante ou la préfecture, sur notre territoire, ex post ? Le consulat peut exercer une gestion convenable des flux. Le faire a posteriori a un coût supérieur.

Affirmer que la France sera mise au banc des nations pour non respect des droits de l'homme relève du terrorisme intellectuel. L'article 4, dans sa rédaction actuelle, serait plus libéral que la législation pratiquée, par exemple, au Royaume-Uni, où l'on délivre un certificat d'approbation. Un dispositif similaire est appliqué en Allemagne, aux États-Unis ou en Espagne.

En 1996, un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme a reconnu aux États le droit de contrôler l'entrée, le séjour et éventuellement l'expulsion des ressortissants des pays tiers. Je regrette la position de la commission des lois. L'amendement n°191 de M. del Picchia affaiblit la portée de l'article mais il en maintient la substance. (Applaudissements à droite)

M. Hugues Portelli. - Sur de pareils sujets, il faut être calme et honnête.

En commission, nous avons repoussé l'article 4, dont la rédaction était inadmissible. Le reste est passé dans la foulée. Il faut avouer que l'amendement présenté par M. Del Picchia n'a pas été réellement examiné.

Je ne partage pas la philosophie de M. Retailleau, mais il faut être lucide : puisque nous avons adopté l'article premier, seule une disposition relative aux mariages entre Français et étrangers nous évitera un vide juridique.

Je suis élu local. Dans ma région, de nombreux habitants originaires de pays d'immigration récente profitent des vacances pour aller épouser des femmes chez eux. Une fois arrivées en France, elles restent confinées dans leur logement. Nous devons les aider, dès avant leur départ, à s'intégrer. Je suis donc d'accord avec M. Del Picchia pour traiter ce cas d'une façon spécifique. L'article 4 était incompréhensible et immoral, mais nous ne pouvons rester dans le vide juridique. M. Del Picchia propose une solution honnête, respectueuse des réalités humaines et de la mondialisation. (Applaudissements à droite)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Quel dommage ! M. le ministre a exprimé de bonnes intentions : il prétend vouloir aider les étrangers. Et voilà que M. Retailleau met les pieds dans le plat : ces étrangers sont des fraudeurs, coutumiers des mariages blancs. Pourtant, vous avez voté il y a un an de dispositions pour combattre les mariages frauduleux. Cela suffit !

L'amendement de M. Del Picchia n'a pas été examiné en commission des lois. (On soutient le contraire à droite)

Maintenant, nous n'y comprenons plus rien ! On ne traiterait pas de la même façon tous les Français qui épousent des étrangères ! Le contrat d'intégration serait-il, dans certains cas, remplacé par une formation de quinze jours ? Faut-il encore stigmatiser quelqu'un ?

Il vaut mieux confirmer le vote de la commission.

M. Philippe Arnaud. - Je ne peux suivre notre excellent collègue M. Retailleau, car il ne s'agit ni d'immigration ni d'étrangers, mais de conjoints de citoyens français.

Par notre code civil, la République française impose aux futurs époux une communauté de vie. Bien sûr, les mariages de complaisance existent ; nous ne nous voilons pas la face. Mais nous avons renforcé les dispositions permettant de vérifier l'authenticité des sentiments et du projet de vie commune. Chaque officier d'État civil doit procéder à cette vérification. (On s'exclame ironiquement à droite) Y en aurait-il qui n'appliquent pas la loi ? J'invite alors M. le ministre à saisir sans délai ses collègues de l'intérieur et de la justice pour mettre un terme à de tels manquements.

Après un débat approfondi et intéressant, la commission a supprimé les premiers alinéas de l'article 4. Nous n'avons pas examiné de façon approfondie l'amendement présenté par M. Del Picchia. La seule position de sagesse consiste donc à confirmer le vote de la commission. (Applaudissements à gauche)

M. Pierre-Yves Collombat. - M. Retailleau a rappelé que les mariages n'avaient pas tous l'amour pour seule finalité. Mais c'est vrai depuis des siècles ! Ils servent parfois à conserver des fortunes.

M. Nicolas About. - La terre !

M. Pierre-Yves Collombat. - Il a dit également que la liberté pouvait être détournée. C'est vrai, mais un pays politiquement libéral préfère le risque de la liberté au soupçon généralisé. Je pense que nous sommes tous politiquement libéraux.

À juste titre, M. Del Picchia a rappelé que les conjoints de Français n'étaient pas des étrangers comme les autres. Soyons donc logiques jusqu'au bout et reprenons la rédaction de la commission.

Mme Catherine Tasca. - Sur le fond, notre groupe s'est clairement exprimé. Un amendement de dernière minute ne nous fera pas changer d'avis.

Sur la forme, j'observe qu'au moment même où une réflexion sur la réforme de nos institutions est lancée avec force roulements de tambour, on nous présente des amendements visiblement téléguidés par le Gouvernement. Alors que la commission des lois s'est prononcée de façon quasiment unanime, M. le ministre réussit à obtenir un amendement parlementaire pour tordre le bras à la commission. Est-ce ainsi que nous rétablirons l'équilibre entre l'Exécutif et le Législatif ? Est-ce ainsi que l'on donnera aux parlementaires le sens de leur responsabilité dans l'élaboration de la loi et du contrôle du Gouvernement ? Est-ce comme cela que l'on rendra aux citoyens la confiance envers leurs représentants ?

Vous ne cessez d'invoquer l'élection du Président de la République pour affirmer que tous vos projets de loi sont soutenus par l'opinion, mais vous oubliez ceux qui s'y opposent.

Notre commission a bien travaillé ; son président et son rapporteur forcent le respect de toute notre assemblée. Monsieur le ministre, il faudrait réfléchir avant de commettre ce coup de force contre la position de la commission. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Luc Mélenchon. - Je rends hommage à la clarté et à la franchise du propos de M. Retailleau, d'autres sont plus sournois qui prétendent qu'on fait tout cela pour le bien des gens... D'abord, monsieur Retailleau, nous parlons de gens qui se marient -ce fait devrait parler au traditionaliste que vous êtes ; ensuite, le risque de fraude : personne ne dira qu'il n'existe pas ; mais on ne fait pas la loi pour les fraudeurs. Il faut des moyens pour vérifier la réalité du mariage ? Mais vous ne vérifierez rien du tout dans cette circonstance, il n'est question que des conditions de la vie commune ! Quant à la sincérité du mariage évoquée par M. Portelli et d'autres, cela n'a rien à voir.

Une Française qui épouse un étranger, un Français qui épouse une étrangère, c'est une bonne affaire pour nous ! Sommes-nous trop nombreux ? Leurs enfants seront français ! Ils n'ont pas réellement l'intention de vivre ensemble ? Ils seront bien assez punis plus tard, avec le divorce...

M. Pasqua apporte son soutien à cet amendement de dernière minute, au motif qu'il simplifie les choses ; mais on continue bien à casser les pieds des gens ! Il y a quelques années, nous avons délibéré de la meilleure façon de prouver la condition de Français ; me référant à mes propres origines et à celles de ceux qui sont nés en Afrique du nord ou dans des pays à l'état civil défaillant, j'avais fait part de l'existence de grandes difficultés. « Nous allons régler tout cela », m'avait répondu M. Pasqua. La situation a été tellement bien réglée, les mesures décidées tellement rationnelles qu'on m'a depuis, à deux reprises, demandé de prouver que j'étais français ! Encore suis-je sénateur de la République ! Imaginer la situation du citoyen lambda qui tombe dans les pattes d'une noire bureaucratie, ici ou ailleurs, armée de trouvailles administratives aussi géniales !

Réfléchissez ! Nous légiférons pour 20 000 personnes dans le meilleur des cas ! Qu'avons-nous à craindre d'elles ? Laissons-les tranquilles ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Bruno Retailleau. - Je me suis sans doute mal exprimé. L'article 4 n'est pas applicable aux conjoints de Français en situation régulière.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Mais si !

M. Bruno Retailleau. - Il n'est pas anormal en revanche qu'une demande de visa de long séjour soit exigée, ce qui permettra aux consulats d'évaluer comme il convient les éléments du mariage.

M. Louis Mermaz. - Le Sénat, la Haute assemblée, les Sages du Palais du Luxembourg ... Et voilà qu'apparaît M. Retailleau, dont c'est décidément le jour de gloire, qui fait passer M. del Picchia pour plus humaniste qu'il n'est ... Et un autre deus ex machina sortira de l'ombre tout à l'heure pour les tests ADN... J'appelle chacun à respecter le travail de la commission des lois, dont le rapporteur a fait preuve de courage et de lucidité...

M. Dominique Braye. - Vous le dites quand ça vous arrange !

M. Louis Mermaz. - Il défend la position unanime de la commission ; nous nous honorerions tous à le soutenir. Ou veut-on que le Sénat se ridiculise ? (Applaudissements à gauche)

Mme Nathalie Goulet. - Si la commission n'est pas suivie, cela provoquera un tollé chez nos compatriotes expatriés.

M. David Assouline. - La suppression de l'article va créer un vide juridique, qu'il faudrait combler. Mais ce que dit la commission, c'est qu'on ne peut faire l'amalgame entre le regroupement familial d'un étranger et celui d'un Français.

Le Gouvernement, monsieur le ministre, dispose-t-il d'une estimation des fraudes au mariage ? Les chiffres sont probablement infimes... et la fraude existera toujours, quelle que soit la législation.

M. Jean-René Lecerf. - L'unanimité de la commission s'est faite il y a huit jours, lorsqu'elle a examiné le texte issu de l'Assemblée nationale. La situation est fondamentalement différente aujourd'hui. Je soutiens l'amendement de M. del Picchia, qui ne laisse subsister aucun amalgame.

M. David Assouline. - Mais si !

M. Jean-René Lecerf. - Gardons-nous de tout angélisme. J'ai été maire, j'ai organisé des cours d'alphabétisation majoritairement fréquentés par des femmes africaines et maghrébines ; et j'ai souvent vu leurs maris leur interdire de s'y rendre parce qu'ils voulaient les maintenir dans une situation de dépendance ! (Applaudissements à droite)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - A quoi sert le contrat d'intégration ?

M. Jean-René Lecerf. - L'amendement de M. Pelletier a séduit plusieurs d'entre nous ; il pourra certainement être repris sous forme de sous-amendement tout à l'heure si celui de M. del Picchia est adopté.

M. Gérard Longuet. - On ne peut regretter, madame Tasca, que le Sénat prenne en séance publique une position politique ! Ce qui n'enlève rien au respect que j'ai pour la commission des lois, à laquelle j'ai appartenu. L'amendement de M. del Picchia a l'immense mérite d'attirer l'attention sur la situation de nos compatriotes expatriés.

Sur le sujet du mariage, Léon Blum a plaidé pour la diversité sociale ; nombre de préventions ont aujourd'hui, par bonheur, disparu. Certains mariages mixtes internationaux sont d'ouverture, d'autres sont de fermeture ; et l'on voit des communautés de replier sur elles-mêmes comme le faisaient les bourgeois au XIXe siècle. M. del Picchia propose un regard tranquille ; oui, les mariages d'ouverture enrichissent notre pays.

Mesdames du groupe socialiste, que penseriez-vous s'il s'agissait de permettre à certains Français d'avoir des épouses ayant subi l'excision, interdite en France ! (Applaudissements à droite, exclamations indignées à gauche)

M. Patrice Gélard. - Si l'amendement del Picchia n'était pas adopté, l'article premier s'appliquerait pour les conjoints de Français. Je ne suis pas fanatique de cette solution, mais c'est la meilleure.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Attendez mon amendement n94 !

M. Charles Pasqua. - Allez, on vote !

M. Robert Bret. - M. Sarkozy s'impatiente !

M. Bernard Frimat. - Je me réjouis que le débat parlementaire soit un échange, et je remercie mes collègues de la majorité pour leurs interventions, même si je ne partage pas leur position. Il y a un premier acquis : tout le monde trouve mauvaise la rédaction initiale de l'article 4. Nous le savons, le jeu consiste à dresser des obstacles au regroupement familial -peu importe que le dispositif soit inapplicable, puisqu'il a vocation à empêcher, pas à servir. Mais il est aberrant que soient traités de la même façon les étrangers et les époux de citoyens français. Je reconnais volontiers que l'amendement del Picchia est meilleur que le texte du Gouvernement, mais il n'est pas parfait pour autant ! Vous rendez service au ministre en lui sauvant ses cours de français, comme d'autres tenteront plus tard de lui sauver ses tests ADN, quitte à vider le dispositif de son contenu... Nous avons transformé l'amendement n°137 rectifié, qui rétablit l'amendement Pelletier, en sous-amendement à l'amendement del Picchia, car ce dernier risque de rencontrer une majorité. J'ai appris de vous, monsieur le président, que l'on peut convaincre les gens sur le fond mais pas faire changer leur vote... Nous voterons toutefois contre l'amendement del Picchia, car nous sommes hostiles aux tests de langue.

L'amendement n°92 n'est pas adopté.

M. le président. - Sous-amendement n°211 à l'amendement n°191 rectifié de M. del Picchia, présenté par Mme Michèle André et les membres du groupe socialiste.

Remplacer le second alinéa du 3° de cet amendement par deux alinéas ainsi rédigés :

« Lorsque la demande de visa de long séjour émane d'un étranger entré régulièrement en France, marié en France avec un ressortissant de nationalité française et que le demandeur séjourne en France depuis plus de six mois avec son conjoint, la demande de visa de long séjour est présentée à l'autorité administrative compétente pour la délivrance d'un titre de séjour.

« Dans des conditions définies par décret en Conseil d'État, par dérogation à l'article L. 311-1, le visa délivré pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois au conjoint d'un ressortissant français donne à son titulaire les droits attachés à la carte de séjour temporaire prévue au 4° de l'article L. 313-11 pour une durée d'un an. »

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Ce sous-amendement reprend le texte de l'amendement n°137 rectifié, auquel la commission avait donné un avis favorable. Il rétablit une disposition votée à l'unanimité par le Sénat l'an dernier. L'amendement del Picchia sera vraisemblablement adopté : en toute cohérence, la commission donne donc un avis très favorable à ce sous-amendement.

Monsieur le ministre, vous avez raison : les préfectures n'ont pas su faire. Mais qu'on s'organise, et que l'administration fasse son travail ! (Applaudissements à gauche)

M. Brice Hortefeux, ministre. - Sagesse sur le sous-amendement, qui suppose que l'on puisse se retrouver sur l'amendement del Picchia.

Mme Michèle André. - Je me réjouis de voir l'amendement Pelletier revenir dans le dispositif, même si je regrette que la commission n'ait pas été suivie dans l'articulation. Nous voterons le sous-amendement.

Le sous-amendement n°211 est adopté, ainsi que l'amendement n°191 rectifié, modifié, et l'article 4 est ainsi rédigé. (Applaudissements à droite)

Les amendements n°s9, 134, 135, 136, 52, 93, 137 rectifié et 180 deviennent sans objet.

M. le président. - Je rappelle à nos collègues socialistes qui s'étonnent de l'heure de la suspension que nous avions suspendu la séance pour leur permettre de procéder à leurs élections internes ! (Applaudissements à droite)

La séance est suspendue à 18h 40.

présidence de M. Adrien Gouteyron,vice-président

La séance reprend à 21 h 35.

M. le président. - Amendement n°94, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe CRC.

Après l'article 4, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le 4° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est ainsi rédigé :

« 4° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui justifie d'une entrée régulière, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français. La condition prévue à l'article L.311-7 n'est pas exigée. »

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Je ne sais quel sera le sort de cet amendement mais je suis sûre qu'il est très bon. (Sourires) J'ai entendu par une voie détournée que nous allions passer directement à l'article 5 bis...

Comme le n°93, cet amendement supprime une des entraves faites à la venue sur notre sol des conjoints de Français. Le droit à vivre une vie familiale normale doit s'appliquer à tous les étrangers conjoints de Français. Le Gouvernement aura beau leur faire signer moult contrats, rien ne sera plus efficace pour leur intégration que de leur permettre de vivre normalement.

M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Défavorable, compte tenu de ce qui a déjà été adopté.

M. Brice Hortefeux, ministre. - Cet amendement n'a plus lieu d'être.

M. le président. - Le fait est qu'il aurait dû tomber.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Il fallait le dire avant !

L'amendement n°94 est déclaré sans objet.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. - Le Gouvernement demande la priorité sur l'article 5 bis.

M. François-Noël Buffet. - Favorable.

La priorité est décidée.

Article 5 bis

I. - L'article L. 111-6 du même code est complété par trois alinéas ainsi rédigés :

« Toutefois, par dérogation à l'article 16-11 du même code, le demandeur d'un visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois, ou son représentant légal, ressortissant d'un pays dans lequel l'état civil présente des carences peut, en cas d'inexistence de l'acte d'état civil, ou lorsqu'il a été informé par les agents diplomatiques ou consulaires de l'existence d'un doute sérieux sur l'authenticité de celui-ci, solliciter son identification par ses empreintes génétiques afin d'apporter un élément de preuve d'une filiation déclarée avec au moins l'un des deux parents. Le consentement des personnes dont l'identification est ainsi recherchée doit être préalablement et expressément recueilli.

« L'examen des empreintes génétiques prévu à l'alinéa précédent est réalisé aux frais du demandeur. Si le visa est accordé, les frais exposés pour cet examen lui sont remboursés par l'État.

« Un décret en Conseil d'État définit les conditions d'application des examens d'empreintes génétiques et notamment la liste des pays concernés et les conditions dans lesquelles sont habilitées les personnes autorisées à procéder à ces examens. »

II. - Dans le premier alinéa de l'article 226-28 du code pénal, après les mots : « procédure judiciaire », sont insérés les mots : «, ou de vérification d'un acte d'état civil entreprise par les autorités diplomatiques ou consulaires dans le cadre des dispositions de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ».

III. - Le présent article s'applique jusqu'au 31 décembre 2010.

Une commission en évalue annuellement les conditions de mise en oeuvre. Son rapport est remis au Premier ministre. Il est rendu public. La commission comprend :

1° Deux députés ;

2° Deux sénateurs ;

3° Le vice-président du Conseil d'État ;

4° Le premier président de la Cour de cassation ;

5° Le président du Comité consultatif national d'éthique ;

6° Deux personnalités qualifiées, désignées par le Premier ministre.

Son président est désigné, parmi ses membres, par le Premier ministre.

M. David Assouline. - M. Hortefeux vient aujourd'hui défendre bec et ongles une disposition absente du projet initial, introduite à l'Assemblée nationale par certains des plus radicaux des députés de l'UMP, portant gravement atteinte à l'un des fondements de notre identité républicaine, notre conception de la famille.

Dans son rapport présenté au Tribunat dans sa séance du 28 ventôse an XI, le député de la Gironde Lahary exposait que les dispositions du projet de code civil relatives à la paternité et à la filiation faisait de l'acte de naissance « le titre certain, authentique et irréfragable de la filiation ».

Depuis plus de deux cents ans, cette conception de la filiation, qui veut que « c'est par l'inscription sur les registres publics que l'on fait son entrée dans le monde ; c'est à la faveur de ce passeport que l'on peut être admis et reconnu dans une famille », a toujours été reconnue par nos lois civiles et constitue ainsi l'un des fondements de notre ordre juridique et, par là, de l'identité de la République.

C'est un patrimoine qui nous est commun, majorité comme opposition. C'est en garant de cet esprit de notre droit que le législateur a délibéré de la loi relative à la bioéthique du 6 août 2004, qui introduit un article 16-10 au code civil n'autorisant l'examen des caractéristiques génétiques d'une personne qu'à des fins médicales ou de recherche scientifique et sous réserve du consentement exprès, écrit et préalable de la personne.

La remise en cause de ce qui est inscrit à l'article 310-3 du code civil, à savoir que « la filiation se prouve par l'acte de naissance de l'enfant, par l'acte de reconnaissance ou par l'acte de notoriété constatant la possession d'état », constitue une indignité de la part d'un gouvernement qui se veut garant de l'ordre républicain.

En ne freinant pas les plus extrémistes de vos amis, le député Mariani et ses comparses, votre gouvernement a choisi le déshonneur d'une opération de basse politique.

M. Jacques Blanc. - Ne rabaissez pas un débat qui mérite mieux !

M. François Trucy. - N'injuriez pas !

M. Pierre Fauchon. - Il s'amuse.

M. David Assouline. - Nous avons été heureux de constater que certains d'entre vous n'approuvaient pas cette méthode. Tout ce que la France compte d'associations qui cherchent à aider les immigrés s'oppose à cet amendement. (M. de Rohan brandit « Charlie hebdo ») Oui, c'est Charlie hebdo, mais pas seulement.

Vous dites que c'est pour vérifier l'identité des malheureux qui voudraient entrer sur notre territoire, comme si les travailleurs immigrés avaient les moyens de faire venir des familles massives ! Cette mesure sera sans doute techniquement inapplicable, elle n'en restera pas moins une entrave à la tradition républicaine.

Si l'on faisait subir un test ADN à l'amendement Mariani, il apparaîtrait que cet amendement n'a aucune filiation avec la République I, avec la République II, avec la République III, avec la République IV, avec la République V. Il n'est pas dans le patrimoine génétique de la République ! (Applaudissements à gauche)

M. Pierre Fauchon. - C'est du guignol !

M. Hugues Portelli. - Cet article n'était pas dans le projet initial, il a été introduit par un amendement de l'un de nos collègues députés, son dispositif n'a donc pas été examiné par le Conseil d'État, sa constitutionnalité n'a pas été évaluée.

En matière de regroupement familial, cependant, la filiation n'est pas dans le flou juridique : les juges statuent régulièrement en appliquant le régime de possession d'état, qui relève du droit civil. La possession d'état est attribuée par le juge au vu d'un faisceau d'indices concordants qui attestent la filiation : les déclarations des proches, les liens établis, le comportement des parents et des enfants les uns envers les autres. Le 28 septembre dernier, le Conseil d'État, statuant en référé sur le cas d'un père résidant en France et dont les enfants sont en Afrique, a rappelé que la filiation peut être établie par tous les moyens disponibles. Il avait jugé, en juillet dernier, que des contacts étroits entre les parents et les enfants, ainsi que l'absence de contestation de la filiation, peuvent attester la filiation malgré le doute sur la véracité des actes civils de naissance et de mariage du parent. Le juge ne mentionne nulle part le besoin d'un test ADN.

On nous dit qu'il faudrait prévoir un tel test en cas de doute sur la filiation. Notre législation est très claire : le test ADN ne peut être diligenté qu'à des fins médicales, de recherche scientifique, ou dans le cadre d'une procédure judiciaire. Aujourd'hui, il n'y a donc pas de recours à de tels tests.

Mme Marie-Thérèse Hermange. - En matière de succession, si !

M. Hugues Portelli. - Cet article déclenche un concert de contestations dans toutes les travées de notre hémicycle, bruyamment ou mezzo voce. Dès lors, quoi faire ? On peut reconnaître l'erreur, attendre que la loi sur la bioéthique soit revue de fond en comble -cela ne prendra pas tant de temps, dix-huit mois peut-être-, et s'en tenir aujourd'hui au droit civil actuel de la possession d'état. Ou bien on peut noyer le dispositif de l'amendement en le modifiant au point de le rendre incompréhensible, inapplicable. Je préfère la première solution ! (Vifs applaudissements à gauche, applaudissements sur quelques bancs du centre et de droite)

M. Louis Mermaz. - Je partage en tout point cette démonstration. J'y ajouterai un élément politique. Nous recevons ces jours-ci, en particulier d'Afrique, des signes d'émotion très intense. Nous nous soucions de la grandeur de la France, elle tient à la puissance, mais également à notre réputation, à nos liens d'amitié, à cette histoire longue qui nous lie avec les peuples, en particulier les peuples francophones, à cette relation profonde dont bien des pays gardent les traces vivantes : gardons-nous de les blesser ! (Applaudissements à gauche)

Mme Alima Boumediene-Thiery. - Je salue M. Portelli pour son courage et je joins mon indignation à son analyse juridique ! Cet article franchit un palier de plus sur l'échelle de la démagogie et de la criminalisation de l'immigration : la loi sur la bioéthique réserve les tests ADN à des cas très précis et très encadrés, vous voulez en faire la règle pour les étrangers ! L'initiative vient du député Mariani, mais, monsieur le ministre, vous semblez vous en accommoder comme si vous l'aviez dicté.

Or, un tel dispositif est inutile : il n'aurait concerné, l'an passé, que 8.600 mineurs, à peine 5 % des flux migratoires ; il est discriminatoire, puisque les dossiers disposant d'un test ADN, donc ceux qui peuvent le payer, passeraient avant les autres et le volontariat au test est un leurre grossier ; il est moralement inacceptable, parce qu'il viole nos principes fondamentaux des droits de la filiation et qu'il donne de la famille une définition purement biologique, au mépris de la tradition française de déclaration ; il fait peser la suspicion sur les enfants adoptés, sur les familles recomposées ; donc sur les liens d'amour, qui sont l'essentiel dans une famille !

Ce test ADN aurait encore un effet déplorable sur nos relations avec bien des pays, en particulier africains. Nous rentrons d'un voyage en Algérie avec le groupe d'amitié France-Algérie : nos interlocuteurs nous ont dit leur émotion, alors même qu'ils ne seraient pas concernés, grâce aux accords d'Évian.

L'immigration n'est pas un filon électoral ! Cet article, semble-t-il, sera vidé de son contenu, par l'entremise de certains de nos collègues de la majorité. De notre côté, nous voterons contre, pour des raisons de principes ! (Applaudissements à gauche)

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. - Je salue l'argumentation technique et morale de M. Portelli. Je reçois des lettres inquiètes ou indignées de Français résidant à l'étranger. Dans l'une d'elles, des citoyens français se disent « choqués de l'amendement Mariani, contraire aux principes français du droit de filiation et niant aux familles étrangères d'autres liens que ceux du sang ». Ces compatriotes disent bien qu'ils ne sont pas directement concernés, mais qu'ils refusent qu'un tel droit d'exception soit appliqué aux familles étrangères qui viennent s'établir en France pour y travailler.

Je connais les difficultés de l'état civil dans bien des pays du sud : des documents sont faux, tout simplement parce qu'il n'y a pas d'état civil. Mais les doutes peuvent être levés par la possession d'état !

On oublie trop vite les situations d'enfants qui entrent dans des familles pour y être des esclaves domestiques, ou des enfants enlevés à leur famille ! (Vives exclamations à droite où l'on déclare que cela n'a rien à voir) Cela se passait chez nous aussi : quel lien de filiation entre les Thénardier et Cosette ? (Rires sarcastiques à droite) Dans ces cas-là, on ne règle pas les choses avec un test ADN, il faut au contraire se fier aux services sociaux, à tous ceux qui connaissent la famille ! N'ouvrons pas une brèche dans la loi bioéthique ! (Applaudissements à gauche)

M. Pierre Fauchon. - J'ai choisi de parler aujourd'hui plutôt qu'hier dans la discussion générale, parce que je savais pouvoir trouver les travées mieux remplies pour l'examen de cet article.

Comme l'a dit l'ancien maire de mon chef-lieu, Jack Lang (Exclamations à droite), les affaires d'immigration doivent être traitées sous le signe de la responsabilité et de l'humanité.

Il faut toujours rappeler, comme Mme Cerisier-ben Guiga, que l'état civil dans certains pays n'est pas fiable. La solution la plus simple, pour un fonctionnaire, serait alors de refuser de délivrer des visas et de laisser le demandeur dans les limbes de la jurisprudence. Mais je dirai à M. Portelli que la jurisprudence est un terrain mouvant, foi d'avocat : le droit positif me semble bien plus fiable. Et dans ce domaine, contrairement à ceux qui estiment que cet article vise à rendre les regroupements familiaux moins automatiques, j'y vois, moi, une ouverture. (Murmures courroucés à gauche) L'Assemblée nationale a cru trouver la solution avec l'amendement Mariani. Mais notre commission l'a évacué alors que dans les rangs de l'opposition, certains continuent à s'y référer pour s'en indigner. (Exclamations sur les mêmes bancs) Mes chers collègues, soyez de bonne foi ! Quand M. Hortefeux a été reçu par la commission des lois, s'il est quelqu'un qui s'est insurgé contre cet amendement, c'est bien moi ! Désormais, le président Hyest a déposé un excellent amendement (applaudissements à droite) auquel j'ai cru devoir ajouter la possession d'état. Il faut bien répondre à la difficulté. Lorsque l'état civil n'est pas fiable, il faut avoir recours à la possession d'état, qui offre un moyen reconnu et bien adapté à la diversité des situations et des cultures pour apprécier la réalité des liens qui unissent les parents aux enfants. Mais quand elle n'existe pas ?

M. Charles Revet. - Eh oui !

M. Pierre Fauchon. - Ne parlons pas des villages reculés : j'ai été fonctionnaire français au Maroc et je puis vous assurer que les structures sociales y sont bien organisées. Là où il y a des problèmes, c'est dans les bidonvilles. (Exclamations et rires à gauche)

M. Pierre Fauchon. - Ne riez pas, ce n'est pas amusant ! Dans les bidonvilles, on a du mal à établir les filiations. (Mêmes mouvements)

Et puis il y a les pays qui sont dévastés par les guerres. Le test ADN peut alors être le seul moyen pour une mère d'arracher son enfant au chaos. (Nouvelles exclamations indignées à gauche)

Nous vous proposons donc une solution équilibrée qui correspond à notre droit : il n'y a là nulle innovation. Avec le test ADN, nous faisons référence à l'article 16-11 du code civil qui rappelle qu'« En matière civile, cette identification ne peut être recherchée qu'en exécution d'une mesure d'instruction ordonnée par le juge saisi d'une action tendant soit à l'établissement ou la contestation d'un lien de filiation ». Il ne s'agit donc que d'établir un lien de filiation, rien de plus. Nous sommes dans une dynamique d'ouverture et je ne serai pas celui qui dira à une femme réclamant son enfant : non, cela ne se peut point car rien ne prouve votre filiation. (Nouvelles exclamations à gauche) Je refuse, pour ma part, de prendre cette responsabilité. (Applaudissements à droite)

Mme Éliane Assassi. - Je ne peux aborder cette discussion sans poser une question fondamentale : pourquoi ce projet de loi ? (Exclamations à droite) Nombreux sont ceux qui estiment qu'il s'agit là d'une véritable déclaration de guerre aux étrangers...

M. Charles Revet. - C'est vous qui le dites !

Mme Éliane Assassi. - ...notamment à ceux régulièrement installés en France et qui désirent faire venir leur famille. Beaucoup s'accordent aussi à dire qu'il s'agit d'un os à ronger pour l'électorat d'extrême droite qui a préféré voter Sarkozy plutôt que Le Pen en mai. Or vous voulez que ces électeurs continuent à voter pour vous, notamment lors des prochaines élections municipales et cantonales.

Pourquoi, alors, cet amendement Mariani avec l'introduction de tests ADN ? Tout simplement pour cristalliser les débats sur cette mesure honteuse et nous faire oublier le reste du texte. Nous ne sommes pas dupes et nous nous battrons sur tous les articles.

L'amendement Mariani a suscité l'indignation à gauche, mais aussi à droite, en France, mais aussi à l'étranger : en témoigne la colère du président de l'Union africaine qui considère que les tests ADN sont incompatibles avec le respect des droits de l'homme. De même, le silence de certains membres du Gouvernement est éloquent.

On veut maintenant nous faire croire à la mansuétude des parlementaires de la majorité qui, à coup d'amendements et de sous-amendements, souvent voulus par le Gouvernement, tentent de modifier cet article. Ne nous y trompons pas : malgré ces aménagements, les lettres ADN resteront dans le texte afin, nous dit-on, de faire obstacle à la fraude. Mais cela fait quatre ans que les conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France ne cessent de se durcir. Les textes de 2003 et de 2006 n'auraient donc servi à rien ? La sévérité des précédentes réformes n'aurait donc pas suffi, non plus que les reconduites à la frontière ? Les récentes défenestrations de sans-papiers ne vous interpellent-elles pas ?

Avec cet article, le Gouvernement touche au principe fondamental du respect de la dignité humaine pour combattre la fraude. La disproportion entre le but poursuivi et les moyens employés est incompréhensible : nous refusons avec véhémence que soit inscrite cette mesure discriminatoire et humiliante notamment pour les femmes étrangères. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Sueur. - Nul ne peut disconvenir que ces tests ADN aient suscité un profond malaise. La grande majorité des parlementaires doit se dire, ce soir, qu'il eût mieux valu que cette mesure ne soit jamais inscrite dans ce texte. Maintenant, il y a deux solutions : ou bien reconnaître l'erreur, ou bien refuser de fléchir en estimant que si l'on commence à reculer sur un tel sujet, il y aura des conséquences politiques.

Et puis, certains s'acharnent à vouloir inscrire ces trois lettres dans la loi, même si le recours à ces tests n'a lieu que de façon tout à fait exceptionnelle. Pourquoi tant tenir à ces trois lettres ? Je me demande s'il n'y a pas là quelque chose de malheureusement plus profond. Après le rapport Bénisti, puis celui de l'INSERM, après l'intervention du ministre de l'intérieur de l'époque, on nous a dit qu'il serait intéressant, utile de dépister chez les enfants très jeunes des gènes qui expliqueraient leur future délinquance. (On s'indigne à droite) Je n'invente rien : cela a été dit ! De même, un article a été publié dans la revue Philosophie.

Face à Michel Onfray, Nicolas Sarkozy y exposait que la pédophilie, la criminalité ont des sources génétiques. (Mouvements à droite) Je pense qu'à la fin des fins, il y a dans cette obsession génétique quelque chose à analyser car le déterminisme génétique est la philosophie la plus conservatrice et la plus contraire à l'humanisme. (Applaudissements à gauche) Obsédé par la génétique, on sous-estime l'éducation et l'apport de la société.

M. Yann Gaillard. - Aucun rapport !

M. Jean-Pierre Sueur. - Paul Ricoeur soulignait que la dimension éthique consiste à se penser soi-même comme autre. Qui ici est prêt à s'appliquer la nouvelle règle, qui ici possède la réponse aux questions qu'elle soulève ? Car il ne faut pas croire, mes chers collègues, que la mesure est accessoire. Au contraire, elle affirme que le fondement de la famille est génétique alors même que le président du comité d'éthique de l'Inserm souligne que cette approche, qui risque d'enfermer la personne dans sa seule identité biologique, pose un problème majeur. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Luc Mélenchon. - Le moment est important et l'opinion suit notre débat. Plutôt que de reprendre un argument politique, je veux vous inviter à réfléchir en reprenant l'argument du ministre. La mesure, nous a-t-il expliqué, facilitera la vie des intéressés en les aidant à établir leur filiation. Mais nous savons que dans un instant, un amendement va la rendre inapplicable. Dès lors, pourquoi la prendre ?

Je veux vous convaincre à partir de ce qui nous unit, à partir des valeurs républicaines. Les autres établissent la filiation avec la génétique ? Chez nous...

M. Pierre Fauchon. - Et le code civil ?

M. Jean-Luc Mélenchon. - ... la filiation s'établit par déclaration : on se présente à la mairie pour déclarer que tel enfant est le sien. Et il l'est, jusqu'à preuve du contraire. La preuve en est faite a contrario, puisqu'une femme peut même venir déclarer qu'un enfant qui vient de naître n'est pas d'elle, c'est l'accouchement sous x. Voilà l'héritage des Lumières et le fruit d'une longue évolution : le lien social est premier, et le lien biologique second. D'autres pays appliquent le droit du sang mais, en notre for intérieur, nous les trouvons barbares, nous qui appliquons depuis François Ier le droit du sol, nous pour qui, en toute circonstance, le lien premier est le lien social, le lien républicain.

Même si cette mesure n'est plus ce qu'avait craint M. Pasqua, qui n'a pas la réputation de se laisser emporter par la sensiblerie (sourires), qui a évoqué de mauvais souvenirs, ne soyez pas rassurés, ne vous laissez pas entraîner : on pose un acte, qu'il faut refuser.

Alors chemin faisant, on a craint des découvertes qui troubleraient les familles et on a restreint le test aux femmes. Quel changement ! Etablir une filiation matrilinéaire, après la filiation biologique, n'a rien d'une décision seconde ! On me taxera d'angélisme et de naïveté, mais avec les familles recomposées, nous nous retrouvons bien avec plusieurs enfants, qui se retrouvent avec plus de deux parents. Le président de la République trie-t-il entre les enfants de son épouse ? (Murmures à droite) Ce sont tous nos enfants, et ils ont deux pères et deux mères.

N'en démordez pas car il ne s'agit ni d'humilier un gouvernement ni de mettre sa majorité en difficulté, mais des principes républicains que nous avons en commun. (Applaudissements à gauche)

M. Michel Mercier. - Ce débat passionnant donne tout son sens à l'institution parlementaire.

Les liens de filiation font sûrement partie de ce qu'il y a de plus sacré dans notre civilisation. On ne peut donc pas les modifier par simple commodité ou dans un souci d'efficacité ; ils forment au contraire le socle sur lequel on peut établir une mesure nouvelle : un immigré durablement installé sur notre sol a le droit de vivre avec sa famille ; le Parlement peut réguler les flux migratoires mais dans le respect des règles de notre droit civil. Celles-ci sont bien connues et une famille d'immigrés en situation régulière a les mêmes droits qu'une famille française, ni plus, ni moins.

Regardons un instant comment une famille française prouve un lien de filiation. Tout se trouve dans trois articles du code civil. L'article 312 s'inspire de la vieille règle du droit romain sur la présomption de paternité de l'époux de la mère, pater is est quem nuptiae demonstrant. Le plus intéressant est l'article 311-1 car la possession d'état est ce qu'il y a de plus vivant, de plus quotidien, de plus remarquable, la façon pour le père de se comporter comme tel et d'être reconnu par l'enfant -c'est la filiation dans la continuité. Et puis, il y a quelques années a été introduit un nouveau moyen de prouver la filiation. Peut-être n'y avions-nous pas assez pris garde... J'avais voté contre l'actuel article 16-11-2 du code civil qui dispose qu'une analyse génétique peut établir le lien de filiation.

Nous avons ouvert cette possibilité en l'encadrant. Sinon, les tests ADN seront proposés sur Internet et on s'en servira pour les successions, ou pour décider de garder ou non un enfant... Selon le droit civil, seul le juge décide si l'établissement de la filiation nécessite un test génétique. Notre droit prévoit trois modes de preuve de la filiation. Les mêmes lois, les mêmes garanties et les mêmes garde-fous doivent s'appliquer aux familles immigrées ; c'est aussi une façon de les intégrer.

Si nous sommes capables, tous ensemble, d'affirmer cela, la commission des lois aura eu raison de se prononcer pour la suppression de l'amendement Mariani, qui se place en dehors de notre système juridique. Le Sénat doit déclarer qu'un immigré légalement venu en France peut y vivre en famille selon les mêmes lois que les familles françaises. Nous ferions ainsi progresser le respect de l'être humain, de notre philosophie et de notre spécificité nationale. C'est ce que nous vous proposons avec l'amendement déposé par Pierre Fauchon. (Applaudissements à droite)

M. Jacques Blanc. - Permettez à un médecin, attaché à l'éthique et qui a voté pour la loi de M. Badinter abolissant la peine de mort, de faire entendre sa voix. L'amendement Mariani ouvre un débat qui honore le Sénat et justifie le bicamérisme. Il a amené le Sénat à rappeler les valeurs fondamentales auxquelles nous croyons profondément. Il n'est pas question de transformer les liens de filiation en des liens génétiques. Il est incontestable que la filiation peut prendre de multiples formes.

Je me réjouis que la commission des lois ait repris la proposition qui ne concerne que les mères. Il faut leur offrir la possibilité de demander un test génétique, sous le contrôle du juge, afin de démontrer la vérité et de permettre à leurs enfants de bénéficier d'une prise en charge nouvelle au sein d'une famille régie par les mêmes droits que l'ensemble des familles françaises. Il n'est pas question de rendre les tests ADN obligatoires pour établir la filiation. Ces mères sont dans une situation particulière qui fait naître une demande, il ne s'agit pas de nier la réalité multiple de la filiation ni de les priver d'une liberté. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'indigne.) Cet amendement donne une chance à des mères parfois désespérées de ne pouvoir prouver dans leur pays la vérité de la filiation.

Ne tombons dans aucun excès, ne laissons pas entendre que les tests génétiques détermineraient toutes les filiations, mais ne privons pas non plus les mères d'une forme de preuve. Nous ne voulons pas remettre en cause les principes fondamentaux de la vie familiale ni les liens affectifs fabuleux qui peuvent exister en dehors de la filiation naturelle. Nous voulons que ces femmes puissent rendre service à leurs enfants par le regroupement familial et faire bénéficier des familles en situation difficile des mêmes droits que les familles françaises. (Applaudissements à droite)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Ce discours moralisateur et pleureur n'est pas de mise ici. L'article 5 bis a déjà une histoire. A vous entendre, monsieur Fauchon, il n'y a plus de test ADN ni d'article 5 bis. Mais l'Assemblée nationale à voté l'amendement Mariani. La commission des lois du Sénat a fait preuve de sagesse en refusant cette disposition et en se fondant sur les débats et les réflexions menés notamment lors de l'examen des lois sur la bioéthique.

Ici, le problème de principe est que l'on introduit de façon nouvelle dans la législation l'utilisation de la génétique et, ce qui n'est pas anodin, dans une loi concernant les étrangers, ce qui renforce la suspicion envers ces derniers et l'idée de fraude. Jusqu'ici, le législateur a pris de grandes précautions pour prévoir l'utilisation de tests génétiques.

Malgré vos subterfuges, nous avons bien compris que vous voulez garder l'amendement Mariani, soutenu par le Gouvernement, le ministre, le Président de la République. Vous passez outre l'opposition de nombreuses personnalités, parmi lesquelles, notamment, M. Balladur, qui étudie justement nos institutions et le rôle du Parlement. La communauté scientifique, les pays africains -les premiers visés- se sont prononcés contre une disposition qui stigmatise les étrangers et néglige le fait que les règles de filiation et d'éducation des enfants diffèrent en Europe, au Maghreb et en Afrique. S'y sont opposées également des personnalités consultées pour l'élaboration des lois bioéthiques, tel Axel Kahn, ancien membre du Comité consultatif national d'éthique.

M. le président. - Veuillez conclure.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Vous vous contorsionnez pour garder cette proposition. (On proteste à droite) Sur notre territoire, il faut appliquer aux étrangers comme aux Français le droit en vigueur, c'est-à-dire l'article 16-11 du code civil. En outre, en réservant le test génétique aux femmes, vous introduiriez une discrimination.

Soyez raisonnables et supprimez cet article. (Applaudissements à gauche)

M. Paul Girod. - Je ferai deux constats. Tout d'abord, le test ADN a déjà été introduit dans le code civil par l'article 16-11. Ensuite, j'admire le confort intellectuel de certains de nos collègues qui manipulent des concepts de la civilisation française, telle la possession d'état, qui sont adaptés à des pays organisés comme le nôtre, avec une administration qui fonctionne et un état civil, mais qui ne correspondent guère à la situation des pays d'immigration. Et on ne peut prendre comme base les traités internationaux, tel celui passé avec l'Algérie, où l'état civil tient son rôle. Dans certains États, ces notions élémentaires n'existent pas. Il n'est ni inutile ni odieux, et même sympathique, d'introduire la possibilité d'appel en cas d'absence d'état civil dans le pays d'origine ou pour pallier les lourdeurs de l'administration française.

Je vois dans cette ouverture une voie d'appel mise à la disposition de certains immigrés. Je voterai donc l'amendement. (Applaudissements à droite.)

M. Henri de Richemont. - Je suis heureux que la commission des lois ait voté contre l'article 5 bis.

Rapportant la proposition de loi issue de l'Assemblée nationale sur le nom patronymique, j'ai défendu l'idée que le père était celui qui donnait son nom et agissait en père, car la paternité n'est pas exclusivement déterminée par la biologie.

Je me suis retrouvé dans les propos de M. Mermaz au sujet des Africains : qui sait si l'Africain dont nous parlons n'est pas fils d'un spahi marocain ou d'un tirailleur sénégalais ? Le soldat inconnu est-il Français par le sang reçu ou par le sang versé ?

Je remercie M. Fauchon pour avoir rappelé la possession d'état. La mère est celle qui s'occupe de l'enfant. Lui refuser la possession d'état, c'est dire qu'elle l'a abandonné. Il serait donc paradoxal de permettre à ces seules personnes d'utiliser un test biologique. C'est ce que M. Hyest propose, moyennant la saisine du président d'un tribunal de grande instance. Je rappelle que l'article 16-11 du code civil n'autorise pas l'utilisation de tests génétiques pour affirmer une paternité. Toutefois, si l'on veut que des tests ADN soient pratiqués dans des cas extrêmes, en respectant des formes analogues à celles de l'article 16-11, il convient de saisir non le président mais le tribunal, qui statuerait après un débat contradictoire.

Monsieur le ministre, vous pouvez accepter mon sous-amendement. Choisir, c'est souffrir ! Si votre amendement est repoussé, la loi sera conforme à la rédaction votée par l'Assemblée nationale, qui est un véritable scandale. (M. Hyest proteste et revendique la paternité de l'amendement.) Le débat contradictoire protège l'enfant, qui disposera d'un représentant. Je pense que, dans ces conditions, l'apaisement serait général. Je pourrais alors voter ce texte.

M. Josselin de Rohan. - Essayez d'être apaisé.

M. Robert Badinter. - Le nombre et la qualité des intervenants démontrent l'importance du sujet. En matière législative, je suis une vieille moustache, mais j'ai rarement vu depuis 25 ans un amendement d'origine parlementaire soulever autant d'émotion. Dans un instant, nous le ferons passer de vie à trépas, mais il existe encore.

Nul ne peut croire que son auteur voulait favoriser le rapprochement familial, car il est difficile d'être angélique à ce point. L'émotion s'explique pourtant, car aucun sujet juridique ne suscite une inquiétude plus vive et justifiée que le recours aux tests génétiques, bien qu'ils rendent des services irremplaçables pour identifier des criminels. En matière de droits de la filiation, le législateur a fixé un équilibre juste. Chacun mesure que le recours aux tests ADN, avec une certitude d'environ 99,9 %, peut faire jaillir une vérité biologique non conforme à la réalité affective. Certes, la filiation biologique existe, mais à côté d'autres formes, qui ne se limitent pas à la vénérable adoption. Je pense que le XXIe siècle s'intéressera à la filiation affective plus qu'au lien génétique. Cependant, la preuve -après des années de vie commune ou de mariage- qu'un enfant ne descend pas biologiquement de son père, avec ce que cela révèle de ce que la mère a fait et tu, peut constituer un coup extraordinairement dur pour un enfant ou un adolescent. Il ne s'agit pas là de préserver l'équilibre familial comme on l'entendait au XIXe siècle, mais de souligner la nécessité d'une prudence infinie.

Or, jetant par-dessus bord les principes de notre droit, on demanderait à certains étrangers d'établir une filiation par des moyens que la loi française interdit. Il y a de quoi susciter une large émotion... J'aborderai ensuite la virtuosité de M. Hyest, mais je commente l'amendement voté par la majorité de l'Assemblée nationale avec l'accord du Gouvernement.

M. Charles Revet. - Nous sommes au Sénat.

M. Robert Badinter. - De plus, une inégalité financière était créée, puisqu'à ceux dont les documents d'état civil sont considérés sans valeur on impose de payer 250 euros par test, soit 1 000 euros pour une famille de quatre enfants. Imaginez ce que cela représente pour un Malien, qui n'aurait même pas la certitude d'être remboursé, puisque les frais n'auraient été pris en charge qu'après la délivrance du visa, lequel pourrait être refusé pour des raisons non génétiques !

M. le président. - Veuillez conclure.

M. Robert Badinter. - Je pensais, modestement, que mes propos pouvaient intéresser mes collègues.

M. le président. - C'est ce que pourraient dire tous vos collègues.

M. Robert Badinter. - Par la suite, je dirai pourquoi l'amendement de M. Hyest ne me satisfait pas. Pour l'instant, j'en suis à la rédaction de l'Assemblée nationale, qui contredit les principes de la filiation et les principes du droit international français privé. Car il y a des règles de conflits. Le code civil est formel : la filiation d'un enfant étranger est établie en appliquant la loi nationale du pays de la mère. Donc, selon notre règle de conflit, il faut appliquer les procédés reconnus par le droit étranger du pays de la mère étrangère. Je vous défie de trouver un droit étranger applicable dans un pays dont l'état civil n'est pas probant et où la possession d'état ne s'applique pas ! C'est elle qui marque la filiation réelle, seule preuve valable puisqu'elle exprime l'amour.

Respectons notre droit et les règles de droit international privé que nous sommes données ! (Applaudissements à gauche.)

M. Patrice Gélard. - Nous assistons à une nouvelle discussion générale sur des amendements que nous n'avons pas encore examinés ! Ce débat proprement surréaliste gagnerait à être mieux organisé. (Applaudissements à droite. Protestations sur les bancs du groupe CRC)

M. le président. - Tous les sénateurs sont ici égaux ; je rappelle à chacun d'eux que le temps de parole est limité à cinq minutes. (Mme Khiari applaudit)

M. Gérard Delfau. - Nous avons écouté avec attention l'intervention argumentée de M. Mercier. (M. de Rohan s'exclame) Je ne partage pas sa vision du code civil, même si j'en saisis la rationalité. Elle repose à mes yeux sur une fausse appréciation. Il nous dit en substance : « faisons des étrangers des Français plus que Français » (mouvements divers à droite), appliquons-leur notre code civil. Mais l'objectif n'est pas de déterminer le droit applicable aux étrangers devenus Français sur notre sol, mais de trouver tous les moyens possibles pour réduire l'immigration. (Marques d'approbation sur les bancs socialistes) Cela, nous ne pouvons l'admettre.

Je suggère à la commission des lois de réfléchir d'urgence à l'encadrement de l'établissement de la filiation par la voie génétique. Il s'est trouvé un juge -j'ai eu honte pour lui- pour décider que le cadavre d'Yves Montand serait déterré parce que quelqu'un se disait son enfant ...

En écoutant ceux de mes collègues soutenir par avance un amendement qu'ils ne sont pas censés connaître, si j'en crois M. Gélard, j'imagine le tableau terrible de ces femmes africaines qui, voulant légitimement bénéficier du regroupement familial, seront contraintes de saisir un juge de Nantes ...

M. Charles Revet. - Comment les choses se passent-elles chez nous ? Ce propos est scandaleux !

M. Gérard Delfau. - On nous dit même que les deux parties seront présentes à l'audience ... Le Sénat a-t-il pris la mesure de ce qu'il s'apprête à faire ? A-t-il perçu le trouble qui s'est emparé d'une partie de la Nation ? (On se moque à droite) Si par malheur notre Haute Assemblée se laissait aller à cette erreur ...

M. Charles Revet. - Chacun prendra ses responsabilités !

M. Gérard Delfau. - ... nul doute que nous aurions d'autres débats et d'autres lois pour la réparer ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Catherine Tasca. - Plus la majorité s'exprime, plus le débat devient confus. (Marques d'agacement à droite) Elle fait penser, inventant sans cesse de nouveaux arguments à l'appui de ses choix, à un animal pris dans un filet ; plus il se débat, plus le filet se resserre ! (Protestations à droite) Qu'elle soit donc plus paisible ! (Rires à droite) Car elle n'arrivera pas plus à nous convaincre qu'à camoufler la malignité de son initiative au regard du droit comme de l'image de la France dans le monde. Qu'Alpha Oumar Konaré l'ancien et respecté président du Mali emploie les mots qu'il a employés devrait faire réfléchir. Plus la majorité s'exprime, plus elle prend la mesure de son embarras à justifier le recours aux tests ADN. Son choix est idéologique, qu'elle l'assume au lieu de chercher à nous embrouiller ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Josselin de Rohan. - Laissez-nous voter !

Mme Alima Boumediene-Thiery. - Avec l'amendement Mariani, qui a soulevé l'indignation de nombreux scientifiques et intellectuels, le Gouvernement a réussi à occulter le reste de son projet. Cet amendement, on ne l'a pas assez dit, est contraire à nos règles de droit international privé. En matière de filiation, c'est le droit du pays de nationalité de la mère qui s'applique. Si ce droit prescrit que la filiation s'établit par la reconnaissance et l'adoption, seuls ces moyens peuvent être utilisés. En France même, le droit de la filiation n'est pas fondé sur la génétique (on note avec impatience, à droite, que l'argument a déjà été abondamment employé). Mais on veut avoir recours à celle-ci pour les étrangers. A-t-on oublié l'article 47 du code civil, aux termes duquel « tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi » ? Par parenthèse, l'amendement Mariani n'aidera guère les pays dont l'état civil est défaillant à progresser ...

Avec l'article 5 bis, les actes d'état civil sont présumés faux -et on demandera à l'étranger de prouver qu'ils sont authentiques ! Dans bien des cas, ledit étranger n'aura d'autre façon de s'en sortir que de recourir au test ADN. Et on dit que la démarche est volontaire ... Pour la majorité, l'étranger est par nature fraudeur, et les autorités étrangères, incapables ...

M. Charles Revet. - Le catalogue habituel ...

Mme Alima Boumediene-Thiery. - Nous avons refusé la généralisation des tests ADN dans les lois bioéthiques, la voilà qui resurgit. Le passage par le juge ne serait plus nécessaire ? Une telle inégalité de traitement serait inacceptable.

L'article 5 bis est révélateur d'une défiance envers l'étranger, individus ou États. Il est indigne de la France. (Applaudissements à gauche)

M. le président. - Amendement n°11, présenté par M. Buffet au nom de la commission.

Supprimer cet article.

M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Beaucoup a été dit, je serai bref. La commission des lois a examiné cet article la semaine dernière : les débats ont été nourris, et de nombreuses questions ont été soulevées, notamment sur l'impact de la mesure au regard de notre droit positif, sa compatibilité avec les lois bioéthiques ou les conséquences que pourraient avoir les résultats des tests ADN. D'autres arguments plaidaient en faveur du dispositif, qui avait déjà été sous-amendé par le Gouvernement. J'ai proposé pour ma part à la commission de l'encadrer davantage en limitant le délai de l'expérimentation à 18 mois et en prévoyant l'avis préalable du Comité consultatif national d'éthique. (Mme Borvo Cohen-Seat s'exclame). Le vote a eu lieu et la commission a décidé majoritairement la suppression de l'article. Mais les choses ont évolué depuis : hier, nous avons été saisis d'un nouvel amendement du président Hyest. Il ne m'appartient pas d'en parler ; je vous dirai tout à l'heure ce que la commission a décidé.

M. Jean-Patrick Courtois. - Très bien.

M. le président. - Amendement identique n°99, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe CRC.

Mme Éliane Assassi. - Nous nous sommes déjà exprimés sur l'article. Je me contenterai donc de citer les propos tenus ici même par M. Méhaignerie, alors garde des Sceaux, en 1994 : « Les répercussions sociales d'un recours non contrôlé aux tests génétiques ne doivent pas être mésestimées. Que resterait-il des règles qui régissent notre droit de la famille, fondé tout autant sur le sentiment affectif et la paix des familles que sur la vérité du sang ? Que resterait-il de l'intérêt de l'enfant s'il pouvait se voir imposer des révélations biologiques qu'il préférerait ignorer, car l'identification génétique peut être réalisée à l'insu même de l'intéressé ? »

Je vous invite à méditer ces propos, qui sont toujours d'actualité, avant de voter.

M. le président. - Amendement identique n°140, présenté par Mme Michèle André et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Mme Michèle André. - Tout a été dit, je serai brève. La loi bioéthique de 1994 pose le principe que l'identification d'un individu ou la détermination d'une filiation grâce aux empreintes d'ADN ne peut être entreprise qu'en vertu d'une saisine judiciaire. Je cite Axel Khan et Didier Sicard, anciens membres du Comité consultatif d'éthique : « La femme peut être inséminée avec un sperme de donneur ; les enfants peuvent être adoptés ; le père légal peut être différent du père biologique sans que cela remette en question le lien familial. Les généticiens savent que tel est le cas, suivant les régions, de 3 à 8 % des enfants français de souche. On peut être père ou mère de coeur, par le désir, par la transmission des valeurs, sans avoir rien légué de ses gènes à ses enfants ». En droit français la filiation ne repose pas sur la génétique. Ces pour ces raisons morales que nous demandons la suppression de cet article.

M. le président. - Amendement identique n°179, présenté par M. Fauchon et les membres du groupe UC-UDF.

M. Pierre Fauchon. - Il est défendu.

M. le président. - Amendement n°185 rectifié, présenté par MM. Fauchon et Mercier.

Rédiger ainsi cet article :

L'article L. 111-6 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Toutefois, le demandeur d'un visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois, ou son représentant légal, ressortissant d'un pays dans lequel l'état civil présente des carences peut, en cas d'inexistence de l'acte d'état civil, ou lorsqu'il a été informé par les agents diplomatiques ou consulaires de l'existence d'un doute sérieux sur l'authenticité de celui-ci, solliciter son identification en invoquant sa possession d'état telle que définie par l'article 311-1 du code civil. »

M. Pierre Fauchon. - Cet amendement est ma contribution essentielle à ce débat. Afin de tenter de répondre à l'absence d'état civil dans certains pays, et avant l'ultime recours que constituent les tests ADN, je propose que l'on constate la possession d'état pour établir la filiation. Reconnue par le code civil, c'est une situation de fait, qui repose sur trois critères : porter le nom des parents, avoir vécu dans la famille, être reconnu par l'entourage. Les autorités apprécient concrètement la réalité de la situation de l'enfant par des témoignages, des constats photographiques, ou tout autre élément de preuve. C'est l'affection traduite en termes juridiques : l'enfant, c'est celui qui a été traité comme tel, celui que l'on prend par la main, comme dit la chanson.

J'ai déposé cette proposition sous deux formes : un sous-amendement à l'amendement de M. Hyest, qui a ma préférence, et un amendement de repli.

M. le président. - Amendement n°203, présenté par M. Hyest.

Rédiger comme suit cet article :

I. - L'article L. 111-6 du même code est complété par neuf alinéas ainsi rédigés :

« Toutefois, par dérogation à l'article 16-11 du même code, le demandeur d'un visa pour un séjour de longue durée supérieure à trois mois, ou son représentant légal, ressortissant d'un pays dans lequel l'état civil présente des carences peut, en cas d'inexistence de l'acte d'état civil , ou lorsqu'il a été informé par les agents diplomatiques  ou consulaires de l'existence d'un doute sérieux sur l'authenticité de celui-ci, solliciter son identification par ses empreintes génétiques afin d'apporter un élément de preuve d'une filiation déclarée avec la mère du demandeur de visa. Le consentement des personnes dont l'identification est ainsi recherchée doit être préalablement et expressément recueilli.

« Les agents diplomatiques ou consulaires saisissent sans délai le Président du Tribunal de Grande Instance de Nantes, pour qu'il statue, après toutes investigations utiles, sur la nécessité de faire procéder à une telle identification.

« Si le Président estime la mesure d'identification nécessaire, il désigne une personne chargée de la mettre en oeuvre parmi les personnes habilitées dans les conditions prévues au dixième alinéa.

« La décision du Président et, le cas échéant, les conclusions des analyses d'identification autorisées par celui-ci, sont communiquées aux agents diplomatiques ou consulaires.

« Un décret en Conseil d'Etat, pris après avis du Comité consultatif national d'éthique, définit :

« 1° les conditions de mise en oeuvre des mesures d'identification des personnes par leurs empreintes génétiques préalablement à une demande de visa ;

« 2° la liste des pays dans lesquels ces mesures sont mises en oeuvre, à titre expérimental ;

« 3° la durée de cette expérimentation, qui ne peut excéder  dix-huit mois à compter de la publication de ce décret ;

« 4° les modalités d'habilitation des personnes autorisées à procéder à ces mesures. »

II. - Dans le premier alinéa de l'article 226-28 du code pénal, après les mots : « procédure judiciaire », sont insérés les mots : « , ou de vérification d'un acte d'état civil entreprise par les autorités diplomatiques ou consulaires dans le cadre des dispositions de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ».

III. - Une commission évalue annuellement les conditions de mise en oeuvre du présent article. Son rapport est remis au Premier Ministre. Il est rendu public. La commission comprend :

1° deux députés ;

2° deux sénateurs ;

3° le Vice-Président du Conseil d'Etat ;

4° le Premier Président de la Cour de Cassation ;

5° le Président du Comité consultatif national d'éthique ;

6° deux personnalités qualifiées, désignées par le Premier Ministre ;

Son président est désigné, parmi ses membres par le Premier Ministre. 

M. Jean-Jacques Hyest. - Je revendique la paternité de cet amendement. (Sourires). Nos grands penseurs de toutes sortes ont tendance à parler de ce qui les intéresse, pas toujours de ce qui est effectivement dans les textes. Nous verrons si tous les arguments, justifiés, contre l'amendement voté par l'Assemblée nationale tiennent encore.

On nous dit que les lois bioéthiques interdisent l'identification par empreintes génétiques. Faux ! L'article 16-11, alinéa 2 du code civil permet, sous certaines conditions, l'identification en vue de la filiation, que ce soit pour la prouver ou la contester. Nous en avions beaucoup débattu lors de la révision des lois bioéthiques. L'amendement de l'Assemblée nationale ne correspondait pas aux dispositions du code civil : on ne pouvait donc l'accepter.

Deuxième inconvénient : en vertu du principe de présomption de paternité, on ne peut accepter que la filiation se fasse avec le père ou la mère. Est-on jamais sûr à cent pour cent de sa paternité (Murmures) ? Il serait dangereux de remettre ainsi en cause tout ce qui constitue la famille : il fallait donc modifier le dispositif sur ce point.

Troisièmement -et c'est l'apport de cet amendement, complété par M. Fauchon- pour rentrer dans le cadre du code civil, il fallait prévoir un contrôle d'une autorité judiciaire, en l'espèce le tribunal de grande instance de Nantes, compétent en matière d'état civil. Ce sera ensuite au code de procédure civile de déterminer les modalités, en prévoyant, bien entendu, un débat contradictoire.

Il ne s'agit pas d'une dérogation : on est bien dans le cadre de l'article 16-11 alinéa 2 du code civil. Les médias ont interprété cette mesure comme la restriction d'un droit. Mais le rapport de M. Gouteyron souligne bien que dans de nombreux cas, on refuse le regroupement familial car l'état civil est insuffisant ! Quant à la possession d'état, qui suppose un faisceau de critères, elle est souvent trop compliquée à établir pour les autorités consulaires.

Dans beaucoup de pays, il n'y a pas de législation sur le sujet : on procède à des tests ADN, mais qui ne peuvent servir de preuve ! C'est paradoxal.

Je me réjouis de la qualité de ce débat. Si tout le reste n'a pas fonctionné, qu'il y ait cette possibilité, à condition de rester dans le cadre légal et sous le contrôle du juge.

J'ajoute qu'il y a des pays dans lesquels l'état civil n'est pas contesté, comme l'Algérie, la Tunisie, le Maroc, ou le Vietnam, par exemple. L'état civil vaut par convention. Mais avec d'autres pays, si nous voulons éviter des détournements volontaires, il nous faudra absolument nous concerter, ne serait-ce que pour éviter qu'on nous refasse le coup du néocolonialisme.

Avec les sous-amendements de MM. Fauchon et de Richemont, mon amendement parvient à un équilibre. Je suis autant que d'autres attaché à des valeurs éthiques. Si ce débat clarifie les choses, il n'aura pas été vain. Je veux qu'il soit dit que cet amendement rendra possibles des regroupements familiaux qui, sans lui, auraient été impossibles. (Applaudissements à droite et sur certains bancs au centre)

M. le président. - Sous-amendement n°207 rectifié à l'amendement n°203 de M. Hyest, présenté par MM. Fauchon et Mercier.

I. - Rédiger ainsi le troisième alinéa de l'amendement n° 203 :

Le demandeur d'un visa pour un séjour de longue durée supérieure à trois mois, ou son représentant légal, ressortissant d'un pays dans lequel l'état civil présente des carences peut, en cas d'inexistence de l'acte d'état civil, ou lorsqu'il a été informé par les agents diplomatiques ou consulaires de l'existence d'un doute sérieux sur l'authenticité de celui-ci, qui n'a pu être levé par la possession d'état telle que définie à l'article 311-1 du même code, demander que son identification par ses empreintes génétiques soit recherchée afin d'apporter un élément de preuve d'une filiation déclarée avec la mère du demandeur de visa. Le consentement des personnes dont l'identification est ainsi recherchée doit être préalablement et expressément recueilli. Une information appropriée quant à la portée et aux conséquences d'une telle mesure leur est délivrée.

II. - Rédiger ainsi le quatrième alinéa de l'amendement n° 203 :

Les agents diplomatiques ou consulaires saisissent sans délai le Tribunal de Grande instance de Nantes, pour qu'il statue, après toutes investigations utiles et un débat contradictoire, sur la nécessité de faire procéder à une telle identification.

III. - Rédiger ainsi le début du cinquième alinéa de l'amendement n° 203 :

Si le Tribunal estime...

IV. - Rédiger ainsi le début du sixième alinéa de l'amendement n° 203 :

La décision du Tribunal et, le cas échéant...

V. - Compléter le 3° du I de l'amendement n° 203 par les mots :

et qui s'achève au plus tard le 31 décembre 2009

VI. - Après la première phrase du premier alinéa du III de l'amendement n° 203, insérer une phrase ainsi rédigée :

Elle entend le Président du Tribunal de Grande Instance de Nantes.

M. Pierre Fauchon. - Il a été défendu.

M. le président. - Sous-amendement n°205 rectifié à l'amendement n°203 de M. Hyest, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller.

I - Dans la première phrase du troisième alinéa de l'amendement n° 203, supprimer les mots :

, par dérogation à l'article 16-11 du même code,

II - Après les mots :

de celui-ci,

rédiger comme suit la fin de la même phrase :

apporter la preuve, par tout moyen, d'une filiation déclarée avec l'un des deux parents ou invoquer sa possession d'état telle que définie par l'article 311-1 du code civil.

Mme Alima Boumediene-Thiery. - Puisque le Gouvernement et la commission ont décidé de s'affranchir des règles du code civil... (Vives protestations à droite).

M. Josselin de Rohan. - Une sénatrice n'a pas le droit de dire n'importe quoi !

Mme Alima Boumediene-Thiery. - ...il peut faire encore un pas et accepter que la filiation puisse être prouvée « par tout moyen ». C'est conforme à ce que vous voulez et cela évite des mots affreux qui, en outre, sont inadaptés à des situations aussi simples que l'adoption. Laissons les gens libres du moyen de preuve qu'ils choisiront.

M. Charles Revet. - C'est de l'hypocrisie !

M. le président. - Sous-amendement n°206 rectifié à l'amendement n°203 de M. Hyest, présenté par M. de Richemont.

I - Rédiger comme suit le quatrième alinéa de l'amendement n° 203 :

« Les agents diplomatiques ou consulaires saisissent sans délai le Tribunal de Grande instance de Nantes, pour qu'il statue, après toutes investigations utiles et après débat contradictoire, sur la nécessité de faire procéder à une telle identification.

II - Dans les cinquième et sixième alinéas de l'amendement n° 203, remplacer le mot :

Président

par le mot :

Tribunal

M. Henri de Richemont. - Dès lors qu'il s'agit d'enfants mineurs, ils doivent être représentés de manière utile et efficace devant le tribunal de grande instance.

M. le président. - Sous-amendement n°204 à l'amendement n°203 de M. Hyest, présenté par le Gouvernement.

Compléter le sixième alinéa de l'amendement n° 203 par une phrase ainsi rédigée :

Ces analyses sont réalisées aux frais de l'État.

M. Brice Hortefeux, ministre. - J'ai entendu les arguments avancés ici.

M. Charles Revet. - Des arguments vont tomber...

M. le président. - Amendement n°184, présenté par MM. Fauchon et Mercier.

Dans la première phrase du deuxième alinéa de cet article, remplacer les mots :

au moins l'un des deux parents

par les mots :

la mère du demandeur de visa

M. Pierre Fauchon. - Il est défendu.

M. Josselin de Rohan. - Je demande la priorité pour l'amendement n°203 et les sous-amendements rattachés.

M. François-Noël Buffet, rapporteur. - Favorable.

M. Brice Hortefeux, ministre. - Favorable.

La priorité est ordonnée.

M. François-Noël Buffet, rapporteur. - La commission est favorable au sous-amendement n°207 tel qu'il a été rectifié. Le n°205 rectifié ne lui a pas paru très clair : défavorable. Quant au sous-amendement n°206 rectifié, il est satisfait par le n°207 rectifié.

M. Henri de Richemont. - Puisque M. Fauchon a incorporé à son sous-amendement ce que je souhaitais, je puis retirer le mien.

Le sous-amendement n°206 rectifié est retiré.

M. François-Noël Buffet, rapporteur - Favorable, enfin, au sous-amendement n°204.

Sur l'amendement n°203, en revanche, le vote de la commission a été partagé. Elle n'a donc pas émis d'avis.

M. Brice Hortefeux, ministre. - Favorable au sous-amendement n°207 rectifié. Le n°205 rectifié est satisfait : retrait. Et le n°206 rectifié a été satisfait.

M. Pierre-Yves Collombat. - Je félicite nos collègues pour leur art parlementaire, car cet article n'a plus grand-chose à voir avec celui que l'Assemblée nationale a adopté ! (Vives exclamations à droite)

M. Charles Revet. - Normal, nous sommes au Sénat !

M. Pierre-Yves Collombat. - En pratique, cet article n'aura pas grand effet puisqu'il est inapplicable : la casse est limitée, nous n'avons pas perdu notre temps. Cependant, on touche là aussi au symbolique. Qu'est-ce qui, au fond, fait la filiation ? (Marques d'ironie à droite) C'est, entre l'enfant et ses géniteurs, une institution, qui ne fait pas qu'indiquer la place de l'enfant dans la famille, mais aussi dans la société. Le philosophe Pierre Legendre qualifie de « conception bouchère de la filiation »...

M. Charles Revet. - C'est élégant !

M. Pierre-Yves Collombat. - ... cette tendance de notre société à réduire la filiation à la biologie. Ce texte y participe, il en marque un palier supplémentaire, qu'on réalisera avoir franchi quand il sera trop tard peut-être, y compris ceux qui, aujourd'hui, pensent faire oeuvre utile. Nous ne l'acceptons pas ! (M. Desessard applaudit)

Mme Jacqueline Gourault. - J'ai écouté attentivement le président de mon groupe ainsi que M. Fauchon, je comprends que la loi bioéthique et le code civil forment le cadre, je me réjouis que les étrangers et les Français soient traités de la même façon : c'est ce qui me fera voter contre cet amendement, parce que le droit existant suffit et je ne vois pas ce que ce dispositif ajoute d'utile ! (Applaudissements à gauche) Je pense aussi que l'inclure dans la loi sur l'immigration, ce serait un mauvais signe. (Mêmes mouvements)

M. Brice Hortefeux, ministre. - Nous débattons de cet article depuis deux heures, il est temps de revenir aux principes et au dispositif même.

D'abord, personne ne propose je ne sais quel fichage génétique des étrangers (marques dubitatives à gauche), ni de porter atteinte à la loi bioéthique, Madame Gouraud !

Mme Jacqueline Gourault. - Je ne l'ai pas dit !

M. Brice Hortefeux, ministre. - Personne ne sera contraint de réaliser un test ADN contre sa volonté ! (Vives exclamations à gauche) Ce que nous voulons, c'est répondre à ces demandeurs qui ne peuvent obtenir un visa faute de pouvoir prouver la filiation, dès lors que leurs papiers d'état civil sont des faux : dans certains pays sub-sahariens, 30 à 80 % des documents d'état civil sont frauduleux ! Le Haut commissariat aux réfugiés a relevé que les tests ADN étaient de plus en plus fréquemment utilisés pour établir la filiation, douze pays européens y recourent, socialistes, socio-démocrates... Je ne comprends pas ce qui vous gêne ! Nous accordons un droit nouveau aux étrangers de bonne foi, en garantissant le respect de tous les principes de notre droit.

Je partage vos préoccupations, que les garanties soient effectives et hiérarchisées. J'en vois six. Le volontariat : l'initiative du test ADN appartient au demandeur de visa, c'est le sens du sous-amendement n°207 de M. Fauchon. La recherche de filiation est limitée au lien de maternité. (Exclamations à gauche)

Mme Catherine Tasca. - Scandaleux !

M. Brice Hortefeux, ministre. - Non, c'est sage : cela évitera des situations tragiques. L'État remboursera le test ADN, ce qui évitera toute discrimination par le coût. Le test nécessitera une décision d'un juge civil, les règles applicables du code civil sont identiques pour les Français et les étrangers : il n'y a aucune discrimination, la loi bioéthique est pleinement respectée. Je ne vois pas d'obstacle, du reste, à ce que la loi mentionne le tribunal, plutôt que le juge. La notion de possession d'état est maintenue. Le sous-amendement de Mme Boumediene-Thiery le précisait, mais à titre exclusif, ce qui était excessif. Enfin, la possibilité de recourir au test ADN sera expérimentale, pour 18 mois après la publication de la loi, un bilan pourra être établi à l'issue de cette période.

Ce dispositif constitue une avancée, donne un droit nouveau aux demandeurs de bonne foi, tout en respectant notre droit et nos principes éthiques. (Applaudissements à droite et sur la plupart des bancs du centre, exclamations à gauche)

Le sous-amendement n°207 rectifié est adopté.

Le sous-amendement n°205 rectifié devient sans objet.

Le sous-amendement n°204 est adopté.

M. Jacques Mahéas. - Permettez à un élu de Seine-Saint-Denis de s'exprimer sur l'amendement n°203, puisque ce département est réputé poser des problèmes de regroupement familial. Votre loi, même modifiée par cet amendement, sera vécue en Seine-Saint-Denis comme le signe d'une tyrannie génétique (vives exclamations à droite), comme une humiliation pour ceux dont elle va, dans les faits, empêcher le regroupement familial ! (Exclamations à droite)

Vous prétendez que ces dispositions concernent aussi bien les Français que les étrangers. Mais vous savez comme moi qu'en cas de décès d'un parent, l'enfant peut facilement être adopté par le nouveau conjoint du parent survivant. Que se passera-t-il s'il s'agit d'étrangers ? (Exclamations à droite) Je parle de cas douloureux ! Vous ne pouvez écarter ces questions d'un revers de main. Or la loi est muette sur ce point et ces enfants resteront sans famille.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Mais non !

M. Jacques Mahéas. - Comment se fera le regroupement familial dans ce cas ? Il y a un vide juridique et la génétique ne remplacera pas tout.

M. Jean-Pierre Raffarin. - Nous sommes d'accord là-dessus !

M. Jacques Mahéas. - Alors, dites-moi quelle sera la solution.

M. Charles Revet. - Qu'il se taise !

M. Jacques Mahéas. - Vous ne semblez pas connaître le sujet. Moi qui suis élu de terrain...

M. Charles Revet. - Nous le sommes aussi : il n'y a pas que la Seine-Saint-Denis en France !

M. Jacques Mahéas. - Je souhaite que M. le ministre me donne une réponse concrète. (« Non, non ! » à droite)

Les gens de gauche et les républicains ne voteront pas ce texte peu glorieux : « science sans conscience n'est que ruine de l'âme ». (Applaudissements socialistes)

M. Bernard Frimat. - J'ai écouté tous les orateurs avec intérêt et, au terme de ce débat, vous comprendrez que je ne puisse voter cet article.

M. Charles Revet. - On s'en doutait un peu !

M. Bernard Frimat. - Il y a le texte et le contexte.

M. Jean-Claude Carle. - Sans parler des prétextes !

M. Bernard Frimat. - Avez-vous conscience de la façon dont ce texte va être accueilli par nos amis africains, par vos amis africains ? Le président du Sénégal, Abdulaye Wade, et le président de l'Union africaine, Alpha Oumar Konaré, se sont élevés contre ce texte, le second estimant que le test ADN était inconcevable et le premier déclarant qu'il aurait été préférable de dire que nous ne voulions plus d'eux chez nous, avant de formuler d'autres exigences encore. Ne feignons donc pas de croire que cette loi n'aura pas de conséquences.

Enfin, monsieur le ministre, vous avez été le premier à vous exprimer sur l'amendement du président Hyest que vous avez présenté au Sénat, exerçant une sorte de paternité adoptive (sourires) sur cet amendement que vous appeliez de vos voeux, alors que vous aviez auparavant accepté celui de M. Mariani à l'Assemblée nationale. En réalité, votre but n'est pas de faciliter le regroupement familial des étrangers installés régulièrement dans notre pays mais de stigmatiser l'immigration clandestine, véritable fond de commerce de votre politique.

Cet amendement, bien que meilleur que celui adopté par l'Assemblée nationale, n'en reste pas moins détestable et contraire à nos convictions. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Brice Hortefeux, ministre. - Je retiens le qualificatif « meilleur ».

Certes, le président du Sénégal a commenté l'amendement, mais il s'agissait de celui voté par l'Assemblée nationale. (On le confirme à droite) J'ai transmis à l'ambassadeur du Sénégal la proposition du président Hyest et il m'a répondu que dès lors que la loi était la même pour les Français, il n'avait plus d'objection. Je regrette que vous n'ayez pas vu la dépêche tombée sur ce sujet. (« Très bien ! » et applaudissements à droite)

M. Alain Milon. - Je n'aurais pas voté l'amendement Mariani, inique et insupportable, mais celui du président Hyest me semble plus acceptable. Vous engagez-vous, monsieur le ministre, à défendre la position du Sénat en commission mixte paritaire ?

M. Robert Badinter. - MM. Mahéas et Frimat ont dit les sentiments de ceux auxquels va s'appliquer cette mesure. Et il est inexact, monsieur le ministre, de prétendre que l'amendement Hyest va mettre sur le même plan Français et étrangers. En France, le recours à un test ADN n'est possible qu'en cas de conflit familial. Tel ne sera pas le cas pour les étrangers puisque les tests seront utilisés à des fins de police des étrangers.

M. le ministre nous a dit que l'amendement Hyest était bien préférable au texte voté par l'Assemblée nationale. Je m'étonne qu'il ait fallu attendre la transmission au Sénat pour s'en rendre compte. Il n'empêche que le retentissement de ce texte en Afrique sera totalement négatif. (Applaudissements socialistes)

M. David Assouline. - Entre l'amendement Mariani, qui a été défendu par M. le ministre et voté par l'Assemblée nationale, et les propos qui ont été tenus au Sénat sur ce même amendement, je me dis qu'il est heureux que les députés de l'opposition se soient battus au palais Bourbon et que le débat soit arrivé sur la place publique afin de faire évoluer les esprits. Et il ne faudrait pas, en fin de course, que M. Hortefeux nous traite de mauvais coucheurs.

N'aurait-il pas suffi d'une simple phrase pour appliquer les règles du code civil, ce qui aurait évité la mention des tests ADN ? On aurait réparé les dégâts commis dans nos banlieues et à l'étranger. On aurait pu alors sortir de cette affaire par le haut en votant le texte à l'unanimité mais l'amendement Hyest maintient dans la loi les tests ADN, signal négatif, au lieu de lever tous les malentendus. Nous ne pouvons entrer dans vos manoeuvres car demain, l'émotion demeurera.

M. Jean-Jacques Hyest. - Vous n'avez pas compris mon amendement. J'ai dit...

M. Jacques Mahéas. - Pour sauver l'UMP ?

M. Jean-Jacques Hyest. - Il y a plus de travail au PS ! (Applaudissements à droite) Il nous faut adapter le code civil : le test sera volontaire si la possession d'état ne peut être prouvée ; la juridiction française sera compétente.

Je n'aurais pu voter l'amendement adopté à l'Assemblée nationale parce qu'il était juridiquement insuffisant et maladroit : il laissait penser qu'il était dirigé contre le regroupement familial. Je suis fier de mon amendement.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Même assorti de précautions, l'amendement de M. Mariani reste difficilement acceptable. Il s'agirait d'un moyen moderne utilisé chez certains de nos voisins. Mais devons-nous le retenir parce qu'il est moderne et parce que certains de nos voisins l'admettent ? Devons nous l'adopter parce que ce n'est qu'une faculté ouverte à titre expérimental ? Ne devons-nous pas plutôt nous interroger sur son incidence et, pour cela, en revenir aux principes ? L'essentiel, et l'amendement ne change rien à l'affaire, c'est que le test ADN modifie la conception que nous avons de la famille : la filiation est fondée sur la reconnaissance. C'est la conception française dans laquelle l'amendement ouvrirait une brèche sans que le Comité national d'éthique ait été consulté. Ce n'est conforme ni à la lettre ni à l'esprit de notre droit, non plus qu'à notre vision de l'enfant. Comme beaucoup de mes collègues, je m'abstiendrai. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Le ministre n'avait pas prévu cette disposition dans son projet initial mais lorsque M. Mariani a déposé son amendement, il s'est empressé de l'accepter pour restreindre le regroupement familial. Pourtant, 6 à 8.000 enfants seulement sont concernés, chiffre dérisoire.

La commission des lois avait rejeté l'amendement Mariani parce qu'il introduisait des tests génétiques. Et tout le monde a compris que M. Hyest cherche à éviter au ministre et à la majorité de se déjuger après que le Président de la République s'est engagé. Cependant, son amendement, s'il change subtilement les choses, maintient le principe et le test ADN sera surdéterminant pour l'admission des enfants.

Pour certains, dans notre pays, la génétique, enfin, évoque des souvenirs très pénibles. Dans le doute, abstenons-nous et tenons-nous à la position qu'a adoptée la commission des lois : nous voterons contre l'amendement.

M. Louis Mermaz. - On parle beaucoup des droits du Parlement et chacun ici votera en conscience. Mais le droit du Parlement, c'est parfois de savoir dire non au gouvernement même si voici bien des années, gauche et droite confondues car nous n'avons pas fait mieux que vous, que nous glissons vers un régime un peu consulaire.

L'amendement Mariani, habillé par M. Hyest...

M. Louis Mermaz. - Même expérimental, même avec la gratuité, cet amendement reste un texte fait pour ne pas fonctionner. Il scandalisera nos amis africains. C'est un grand malheur pour la France.

Songez à la mère de famille vivant au fond du Mali qui est volontaire pour passer un test : elle va s'adresser au TGI et il y aura un débat ? Comment voulez-vous que du Burkina-Faso à Nantes cela fonctionne ? C'est une insulte aux Africains. Je vous invite tous, sur quelque banc que vous soyez, à avoir le courage de voter contre cette disposition. (Applaudissements à gauche)

M. Pierre Fauchon. - M. Badinter a fait une lecture quelque peu superficielle de l'article 16-11 du code civil en n'évoquant que la contestation de la filiation : « En matière civile, cette identification ne peut être recherchée qu'en exécution d'une mesure d'instruction ordonnée par le juge saisi d'une action tendant soit à l'établissement ou la contestation d'un lien de filiation... » Nous sommes ici dans l'hypothèse de l'établissement de ce lien et donc dans une démarche d'extension, non de dérogation puisque cette possibilité existe déjà. Pour l'appliquer au regroupement familial, il nous faut voter cet amendement.

L'opposition se lance dans la caricature, mais vous vous rendrez compte quand vous relirez les débats dans le Journal officiel combien vos propos sont excessifs et vous n'en serez pas fiers. Ainsi, Mme Borvo Cohen-Seat juge le texte restrictif pour l'entrée des enfants alors qu'il essaie de remédier à des situations existantes. (On proteste à gauche) Vous ne supportez pas de m'entendre parce que vous êtes embarrassés.

Le problème est réel, et la solution de facilité, que vous semblez choisir, serait de ne rien faire. Nous voulons agir et proposons deux solutions : la possession d'état ou, à défaut, le test génétique pour la mère. Il ne s'agit pas, contrairement à ce que dit M. Frimat, d'une usine à gaz : nous aboutissons à un système complexe, mais c'est la vie qui est complexe. Et il sera utile aux mères qui en profiteront.

Un proverbe anglais dit qu'il est facile de prophétiser, excepté pour l'avenir. D'où l'intérêt de la démarche expérimentale. Nous ferons le bilan dans un an et demi, et je suis certain que nous constaterons que nous ne nous sommes pas trompés en votant cet amendement. (Applaudissements à droite)

M. Pierre Laffitte. - Nous avons amélioré le texte par rapport à la version adoptée par l'Assemblée nationale. Il nous faut maintenant avoir gain de cause en CMP, ce qui n'est pas encore garanti. Ce que l'administration gérait le sera désormais par l'autorité judiciaire : c'est une avancée considérable. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Pierre Sueur. - Pour maintenir les tests ADN dans ce texte, nous arrivons à une absurdité totale. Ce système est inapplicable.

Imaginez qu'en Afrique, en Océanie ou en Asie, un candidat au regroupement familial se trouve à 3 000 kilomètres du consulat français. S'il y a un doute sur la possession d'état, le tribunal de Nantes est saisi. En vertu de ce que certains s'apprêtent à voter, il procède à des investigations et s'intéresse à ce qui se passe à 15 000 kilomètres de notre territoire. Il faudra organiser un débat contradictoire, avec un représentant de l'administration, du ministère des Affaires étrangères, du consulat ainsi que quelqu'un qui représente l'enfant, vivant à 3 000 kilomètres de là. Qui va désigner l'avocat ? Faudra-t-il prévoir une visioconférence ? (Sourires)

Vous êtes bien conscients que c'est une palinodie, que votre système est inapplicable. Vous faites n'importe quoi pour sauver le test ADN. C'est inacceptable. Chers collègues, ne votez pas cela ! (Applaudissements à gauche)

Mme Patricia Schillinger. - Comme vous j'entends, depuis quelques heures, parler des femmes. Il aurait été utile que Mme Gautier s'exprime au moins une fois au nom de la Délégation aux droits des femmes.

L'amendement n° 203 est mis aux voix par scrutin public à la demande du groupe socialiste.

M. le président. - Voici les résultats du scrutin

Nombre de votants 323
Nombre de suffrages exprimés 314
Majorité absolue des suffrages exprimés 158
Pour l'adoption 176
Contre 138

Le Sénat a adopté. (Applaudissements à droite)

L'amendement n° 203, modifié, devient l'article 5 bis. Les autres amendements deviennent sans objet.

Prochaine séance, aujourd'hui à 9 h 45.

La séance est levée à minuit quarante-cinq.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du jeudi 4 octobre 2007

Séance publique

À 9 heures 45

1. Suite de la discussion du projet de loi (n° 461, 2006-2007) adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile.

Rapport (n° 470, 2006-2007) de M. François-Noël Buffet, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.

À 15 heures

2. Question d'actualité au Gouvernement.

Délai limite d'inscription des auteurs de questions :

Jeudi 4 octobre 2007, à 11 heures

3. Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur le « Grenelle de l'environnement ».

Le soir

4. Suite de l'ordre du jour du matin.

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DÉPÔTS

La Présidence a reçu de :

- M. Jean-Léonce Dupont un avis présenté au nom de la commission des affaires culturelles sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification de l'accord sur l'application de l'article 65 de la convention sur la délivrance de brevets européens (n° 474, 2006-2007) ;

- M. Francis Grignon un avis présenté au nom de la commission des affaires économiques sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification de l'accord sur l'application de l'article 65 de la convention sur la délivrance de brevets européens (n° 474, 2006-2007) ;

- M. le Premier Ministre un projet de loi relatif au parc naturel régional de Camargue ;

- M. Louis de Broissia un rapport d'information fait au nom de la commission des affaires culturelles sur la crise de la presse ;

- M. Jean-Marc Juilhard un rapport d'information fait au nom de la commission des affaires sociales sur la démographie médicale ;

- M. Jean Arthuis un rapport d'information fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sur le suivi des travaux de la Cour des comptes relatifs à l'établissement public d'aménagement de la Défense (EPAD) ;

- Mme Marie-France Beaufils un rapport d'information fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sur l'enquête de la Cour des comptes relative à la gestion et à l'efficacité des remboursements et dégrèvements d'impôts ;

- M. Jacques Peyrat un rapport fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le projet de loi relatif à la violation des embargos et autres mesures restrictives (n° 205, 2005-2006) ;

- M. Philippe Marini un rapport fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sur le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans les domaines économique et financier (n° 443, 2006-2007) ;

- M. Hubert Haenel un rapport fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification de l'acte portant révision de la convention sur la délivrance de brevets européens (n° 473, 2006-2007) ;

- M. Hubert Haenel un rapport fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification de l'accord sur l'application de l'article 65 de la convention sur la délivrance de brevets européens (n° 474, 2006-2007).