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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Code du travail (Décision du Conseil constitutionnel)

Dépôt d'un rapport

Retrait d'une question orale

Délégation du Sénat pour l'Union européenne (Candidature)

Formation professionnelle (Question orale avec débat)

Délégation du Sénat pour l'Union européenne (Nomination)

Santé au travail des salariés et risques professionnels (Proposition de loi)

Discussion générale

Interventions sur l'ensemble

Statut de l'élu local (Question orale avec débat)

Lois de financement de la sécurite sociale (Proposition de loi organique)

Discussion générale

Intervention sur l'article unique




SÉANCE

du mardi 22 janvier 2008

54e séance de la session ordinaire 2007-2008

présidence de M. Jean-Claude Gaudin,vice-président

La séance est ouverte à 10 h 5.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Code du travail (Décision du Conseil constitutionnel)

M. le président.  - M. le Président du Sénat a reçu de M. le Président du Conseil constitutionnel le texte d'une décision du Conseil constitutionnel qui concerne la conformité à la Constitution de la loi ratifiant l'ordonnance du 12 mars 2007 relative au code du travail.

Acte est donné de cette communication.

M. Gérard Larcher.  - Excellent !

Dépôt d'un rapport

M. le président.  - M. le Président du Sénat a reçu du Directeur général de l'Observatoire national de l'enfance en danger le rapport pour 2007 de cet organisme.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Retrait d'une question orale

M. le président.  - J'informe le Sénat que la question n° 127 de Mme Claire-Lise Campion est retirée de l'ordre du jour de la séance du mardi 29 janvier 2008, à la demande de son auteur.

Délégation du Sénat pour l'Union européenne (Candidature)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la désignation d'un membre de la Délégation du Sénat pour l'Union européenne.

Le groupe UMP m'a fait connaître qu'il proposait la candidature du Président Josselin de Rohan, en remplacement du très regretté Président Serge Vinçon.

Cette candidature a été affichée et sera ratifiée si la Présidence ne reçoit pas d'opposition dans le délai d'une heure.

Formation professionnelle (Question orale avec débat)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat de M. Jean-Claude Carle à M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité sur l'avenir de la formation professionnelle en France.

M. Jean-Claude Carle, auteur de la question. - Le Président de la République veut faire de la réforme de la formation professionnelle l'un des grands chantiers de 2008, estimant que notre système est « à bout de souffle », tant dans son organisation que dans son financement, et que la formation ne va pas à ceux qui en ont le plus besoin.

La mission d'information du Sénat que j'ai présidée, et dont le rapport, signé par M. Seillier, a été publié en juillet, au terme de six mois d'auditions et d'investigations, fait le même constat. A l'évidence, les résultats ne sont pas à la hauteur des moyens engagés.

Le budget de la formation initiale, qui a doublé en quinze ans, atteindra cette année 59 milliards pour l'enseignement scolaire et 23 milliards pour l'enseignement supérieur et la recherche. Cependant, cent cinquante mille jeunes, soit 20 % d'une génération, sortent chaque année sans qualification, 9 % de la population est illettrée, quatre vingt dix mille étudiants quittent l'université en première année. La première porte que pousse un jeune sur cinq est celle de l'ANPE. Le taux de chômage des jeunes représente 20 % d'une classe d'âge, contre 7 % en Allemagne. Un fils d'ouvrier a dix-sept fois moins de chances de préparer une grande école qu'un fils d'enseignant ou de cadre supérieur, et quatre fois plus de risques d'échec scolaire.

La formation continue représente près de 26 milliards, mais ne bénéficie pas à ceux qui en ont le plus besoin : 44 % des titulaires d'un BTS ou d'un diplôme de l'enseignement supérieur suivent une formation dans leur parcours professionnel, mais seulement 23 % des titulaires d'un CAP ou d'un BEP et à peine 12 % des non diplômés et non qualifiés. La formation professionnelle reproduit les inégalités de la formation initiale : la formation va à la formation.

Les TPE et PME consacrent dix fois moins à la formation professionnelle que les grandes entreprises. L'effort moyen est de 791 euros par salarié dans les entreprises de plus de dix salariés, contre soixante quatorze dans celles de moins de dix salariés ! La formation ne va pas à ceux qui en ont le plus besoin, aux petites entreprises qui créent l'emploi et dont les salariés ont les parcours les moins sécurisés.

Si nous en sommes arrivés là, c'est que notre système repose depuis des décennies sur une logique de dépense. Or l'inflation budgétaire continue n'est pas une réponse, monsieur le ministre !

La formation professionnelle initiale est considérée comme une voie d'orientation par défaut pour les jeunes en échec dans la filière générale. La formation professionnelle continue, quant à elle, est chargée du traitement social du chômage. Comment s'étonner qu'avec de tels objectifs, on arrive aux résultats évoqués ?

Enfin, le système de formation professionnelle français est opaque, éclaté et trop complexe pour assurer efficacement l'adaptation de la main-d'oeuvre et la promotion sociale. Ce sont les 3 C que dénonce notre rapport : complexité, cloisonnements, corporatismes.

Complexité tout d'abord, à tous les niveaux. Complexité dans les organismes de formation déclarés : il en existe quarante cinq mille, dont seulement cinq mille sont réellement actifs, avec une majorité de petits prestataires soumis à un simple régime déclaratif. La mission propose d'instituer une garantie de solidité financière, sous la forme d'un dépôt obligatoire lors de la déclaration. Un agrément pourrait également être délivré par le Conseil économique et social régional.

Complexité des diplômes : plus de mille deux cents diplômes ou titres professionnels sont délivrés par sept ministères certificateurs. On décompte cent quatre vingt dix huit CAP, trente-cinq BEP, soixante-treize baccalauréats professionnels, cent neuf BTS. Près de mille quatre cent cinquante licences professionnelles ont été créées pour seulement vingt mille étudiants, dont une licence professionnelle « Clown », à l'université de Lyon ! (Sourires)

M. Aymeri de Montesquiou.  - Il y a beaucoup de postulants !

M. Jean-Claude Carle.  - L'offre de certification n'est pas en phase avec les besoins. La spécialisation des diplômes s'accorde mal avec la polyvalence requise par le marché du travail.

Complexité des financements : on décompte quatre-vingt-dix-huit organismes paritaires collecteurs agréés, auxquels s'ajoutent les organismes collecteurs de la taxe d'apprentissage.

Complexité enfin au niveau des pouvoirs publics et des administrations d'État ou territoriales : j'y reviendrai.

Deuxième C : cette complexité fait le lit des corporatismes, voire des féodalités : chacun est soucieux de son pré carré mais en oublie les besoins des salariés et des entreprises, ce qui induit le troisième C, celui du cloisonnement.

C'est la politique de la patate chaude, chacun se refilant le bébé. Je me réjouis par conséquent de la fusion ANPE-Unedic ; le candidat Sarkozy s'était engagé à créer un service public de l'emploi universel, parce que, soulignait-il, « le devoir d'un chômeur, c'est de rechercher un emploi, pas de supporter le fardeau de la complexité administrative. Et le devoir de la collectivité nationale, c'est de mobiliser ses moyens au service du retour du chômeur à l'emploi ». Lors du débat au Sénat, j'ai proposé que les services d'orientation de l'Afpa soient intégrés à la nouvelle institution, au nom de la simplification et de l'efficacité. J'ai retiré cet amendement dans l'attente du prochain texte de loi sur la formation et notre commission a demandé un rapport sur les modalités de cet éventuel transfert.

Pour la mission, il faut passer d'une logique de dépense à une logique d'investissement, fixer d'autres objectifs à la formation et changer de méthode. Aux trois C, nous opposons les trois P et les deux E. D'abord, la personne, physique ou morale, doit être replacée au centre du système car elle en constitue la finalité ; ensuite, le partenariat, qui regroupe l'État, les intervenants socio-économiques, la région et les autres collectivités ; enfin, la proximité, nécessaire pour mieux prendre en compte la diversité des situations et mieux gérer les dépenses. Le bon niveau paraît être le bassin de formation.

Ces deux E, ce sont l'expérimentation et l'évaluation. L'expérimentation est inscrite dans la Constitution. Elle lève la crainte des effets pervers non maîtrisés. Tout ministre, quand il prend ses fonctions, est convaincu qu'il est urgent d'agir. Six mois plus tard, le voilà convaincu qu'il est urgent d'attendre : les corporatismes l'ont persuadé qu'une modification allait mettre la France à feu et à sang. L'évaluation est indispensable. Aujourd'hui, notre système de formation professionnelle souffre d'un manque d'évaluation. Le contrôle de l'État porte plus sur les moyens que sur les résultats et l'examen est parcellaire. En outre, les évaluateurs sont juges et parties, et les outils ne sont pas suffisants. Créons donc une autorité indépendante chargée d'évaluer l'ensemble du système -formation initiale et continue- en s'appuyant sur les compétences existantes.

La mission a fait une quarantaine de propositions, dont trois sont essentielles. Premièrement, il est nécessaire d'harmoniser la loi du 4 mai 2004, qui consacre les accords de l'AMI, et celle du 13 août 2004, relative à la décentralisation. Le plan régional doit avoir valeur d'engagement pour l'ensemble des partenaires. Ainsi nous passerons de compétences séparées à des compétences véritablement partagées. Aujourd'hui, ce plan consiste plus souvent en un catalogue de mesures limitées aux rectorats et aux régions. Pourtant, le monde socio-économique comme les élus locaux sont concernés !

Deuxièmement, nous proposons la création d'un compte épargne formation, à partir d'un nouveau droit individuel à la formation. Je me réjouis d'ailleurs que l'accord sur la modernisation du travail, qui vient d'être validé, prévoie la portabilité du droit individuel à la formation en cas de licenciement. On peut aller plus loin, si les partenaires sociaux le décident, en évitant une transférabilité totale, qui ne serait pas supportable pour les entreprises. Le nouveau DIF transférable impliquera la suppression de l'obligation légale, peu incitative. Les entreprises pourront recourir plus librement à des solutions moins coûteuses que les stages. Le droit individuel à la formation permet une convergence entre les souhaits du salarié et les besoins de l'entreprise. Si le plan de formation, lui, est à l'initiative de l'entreprise, le congé individuel à la formation (CIF) dépend du salarié. C'est la raison qui nous a conduit à faire du nouveau DIF, qui pourrait d'ailleurs être rebaptisé en « devoir indispensable de formation », un pivot du compte épargne formation. Il importe aussi d'attacher le droit à la personne plus qu'à son statut. Ce compte ne pourrait en aucun cas faire l'objet d'un versement en monnaie sonnante et trébuchante : nous irions à l'inverse de l'objectif recherché.

La troisième proposition concerne l'ingénierie. L'orientation est un enjeu central. Or, aujourd'hui, elle se fait par échecs successifs ! Il faut au contraire mettre en place une orientation positive, qui concilie le projet du jeune, les besoins de l'économie et ceux des territoires. Il faut notamment encourager l'intelligence du geste. La connaissance des conseillers d'orientation psychologues en matière d'environnement économique est insuffisante. Nous proposons de les anoblir en « conseillers d'orientation professionnelle et psychologues ». Rattachons-les à la région, chargée de la formation professionnelle.

En ce qui concerne la formation continue, les PME et TPE préfèrent payer l'obligation légale plutôt que de former, pour cause de complexité. Il faut soulager les chefs d'entreprise des tracasseries administratives. Nous proposons que les OPCA les soulagent de ce parcours du combattant. Pourquoi ne pas nous inspirer des agriculteurs qui ont mis en place un service de remplacement, ou favoriser des groupements d'employeurs ? Les préretraités et retraités pourraient être sollicités pour effectuer des remplacements comme pour apporter leur savoir-faire aux jeunes. Ces mesures, pour être pleinement efficaces, exigent à chaque niveau un chef de file, pour assurer la cohérence.

« Il n'y a plus de pilote dans l'avion » nous a dit Jacques Delors à propos de la formation professionnelle. Il faut, aux côtés du Premier Ministre, un chef de file ayant une vision transversale : entre trois et sept ministères s'occupent généralement de ce sujet ! De même à l'Assemblée nationale et au Sénat, la formation est éclatée entre plusieurs commissions et ne figure dans le titre d'aucune. Il s'agit pourtant de la première ligne du budget de la Nation.

Le pilotage revient légitimement à la région, dans la logique même de la décentralisation. Mais pour jouer pleinement son rôle et affirmer son autorité, cette collectivité a besoin d'un instrument stratégique adapté et puissant, le PRDF, qui doit engager tous les partenaires. Le bassin de formation est le lieu privilégié de l'action, afin de traiter les besoins spécifiques et mener des expérimentations. Notre mission recommande, à titre expérimental, des conseils locaux de la formation, chargés de trouver des solutions concrètes à des difficultés locales.

On ne pourra rien faire sans la volonté politique forte exprimée à plusieurs reprises par le Président de la République. Aujourd'hui, le moteur fournit l'énergie ; que l'embrayage enclenche le mouvement ! Il est inacceptable qu'un jeune ayant trouvé une entreprise d'accueil se voie refuser une place dans un établissement, ou qu'un salarié se voie fermer l'accès à une formation indispensable sur le plan professionnel parce quel tel ou tel organisme aurait décidé qu'elle n'était plus prioritaire pour la branche.

Monsieur le ministre, j'attends maintenant de connaître la suite qui sera réservée aux souhaits exprimés par le Président de la République, et le calendrier correspondant.

Je regrette que Mme la ministre chargée de l'économie, des finances et de l'emploi ne participe pas à ce débat. Ses obligations sont sans doute impératives, mais le débat parlementaire et la formation passent une fois de plus au second plan. Cela dit, je sais votre implication au service de l'emploi et de la formation, prouvée autrefois comme parlementaire et aujourd'hui comme ministre.

La formation est le meilleur investissement de la nation. Il y a 25 siècles Socrate avait déjà observé : « Le savoir est la seule matière qui augmente quand on la partage ». Je souhaite que l'année 2008 soit celle du partage du savoir, pour augmenter les richesses de la Nation et assurer l'avenir de nos enfants ! (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Annie David. - Je suis bien sûr d'accord avec notre collègue M. Carle lorsqu'il constate que la formation professionnelle bénéficie principalement aux salariés les plus diplômés, avec de grosses disparités selon la taille des entreprises. Ainsi, chaque année, 60 % des salariés ne profitent pas de leur droit à formation. Environ 25 % des titulaires d'un CAP y ont accès, contre 45 % des diplômés de l'enseignement supérieur. Selon la direction de l'animation, de la recherche, des études et statistiques (Dares), seuls 8,1 % de chômeurs suivaient une formation professionnelle fin 2005 et 8,7 % un an plus tard.

Notre collègue a également raison lorsqu'il mentionne la complexité de l'offre et son manque de visibilité : en cas de perte d'emploi ou de reconversion, l'existence de 45 000 organismes de formation ne peut que dérouter le salarié, parfois insuffisamment conseillé. Les quatre-vingt dix-huit organismes paritaires collecteurs agréés (Opca) ne font qu'ajouter à cette lourdeur. Notre mission a constaté ces difficultés, que son rapporteur vient de rappeler.

Je ne conteste pas non plus l'aspiration des salariés au droit individuel à la formation, attaché à la personne, transférable tout au long de sa vie et destiné à satisfaire ses besoins en matière de développement professionnel et personnel. Oui, il faut réformer la formation professionnelle pour donner le même droit à tous les salariés et à tous les demandeurs d'emploi, quels que soient leur âge, leur niveau de formation initiale et la taille de l'entreprise où ils travaillent. Comme vous le savez, je pense toujours aux territoires ruraux, très étendus dans mon département, l'Isère. C'est pourquoi j'insiste sur le droit à la formation quel que soit le lieu de résidence.

Mais mon accord avec M. Carle s'arrête à ces constats.

M. Guy Fischer. - Heureusement !

M. Jean-Claude Carle. - Ce n'est déjà pas mal.

Mme Annie David. - En effet, j'estime que la formation est considérée comme un investissement par le patronat, qui souhaite un noyau dur de personnel très qualifié et un bataillon de salariés non qualifiés destinés à faire de la productivité. Ce n'est pas une vision simpliste, mais une réalité que l'on constate en fréquentant la sortie des usines.

En ce moment, on prépare un ou plusieurs textes de loi sur cette question fondamentale après que le Président de la République a déclaré vouloir économiser des milliards d'euros en recentrant la formation professionnelle sur ceux qui en ont le plus besoin : « les chômeurs et salariés les moins qualifiés ». Dans ce contexte, le rapport de M. Carle appelle des réponses du patronat et du Gouvernement. Je me propose de résumer brièvement les enjeux en pointant les menaces qui apparaissent à l'horizon.

En effet, Mme Lagarde a déclaré ici que le Gouvernement avancerait en associant régions et partenaires sociaux, un groupe de travail devant clarifier les priorités stratégiques de la formation professionnelle en distinguant ce qui relève de la négociation collective et de la législation. Or, je suis profondément attachée à la solidarité de la formation professionnelle, tout comme de l'Unedic ainsi que je l'ai rappelé ici même dans le débat sur le service public de l'emploi. La formation initiale, la formation continue et la protection contre le chômage sont étroitement liées. L'État ne doit donc se désengager ni de la formation, ni de la protection contre le chômage. Le paritarisme a certes fait ses preuves dans la gestion de l'assurance-chômage, mais il ne faut pas renvoyer dos à dos les branches et les entreprises pour que chacune finance « sa » formation professionnelle. M. Carle propose de créer des chefs de file. Qui jouera ce rôle ? Les régions ? Les bassins d'emploi ? Les branches ? Notre débat devrait clarifier le rôle des régions, compétentes pour la formation des personnes âgées de moins de 26 ans, des publics les plus éloignés de l'emploi et, désormais, des adultes non salariés.

Dans ma région, Rhône-Alpes, les transferts de compétences n'ont pas été accompagnés de moyens supplémentaires. Ainsi, soixante deux écoles d'infirmières sont désormais à la charge de la région. En outre, le déficit des centres de formation d'apprentis (CFA) devrait excéder 10 millions d'euros à cause de la réforme qui a réduit la collecte de la taxe d'apprentissage. Enfin, le transfert des douze centres de l'Afpa, qui accueillent vingt mille stagiaires par an, est également d'un coût élevé.

Bien que notre collègue n'ait pas mentionné l'Afpa, je tiens à rappeler notre opposition à l'amendement de la commission voté lors du débat sur la réforme du service public de l'emploi, où nous voyons une première étape du démantèlement de l'Afpa au détriment des demandeurs d'emploi. Cet article nouveau, qui démontre la méconnaissance du rôle de cet organisme, a été proposé sans discussion préalable avec les partenaires sociaux, juste quelques semaines avant l'adoption de nouveaux textes sur ce sujet. Il n'y avait donc pas urgence et je souhaite vivement que l'Assemblée nationale revienne sur cette disposition.

Mais j'en viens à la mesure phare préconisée par M. Carle : remplacer l'obligation légale d'élaborer un plan de formation par le financement d'un compte épargne formation. Certes, la création de ce compte est une idée intéressante, mais la suppression parallèle de la contribution de 0,9 % risque de compromettre l'un des fondements de l'accord national interprofessionnel (ANI) de 2003 qui tend à développer les compétences collectives via les plans de formation et qui sert de fondement au droit individuel à la formation.

En définitive, qui payera ? L'État, les régions, les OPCA, l'ANPE voire les individus avec leurs indemnités de licenciement ou leur compte épargne temps ?

Je crains un affaiblissement de la responsabilité des employeurs, qui doivent permettre aux salariés d'acquérir de nouvelles compétences. Par ailleurs, certaines organisations syndicales soulignent que beaucoup de petites entreprises se limitent au minimum légal. La mutualisation des fonds est subordonnée à l'obligation de payer. Qu'adviendrait-il sans cette mutualisation, qui finance des actions largement supérieures à la contribution annuelle de l'entreprise concernée ? Ce serait sans doute la fin d'une équité déjà mise à mal !

Si le plancher de collecte des OPCA est porté de 15 à 50 millions d'euros, les plus petits disparaîtront. À terme, une seule collecte, un seul collecteur, un seul contrat : tel est le credo de notre collègue. Il serait alors honnête de mettre en évidence l'enjeu du paritarisme, dont le financement pérenne est indispensable pour garantir la démocratie. On peut l'assurer par d'autres voies, mais la transparence est indispensable. Au demeurant, je conteste la pertinence du nouveau plancher, car certains organismes font du bon travail avec une collecte modeste, alors que d'autres n'assurent pas leurs missions de proximité malgré une large surface financière.

M. Jean-Claude Carle. - C'est vrai.

Mme Annie David. - Mais il convient surtout de nous interroger sur le contenu des formations. Je suis d'accord avec la CFE-CGC, lorsqu'elle voit dans la formation un outil de promotion sociale. Gardons-nous de la considérer par le petit bout de la lorgnette, le seul objectif du patronat : un retour sur investissement !

Actuellement, le droit individuel à la formation est de vingt heures par an, cumulables sur cinq ans, soit environ quinze jours pendant cette période. C'est notoirement insuffisant pour obtenir une meilleure qualification. Quid des grosses entreprises qui assurent leur propre formation ? Seront-elles exonérées des contributions ? Leurs formations seront-elles prises en compte pour la validation des acquis de l'expérience ?

Enfin, pourquoi cette hâte ? L'ANI signé le 5 décembre 2003 par toutes les organisations syndicales peine à se mettre en place. Un groupe de travail constitué au sein du Comité paritaire national pour la formation professionnelle doit rendre ses premières conclusions en ce début d'année. Pourquoi ne pas les attendre avant de proposer de nouveaux mécanismes ?

En conclusion, je rappelle que le groupe CRC est attaché une vision humaniste et à long terme de la formation tout au long de la vie, avec un droit individuel attaché à la personne, quel que soit son contrat de travail, garanti collectivement, transférable et opposable. Avec un statut progressiste du salariat, ce droit permettrait à chaque salarié ayant suivi une formation d'obtenir une promotion professionnelle et sociale, reconnue en termes de qualification, de rémunération et de conditions de travail. À cette fin, des maisons de la formation et de l'emploi, auxquelles participeraient bien sûr les associations oeuvrant en faveur des salariés handicapés, devraient promouvoir l'insertion professionnelle durable de tous.

Fort de cette ambition, notre groupe tiendra toute sa place dans les débats à venir sur la formation professionnelle. (Applaudissements à gauche)

M. Aymeri de Montesquiou. - Le monde économique et salarial ressent les graves insuffisances de la formation professionnelle comme un handicap grevant notre économie. Une profonde refonte du dispositif actuel apparaît nécessaire à tous.

M. Carle a brillamment mis en évidence les trois maux dont souffre la formation professionnelle : complexité, corporatisme et cloisonnement.

L'accès à la formation professionnelle est très inégalitaire, puisque 60 % des salariés n'y accèdent jamais, en particulier les personnes payées au Smic. L'enchevêtrement des responsabilités des régions, de l'Unedic, des branches professionnelles et de l'État le rend peu lisible. Il est en outre peu ouvert, puisque seulement 1 % des salariés suivent une formation en vue d'obtenir un diplôme, contre 13 % en Suède et 9 % au Royaume-Uni, ce qui prive notre pays d'un potentiel de développement dans les secteurs à forte valeur ajoutée.

L'apprentissage connaît pourtant un engouement certain auprès des jeunes, mais il s'adresse principalement aux niveaux V (CAP, BEP) et IV (baccalauréat), alors qu'il devrait aussi toucher les niveaux supérieurs. Il faut donc revaloriser l'apprentissage professionnel, en assurant un véritable partenariat formation/entreprise.

Le contrat d'apprentissage est un bon outil car il répond à la fois aux besoins des jeunes et à ceux des entreprises. Son développement sur le territoire national étant très inégal, l'État doit assurer un rôle de régulateur et garantir un socle commun pour prendre en charge les coûts de formation, les primes aux maîtres d'apprentissage, le financement des conditions de vie de l'apprenti. Il est également indispensable de rétablir les exonérations fiscales pour le contrat de professionnalisation qui viennent d'être supprimées, on ne peut comprendre pourquoi.

S'agissant de la formation continue, une rationalisation s'impose : on ne peut que déplorer la multitude des acteurs (État, régions, établissements privés et publics, associations, organisations professionnelles) pour un public de plus en plus classifié en multiples catégories. Les chambres consulaires sont au coeur des dispositifs de création, de reprise ou de développement des entreprises. À ce titre, elles devraient être mieux reconnues dans le dispositif de la formation continue.

Si la formation professionnelle connaît beaucoup de difficultés, je me félicite de l'accord des partenaires sociaux du 11 janvier dernier sur la modernisation du marché du travail, qui installe la transférabilité du droit individuel à la formation. Les salariés pourront ainsi conserver ce droit et l'utiliser au cours de la première moitié de leur période d'indemnisation s'ils sont au chômage, ou pendant les deux années suivant leur embauche en cas de nouvel emploi. C'est une avancée majeure.

M. Carle a cité Socrate. Plus modestement, je citerai Gustave Thibon : « Rien ne prédispose plus au conformisme que le manque de formation ». Notre économie doit demeurer riche de ses multiples facettes. Il est donc urgent de mettre en place une véritable réforme de la formation professionnelle, de conjuguer au présent et pour l'avenir les préoccupations des hommes et des entreprises. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Muguette Dini. - L'avenir de la formation professionnelle passe nécessairement par la refonte en profondeur de l'ensemble du dispositif actuellement en place, par un véritable repositionnement de tous les acteurs concernés. C'est le constat qui ressort des travaux de la mission sénatoriale d'information sur le fonctionnement des dispositifs de formation professionnelle, présidée par M. Carle.

La formation professionnelle continue, conformément à ses objectifs initiaux, doit avoir une politique d'adaptation professionnelle des salariés aux évolutions de leur métier, une politique de mobilité et de sécurité professionnelles. Ainsi, elle permet au salarié d'être performant et à l'employeur de gagner en compétitivité et en productivité.

Toutefois, formation professionnelle initiale et formation continue ne remplissent pas ou pas totalement leurs objectifs. Chaque année, cent soixante mille jeunes, soit 20 % d'une génération, sortent du second degré sans qualification professionnelle, sans diplôme. Trois ans après leur sortie du circuit scolaire, le taux de chômage de ces jeunes non qualifiés atteint 40 %. Selon les dernières statistiques, seulement 8 % des demandeurs d'emploi suivent une formation professionnelle. Les formations profitent davantage aux jeunes chômeurs qu'à leurs aînés : en 2005, 14 % des demandeurs d'emploi de moins de 26 ans étaient en formation contre 6 % des chômeurs de 26 ans et plus.

Au sein des entreprises, le taux de départ en formation des salariés est trois fois plus élevé dans les grands groupes que dans les petites et très petites entreprises. Parmi les salariés, ce sont les plus jeunes et les plus qualifiés qui accèdent à la formation professionnelle continue.

Bref, la formation professionnelle initiale enregistre un cuisant échec pour ce qui est de l'entrée sur le marché du travail de nombre de jeunes ; et la formation professionnelle continue ne bénéficie pas à ceux qui en ont le plus besoin. C'est d'autant plus regrettable que 25 milliards y sont consacrés chaque année.

Les principales raisons de cette situation, mises en évidence par la mission d'information sénatoriale, sont la complexité du système, le manque de passerelles entre les différents dispositifs, la déconnexion avec le marché de l'emploi, la multiplicité des acteurs, avec une absence de coordination et de gouvernance, le foisonnement des financeurs. Plus de 1 200 diplômes ou titres professionnels délivrés par sept ministères, soit 198 CAP, 35 BEP, 73 bac pro et 109 BTS ; auxquels s'ajoutent 1 450 licences professionnelles, 45 000 organismes de formation déclarés et 98 organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA). Ajoutons qu'à chaque catégorie d'individus pouvant prétendre à des sessions de formation correspondent des conditions d'accès particulières.

Que faire ? Les propositions de la mission d'information sénatoriale sont nombreuses et concrètes ; elles ont d'ailleurs été saluées par nombre d'observateurs pour leur pertinence et leur audace. Pour ma part, je considère qu'il est fondamental de remettre du sens, du liant, de la cohérence et de la simplicité.

Il convient notamment de simplifier en regroupant contrat d'apprentissage et contrat de professionnalisation au sein d'un contrat d'insertion en alternance pour optimiser les capacités d'accueil en entreprise et en centre de formation et de rationaliser les financements. Il convient d'insister sur le regroupement interprofessionnel des OPCA et la suppression de l'obligation légale faite aux entreprises de verser 0,9 % de leur masse salariale brute pour le financement du plan de formation. Les sommes ainsi libérées abonderaient en partie un compte d'épargne de formation individualisé dont le champ d'application serait plus large que celui du droit individuel à la formation qui, même transférable, reste circonscrit aux salariés en activité, laissant ainsi plusieurs catégories de population en marge du système.

Attaché à la personne tout au long de sa vie professionnelle, ce compte d'épargne de formation couvrirait les individus indépendamment de leur statut : les primo-entrants dans le monde du travail, les salariés en activité, les demandeurs d'emploi, les personnes en reconversion et les retraités. Un seul outil répondrait alors à une grande variété de situations.

Une gouvernance territoriale articulant des niveaux de compétences clairement définies permettrait de remettre du sens et du liant. L'État doit demeurer dans son rôle de cadrage normatif mais également se poser en tant que garant de l'équité. Le Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie est légitime pour devenir l'instance de concertation nationale, garante des objectifs nationaux de la formation professionnelle.

La mise en cohérence des politiques de formation doit revenir à la région. Élaboré sous l'autorité du président du conseil régional, le plan régional de développement des formations professionnelles est l'instrument adapté pour assurer la coopération régionale des acteurs publics, associatifs, professionnels et privés autour d'un même projet. Enfin, c'est à l'échelon du bassin d'emploi que doit se faire l'articulation entre les besoins en emplois et les formations à mettre en place.

Bref, la réforme de la formation professionnelle est un défi capital à relever sans attendre. Les sénateurs du groupe UC-UDF sont prêts à y concourir efficacement. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Christiane Demontès. - Quelques jours après avoir débattu d'un texte sur la fusion entre l'ANPE et les Assedic, quelques jours après que les partenaires sociaux ont conclu de difficiles négociations sur la modernisation du marché du travail et des contrats de travail, quelques jours après une déclaration du Gouvernement au sujet du Grenelle de l'insertion et l'annonce par le Président de la République d'un prochain texte sur la formation professionnelle, quelques mois après la remise du rapport de la mission d'information commune sur les dispositifs de ce secteur que présidait notre collègue Carle, nous débattons de cette question essentielle qu'est l'avenir de la formation professionnelle. C'est heureux et indispensable. Certes nous aurions préféré que ces débats et projets multiples, parfois inscrits dans l'urgence alors que rien ne le justifie réellement, soient plus et mieux associés. L'action gouvernementale y aurait certainement gagné en cohésion et en lisibilité.

« Savoir pour prévoir, afin de pouvoir » disait Auguste Comte. La mise en perspective de la formation au savoir, en l'occurrence professionnelle, est donc d'importance. Chaque année, 20 % d'une génération, soit plus de cent cinquante mille personnes quittent le système scolaire sans qualification suffisante pour intégrer dans de bonnes conditions la vie active. Les jeunes sont inégaux devant cette situation qui frappe particulièrement ceux qui vivent dans les quartiers populaires et connaissent un taux de chômage voisin de 40 %.

Dans une société de la connaissance, où les technologies évoluent très rapidement et conditionnent l'exercice professionnel, l'accès au savoir et à la compétence est une donnée essentielle. Débattre de la formation professionnelle renvoie ainsi à deux dimensions ; l'une, collective, est liée à notre avenir économique et social ; la seconde, individuelle, conditionne la possibilité pour chacun de progresser, de s'accomplir, de trouver sa place dans la société et de contribuer à son amélioration.

La seconde dimension, individuelle, conditionne la possibilité pour chacun de progresser, de s'accomplir, de trouver sa place dans la société.

Débattre de la formation professionnelle, c'est également avoir à l'esprit les 30 milliards qui lui consacrés chaque année et la responsabilité de chacun des acteurs qui y concourt : l'État, les régions, les départements et les partenaires sociaux.

J'ai également participé à la mission commune d'information présidée par M. Carle. Le rapport, issu de ses travaux, dressant un état des lieux très exhaustif de la question, je soulignerai la complexité et le cloisonnement d'un système de formation professionnelle composé d'une multitude de dispositifs allant de la formation initiale scolaire à la formation professionnelle continue en passant par l'apprentissage, la formation des demandeurs d'emploi et la validation des acquis de l'expérience.

Tout d'abord, que chaque élève sorte avec une qualification de l'éducation nationale est un préalable. En effet, trop souvent encore, l'orientation, faute d'avoir été bien préparée, est subie, ce qui est source d'échecs et de renoncements. Il conviendrait donc de généraliser à tous les élèves de troisième des modules de découverte professionnelle afin de leur faire mieux connaître les métiers, et de prévoir des stages de connaissance de l'entreprise durant la formation initiale et continue des acteurs de l'orientation, enseignants, conseillers, psychologues, afin de les professionnaliser davantage.

M. Jean-Claude Carle, auteur de la question.  - Tout à fait !

Mme Christiane Demontès.  - Reste que rien ne pourra se débloquer si nous ne généralisons pas l'orientation concertée qui, par la mobilisation de l'ensemble de la communauté éducative, permet aux élèves et à leurs familles d'être mieux informés sur les métiers et les filières. A cet égard, les menaces, momentanément levées, qui pèsent sur l'existence de certains lycées professionnels et sections, ne vont pas dans le bon sens. Tout se passe comme si on voulait envoyer tous les élèves vers l'apprentissage, ce qui n'est ni possible, ni souhaitable pour les jeunes et les entreprises.

Diversifier la formation professionnelle est aussi une priorité. Il faut favoriser l'accès au contrat d'apprentissage pour tous, indépendamment du milieu social et des origines -j'y insiste-, en veillant à ce qu'aucun jeune ne renonce à un contrat d'apprentissage, faute de place en centre de formation d'apprentis. Dans la même logique, il faut absolument poursuivre la mise en oeuvre des lycées des métiers, qui offrent un parcours de qualification professionnelle du CAP-BEP au BTS. En outre, il faut simplifier les cursus ; modifier, voire supprimer, les diplômes devenus obsolètes ; mieux conjuguer périodes d'étude et d'activité jusqu'au diplôme ; et, enfin, revoir le statut du lycéen professionnel.

M. Jean-Claude Carle, auteur de la question  - Juste !

Mme Christiane Demontès.  - L'économiste John Maurice Clark écrivait « le savoir est le seul outil de production qui ne soit pas sujet aux rendements décroissants ». La difficulté qu'éprouvent les personnes peu qualifiées à retrouver un emploi le montre bien. C'est en leur direction que nous devons orienter l'offre de formation, et non vers les plus diplômés qui en bénéficient aujourd'hui majoritairement. Ce sera une manière de lutter contre le « descendeur social » et le déterminisme social, hélas !, encore si forts dans notre société ; une façon d'inscrire la formation professionnelle dans une logique de justice sociale. L'accès permanent à la formation pour tous sera garanti avec la portabilité du droit individuel à la formation. Celui-ci devra constituer une véritable modalité de formation négociée. A cet égard, le dispositif de validation des acquis de l'expérience doit être renforcé par une plus grande implication du service public de l'emploi, des organismes paritaires collecteurs agrées - OPCA-, des missions locales et des centres d'information et d'orientation - CIO- dans l'accompagnement des candidats.

M. Jean-Claude Carle, auteur de la question  - Très bien !

Mme Christiane Demontès.  - Au-delà, les régions devront assurer une véritable coordination entre les structures, coordination aujourd'hui renforcée par les maisons de l'emploi et la fusion de l'ANPE et de l'Unedic. L'accès à la formation professionnelle tout au long de la vie participe de la sécurisation des parcours professionnels que demandent légitimement nos concitoyens. Enfin, pourquoi ne pas ouvrir la validation des acquis de l'expérience aux élus locaux, associatifs et syndicaux ? Cela favoriserait leur reconversion en fin de mandat.

M. Jean-Claude Carle, auteur de la question  - Bonne idée !

Mme Christiane Demontès.  - Dans le cadre du paritarisme -dont le financement doit, par parenthèse, être revu-, nous devons rationaliser l'usage des 30 milliards consacrés chaque année à la formation professionnelle. Il faut distinguer les « 0,75 % » versés aux organisations professionnelles, membres des OPCA, des « 0,75 % » versés au Fongefor, financés sur le budget de l'État au titre de la démocratie sociale.

M. Jean-Claude Carle, auteur de la question  - C'est vrai !

Mme Christiane Demontès.  - Alors que se développent les services rendus par les OPCA aux entreprises, ne faudrait-il pas relever le plafond de 0,75 % à 1 % ? Enfin, ne faut-il pas favoriser le regroupement des OPCA, relever le plancher de collecte, qui conditionne la délivrance de l'agrément administratif, de 15 à 50 millions, créer des OPCA régionaux, mutualiser les fonds perçus par eux au bénéfice des très petites et moyennes entreprises ?

S'agissant de l'ingénierie de formation, notre pays dispose d'une structure de première qualité, le Conservatoire national des arts et métiers dont le savoir-faire pourrait être utilement diffusé auprès des organismes qui ne peuvent financer eux-mêmes des recherches en ingénierie de formation ou de certains établissements universitaires, qui ont besoin d'une impulsion pour adopter des pratiques pédagogiques mieux adaptées.

Dans ce cadre rénové, la gouvernance et l'évaluation de la formation professionnelle sont essentielles. A l'État de garantir l'équité au plan national pour combattre les éventuelles inégalités territoriales que la régionalisation pourrait créer. Les axes de réforme de la politique de formation devront être le lien avec l'emploi et la formation, l'accès à la formation, l'efficacité de l'appareil de formation et la rationalisation des circuits financiers. Pourquoi ne pas organiser des états généraux de la formation avec tous les acteurs concernés ? Enfin, il serait bon de placer sous l'autorité du Premier ministre un secrétaire d'État ou un Haut-commissaire chargé de coordonner les politiques de la formation professionnelle, le pilotage de celles-ci étant confié aux régions, au plus près des réalités économiques et sociales. Le plan régional de développement des formations professionnelles -le PRDFP- devrait avoir une valeur prescriptive ; cela permettrait à l'éducation nationale et au monde économique de s'engager enfin dans une stratégie de partenariat. Tous les acteurs seraient associés à son élaboration : les services de l'État comme le rectorat, les partenaires sociaux, les conseils généraux, les organismes consulaires, les prestataires de formation, la communauté éducative et les associations familiales.

L'amélioration de la gouvernance exige encore de structurer le dialogue social au niveau régional, grâce à des pôles paritaires régionaux, des conférences des financeurs, des groupements d'intérêt public et des comités de coordination.

L'évaluation des politiques de formation est indispensable, nous proposons d'en confier la responsabilité à une mission parlementaire. Elle porterait sur la qualité des formations, leur adéquation avec le marché du travail, le respect du principe constitutionnel d'égalité.

La formation professionnelle est une chance pour notre pays, nous devons renforcer son efficacité : c'est un défi urgent, il en va de notre avenir même et de la justice sociale ! (Applaudissements à droite)

M. Georges Mouly.  - La formation professionnelle sert l'objectif du plein emploi et la compétitivité même de notre économie, nous en connaissons les maux, en particulier l'insuffisante articulation avec les besoins des entreprises, la complexité de son organisation, l'éclatement des responsabilités, le décalage des diplômes et des titres avec les métiers.

Le préapprentissage est appelé, semble-t-il, à disparaître en juin prochain, alors que son utilité est démontrée. Dans mon département, seuls 5 % de ses bénéficiaires rompent leur contrat d'apprentissage, contre 10 à 15 % de ceux qui ne sont pas passés par les classes préparatoires à l'apprentissage. L'accès à la formation demeure difficile, surtout pour les moins qualifiés : 16 % des demandeurs d'emploi non qualifiés en font la demande à l'ANPE lors de leur premier entretien, contre 24 % des chômeurs les plus diplômés. La réforme de l'ANPE doit contribuer à simplifier le système de formation pour les chômeurs, c'est une bonne chose. Quant au droit individuel à la formation (DIF), créé après l'accord interprofessionnel de décembre 2003 et la loi de 2004, il a pour défaut de s'éteindre à la fin du contrat de travail.

L'offre de formation est diverse et hétéroclite, les efforts de restructuration accomplis par l'Afpa vont dans le bon sens, le secteur public peut aller plus loin. Il serait probablement utile de conforter la solidité financière des organismes.

La réforme de l'apprentissage de 2005 se traduit par des prélèvements en hausse et théoriquement mieux ciblés, mais le système demeure complexe. Peut-être simplifierait-on la vie des entreprises en leur donnant le libre choix d'un collecteur délégataire unique et en leur proposant les services qu'elles attendent, ce qui supposerait notamment une certaine concentration des quatre-vingt dix-huit OPCA ?

La décentralisation a fait émerger la région comme acteur essentiel de la formation, les pratiques ont largement évolué, au point qu'on peut se demander, à l'instar de M. Delors, s'il y a encore un pilote dans l'avion. Les régions négocient directement avec l'éducation nationale, leurs périmètres d'intervention ne coïncident pas toujours. Il faut également mieux articuler les logiques territoriales et les logiques des branches professionnelles, en structurant le dialogue social au niveau régional et en y associant les départements. L'État, de son côté, doit veiller à l'égalité entre les territoires, les régions assurant la mise en cohérence des formations : le plan régional de développement des formations professionnelles est l'outil stratégique le mieux adapté.

La réforme de la formation professionnelle doit permettre à chaque Français de suivre une formation suffisamment longue pour changer de métier voire de filière dans sa carrière professionnelle. La refonte de la politique de formation professionnelle sera un chantier important de l'année 2008, la réforme du droit du travail et la sécurisation des parcours professionnels étant pleinement prises en compte. Puissent ces paroles, devenir réalités ! (Applaudissements à droite)

M. Jean Boyer. - Je remercie M. Carle pour ce débat : la vie n'est-elle pas une formation permanente, toujours inachevée ? La formation est déterminante pour l'identité de notre pays, pour notre capacité à préparer l'innovation, elle est au coeur de notre croissance. Comme le disait Albert Camus, « la meilleure générosité envers l'avenir n'est-elle pas de donner beaucoup au présent » ? La formation professionnelle n'a pas d'âge, de couleur, d'étiquette, ni de sexe, elle a son importance tout au long de la vie : elle est l'oxygène de la vie, le poumon de la réussite !

Avec les nouvelles technologies de l'information et de la communication, elle est devenue un véritable placement pour demain. L'annonce d'une suppression à terme du brevet d'études professionnelles (BEP) ne va pas sans inquiéter : ne faut-il pas maintenir une relation, des passerelles entre l'apprentissage professionnel de base et le bac pro ? Sinon comment les jeunes, avec seulement un CAP, pourront-ils espérer progresser ?

Pour l'apprentissage, il est capital de maintenir le partenariat entre établissements d'enseignement supérieur et entreprises, qui permet la construction de véritables projets professionnels. Oui, l'apprentissage est un remarquable outil d'insertion professionnelle, particulièrement adapté aux jeunes en recherche d'une pédagogie différente puisqu'il permet une confrontation permanente entre les acquisitions théoriques et leur application dans l'entreprise. De plus, la formation en général et les formations par alternance peuvent jouer un rôle dans la recherche et l'innovation, les apprenants pouvant faire appel aux laboratoires des écoles pour les problèmes technologiques et scientifiques mais aussi organisationnels.

Le financement de l'apprentissage est assuré par les régions qui ont tendance à privilégier les formations de niveau inférieur, par la taxe d'apprentissage et, enfin, par l'établissement de formation lui-même. Pour permettre à plus de jeunes et d'entreprises de bénéficier de cet outil remarquable, il serait bon de mieux aider les établissements, et de faire en sorte que les enseignants échangent davantage avec le monde de l'entreprise. Pour les territoires, il est essentiel d'aider les PME à innover, ce qui impose aux établissements d'enseignement supérieur de mettre en place une démarche proche du terrain, structurée, s'appuyant sur les réseaux de ces entreprises -clubs d'entreprises, pôles de compétitivité, pôles d'excellence rurale.

Votre écoute permanente, monsieur le ministre, permettra d'éclairer l'avenir de notre formation professionnelle, indispensable à la construction et à l'identité de chaque homme. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé des entreprises et du commerce extérieur.  - J'ai apprécié l'ensemble des interventions, d'autant que pas une seule voix ne s'est élevée pour contester le diagnostic posé par la mission d'information présidée par M. Carle. Tout n'est pas réglé pour autant puisque je me souviens d'un rapport sur le même sujet déposé dans les années quatre-vingt-dix à l'Assemblée nationale, et qui dénonçait les mêmes maux que ceux que nous constatons aujourd'hui. Le diagnostic ne suffit donc pas, il faut aussi avoir une claire vision des propositions à mettre en oeuvre. C'est pourquoi j'ai particulièrement apprécié la conclusion de M. Carle sur le volontarisme politique qui doit faire de notre formation professionnelle, initiale et continue, un facteur efficace d'adaptation de notre pays et de ses salariés à la mondialisation.

Atteindre le plein emploi d'ici 2012, c'est l'une des principales priorités de la mandature, conformément aux engagements du Président de la République. Avec Mme Lagarde, qui défend aujourd'hui devant l'Assemblée nationale le projet de loi sur la fusion de l'ANPE et des Assedic, nous visons cet objectif, qui semble réaliste puisque la baisse du chômage, continue depuis deux ans, s'est accélérée au troisième trimestre 2007, passant sous les seuils symboliques des 8 %,au sens du BIT, et des deux millions de chômeurs inscrits en catégorie 1 à l'ANPE. Ce mouvement va se poursuivre, d'autant que les transformations en cours du marché du travail nous offrent une chance historique de sortir de trois décennies de chômage de masse.

Selon les chiffres provisoires de l'Agence pour la création d'entreprises, nous avons battu en 2007 un record avec trois cent vingt deux mille créations d'entreprise, après celui, déjà historique, de deux cent quatre-vingt-deux mille créations en 2006. La vitalité entrepreneuriale s'accélère donc et nous travaillons à un projet de loi sur l'entreprise et l'entrepreneur qui complètera les deux lois déjà adoptées sur l'initiative économique. Ce texte visera à faciliter non pas tant la création d'entreprise que la création d'activité ; il instituera un statut d'autoentrepreneur -déclaration sur papier simple, charges sociales simplifiées- et comprendra des dispositions spécifiques à la transmission et aux délais de paiement.

Dans les années à venir, il faut en effet s'attendre à de profondes modifications du marché de l'emploi. Déjà, chaque jour quelque trente mille emplois sont créés ou détruits en France. L'économie va poursuivre sa tertiarisation aux deux extrêmes de l'échelle des qualifications. Il y aura davantage d'emplois qualifiés dans l'informatique, le commerce, et les services aux entreprises, mais aussi, avec le vieillissement de la population, davantage d'emplois, souvent moins qualifiés, dans les services à la personne. En ajoutant les emplois libérés par les départs en retraite aux créations nettes, on peut estimer les besoins de main-d'oeuvre à environ sept cent cinquante mille par an jusqu'en 2015, alors que la population active devrait se stabiliser d'ici quelques années. Ces besoins vont renforcer les tensions actuellement observées en matière de recrutement. On parle de cinq cent mille offres non pourvues, en particulier dans l'hôtellerie-restauration, les services financiers et informatiques, la santé et l'action sociale. En dépit du nombre d'actifs disponibles sur le marché du travail, ces déséquilibres ne se résorberont pas tout seuls, parce que les profils recherchés ne correspondent pas aux profils disponibles, parce que les métiers en tension sont souvent perçus, à tort ou à raison, comme peu attractifs. Le risque est donc grand de voir coexister durablement chômage et tensions dans certains secteurs ou territoires.

L'enjeu sera donc, dans les années à venir, de prolonger ce flux important de créations d'emplois, de préférence durables et de qualité -ce qui suppose une croissance dynamique et des réformes structurelles- et d'être en mesure de pourvoir à ces emplois, grâce à un système de formation capable de répondre aux nouveaux besoins, et à la sécurisation des parcours professionnels pendant les transitions. C'est parce que ce défi est considérable que le Gouvernement entend réformer profondément le marché du travail, autour de trois piliers dont le premier est l'accord des partenaires sociaux du 11 janvier dernier. Le pari du Gouvernement, qui leur a confié, dans des délais très courts, les difficiles dossiers du contrat de travail et de la formation, est en passe d'être gagné.

Deuxième pilier, la réforme du service public de l'emploi, avec la fusion ANPE-Unedic, qui ne met pas en cause, ainsi que Mme Lagarde l'a réaffirmé devant vous, les maisons de l'emploi, créées à l'initiative de M. Gérard Larcher afin d'assurer une intermédiation plus efficiente.

Troisième pilier, la réforme de la formation professionnelle. Après l'accord de janvier entre les partenaires sociaux, et la fusion ANPE-Unedic de février, une nouvelle étape importante sera franchie, j'en ai la conviction, dès le mois de mars, date à laquelle Mme Lagarde, conformément à l'agenda social défini par le Président de la République, doit mettre en place un groupe de travail sur la formation professionnelle continue réunissant l'État, les partenaires sociaux et les régions. Il sera chargé de clarifier les priorités stratégiques de la formation professionnelle et d'établir un partage clair entre les sujets à traiter par la négociation collective et ceux qui doivent faire l'objet, avant la fin de l'année, d'une réforme législative. Ses travaux permettront de fixer des objectifs et de dégager de premières orientations. Il ne s'agit en aucun cas de poser un nouveau diagnostic puisque l'excellent rapport de la mission d'information présidée par M. Carle l'a déjà dressé. Ses propositions nourriront les réflexions du Gouvernement et j'en profite pour adresser, en son nom, un satisfecit à la Haute assemblée pour la qualité de ses rapports.

Mme Lagarde et moi-même en avons d'ores et déjà tiré plusieurs convictions.

La formation professionnelle continue est aujourd'hui au coeur des préoccupations de nombreux salariés et demandeurs d'emploi, dont les attentes en ce domaine sont immenses. Ceux qui entrent sur le marché doivent pouvoir bénéficier d'une qualification solide et adaptée à l'offre, tandis que ceux qui sont déjà sur le marché doivent avoir accès à des formations d'adaptation à une organisation du travail en rapide évolution. Car c'est par l'adaptation, qui passe par la formation initiale et continue, que l'on répondra à la mondialisation.

L'efficacité du système de formation professionnelle continue est centrale dans la sécurisation des parcours. C'est un enjeu prioritaire tant pour les salariés que pour les entreprises, en termes de productivité et de gestion des compétences, et un facteur déterminant pour notre compétitivité. J'ai admiré, monsieur Carle, votre synthèse sémantique des « 3 C », qui résume les critiques adressées à notre système : complexité, cloisonnement, corporatisme.

Les dépenses engagées au titre de la formation professionnelle étaient de 26 milliards en 2005, dont 3,7 milliards seulement bénéficient aux demandeurs d'emploi. Ce chiffre aide à comprendre l'indignation du Président de la République relevant que les sommes consacrées à la formation professionnelle ne vont pas à ceux qui en ont le plus besoin.

Les facteurs explicatifs sont nombreux : déconnexion entre le segment « salariés » et le segment « actifs inoccupés » du système ; cloisonnement des financements ; complexité de la gouvernance et enchevêtrement des responsabilités ; insuffisance de la coordination, notamment entre les financeurs ; logiques sectorielle et territoriale potentiellement concurrentes.

Le système est à bout de souffle. Il faut sans tarder s'atteler à lui rendre ses vertus. Le Gouvernement entend engager la réforme autour de quatre axes, qui reprennent largement, monsieur Carle, la logique de vos propositions.

Premier axe, la construction et l'actualisation des compétences tout au long de la vie professionnelle. Avec le droit individuel à formation, tous les salariés qui souhaitent s'engager dans une évolution professionnelle devraient pouvoir bénéficier de formations de courte durée offrant des garanties de qualité. Dans le prolongement de la réforme de 2004, le Gouvernement entend mettre en oeuvre le compte épargne formation ; l'accord interprofessionnel de janvier, qui assure la portabilité du droit à la formation, va dans ce sens. Mais il faut aller plus loin et, pour reprendre les mots de votre rapport, passer d'une logique de statut à une logique d'individu. La responsabilisation de chacun passe par l'individualisation des démarches. Se posent alors deux questions : comment assurer à tous un conseil ? Comment garantir, par l'évaluation, la qualité de l'offre de formation ? Nous ne pouvons continuer à dépenser 25 milliards sans aucune évaluation ! Il conviendra également de réfléchir aux moyens de compléter la capitalisation des droits par la mutualisation des ressources et un abondement supplémentaire, au profit des publics prioritaires.

Deuxième axe, optimiser les circuits de financement ; il reviendra au groupe de travail de réfléchir aux moyens de les décloisonner. Votre rapport s'interroge également à bon droit sur la pertinence de l'obligation légale de dépense pour le plan de formation. Se pose enfin la question de la réorganisation de la collecte des fonds, qui passe sans doute, comme le préconise M. Mouly, par le regroupement des OPCA.

Troisième axe, le renforcement de la logique territoriale du système. Trop d'institutions interviennent, sans coordination, auprès des individus comme des entreprises. Le consensus est aujourd'hui acquis sur la nécessité d'une articulation régionale, l'État continuant bien sûr de jouer tout son rôle, comme l'a souhaité Mme Demontès, pour assurer équité et péréquation. Des règles de gouvernance devront être tracées pour définir des objectifs communs et régler la programmation des moyens.

Comment articuler, enfin, logiques sectorielles de branche et logiques territoriales ? Il conviendra de développer nos outils de prospective pour mieux ajuster la formation professionnelle aux besoins des territoires, dans un contexte de tension croissante, en même temps que de réfléchir à la création d'un fonds régional de mutualisation des financements.

Quatrième et dernier axe, auquel ma charge me rend particulièrement sensible, favoriser l'accès des très petites entreprises et de leurs salariés à la formation. Les disparités sont aujourd'hui choquantes, et il n'est pas normal que ceux qui ont le plus besoin de formation, parmi lesquels les salariés de ces entreprises, soient les moins bien pourvus. Les réformes engagées n'ont pas permis de lever les difficultés récurrentes d'accès auxquels ils se heurtent. La complexité de l'organisation de la formation et le peu de transparence du marché appellent l'émergence d'une fonction de conseil et d'intermédiation ; les modalités spécifiques de l'organisation du travail dans ces entreprises requièrent en outre des formes différentes d'acquisition des compétences. La création de services de conseil de proximité constitue une première piste.

Je salue la contribution de tous à ce débat. Notre tâche est considérable. L'enjeu est bien de faire de notre appareil de formation initiale et continue un atout majeur pour adapter notre pays à une mondialisation qui, si nous savons la saisir, peut être une opportunité pour notre pays. (Applaudissements à droite)

Délégation du Sénat pour l'Union européenne (Nomination)

M. le président.  - Je rappelle que le groupe UMP a proposé une candidature pour la délégation du Sénat pour l'Union européenne.

La Présidence n'ayant reçu aucune opposition dans le délai d'une heure, cette candidature est ratifiée et je proclame M. de Rohan membre de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.

La séance est suspendue à midi.

présidence de Mme Michèle André,vice-présidente

La séance reprend à 16 heures.

Santé au travail des salariés et risques professionnels (Proposition de loi)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à améliorer la santé au travail des salariés et à prévenir les risques professionnels auxquels ils sont exposés, présentée par Mme Michelle Demessine et les membres du groupe CRC.

Discussion générale

Mme Michelle Demessine, auteur de la proposition de loi.  - Cette proposition impose solennité, gravité même, car les victimes, tombées prématurément, sont au coeur de ce débat. Voici les veuves courage de Dunkerque, qui envisagent de reprendre leur marche en ce début d'année 2008 parce que justice est loin d'être rendue ; voici les salariés d'Alstom, d'Eternit, des chantiers navals et de tant d'autres entreprises, qui combattent, malades, angoissés, en souffrance, pour la reconnaissance et la prévention de leur maladie professionnelle. Émotion, donc, et reconnaissance, mais aussi effroi en pensant aux quatre cents hommes et femmes qui se suicident chaque année sur leur lieu de travail, aux quatre cents familles anéanties par des formes inacceptables de pénibilité qui vident la vie de toute perspective, ainsi qu'à toutes les personnes exposées à la précarité ou que l'intérim et la sous-traitance excluent de la prévention, et aux vingt cinq mille victimes d'un cancer non reconnu maladie professionnelle condamnées à l'indignité de l'oubli.

Cette liste est déjà longue mais pas exhaustive ; elle pointe les conséquences du libéralisme économique, que nul en France ou dans le monde ne peut ignorer.

Les considérations partisanes ne sont plus de mise devant le drame de l'amiante et la mission d'information du Sénat a souligné la responsabilité irréfutable du lobby de l'amiante. Les pouvoirs publics n'ont pas été à la hauteur d'un drame qui aura fait cent mille victimes d'ici 2025. Nous le savons et nous savons également qu'on aurait pu limiter son ampleur voire le conjurer. De quelles avancées pouvons-nous nous prévaloir aux yeux des victimes, de ceux qui produisent l'essentiel de la richesse nationale ?

Je ne me range pas du côté de ceux qui font avec quiétude rimer modernité et progrès en oubliant que celui-ci doit être social. La situation est grave, elle s'aggrave même parce qu'une fois encore, on nous dit qu'il est urgent d'attendre.

Les syndicats avaient salué l'ambition du plan santé au travail lancé en 2005 : il piétine faute de moyens et de volonté politique. S'attaquer à l'organisation du travail, à la profitabilité du capital exige une vision sans compromis et une résolution sans faille. Or les alertes continuent d'affluer mais le plan continue de planifier tandis que la médecine du travail agonise, par manque de personnel et d'indépendance. Il nous faudrait une médecine du travail pleinement partie prenante mais notre dispositif de veille est mal coordonné et l'État n'assure pas la cohérence de l'ensemble. Que peuvent quatre cent soixante inspecteurs du travail pour quinze millions de salariés ? Enfin, je ne suis pas rassurée par la récente recodification du code du travail, qui met sur le même pied employeurs et salariés.

Ce tableau peu reluisant une fois brossé, il faut se demander si en ce début de XXIème siècle, le pays s'est doté d'un système garantissant la santé au travail. Nombre des suicides, exposition à l'amiante et autres matières cancérigènes mutagènes, précarisation massive, interdisent de répondre positivement. Le travail est pourtant une composante majeure de la société : le travail fait société et les conditions dans lesquelles on l'exerce façonnent la société contemporaine. Il importe de le considérer dans sa globalité non comme une absence de maladie, mais, suivant la définition de l'OMS comme un complet bien-être.

Avec Roland Muzeau et tous les membres du groupe CRC, nous avons élaboré en concertation ce texte, certes perfectible, aux cinquante-trois articles organisés en huit titres. Il ambitionne d'établir une politique de prévention du risque professionnel. Le titre premier renforce significativement le rôle de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (ATMP). L'article premier lui confie un vrai budget de prévention ; il porte à cet effet à 10 % au moins la fraction du prélèvement sur les cotisations affectée au fonds national de prévention. Un rapport de l'Igas ayant parfaitement identifié les raisons pour lesquelles la tarification ne contribuait pas à la réduction des risques, l'article 2 exclut les cotisations ATMP des dispositifs d'exonération et l'article 3 subordonne les mesures consenties au respect des règles d'hygiène et de sécurité. Les articles 4 et 5 renforcent le rôle incitatif de la tarification, en autorisant les Cram à appliquer une cotisation supplémentaire aux entreprises surexposant leurs salariés aux risques ou limitant les déclarations d'accident du travail et de maladies professionnelles. Les articles 6 et 7 partagent le coût des accidents entre donneurs d'ordre et sous-traitants. L'accord d'avril 2006 ne nous convient pas parce qu'il renforce le poids des employeurs ; l'article 8 propose donc que la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles soit gouvernée majoritairement par ceux dont le travail finance la branche.

Le 28 février 2002, la chambre sociale de la Cour de cassation a souligné que le contrat de travail impose à l'employeur une obligation de résultat en matière de sécurité.

Cette jurisprudence n'étant pas respectée, le Titre II précise et élargit les obligations des employeurs en matière d'évaluation et de prévention : le document unique doit être transmis aux comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), à l'inspection du travail et à la sécurité sociale. Tout manquement expose l'employeur à une cotisation supplémentaire voire à une sanction pénale. Seules 5 % des entreprises environ remplissent correctement le document unique ! L'employeur devra aussi remettre à chaque salarié un livret d'information comprenant des détails sur les procédures de déclaration ainsi que les coordonnées des acteurs en santé au travail. Cette obligation est du reste étendue aux sous-traitants et intérimaires. Récemment un rapport de la Dares indiquait que l'existence d'un CHSCT « réduit le nombre de salariés qui se plaignent de leur travail ». Preuve de son efficacité ! Pour les entreprises de moins de cinquante salariés, nous conférons à l'inspecteur du travail la possibilité d'étendre la compétence d'un CHSCT à toute la chaîne de sous-traitance ou à une zone entière d'activité ; nous créons dans les petites entreprises des postes de délégués de prévention. Les salariés doivent pouvoir se retirer de leur poste de travail en cas de danger grave et imminent : nous précisons le droit de retrait.

La déclaration des accidents ou des maladies professionnelles est vécue comme un parcours du combattant par le salarié, contraint d'arbitrer entre son emploi et sa santé. C'est ce qui explique pour partie la sous-déclaration des AT-MP avec des conséquences graves pour les victimes comme pour notre système de protection sociale. Le rapport de M. Diricq concluait en 2005 à la persistance de ce phénomène « particulièrement dommageable pour les finances sociales et pour la politique de prévention ». Nous facilitons la déclaration et la reconnaissance des maladies professionnelles. Nous nous intéressons à la reconstitution des parcours professionnels : les expositions aux risques et le suivi médico-social devront figurer dans un volet spécifique santé au travail, au sein du dossier médical personnel -accessible aux seuls généralistes. Nous instaurons dans chaque caisse régionale d'assurance maladie une cellule d'accueil, d'information et d'accompagnement -je songe aux démarches de reconnaissance, de réparation, voire de procédure judiciaire. Enfin, pour sécuriser réellement le devenir professionnel des victimes, nous réformons le droit de l'inaptitude en joignant à l'obligation de reclassement une obligation de résultat -sous le contrôle renforcé des institutions représentatives du personnel. Une allocation compensatrice de perte de salaire sera versée jusqu'au reclassement effectif.

Les infractions répétées et continues au code du travail et aux règles d'hygiène et de sécurité ont des conséquences particulièrement graves sur la santé des salariés. Sur les chantiers de désamiantage, les contrôles ont révélé un non-respect de la réglementation dans 67 % des cas  ! Le manque de volonté du ministère de la justice de poursuivre les entreprises délictueuses, le caractère peu dissuasif des sanctions en cas d'infraction au code du travail déresponsabilisent les employeurs. Le tribunal correctionnel de Lille a reconnu coupables, en septembre 2006, la société Alstom et son ancien directeur pour mise en danger de la vie d'autrui. Il nous semble essentiel de conforter cette jurisprudence en renforçant les instruments de la politique pénale. C'est le titre V. Le délit d'exposition d'autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures constitue le pivot de la politique pénale de répressions des infractions à la réglementation de sécurité au travail. Nous révisons le niveau des peines, aujourd'hui dérisoires. Assimilant la violence industrielle à la violence routière, nous retenons la majoration des peines en cas d'atteintes involontaires à l'intégrité de la personne ou d'homicide involontaire. Nous ajoutons la référence à une incapacité permanente partielle ou totale. Songez au cas dramatique des plaques pleurales...

Le problème de fond en matière de médecine du travail, tous les syndicats et les professionnels de la santé au travail le savent -et les derniers scandales de financement occulte l'attestent- réside dans la gestion exclusivement patronale des services, alors que l'enjeu en est l'équilibre social et la santé publique. Le dernier rapport de l'Igas nous alerte sur « la crise majeure de la médecine du travail », le Titre VI réforme en profondeur cette organisation, avec la création d'une agence nationale de santé au travail qui garantit l'indépendance des professionnels, coordonne les services médicaux et favorise la recherche fondamentale et appliquée. Il y a pénurie de praticiens : l'agence déterminera annuellement le nombre de professionnels nécessaire. L'ensemble des cotisations affectées aujourd'hui à la médecine du travail sera attribué au budget de l'agence. Dans notre proposition, la consultation médicale professionnelle est désormais annuelle. Nous supprimons la fiche d'aptitude, issue de la tradition eugéniste ancienne et parfaitement contraire à l'éthique et à la déontologie médicales.

Le titre VII traite des mesures particulières de protection des travailleurs contre les risques liés à l'amiante. La mission sénatoriale sur le sujet de l'amiante fut très claire, souhaitant que le risque amiante fasse l'objet d'une attention toute particulière, notamment dans le bâtiment. Hélas, le problème reste entier dans ce secteur qui détient le triste pourcentage de 80 % des mésothéliomes recensés. Actuellement, l'inspecteur du travail ne peut prononcer l'arrêt des travaux que dans le cadre d'opérations de confinement ou de retrait d'amiante. Cette possibilité est ici étendue aux opérations d'entretien et de maintenance. Et la durée du travail dans le désamiantage est réduite, le salaire étant maintenu à taux plein. L'article 36 crée un registre des salariés qui ont été ou sont exposés à l'inhalation de poussières d'amiante.

La réparation intégrale est très attendue par les associations, les victimes et le monde syndical. Nous l'instaurons pour l'ensemble des victimes et améliorons les droits particuliers des victimes de l'amiante. La Cour de cassation, en février 2002, a adopté une nouvelle définition de l'obligation de sécurité-résultat pesant sur le chef d'entreprise -un manquement emporte la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur. Le dispositif de réparation des dommages a perdu sa cohérence, il ne répare rien et c'est à la victime de démontrer la faute de l'employeur pour être intégralement indemnisée ! Depuis sept ans, aucune amélioration concrète ! Le Medef a su profiter du rapport de 2005 de la Cour des comptes sur les fonds d'indemnisation et les dépenses de la branche AT-MP, attribuant le déficit au coût du dossier amiante. Il interprète le rapport de 2006 de l'Igas sur le fonds de cessation anticipée d'activité pour revoir les droits à la retraite avancée et il tente de faire progresser l'idée qu'il n'y a pas de justification au régime « d'exception » des victimes de l'amiante ! C'est inacceptable. Sortons des incohérences et des exceptions, oui, mais par le haut. Notre texte inscrit le droit à réparation intégrale des préjudices subis par les victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle. Les taux de rente sont alignés sur le taux d'incapacité permanente médicalement reconnu. S'y ajoute, en cas de faute inexcusable, une indemnité en capital. Les indemnités journalières doivent être à parité avec le salaire net journalier. Et la victime bénéficie d'une indemnisation à compter de la date du dommage.

Nous levons un des obstacles à la reconnaissance de maladies non inscrites aux tableaux de maladies professionnelles, en effaçant du code deux dispositions qui limitent le principe de gratuité des soins. Concernant plus particulièrement les victimes de l'amiante, nous voulons pérenniser le dispositif de cessation anticipée d'activité et en corriger les imperfections.

Satisfaite de voir ce texte abordé lors de cette niche parlementaire, je regrette néanmoins qu'il ne soit pas discuté article par article : comme l'a souligné le rapport, ce résultat d'un travail important présente des pistes plausibles et cohérentes. Je souhaite donc vivement qu'il apporte une pierre à l'édifice de la santé au travail que nous devons construire ! (Applaudissements à gauche.)

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur de la commission des affaires sociales.  - « Rien de si beau que la justice, de meilleur que la santé » : cette maxime qu'Aristote réservait à la définition du bonheur résume à merveille l'objet de cette proposition de loi, tout comme l'ensemble des travaux lancés dernièrement pour faire progresser la prévention et la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles.

Nous sommes tous d'accord pour conjuguer dans la loi la beauté de la justice et la bonté de la santé, mais il serait encore plus intéressant de nous accorder sur des propositions concrètes et encore plus remarquable de nous mettre d'accord sur leur application. Notre débat devrait au moins permettre de repérer ce qui nous rapproche de ce qui nous sépare.

Par souci de clarté, je distinguerai quatre grands thèmes dans la proposition de loi, tout en rappelant à Mme Demessine que j'ai examiné son texte article par article.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.  - Bien sûr !

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur.  - Commençons par la médecine du travail.

Il nous est proposé d'introduire dans le dossier médical personnalisé (DMP) un volet « santé au travail » renseigné par les médecins du travail, les seuls qui pourraient y accéder. Il y a là un élément de réponse au problème crucial constitué par le suivi de la santé des travailleurs et par la traçabilité des risques. Au sein de la Commission des accidents du travail et des maladies professionnelles (CATMP), la branche AT-MP a constitué un groupe de travail qui doit remettre en juin ses conclusions sur ce thème. Notre commission estime indispensable d'attendre ses analyses et propositions avant de statuer.

Notre collègue propose aussi de mettre en place une cellule chargée d'accueillir les victimes dans chaque caisse régionale d'assurance-maladie. La convention d'objectifs et de gestion de la branche AT-MP comporte déjà cette disposition, qu'il est donc inutile d'inscrire dans la loi.

D'autres dispositions tendent à réformer le droit de l'inaptitude, avec une saisine obligatoire du CHSCT ou des délégués du personnel lorsqu'un chef d'entreprise envisage de reclasser, à l'intérieur ou à l'extérieur de l'entreprise, un salarié déclaré inapte. Il nous est également proposé de verser au salarié ni reclassé ni licencié une allocation nouvelle compensatrice de perte de salaire.

Par ailleurs, la mission des médecins du travail, la périodicité des examens médicaux obligatoires et la coordination des services de santé au travail seraient modifiées.

Sur ce dernier point, particulièrement important, le texte comporte la création d'une agence nationale, ce qui n'est pas sans évoquer l'étatisation préconisée en février 2006 par la mission parlementaire d'information de l'Assemblée nationale sur les risques et les conséquences de l'exposition à l'amiante. Je rappelle que le rattachement de la médecine du travail à la branche AT-MP a par ailleurs été suggéré. Personnellement, je préfère conserver le lien entre les services de santé au travail et les entreprises, afin que le médecin du travail favorise la montée en puissance de la prévention. Il vaut peut-être mieux conserver le schéma en vigueur, tout en donnant aux services de l'État les moyens d'une politique fondée sur des objectifs de santé, comme l'ont récemment préconisé les professeurs Conso et Frimai dans leur rapport.

S'agissant des consultations médicales, l'obligation d'une visite annuelle risque d'accaparer les médecins pour un maigre résultat.

Je crois nécessaire d'examiner ces suggestions dans une démarche plus large et intégrée, comme celle proposée dans le rapport de MM. Conso et Frimai, qui distingue trois axes de progression : passer d'un exercice individuel à une pratique collective de la prévention afin de résoudre rapidement la question fondamentale de la démographie des médecins du travail ; mettre la prévention au centre de leur activité ; passer d'une logique de moyens à une logique de résultats et de régulation. La commission estime nécessaire d'aborder simultanément ces trois axes. Le rapport Conso et Frimai a été soumis aux partenaires sociaux ; par ailleurs le Conseil économique et social doit rendre un avis d'ici la fin février ; enfin le Gouvernement s'est engagé à présenter un plan de réforme à la fin du premier semestre. Le dossier de la médecine du travail doit être traité dans le cadre de cet ensemble.

Le deuxième thème de la proposition de loi est constitué par la prévention des risques.

Pour améliorer la formation des salariés, il nous est proposé de conférer une valeur législative au document unique d'évaluation des risques, actuellement régi par un décret. En outre, ce document ferait l'objet d'une publicité accrue, au risque d'alourdir les charges administratives des entreprises sans bénéfice manifeste pour les salariés. Enfin, un livret d'information sur les risques serait délivré par l'employeur à chaque salarié. Cette mesure a été repoussée par le Sénat lorsqu'il a examiné le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, car l'actuel document unique d'évaluation des risques est satisfaisant. Aller au-delà ferait peser une charge inutile sur les PME et les TPE. (Mme Michelle Demessine le consteste)

Un autre volant de la proposition aborde l'intervention de salariés d'entreprises extérieures. Apparaît ici l'équilibre entre la dispersion des responsabilités en matière de prévention des risques et la coresponsabilité inévitable entre l'entreprise d'accueil et les entreprises extérieures face à la dangerosité et à la complexité de certaines activités. Notre commission estime indispensable de consulter les partenaires sociaux avant de modifier cet équilibre.

Un troisième volant concerne le CHSCT, dont la mise en place pourrait être imposée par l'inspecteur du travail en cas de risque grave. Par ailleurs, les compétences d'un CHSCT pourraient être étendues à d'autres entreprises. Or, l'inspecteur du travail peut déjà imposer la création d'un CHSCT ; par ailleurs, je ne suis pas certaine qu'un organisme élu par les salariés d'une entreprise puisse être compétent pour d'autres salariés.

La proposition de loi tend par ailleurs à créer des représentants des salariés en matière de prévention et de santé au travail dans les entreprises comptant moins de cinquante salariés. Or, les missions du CHSCT y sont exercées par les délégués du personnel. Il est donc inutile d'en rajouter.

Enfin, un article du texte aborde le droit de retrait des salariés en créant une infraction si l'employeur ne résout pas la difficulté révélée par l'exercice de ce droit. Est-ce bien nécessaire ? Nous n'en sommes pas convaincus.

Au demeurant, à l'initiative du Gouvernement, les partenaires sociaux viennent d'engager une négociation faisant suite à la conférence tripartite du 4 octobre sur les conditions de travail. Elle porte sur trois thèmes : le dialogue social sur les conditions de travail dans les PME et TPE ; le rôle des CHSCT ainsi que la durée des mandats et la formation des représentants du personnel à cette instance ; les alertes sur les conditions de travail. De fait, il faut régler de nombreuses questions pour étendre les CHSCT et renforcer le dialogue social dans les PME et TPE. Par ailleurs, il faut améliorer les capacités d'expertise des CHSCT. Enfin, il ne faut plus subordonner la possibilité d'une alerte sur les conditions de travail en cas de risque majeur à l'existence d'un CHSCT ou de délégués du personnel. À nouveau, la commission vous recommande d'attendre les propositions des partenaires sociaux et du Gouvernement avant de légiférer.

Le troisième thème de la proposition de loi porte sur le régime des accidents du travail et maladies professionnelles.

Manifestement, il faut agir car les accidents du travail ne décroissent pas assez vite. Le plan de modernisation et de développement de l'inspection du travail, lancé en 2006 à l'initiative de M. Gérard Larcher, a permis d'accroître substantiellement les contrôles, mais il reste que la sous-déclaration fait supporter à l'assurance-maladie des charges relevant de la branche AT-MP.

M. Guy Fischer.  - Très bien !

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur.  - En outre, la tarification en vigueur ne favorise pas les entreprises qui mettent en oeuvre une réelle politique de prévention. Il faut donc avancer, mais pas sans précaution. Ainsi, l'accord des partenaires sociaux signé le 12 mars 2007 demande que toute nouvelle proposition de tarification fasse l'objet de simulations pour assurer sa faisabilité technique tout en évaluant son incidence sur les cotisations. Notre commission partage ce souci de pragmatisme, alors que la proposition de loi aborde successivement la gouvernance et les ressources de la branche AT--MP, puis les modalités de réparation. Ainsi, elle tend à inscrire dans la loi l'existence et les missions du Fonds national de prévention des accidents du travail et maladies professionnelles. Par ailleurs, elle crée une nouvelle dépense pour aider à l'implantation de délégués chargés de la prévention dans les entreprises de moins de cinquante salariés. En outre, elle triple les ressources que la CATMP verse au fonds sur le produit des cotisations AT-MP. Enfin, elle crée une nouvelle ressource issue de nouvelles sanctions financières contre les entreprises.

La commission ne croit pas utile de donner une valeur législative au fonds national de prévention des AT-MP. Dans la mesure où le budget du fonds est actuellement élaboré par la CATMP, les évolutions proposées sur son financement devraient faire l'objet d'une consultation des partenaires sociaux. Les contrôleurs de sécurité ont déjà la possibilité d'imposer une cotisation supplémentaire pour risque exceptionnel ou révélé par une infraction aux règles de sécurité. S'agissant enfin du non-respect de l'obligation de déclaration d'un accident du travail, la caisse peut actuellement poursuivre l'employeur en vue du remboursement de la totalité des dépenses engagées. Je suis donc tentée de dire que nos collègues du groupe CRC ont globalement satisfaction.

Satisfaction a aussi été donnée dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 à la disposition qui supprime les exonérations de cotisations dans le champ de la branche AT-MP.

Une autre proposition subordonne la décision d'octroi de ristournes sur les cotisations à l'avis du CHSCT. Mais les ristournes sont déjà accordées, sur décision de la Cram, après avis du CHSCT. S'agissant de la répartition du coût des AT-MP entre les entreprises utilisatrices et les entreprises de travail temporaire, il nous semble indispensable de consulter les partenaires sociaux, qui n'ont pas abordé cette question dans leur accord du 12 mars 2007.

La consultation s'impose moins sur la répartition au cas par cas du coût des AT-MP entre les entreprises sous-traitantes et les entreprises utilisatrices, après enquête des services de prévention des Cram, car ce dispositif serait manifestement ingérable. Elle n'est pas non plus indispensable sur la proposition de porter à deux tiers la proportion des représentants des salariés dans la CATMP, dans la mesure où les partenaires sociaux ont clairement réaffirmé leur attachement au paritarisme pur et simple dans l'accord du 28 février 2006.

La proposition de loi pose le principe de la réparation intégrale des AT-MP. Nous jugeons inopportun de revenir sur la réparation forfaitaire, à laquelle les partenaires sociaux ont réaffirmé leur adhésion dans l'accord du 12 mars 2007, tout en proposant d'évoluer vers une réparation forfaitaire personnalisée. L'accord dessine d'ailleurs quelques pistes dans ce domaine, tout en avertissant : « les mesures proposées sont inspirées par une préoccupation d'optimisation des dépenses de la branche AT-MP de la Cnam Elles sont conditionnées à la capacité de la branche de les financer ». Notre commission s'est inscrite dans une démarche identique et a donc rejeté l'ensemble des articles de la proposition de loi qui tirent les conséquences du passage à la réparation intégrale des AT-MP.

D'autres propositions soulèvent des objections. C'est ainsi que l'idée d'assouplir les conditions de reconnaissance de la maladie professionnelle pour les affections non mentionnées au tableau des maladies professionnelles remet en cause, à terme, le principe d'un tableau. Nous ne croyons pas possible de supprimer le forfait d'un euro pour toutes les victimes d'AT-MP.

D'autres propositions dépensières présentent de meilleures perspectives. Il en est ainsi de la prise en charge des frais médicaux et paramédicaux des victimes d'AT-MP sur la base des frais engagés. Dans l'accord du 12 mars 2007, les partenaires sociaux ont demandé l'amélioration de cette prise en charge pour certains postes tels que l'appareillage dentaire, optique ou auditif. Sans doute pourrait-on explorer cette piste.

Intéressante aussi la proposition concernant la date d'ouverture des droits en matière de maladie professionnelle : distinguer le fait constitutif de l'ouverture des droits du point de départ du délai de prescription nous semble une bonne idée, sous réserve d'une étude portant sur les conséquences de l'abandon du parallélisme entre l'indemnisation des accidents du travail et celle des maladies professionnelles.

J'en viens au dossier de l'amiante, qui continue de poser de graves problèmes d'efficacité, d'équité et de financement. Pour protéger les salariés contre les risques liés à l'amiante, il est proposé de permettre à l'inspecteur du travail de prescrire l'arrêt temporaire des opérations de confinement ou de retrait d'amiante dans un certain nombre de cas nouveaux ; de donner au préfet la possibilité d'enjoindre à une personne ayant mis à disposition des locaux ou installations, ou à celle qui en a l'usage, de rendre leur utilisation conforme ; de limiter le nombre d'interventions avec port des équipements de protection individuelle et de restreindre la durée de chaque intervention ; de créer dans chaque Cram un registre des salarié exposés, ou l'ayant été, à l'inhalation de poussière d'amiante, l'inscription à ce registre ouvrant droit à un suivi national spécifique ou à une surveillance médicale post-professionnelle.

Ces propositions sont intéressantes et nous souhaitons qu'elles restent en débat. Les autres propositions visent pour la plupart le régime de cessation anticipée d'activité des salariés et anciens salariés de l'amiante. Il faut certainement revoir ce système, à la fois trop coûteux et insuffisamment focalisé sur ses destinataires naturels. Un groupe de travail entre les associations et les partenaires sociaux a été installé hier à cette fin. Il aura quatre mois pour rendre des conclusions en vue du PLFSS pour 2009. Il nous semble inenvisageable de légiférer sans prendre connaissance de ses travaux.

La proposition de loi présente des pistes que nous souhaitons explorer le moment venu. Il en va ainsi de la prise en compte des périodes d'activité exercées dans les établissements de construction et de réparation navales du ministère de la défense pour la détermination des droits à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, l'Acaata. Nous n'y sommes pas hostiles, sous réserve de vérifier dans quelle mesure il est justifié de prendre en compte l'ensemble de ces établissements.

M. Nicolas About, président de la commission.  - Et l'ensemble des postes de travail.

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur.  - Au surplus cela ressortit au domaine réglementaire. La proposition de loi étend cette même allocation à différentes catégories de salariés et anciens salariés, ceux contraints au port de vêtements de protection amiantés par exemple. L'expertise des partenaires sociaux nous est nécessaire avant de nous prononcer. Il est aussi proposé de donner un caractère indicatif à la liste des établissements ouvrant droit au fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, le Fcaata. Donner à la liste un caractère indicatif impliquerait la nécessité pour les victimes d'apporter la preuve de leur exposition à l'amiante, ce qui est difficile. Cette proposition ne nous semble donc pas pertinente.

En revanche, nous jugeons utile la motivation obligatoire de la décision de refuser d'inscrire un établissement sur la liste des établissements ouvrant droit au Fcaata, qui a été adoptée dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, puis annulée par le Conseil constitutionnel en tant que cavalier social. Il faudra la réintroduire le moment venu.

Il nous est proposé de déterminer le montant de l'Acaata sur la base des douze meilleurs mois de la carrière du bénéficiaire et non plus des douze derniers mois. Il faudrait que le coût de cette mesure soit évalué. Faut-il, dans un domaine connexe, porter de quatre à trente ans le délai de prescription des demandes d'indemnisation adressées au fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante ? La prescription quadriennale, d'ores et déjà plus favorable que la prescription de deux ans des maladies professionnelles, a soulevé nombre de problèmes pour les victimes décédées avant la création du Fiva. Ces problèmes ont été résolus dans le cadre juridique existant. Un équilibre convenable a sans doute été ainsi atteint et la fixation d'une prescription de trente ans ne nous semble pas de nature à améliorer sensiblement la situation des victimes de l'amiante.

Faut-il supprimer les plafonds de la contribution des employeurs au Fcaata ? Nous ne le croyons pas, car cela mettrait en danger la survie d'un certain nombre d'entreprises. Le Sénat a d'ailleurs refusé cette proposition lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.

Cette proposition de loi présente des pistes plausibles et d'autres qui le sont moins. Notre commission a essayé de faire sans parti pris le tour des unes et des autres, afin de nourrir les futurs débats sur la santé au travail. Le Gouvernement et les partenaires sociaux sont en train d'élaborer leurs propositions en ce moment même ; grâce à l'examen de cette proposition de loi, nous serons armés pour les étudier en connaissance de cause. Il serait en revanche inopportun de légiférer sans attendre sur les points particuliers qui nous semblent bien posés dans ce texte. Tout se tient, et c'est certainement pourquoi nos collègues CRC ont estimé nécessaire de présenter une proposition aussi ample, aussi intégrée, aussi cohérente. C'est pourquoi, tout en saluant la qualité du travail de nos collègues, notre commission propose au Sénat d'adopter ses conclusions négatives. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité.  - J'aimerais d'abord saluer le travail accompli pour cette proposition de loi, qui contient cinquante trois articles denses touchant à tous les aspects de la prévention et de la gestion des risques professionnels. Je salue également le travail rapide et efficace de votre rapporteur, Mme Desmarescaux, et de votre commission des affaires sociales.

Ce travail s'inscrit dans le contexte de la conférence sur les conditions de travail et la volonté du Gouvernement de renforcer le dialogue social : c'est en impliquant davantage les acteurs de l'entreprise que nous pourrons améliorer durablement la santé et la sécurité au travail.

Cette proposition de loi arrive-t-elle trop tôt ou trop tard ? En tout cas elle nous offre l'occasion de débattre sur des sujets essentiels pour des millions de salariés. Pour ma part, je crois qu'elle arrive à la fois trop tôt, car elle précède plusieurs processus de réforme récemment mis en place -je pense au Fcaata, à la médecine du travail ou encore aux négociations lancées à la suite de la conférence du 4 octobre dernier -et trop tard, car elle intervient sur certains sujets après la signature d'accords par les partenaires sociaux dans le cadre de la gestion de la branche AT-MP. C'est pourquoi je partage l'avis de la commission des affaires sociales. Nous devons toutefois profiter de cette occasion pour avancer sur les solutions à mettre en oeuvre.

Sur plusieurs sujets, la proposition de loi a d'ores et déjà satisfaction. C'est le cas de la suppression des exonérations de cotisation AT-MP, qui a déjà été adoptée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.

Je partage votre motivation.

Mme Michelle Demessine.  - Mais que se passera-t-il ensuite ?

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État.  - Il ne faut pas exonérer les employeurs de leurs responsabilités.

Les contrôleurs de sécurité ont déjà la possibilité d'imposer des sanctions aux entreprises en cas de manquements aux règles de sécurité, comme vous le proposez à l'article 4.

Concernant les CHSCT, l'inspecteur du travail a la faculté d'imposer la création d'un tel comité dans les établissements de moins de cinquante salariés. Par ailleurs, le dispositif de CHSCT, élargi pour les entreprises à haut risque de type Seveso, devrait être étendu sous peu aux installations nucléaires de base. Un projet de décret est actuellement examiné en Conseil d'État. Enfin, le comité doit, selon le code du travail, disposer du document unique d'évaluation des risques professionnels, ce qui paraît suffisant pour assurer son droit d'information sans aller jusqu'à une remise en main propre.

Quant à votre proposition de créer un service pour les victimes dans chaque antenne à l'article 19, elle est expérimentée en Normandie et en Bretagne depuis septembre dernier et sera ensuite, si le bilan est satisfaisant, généralisée.

Ensuite, sur d'autres sujets que vous abordez, les partenaires sociaux ont négocié des accords qu'il n'est pas souhaitable de remettre en cause. En mars 2006, ils ont rappelé leur attachement au maintien d'un paritarisme strict au sein de la branche AT-MP. En avril 2007, ils ont écarté le principe d'une réparation intégrale, après qu'un rapport de l'inspection générale des affaires sociales en 2004 a démontré qu'il ne serait pas favorable aux victimes avec faible taux d'incapacité ainsi qu'aux victimes retraitées, pour proposer une indemnisation forfaitaire plus personnalisée. Du reste, M. Xavier Bertrand et moi-même avons chargé la semaine dernière la direction de la sécurité sociale d'étudier les possibilités de transposer ces dispositions.

A l'article 5, vous proposez de subordonner à l'avis du CHSCT la décision d'accorder une ristourne sur les cotisations. Or l'implication des partenaires sociaux paraît suffisante, le dispositif actuel prévoyant que les caisses régionales d'assurance maladie consultent le CHSCT ou, à défaut, les délégués du personnel.

D'autre part, vous proposez de revoir les compétences et les possibilités d'intervention des CHSCT ainsi que les dispositifs d'alerte, chantier auquel doivent s'atteler les partenaires sociaux lors des prochaines négociations sociales, comme le leur a confirmé le document d'orientation qui leur a été adressé le 22 novembre dernier.

La médecine du travail fait l'objet d'une vaste modernisation depuis 2002. Tous les acteurs se sont mobilisés pour faire vivre cette réforme, ce dont je leur rends hommage. Les services de santé se sont engagés dans la voie de la pluridisciplinarité en s'ouvrant aux « intervenants en prévention des risques professionnels », c'est-à-dire aux ergonomes, ingénieurs sécurité, psychiatres, psychologues, toxicologues ou encore épidémiologistes. Plus de mille sept cent cinquante spécialistes ont été habilités. Auparavant, la médecine du travail était assimilée, surtout dans les plus petites entreprises, à la seule visite médicale et aux cotisations annuelles. Depuis, elle représente une aide à l'évaluation des risques professionnels, à la formation et à l'information en matière de prévention. Le rapport d'évaluation de cette réforme, évaluation particulièrement nécessaire en ces temps où la démographie médicale est défavorable, a été publié le 5 novembre dernier.

Une réflexion a été engagée sur l'aptitude avec le rapport de M. Gosselin, et la pluridisciplinarité, avec un rapport d'audit transmis la semaine dernière aux partenaires sociaux ; nous ferons des propositions avant la fin du présent trimestre après une vaste concertation lors d'une conférence sur les conditions de travail au printemps prochain. C'est dire combien le Gouvernement étudie avec sérieux et dans le souci du dialogue social l'avenir de la médecine du travail. Il ne faudrait pas anticiper sur les résultats ces discussions en cours. La solution radicale que vous préconisez, l'étatisation de la médecine du travail avec la création d'une agence, risquerait de rompre le lien de confiance que le médecin doit établir en se tenant à équidistance des salariés et de l'employeur. (Mme Michelle Demessine, auteur de la question, en doute.) Par ailleurs, cette solution ne saurait répondre, à elle seule, aux enjeux de la modernisation des services de santé au travail.

Le groupe de travail présidé par le député Jean Le Garrec et composé des sénateurs MM. Dériot et Vanlerenberghe, de représentants des partenaires sociaux, des associations de victimes, de la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés et de l'État, que j'ai installé hier, sera chargé de recentrer le fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, le Fcaata, dont les dysfonctionnements ont été pointés par les rapports sénatoriaux de MM. Dériot et Godefroy, sur les personnes ayant été réellement exposées à l'amiante. La réforme proposée devra respecter les principes d'équité, de faisabilité, notamment pour les modes de preuve de l'exposition à l'amiante et de soutenabilité financière.

Enfin, plusieurs de vos propositions méritent de faire l'objet d'une consultation préalable des partenaires sociaux. Il en va ainsi du triplement du fonds de prévention des AT-MP, à l'article premier, qui aurait pour conséquence de modifier la répartition des dépenses de la branche. (Mme Michelle Demessine le conteste.) et de la répartition du coût des AT-MP entre une entreprise intérimaire et une entreprise utilisatrice, à l'article 6. Sur ce dernier point, le Gouvernement croit davantage à des actions de coopération, visées dans la charte de bonnes pratiques pour la prévention des risques professionnels, adoptée par l'ensemble des entreprises du secteur de l'intérim en présence de M. Xavier Bertrand le 28 novembre dernier.

L'amélioration de la santé et de la sécurité des salariés passe par des réformes en profondeur, grâce à la concertation et au dialogue, que l'État ne doit pas perturber par des initiatives unilatérales. C'est pourquoi nous préférons ne pas retenir cette proposition de loi. En revanche, certains de ses éléments nourriront notre réflexion et je salue le travail considérable mené par Mme Demessine et son groupe pour brosser un tableau complet de ce vaste chantier qui nous attend ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean-Marie Vanlerenberghe.  - Nous comprenons fort bien l'émotion et les motivations qui ont poussées Mme Demessine à déposer ce texte, comme les raisons qui déterminent la commission à le repousser. En effet, certaines des mesures, tel le conditionnement des exonérations de cotisations dans la branche AT-MP, sont satisfaites ; d'autres, comme celles relatives au paritarisme, vont à l'encontre de l'accord conclu le 28 février par les partenaires sociaux sur la gouvernance de cette branche ; et, surtout, la plupart des thèmes abordés font l'objet d'une concertation entre partenaires sociaux.

En matière de santé au travail, priorité doit être donnée au dialogue social. Des questions aussi importantes que la traçabilité des maladies professionnelles, le droit de l'inaptitude, la question de la réparation des AT-MP ou encore la prévention des risques ne peuvent être tranchées dans la précipitation. Pour autant, ce texte a le mérite de soulever une question fondamentale, celle de l'avenir du système AT-MP et, plus généralement, celle du droit de la santé au travail après le drame de l'amiante.

La proposition de loi s'appuie sur un exposé des motifs qui reprend, pour une large part, les observations de la mission amiante que j'ai eu l'honneur de présider en 2005. C'est pourquoi je me concentrerai sur la question de l'amiante autour de laquelle se cristallise aujourd'hui le débat de la réforme du droit de la santé au travail. D'ailleurs, beaucoup d'articles de la proposition de loi lui sont spécifiquement consacrés.

Le drame de l'amiante aurait pu être évité, sa dangerosité ayant été mise en évidence en 1906. Tout était connu dès cette époque mais le lobby de l'amiante est parvenu à faire utiliser ce matériau dans notre pays jusqu'en 1997, alors que la Grande-Bretagne avait pris des mesures dès 1931 et les États-Unis dès 1946. Résultat : trente cinq mille personnes sont mortes, en France, d'une maladie de l'amiante entre 1965 et 1995. Et le pire est encore à venir : entre cinquante mille et cent mille décès sont encore attendus d'ici 2025. Encore plus grave : malgré l'interdiction de 1997, la question de l'amiante résiduel, omniprésent dans les bâtiments construits dans les années soixante-dix et quatre-vingt, en particulier dans les établissements hospitaliers et les bâtiments scolaires et universitaires, n'est pas résolue et de nombreuses populations y sont encore exposées : professions de second oeuvre dans le bâtiment, personnels de maintenance et d'entretien et, bien entendu, ouvriers des chantiers de désamiantage.

Notre mission avait relevé que les mesures prises à partir de 1998 -création de la préretraite-amiante financée par le Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Fcaata), puis institution du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva)- n'avaient pas donné entièrement satisfaction.

Voila pour le constat que nous partageons en espérant qu'il y aura un avant et un après amiante parce que nous devons tirer toutes les leçons de ce drame sans précédent. Mais c'est à ce stade que je diverge d'avec les auteurs de la proposition de loi, ce qui n'a rien d'étonnant puisque, au sein de la mission, nos collègues CRC étaient les seuls à s'être abstenus.

Mme Michelle Demessine. - Abstention largement motivée !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe.  - Leurs observations d'alors constituent le substrat de la présente proposition de loi. Notre mission avait défini plusieurs réformes prioritaires. Ainsi, plutôt que d'ouvrir le bénéfice de l'allocation de cessation anticipée d'activité (Acaata) à des catégories déterminées de salariés, comme le prévoit l'article 47 de la proposition de loi, nous préconisions de compléter le système actuel d'accès à cette allocation par une voie d'accès individuelle qui permettrait aux salariés exposés à l'amiante, mais dont l'entreprise ne figure pas sur les listes du Fcaata, de bénéficier néanmoins de la préretraite. Dans cette optique, afin d'identifier plus facilement les droits de chacun, des comités de site rassemblant l'ensemble des parties concernées pourraient mettre en commun les informations et témoignages dont ils disposent.

Autre priorité avancée par notre mission : la majoration de l'indemnisation versée par le Fiva en accordant aux victimes le bénéfice attaché à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur. Il s'agirait de désengorger les tribunaux et de permettre au fonds d'indemnisation de consacrer ses moyens aux seuls recours subrogatoires. Justement, madame la ministre, qu'en est-il de ces recours ? Ces fonds peuvent-ils les exercer et la jurisprudence le leur permet-elle ?

La mission proposait également de revaloriser progressivement l'Acaata. Elle insistait aussi sur la trop forte mutualisation des dépenses d'indemnisation et proposait que l'État prenne en charge 30 % des dépenses du Fcaata et du Fiva, pour tenir compte de sa responsabilité en tant qu'employeur, mais aussi en tant que puissance publique qui n'a pas su prendre, en temps utile, les mesures de prévention nécessaires. En outre, nous pensons qu'il faut restreindre la mutualisation des dépenses d'indemnisation. La création, par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2005, d'une contribution à la charge des employeurs dont les salariés perçoivent l'Acaata a déjà atténué cette mutualisation mais il faut aller plus loin en individualisant davantage la tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles. C'est dans ce sens que va la proposition de loi quand, dans son article 52, elle déplafonne la contribution due par les entreprises ayant exposé leurs salariés à l'amiante.

Comme Mme Demessine, la mission a présenté une série de propositions visant à protéger les salariés ayant été exposés à l'amiante sans être malades, ainsi que ceux qui y sont encore exposés. La proposition de loi prévoit la périodicité annuelle de la visite médicale obligatoire pour tous. Sans y être défavorables, nous préconisions de renforcer le suivi médical post-professionnel des anciens salariés de l'amiante afin de détecter précocement d'éventuelles pathologies liées. Il faut réaliser un important effort d'information en direction des salariés potentiellement concernés. Et la mission allait beaucoup plus loin que la proposition de loi en direction des publics encore exposés puisqu'elle proposait d'opérer un recensement national des salariés des entreprises de désamiantage et des bâtiments amiantés, d'établir une liste nationale de tous les chantiers de désamiantage, de réduire les plages horaires journalières d'exposition des salariés concernés, de renforcer la qualification des agents chargés du diagnostic amiante, de renforcer les garanties pour les salariés du BTP travaillant sur les chantiers amiantifères ou encore d'interdire les fibres céramiques réfractaires.

Un tel drame ne doit pas se reproduire. L'utilisation massive dans l'industrie de produits chimiques cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques est donc préoccupante. Notre mission avait proposé d'instituer une autorisation de mise sur le marché des produits chimiques, mais aussi des produits minéraux, organiques et biologiques, inspirée de la procédure en vigueur pour les médicaments, et s'inscrivant dans le cadre du règlement européen Reach.

Nous souhaitons que les propositions de notre mission soient prises en compte au plus vite parce qu'elles pourront s'insérer dans un droit de la santé au travail rénové en profondeur. Pour voir se dessiner les contours de cette rénovation, nous attendons avec impatience l'avis du Conseil économique et social sur la médecine du travail, l'aboutissement, à l'issue du premier semestre 2008, des négociations entre partenaires sociaux ainsi que les conclusions du groupe de travail sur l'Acaata. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean-Pierre Godefroy. - Je remercie le groupe CRC d'avoir fait inscrire cette proposition de loi à l'ordre du jour. Mes félicitations également à Mme Desmarescaux pour son rapport même si, sur le fond, nous sommes en partie en désaccord.

La santé au travail et la prévention des risques professionnels sont trop peu abordées par nos assemblées, en dehors du traditionnel examen du PLFSS. Et même, dans ce cas, les dispositions à ce sujet sont le plus souvent réduites à des mesures strictement financières. Et cette année, l'application stricte de l'article 40 a empêché le débat sur nos amendements ! Ce texte est donc le bienvenu et nombre de ses cinquante trois articles paraissent pertinents.

On peut légitimement se demander si le travail, officiellement synonyme d'accomplissement de soi et d'intégration sociale, n'est pas en train de devenir synonyme de souffrance physique et psychique pour un nombre croissant de salariés. Un peu plus de 25 % des travailleurs de l'Union européenne s'estiment exposés à des risques pour leur santé et leur sécurité. En France, en 2005, les inspecteurs du travail ont relevé près de sept cent soixante mille infractions, dont la majorité concernait la santé et la sécurité au travail. Près de dix mille procès-verbaux ont été transmis au parquet, et plus de sept mille mises en demeure signifiées, dont 96 % relatives à la santé et à la sécurité, et un peu plus quatre mille arrêts de travaux ont été ordonnés.

Les chiffres des accidents du travail et des maladies professionnelles sont tout aussi révélateurs. Leur coût ne cesse de s'accroître alors même qu'ils sont sous-déclarés, comme l'atteste le reversement annuel à la branche assurance-maladie. La sous-déclaration prend maintenant des formes de sophistication très élaborées...

Un drame comme celui de l'amiante ne doit plus se reproduire. Le rapport de 2005 de la mission du Sénat a permis d'identifier les responsabilités et les lacunes de notre système de santé au travail. Aujourd'hui, d'autres dangers doivent retenir notre attention : amiante résiduel, produits de substitution telles les fibres céramiques réfractaires, produits cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques -éthers de glycols, dioxines, produits phytosanitaires, etc. Si l'on veut éviter de nouvelles catastrophes, il faut aller plus vite et ne pas laisser passer à nouveau quinze ans entre l'identification des risques et l'interdiction des produits dangereux.

A cet égard, le dispositif français d'expertise souffre incontestablement d'un manque de moyens, qu'il s'agisse de l'Agence française de sécurité sanitaire et du travail (AFSSET), de l'Institut national de veille sanitaire (INVS), du Plan santé travail (PST) ou du Plan national santé environnement (PNSE).

Sur la prévention dans les entreprises, je partage l'analyse de nos collègues : il faut renforcer les moyens et les missions des CHSCT. L'article 14 traite du regroupement des entreprises de moins de cinquante salariés pour créer un CHSCT parce que c'est dans les petites et moyennes entreprises que l'effort doit être amplifié.

Des CHSCT inter-entreprise devraient regrouper des entreprises du même bassin d'emploi, du même secteur d'activité, relevant des mêmes droits professionnels ou mettant en oeuvre des pratiques de sécurité identiques.

La médecine du travail, clé de la prévention des risques, est aujourd'hui bien mal en point. Elle a été la grande absente de la Conférence nationale sur les conditions de travail. Le rapport de l'Igas dresse un bilan sévère de la réforme de 2004, estimant qu'il ne l'a pas mise en mesure de relever les défis à venir -suivi médical des travailleurs précaires, risques à effet différé, intensification du travail... Il dénonce une offre déconnectée des besoins, une procédure d'habilitation tournant à vide, un contrôle de l'État fluctuant, un temps médical insuffisant pour faire face aux besoins, le manque de formation des praticiens... Les médecins du travail, isolés et enfermés dans une logique formelle d'aptitude à l'emploi axée sur les moyens plus que sur les résultats ne sont pas à même de faire évoluer le système vers une logique de prévention collective. Les propositions de nos collègues me semblent à cet égard pertinentes : pas de réforme qui vaille sans la création d'un grand service public de la santé au travail. Je regrette que Mme le rapporteur ne partage pas cet avis. Confier à un opérateur unique des missions aujourd'hui éclatées entre l'Affset, l'INVS, le Plan national de santé et le Plan national santé environnement permettrait pourtant de définir une politique globale de santé au travail véritablement pilotée.

La gestion patronale des services de santé au travail, dans sa forme actuelle, a vécu. Les pouvoirs publics doivent exercer un contrôle plus efficace, et la médecine du travail doit revoir son fonctionnement et son mode de gouvernance, qui donnent aux employeurs un pouvoir disproportionné. Il ne s'agit pas de rompre tout lien entre ces services et les entreprises, mais de privilégier une gestion paritaire et d'assurer l'indépendance des médecins du travail.

Puisque ce texte ne semble pas devoir survivre au-delà du débat d'aujourd'hui, nous attendons avec impatience les conclusions que tirera le Gouvernement des futures propositions des partenaires sociaux. Mais j'avoue nourrir quelques inquiétudes : n'est-ce pas ce Gouvernement qui, dans la dernière loi de financement de la sécurité sociale, a confié aux employeurs le contrôle médical des arrêts de travail ? Disposition dangereuse et d'autant plus contestable quand elle s'applique aux accidentés du travail et victimes de maladies professionnelles. Un médecin rémunéré par l'employeur sera chargé de valider l'arrêt de travail dû à un accident dont ce même employeur est responsable ! Le conflit d'intérêt est patent.

Je partage l'idée émise par nos collègues, et que notre groupe avait avancée lors de la réforme de 2004, de créer, au sein du dossier médical personnel, un volet spécifique dédié à la santé au travail. Elle se heurterait, nous dit-on, à un problème de faisabilité. Mais n'est-ce pas le dossier médical tout entier qui s'y heurte ? Les retards accumulés depuis quatre ans en témoignent.

M. Nicolas About, président de la commission.  - Perspicace !

M. Jean-Pierre Godefroy. - J'en viens à la branche AT-MP, dont tout le monde s'accorde à reconnaître qu'elle doit être réformée.

M. Nicolas About, président de la commission.  - Parce qu'elle est en équilibre ?

M. Jean-Pierre Godefroy. - Le système de mutualisation sur lequel repose son financement a vécu. La tarification, peu lisible et peu individualisée, n'encourage pas les efforts de prévention. La nécessité de son individualisation fait aujourd'hui consensus. Il est urgent de s'y engager. Les propositions de ce texte, même si certaines suscitent de ma part des réserves, ont le mérite d'exister et devraient être débattues.

Je suis également mes collègues sur la question de la réparation intégrale...

M. Nicolas About, président de la commission.  - Que ne l'avez-vous fait !

M. Jean-Pierre Godefroy. - ...même si j'ai conscience des contraintes financières qui s'imposent à nous.

M. Nicolas About, président de la commission.  - Ah !

M. Jean-Pierre Godefroy. - Mais la question mériterait une étude approfondie et un débat.

La réforme des AT-MP ne pourra se faire sans les partenaires sociaux mais les deux accords conclus en février 2006 et mars 2007 sont loin de faire l'unanimité, au point que le Gouvernement a renoncé à les transposer. Il faudra, le cas échéant, qu'il prenne, avec le Parlement, ses responsabilités.

M. Nicolas About, président de la commission.  - N'est-ce pas une menace sur les partenaires sociaux ?

M. Jean-Pierre Godefroy. - Une menace du Gouvernement ? Car de notre part, c'est un encouragement, que vous ne pouvez que partager !

Je suis également favorable à l'exonération du forfait de un euro et des franchises médicales en faveur des victimes d'AT-MP car il y a là un véritable déni à l'encontre des victimes. Même si le Conseil constitutionnel n'a pas donné droit à notre recours, nous continuons d'estimer anormal que certaines victimes ne puissent prétendre à la même indemnisation que toutes les autres.

J'en viens à la question de l'amiante, sujet qui me tient particulièrement à coeur. Mme Demessine a rendu hommage aux « mères courage » de Dunkerque. Mes pensées vont à mes anciens collègues des constructions navales et aux salariés de Condé-sur-Noireau, dans ce que l'on a appelé la « vallée de la mort ».

Sur l'indemnisation des victimes, je rejoins mes collègues, dont les propositions sont dans la droite ligne du rapport d'information de la mission « amiante » et des amendements déposés par notre groupe à chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale, sauf cette année, pour les raisons que j'ai dites.

Tout le monde s'accorde à reconnaître les dysfonctionnements du régime de la cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, notamment en ce qui concerne la procédure d'inscription des établissements sur les listes ouvrant droit à l'allocation de cessation d'activité. Nous proposons de compléter le système par une voie d'accès individuelle au Fonds de compensation qui permettrait aux salariés exposés mais dont l'entreprise ne figure pas sur la liste de bénéficier néanmoins d'une préretraite. Nos collègues proposent d'en confier la gestion aux caisses régionales d'assurance maladie : je penche plutôt pour la création de comités de sites, rassemblant l'ensemble des parties concernées, qui permettraient d'identifier plus facilement les droits de chacun. C'est une des propositions de la mission « amiante ». Nous avons pu constater sur place, à Cherbourg, combien il est difficile de reconstituer la carrière des salariés des entreprises de nettoyage qui auront été, au fond, les premiers désamianteurs.

Sur le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, je soutiens la proposition de nos collègues de retenir la prescription trentenaire. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, créant le fonds, n'ayant pas prévu de délai de prescription, le conseil d'administration du fonds, dont la composition a été modifiée en cours de route par le Gouvernement, a voté une durée de quatre ans en s'appuyant sur la durée de prescription en matière de finances publiques. Pourtant, dans la mesure où le Fiva se substitue aux juridictions civiles pour réparer les dommages subis par les victimes, il serait normal que s'appliquent les dispositions de l'article 2262 du code civil, qui prévoit une prescription trentenaire pour toutes les actions en indemnisation. Outre que cela éviterait l'encombrement, ce serait une mesure de justice pour les quatre mille victimes isolées qui n'ont pas encore engagé de démarches mais seraient fondées à demander un complément d'indemnisation.

Sur le financement des dépenses d'indemnisation, nos collègues ont repris la proposition de la mission d'information relative à la clé de répartition des charges entre l'État et la sécurité sociale. On nous a opposé l'article 40 lors du débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale : ce débat me donne l'occasion d'y revenir ! Ce sont 30 % des dépense du Fiva qui devraient revenir à l'État, eu égard à sa responsabilité d'employeur et parce que comme puissance publique, il n'a pas pris les mesures de prévention nécessaires.

M. Nicolas About, président de la commission.  - C'est raisonnable.

M. Jean-Pierre Godefroy. - Je regrette que le Gouvernement n'ait toujours rien retenu des propositions formulées dans les rapports du Sénat et de l'Assemblée nationale. Mme le rapporteur nous dit que le dossier de l'amiante continue de poser de redoutables problèmes d'efficacité, d'équité et de financement. Pourquoi, dès lors, rejeter les propositions faites dans ce texte ?

J'espère néanmoins que ce débat se poursuivra sous une autre forme afin de promouvoir une réforme globale du système de santé au travail, et je souhaite qu'un projet de loi voie le jour après consultation des partenaires sociaux. C'est aussi pourquoi, madame le rapporteur, malgré les qualités de votre rapport, nous voterons contre ses conclusions. (Applaudissements à gauche)

Mme Isabelle Debré.  - Je salue tout d'abord le travail accompli par le groupe CRC, qui a dégagé, dans sa proposition de loi, des pistes de réflexion intéressantes et fait des suggestions utiles pour faire avancer la protection de la santé des salariés. Cependant, comme l'a souligné Mme Desmarescaux, il est plus sage d'attendre les conclusions de la négociation en cours entre les partenaires sociaux.

L'exposé des motifs relève l'inaction du Gouvernement et son absence de projets. Je m'attacherai à démontrer qu'il n'en est rien.

L'affaire de l'amiante a mis en lumière les lacunes, pressenties depuis longtemps, de notre système de santé au travail. Archaïque, il doit être revu en profondeur. Un récent rapport des professeurs Françoise Conso et Paul Frimat montré la forte implication de l'État et fait le bilan des réformes intervenues dans la foulée de l'accord interprofessionnel de décembre 2000, de la loi de modernisation sociale de 2002 et de celle relative à la politique de santé publique de 2004 : nous sommes passés d'une logique de réparation à une logique de prévention. Mais le même rapport dresse un tableau assez noir de la médecine du travail ; le nombre de maladies professionnelles continue d'augmenter, l'image de la profession est ternie, le nombre de postes diminue, l'utilité préventive de la procédure d'aptitude est contestée.

Le Gouvernement souhaite donner une impulsion nouvelle. Mme la secrétaire d'État a annoncé un plan de modernisation des services de santé au travail et a présidé, le 4 octobre, avec M. Bertrand, une conférence tripartite sur les conditions de travail, animée par notre collègue M. Gérard Larcher. Différents points ont été soumis aux partenaires sociaux et un avis du CES est attendu pour la fin du mois de février. Dans ces conditions, et quel que soit l'intérêt des propositions de nos collègues CRC, il n'est pas souhaitable d'anticiper.

Le précédent gouvernement avait affirmé sa volonté de faire de la lutte contre les risques professionnels une priorité. En février 2005, M. Gérard Larcher, alors ministre du travail, avait lancé un plan « santé au travail » couvrant la période 2005-2009 et comportant vingt-trois mesures articulées autour de quatre objectifs : développer la connaissance des dangers en milieu professionnel, renforcer l'effectivité des contrôles, refonder les instances de coordination et de pilotage, enfin encourager les entreprises à être les acteurs de la santé au travail. La mise en oeuvre de ce programme ambitieux se poursuit. Les partenaires sociaux sont en outre saisis de ces questions, notamment pour renforcer le rôle des CHSCT, améliorer leur fonctionnement, moderniser leurs capacités d'expertise -le domaine devient en effet de plus en plus complexe- revoir la durée du mandat, la formation et les missions de leurs membres. Il importe en outre de faire en sorte que les dispositifs d'alerte sur les conditions de travail soient accessibles, quelle que soit la taille de l'entreprise. Les travaux du Grenelle de l'environnement doivent également être pris en compte. Sur cette question de la prévention des risques, je rejoins donc aussi la commission.

En 2006 le nombre d'accidents du travail avec arrêt, soit sept cent mille, n'a augmenté que de 0,2 % par rapport à l'année précédente, après avoir été divisé par deux en vingt ans. Reste qu'il faut encore améliorer une situation toujours inacceptable et renforcer pour cela les moyens de l'inspection du travail. Le Gouvernement a ainsi lancé un plan de modernisation et le recrutement de cent quatre vingts inspecteurs en 2007 et cent soixante dix en 2008. Sont également prévues des actions de sensibilisation et des campagnes de contrôle.

La conférence tripartite a conclu qu'il fallait sensibiliser les entreprises à une évaluation a priori des risques, améliorer la formation des représentants des salariés et faire travailler en réseau les acteurs de la prévention. Sur des sujets aussi complexes que la gouvernance et les ressources de la branche, la réparation intégrale des accidents et maladies professionnelles, il est sage de laisser les négociations suivre leur cours.

Dernier point et non le moindre, l'amiante. Notre pays dispose d'une réglementation solide. Des contrôles réalisés en 2006 sur les chantiers de désamiantage ont décelé des anomalies dans 76 % des cas. Les agents, dont l'expertise sera améliorée, doivent désormais sanctionner systématiquement les manquements. Si des progrès ont été constatés en matière de protection respiratoire, si les campagnes de contrôle ont entraîné une prise de conscience salutaire, il faut poursuivre les efforts. Certaines des propositions du groupe CRC pourraient compléter le dispositif, comme la possibilité donnée aux inspecteurs du travail d'interrompre un chantier en cas d'absence de communication des dossiers techniques. La réforme proposée du régime de cessation anticipée d'activité mérite, elle, d'être expertisée ; il serait sage d'attendre les conclusions du groupe de travail qui vient d'être mis en place pour, éventuellement, les intégrer dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Au total, il me paraît plus prudent et plus cohérent de ne pas légiférer trop tôt. Le groupe UMP, saluant le travail approfondi de nos collègues du groupe CRC, qui prépare nos débats futurs, approuve le rejet du texte par la commission. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme la présidente.  - Je laisse la présidence à M. Gouteyron pour aller saluer Mme Marcelle Devaud, qui fête ses 100 ans ; elle fut la première vice-présidente d'une assemblée qui s'appelait alors le Conseil de la République. Je lui dirai qu'une femme présidait notre séance, qu'une autre rapportait le texte en discussion et qu'une autre encore siégeait au banc du Gouvernement ...

présidence de M. Adrien Gouteyron,vice-président

Mme Marie-Christine Blandin.  - Je soulignerai une autre particularité de notre débat : Mme la secrétaire d'État, deux des intervenants et moi-même sommes du Nord-Pas-de-Calais, où l'expérience de la contamination est bien partagée.

La proposition de loi met en lumière des droits acquis essentiels pour la santé des salariés. Or, par une refonte du code du travail menée sous ordonnance, ils ont subi une conséquente érosion. Il fallait simplifier, nous a-t-on dit ; dans un jeu kaléidoscopique, on a réécrit ce qui doit être avant tout un instrument au service du droit, de la justice, des salariés pour faire de la protection de ceux-ci une responsabilité partagée, comme si nous vivions dans un monde idéal dépourvu d'employeurs indélicats. Mais qui, sinon des membres de la majorité, a parlé de patrons voyous ? Alors que le « dialogue social » retarde le contrat durable et facilite le licenciement, ce n'est vraiment pas le moment d'exonérer les employeurs de leur responsabilité.

Et si le port d'un casque sur un chantier ou d'un masque dans une scierie ne se discute pas, le confinement étouffant d'un scaphandre de désamianteur nécessite des pauses sanitaires rémunérées.

Durant la mission amiante du Sénat, nous avons interrogé le directeur santé-sécurité d'Arcelor sur l'éradication de l'amiante des usines du Brésil : « Non car, là-bas, ce n'est pas obligatoire ». C'est la loi, ses décrets et leur application qui apportent des garanties, et non la responsabilité de l'employeur.

Le recours au Conseil constitutionnel a été déposé pour la forme de l'ordonnance mais aussi sur le fond car un article permissif excluait la responsabilité de l'employeur en raison des instructions données par celui-ci sur les conditions d'utilisation des moyens de protection. Les seuils pour produits fabriqués ne s'appliquent pas si le produit est manipulé au cours du process de production ; le temps dévolu à la prévention est fonction des disponibilités ; il y aura une visite médicale tous les deux ans, sans plus de temps minimum alors que le médecin du travail se voit attribuer un secteur ; les modalités de mise en demeure par l'inspecteur du travail sont renvoyées au décret mais celui qui traite de la mise sur le marché des matières dangereuses n'évoque plus les conditions d'indemnisation. Peu importe à l'employeur peu vertueux et récidiviste puisque le doublement des sanctions disparaît... Tout cela plaidait pour la proposition de loi du groupe CRC.

La France n'est pas au sommet de l'exigence, qui exclut de l'application de la directive « Cancérogènes et mutagènes » des filières entières reconnues par le Centre international de recherche sur le cancer, dont les fonderies, la peinture, le caoutchouc -excusez du peu... La santé au travail se réduit comme peau de chagrin. Que sont devenues les propositions du rapport Frimat-Conso et comment anticipez-vous le départ de mille trois cents médecins du travail quand vous ne prévoyez d'en recruter que trois cent soixante-dix ? Avec quelles formations fera-t-on face aux nouvelles connaissances et à la transformation du système productif ? On compte les morts accidentelles ou par désespoir parce qu'on reste dans une logique administrative !

Le Président de la République vante la précaution : nous allons créer un droit à la transparence totale, proclame-t-il en évoquant un principe de vigilance, de transparence et de responsabilité, par des décisions qui doivent non pas dégrader leur situation mais profiter aux plus démunis. Est-ce pour cela qu'on supprime soixante trois tribunaux de prud'hommes ? Est-ce pour cela que la commission des affaires sociales renvoie la proposition du groupe CRC à un groupe de travail ? Le travail a déjà été fait, longuement et scrupuleusement, avec les rapports de l'Assemblée nationale et du Sénat -notre mission a procédé à soixante-dix auditions, qui ont révélé un scandale absolu, une faillite éthique, des négligences impardonnables...

M. Nicolas About, président de la commission.  - Des abus d'indemnisation !

Mme Marie-Christine Blandin. - L'amiante est une fibre qui, contrairement à d'autres substances cancérigènes, signe son crime. Et la proposition de loi rencontre les attentes des milliers de victimes qu'elle a faites. Nous avions collectivement dit : « Plus jamais ça ». Nous avons exploré tous les mécanismes et constaté la nécessité de l'indépendance d'une médecine du travail aux moyens renforcés. Fallait-il attendre pour mettre à la retraite anticipée un médecin du travail de Condé-sur-Noireau ? La mission était sous influence avant.

L'indemnisation d'un nombre croissant de victimes par le Fiva ainsi que les conflits en justice nécessitent une claire responsabilisation des employeurs. Mais le principal, celui qu'ont condamné les tribunaux de Brest, Cherbourg et Toulon, c'est le ministère de la défense : que pensent les anciens ouvriers du désamiantage du Clémenceau en Inde ?

Le bon choix d'aujourd'hui réduira les déficits publics de demain. Les caisses sont vides ? J'en appelle au bon sens de la ménagère ! Il faut revitaliser en urgence la formation des épidémiologistes et des écotoxicologues en créant de véritables filières sans lesquelles nous ne pourrons pas appliquer la directive Reach.

Nous devons, pour la santé des populations, bâtir une architecture nouvelle, dans laquelle le ministère de la santé recouvrerait sa mission de prévention et de précaution. En la matière, nous n'avons pas été au rendez-vous puisque des milliers de personnes demandent réparation et indemnisation. Or voici les nano-matériaux, dont sept cents circulent déjà, mais où est la transparence ? Voici encore quelques suspects parmi les éthers de glycol. Voici les fibres céramiques réfractaires dont le professeur Brochard disait que nous n'avions qu'un recul de trente ans quand il en faudrait cinquante...

Nous devons prendre pleinement la mesure des dangers et des risques, sans attendre pour agir qu'un danger soit avéré. Il suffit parfois de passer de la protection de la femme enceinte à celle de la femme en âge de procréer. Chercheur, ouvrier ou citoyen, il faut pour lancer l'alerte, se faire entendre et être protégé. Combien, hier taxés d'oiseaux de mauvais augure, ont-ils vus leurs prévisions se réaliser et combien, frappés d'ostracisme, ont-ils vu leur vie professionnelle basculer ? Un médecin du travail avait dénoncé l'amiante dès 1906 : un statut doit protéger les avertisseurs.

Sachons écouter avec humilité ce que disent les travailleurs exposés : qui embaucherait un ancien travailleur d'Alstom privé de son certificat d'exposition à l'amiante ? Il faut trois ans pour qu'un tribunal fasse appliquer la loi ; dans l'intervalle, combien de drames ? Les anciens salariés d'Alstom alertent sur les dangers d'une chaudière collective tapissée d'amiante et souvent installée dans des salles de sport mais quand je l'ai interrogé, M. Douste-Blazy a refusé d'attirer l'attention sur un équipement particulier. Les veuves de l'amiante, quant à elles, organisent l'accompagnement des victimes et attirent l'attention sur une utilisation pernicieuse de la loi Fauchon.

Mieux associer les salariés, donner des moyens aux CHSCT, créer des unités santé-environnement, décentraliser l'expertise grâce à des agences régionales de la santé environnementale et professionnelle : nous devons aujourd'hui sortir de la frilosité de nos prédécesseurs.

Pour toutes ces raisons, et pour qu'on ne protège pas davantage les biens que les hommes, les Verts pensent qu'un texte inspiré du travail de Mme Demessine doit être mis en discussion. Si l'on attend les discussions entre partenaires sociaux, le texte devra tirer toutes les conséquences des drames survenus et passer d'une insuffisante surveillance à une vraie précaution. J'ajouterai devant cette assemblée, prompte à s'émouvoir des dépenses, que la précaution est source d'économies. (Applaudissements à gauche)

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité.  - A M. Vanlerenberghe, qui m'a interrogée sur les recours pour faute inexcusable, je veux dire que si la loi autorise le Fiva à les exercer, il manquait de moyens pour ce faire. Aussi le Gouvernement a-t-il décidé de les renforcer significativement, créant sept postes en 2007 et cinq en 2008.

Les effectifs du Fiva atteignent donc soixante personnes.

Des campagnes de contrôles ont été menées en 2005 et 2006 sur les chantiers de désamiantage : neuf cent trente six en 2006 ! Et en 2008, toutes les directions régionales du travail et de l'emploi devront mener des contrôles sur des opérations de retrait et de confinement de l'amiante ainsi que sur des activités et matériels susceptibles d'émettre des fibres d'amiante.

Concernant l'accès au Fcaata, faut-il combiner un système d'inscription par liste et une voie individuelle ? C'est au groupe de réforme auquel vous appartenez de le dire, en veillant à garantir l'équité et la faisabilité technique. Quant au suivi post-professionnel des victimes, la Haute autorité de santé élabore actuellement des référentiels.

Monsieur Godefroy, il y a deux phénomènes à ne pas confondre : la sous-déclaration par les médecins, par méconnaissance des risques professionnels -l'internat des généralistes ne comporte que quelques heures de formation sur le sujet !- et l'omission de déclaration par certaines entreprises, que le Gouvernement entend sanctionner sévèrement. Vous avez cité une grande entreprise automobile : un rapport d'inspection a été rendu, l'instruction se poursuit.

Laissons les partenaires sociaux discuter, tant sur les CHSCT de site que sur le cadre approprié du dialogue dans les TPE et les PME. Les médecins du travail seraient trop « enfermés » : la pluridisciplinarité a pour objet, précisément, d'enrichir leur travail en leur permettant de recourir aux intervenants en prévention des risques professionnels. Enfin, l'indemnisation par le Fiva n'est pas soumise comme vous l'affirmez à une reconstitution de carrière ; elle est proposée à toutes les victimes de l'amiante, y compris lorsque la pathologie est d'origine environnementale.

Madame Debré, il s'agit moins de contrôler le respect des règles de prévention que de développer une culture de la prévention, notamment dans les plus petites entreprises et dans le BTP. Pour ce faire, il faut coordonner les actions de toutes les parties.

Les conclusions du rapport que vous avez cité, madame Blandin, sont étudiées et feront l'objet d'une concertation afin de résoudre le problème démographique dans la médecine du travail. Il faudra à l'évidence relever le quota dans cette spécialité ; et dans l'intervalle, faire appel à des généralistes, après une formation appropriée. Les dispositions sur les risques chimiques n'ont pas disparu du code du travail, elles ont simplement basculé dans la partie réglementaire.

Enfin, je tiens à remercier Mme Desmarescaux de son analyse fouillée de la proposition : son exposé nous a éclairés. Je salue aussi le travail qui a été présenté. Il nous donne un aperçu des discussions qui nous attendent dans un avenir proche !

La discussion générale est close.

Interventions sur l'ensemble

M. le président.  - Je vais mettre aux voix l'ensemble du projet.

Mme Anne-Marie Payet.  - Le risque alcool est négligé dans les entreprises. Il est pourtant responsable de 20 % des accidents du travail inexpliqués. Un professeur de médecine disait ainsi à ses étudiants : « Quand vous ne connaissez pas la cause, cherchez l'alcool ».

On passe rapidement du stade de « bon vivant », porteur sain en quelque sorte, à celui de la dépendance et de la maladie. Les apprentis subissent un rite initiatique : il leur faut boire de l'alcool pour montrer qu'ils sont de vrais hommes. Or, sous l'emprise de l'alcool, les conducteurs de véhicules et d'engins perdent rapidement leurs réflexes et leur vigilance. Dans son rapport sur la prévention et la lutte contre l'alcoolisme, Hervé Chabalier propose la formation de l'encadrement, l'élaboration d'un règlement sur la consommation d'alcool, un groupe de travail sur les risques, l'instauration d'un taux zéro alcool au travail dans les postes de sécurité, forces de l'ordre, BTP, transports et la suppression de l'alcool dans les cantines d'entreprise. Du reste, dans ce dernier cas, les dispositions législatives existent, il suffirait de les réactualiser et de veiller à leur application. Le code du travail interdit la distribution et la consommation dans l'entreprise de toutes boissons alcooliques autres que le vin, la bière, le poiré, le cidre et l'hydromel. Mais dans un verre de whisky, de rhum, de bière ou de vin il y a la même quantité d'alcool pur. Au nom de la cohérence, nous devons rapidement modifier sur ce point le code du travail. (Applaudissements au centre)

Mme Michelle Demessine.  - Nous avons examiné cette proposition au pas de charge mais le débat fut de qualité. Notre texte est le fruit d'années de lutte, de travail, de dialogue... Nous n'attendions pas un consensus d'emblée. Nous nous réjouissons de cette amorce de débat sérieux, qui prolonge opportunément les travaux de la mission sénatoriale. Je regrette que l'Assemblée nationale, elle, n'examine pas le texte que voulait lui soumettre notre ancien collègue Roland Muzeau.

Tant de commissions et missions ont été citées, madame la ministre ! Je regrette que l'on n'utilise pas plus la Haute assemblée, qui compte sur ces sujets nombre d'experts, légitimés par le suffrage universel.

Vous nous opposez les conclusions à venir du dialogue social. Mais la dégradation des conditions de travail, du fait de la course à la rentabilité, justifient bien que la Nation, l'État, le Parlement conservent une responsabilité de premier plan. La santé au travail n'est pas un simple arbitrage entre les intérêts financiers des entreprises et la santé des salariés. Il y a un enjeu de société et de santé publique. Le drame de l'amiante et ceux qui se profilent exigent un cadre juridique précis.

Sur la tarification à la date et au risque, votre refus est fondé sur le souci de ne pas dégrader la rentabilité des entreprises. Mais les salariés ne sont pas une variable d'ajustement. De plus en plus, les productions à risque sont externalisées vers des sous-traitants, vers l'intérim, vers les pays à bas coûts. C'est pourquoi je ne crois pas à cette coopération que Mme la ministre envisage entre l'entreprise et ses sous-traitants. Certaines attitudes sont particulièrement cyniques. La direction d'Arkema, dans une circulaire interne, détaille les mesures à prendre pour contourner la reconnaissance des maladies professionnelles, au nom de la rentabilité. Et dans l'affaire Alstom, l'avocate générale de la cour d'appel de Douai a relevé que dans une note aux actionnaires, le groupe annonçait que l'amiante n'affecterait pas ses résultats, la réparation étant prise en charge par la sécurité sociale...

Plusieurs articles avaient fait l'objet d'amendements en discussion du PLFSS. C'est que nous sommes persévérants. Du reste, la loi de financement devrait jouer un rôle plus grand.

Après les deux missions parlementaires relatives aux drames de l'amiante, nous espérions que le débat sur le PLFSS aborderait les grandes questions posées dans les rapports. Malheureusement, il s'est concentré sur le budget du Fcaata, sur celui du Fiva et sur la réversion à la charge de la branche AT-MP. Seuls les amendements déposés par notre groupe ou par nos collègues socialistes et verts ont suscité un débat public sur ces sujets. Hélas ! Le nouveau règlement du Sénat ne permet plus de déposer des amendements en séance.

Bien que trop courte, notre discussion d'aujourd'hui a permis de revenir sur cette grave question et de lui donner une nouvelle résonance.

Sans porter atteinte à la négociation entre partenaires sociaux, la représentation nationale doit rester engagée dans des domaines de la santé au travail. Mme Blandin a rappelé la réponse cynique faite par le directeur d'Arcelor Dunkerque. Je souhaite rappeler qu'en mars 2004 un arrêt du Conseil d'État a condamné l'État à indemniser les victimes de l'amiante pour carence dans la prévention des risques professionnels. La haute juridiction a souligné l'absence de toute réglementation spécifique avant 1977 et le caractère insuffisant de celle introduite par la suite.

Je remercie notre rapporteur pour l'examen attentif de notre proposition de loi, je sais gré à Mme la ministre de sa réponse, j'ai apprécié les interventions et suggestions des orateurs, mais je ne peux accepter les conclusions négatives de la commission, contre lesquelles nous voterons. (Applaudissements à gauche)

M. le président. - Je mets aux voix les conclusions de la commission, dont l'adoption conduirait au rejet de la proposition de loi.

Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur.  - Bien que l'intervention de Mme Payet n'ait concerné qu'un aspect de notre débat, je tiens à saluer les propos de notre collègue dont je connais l'engagement contre l'alcool, ici et sur le terrain.

Madame Demessine, étudier votre proposition de loi fut un honneur pour moi. Je l'ai examinée non d'un pas rapide mais avec attention. Elle ne restera pas sans suite, même si elle n'est pas aujourd'hui gravée dans le marbre. (Applaudissements au centre et à droite)

Les conclusions de la commission sont adoptées.

En conséquence, la proposition de loi est rejetée.

Statut de l'élu local (Question orale avec débat)

M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n°9 de M. Jean Puech à Mme la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales sur la création d'un véritable statut de l'élu local.

M. Jean Puech, auteur de la question.  - Lorsqu'ils sont interrogés, les Français soulignent leur attachement pour les élus locaux, ces élus de terrain qu'ils côtoient, qui savent prêter l'oreille à leurs souhaits, qui dialoguent et débattent. Le comble serait que la République les oublie !

Dans le contexte des réformes institutionnelles voulues par le Président de la République, il est donc temps de les doter d'un véritable statut de l'élu local. La population souhaite les évolutions rapides que les élus attendent avec impatience. L'Observatoire sénatorial de la décentralisation le rappelle quotidiennement.

Ce débat permettra aussi de faire le point sur les suggestions de l'observatoire dans un domaine qui conditionne largement la vie de notre démocratie.

À la demande de l'observatoire, l'institut TNS-Sofres a interrogé cinq cents représentants des exécutifs locaux sur la décentralisation et les relations entre l'État et les collectivités territoriales. Les conclusions sont claires : l'adhésion massive à la décentralisation s'accompagne d'une crise de légitimité s'ajoutant à la crise de confiance envers l'État ainsi que d'une grande inquiétude quant au financement à venir des collectivités locales. Près de 80 % des élus sont attachés à la décentralisation mais profondément insatisfaits de leur protection sociale, de leur responsabilité pénale, de leurs conditions de travail et de leur reconnaissance. Aujourd'hui, le seul statut est constitué par l'absence de tout statut !

En élaborant son rapport sur l'émancipation de la démocratie locale, l'observatoire a pris la mesure du retard français en la matière. Les expériences européennes et les contacts directs noués sur place avec des élus allemands, italiens ou espagnols ont montré la route fort longue qui reste à parcourir, à la mesure du temps qu'il a fallu à la France pour ratifier la Charte européenne de l'autonomie locale.

Je rappelle que j'ai dû intervenir à plusieurs reprises au nom de l'observatoire pour obtenir cette ratification en mai 2007, un an après la loi du 10 juillet 2006 qui l'autorisait, alors que notre signature du traité date du 15 octobre 1985 ! Il aura fallu 22 ans ! À qui cette charte faisait-elle si peur ? Les tenants du jacobinisme ne veulent décidément rien lâcher. Signée par presque tous les États représentés au Conseil de l'Europe, la charte indique notamment que l'autonomie locale est « le droit et la capacité effective pour les collectivités de régler et de gérer, dans le cadre de la loi, sous leur propre responsabilité, et au profit de leur population, une part importante des affaires publiques. » En outre, ces responsabilités doivent être « exercées par des conseils ou des assemblées, composées de membres élus au suffrage libre, secret, direct et universel et pouvant disposer d'organes exécutifs responsables devant eux. » Qu'il ait fallu 22 ans pour l'accepter montre l'ampleur des réticences face à ces principes fondamentaux.

Nous avons les outils, un état des lieux et les expériences comparées : le moment est venu de réformer. Je rappellerai donc quelques propositions formulées par l'observatoire sénatorial.

La première consiste à clarifier les compétences des collectivités territoriales, car il n'est pas toujours facile pour les élus ni a fortiori pour nos concitoyens -qui pataugent dans le maquis des administrations- de répondre à la question : « qui fait quoi ? ». Il est indispensable que les citoyens puissent identifier le rôle de chaque exécutif, ce qui suppose une stricte limitation des financements croisés, sources de confusion. Ces incertitudes brouillent l'image et affaiblissent la légitimité des élus.

Or, il faut conforter cette légitimité avec une désignation plus directe des exécutifs locaux, qui exercent de lourdes responsabilités et assument les risques avec courage face à une opinion publique prompte à réagir, souvent sans connaître les difficultés de l'élu confronté à un État aujourd'hui enclin au contrôle plus qu'à l'accompagnement. Alors que la Ve République repose largement sur l'élection du Président de la République au suffrage universel direct, les exécutifs locaux restent désignés selon des modalités qui rappellent la IVe République voire la IIIe.

Sur le terrain de l'administration locale, la France a une République de retard Elle risque, du coup, de ne plus être en phase avec le pays réel.

Si une telle réforme était envisagée, il s'agirait, comme en Allemagne et en Italie, bientôt en Espagne et dans la plupart des pays de l'Union européenne d'élire les exécutifs locaux au suffrage universel direct, comme le Président de la République. Les électeurs seraient ainsi amenés à voter deux fois : une fois pour élire l'exécutif et une autre fois pour élire les conseillers de l'assemblée délibérante. Une telle distinction entre les modalités d'élection de l'exécutif local et des membres du conseil élu pourrait constituer la première étape d'une séparation des fonctions exécutive et délibérative. Le président du conseil général et le président du conseil régional, élus au scrutin uninominal, pourraient être désignés selon ce mode direct, le canton restant le cadre de l'élection des conseillers généraux.

Une autre solution consisterait à préserver notre tradition de scrutin de liste aux élections municipales et régionales en prévoyant, comme dans certains pays, que la tête de liste gagnante devient automatiquement maire ou président du conseil régional. Pour n'avoir pas à refaire une élection en cas de démission de l'exécutif, il serait utile, dans cette logique, de prévoir que le chef de l'exécutif local démissionnaire soit remplacé par le suivant de la liste. On éviterait ainsi ce qu'on a vu à Toulouse, à Montpellier, à Bordeaux : y a-t-on consulté les électeurs quand le maire s'est retiré ?

Les Français sont de plus en plus conscients qu'il n'est pas possible pour une même personne d'assumer deux charges aussi importantes que celle de membre du Gouvernement et celle d'une importante fonction exécutive locale. Voilà pourquoi ce cumul devrait être interdit. Je propose donc de revenir sur la pratique du cumul entre des fonctions exécutives qui requièrent une mobilisation à temps plein.

Les progrès de la décentralisation ont radicalement changé la nature même de la mission des exécutifs locaux. Il ne s'agit pas de transformer les parlementaires en élus « hors sol » : il est bon qu'un sénateur ou un député ait l'expérience du mandat local, municipal, général ou régional. En revanche, il ne me semble plus possible de cumuler les mandats nationaux ou européens avec des fonctions exécutives locales qui doivent être exercées maintenant à temps plein.

Les choses ont beaucoup changé en vingt-cinq ans. Décentralisation après décentralisation, les collectivités territoriales ont pris du poids. Tout cela, je l'ai personnellement vécu. Quand j'ai été élu président de mon petit Aveyron...(On se récrie)

M. Jean-Pierre Raffarin.  - « Petit », allons donc ! (Sourires)

M. Jean Puech.  - Je n'en attendais pas moins de vous !

... j'avais dû implorer le préfet pour obtenir un seul collaborateur. Il y a désormais mille huit cents personnes dans les services. D'autres départements en emploient cinq mille. Moi, je ne sais pas tenir deux pleins temps. Les journées ont vingt-quatre heures, nous ne bénéficions pas d'inflation horaire. Nous sommes tous fabriqués avec la même pâte humaine. Tirons-en les conclusions.

Il faut donc éviter tout cumul entre une fonction exécutive locale et un mandat parlementaire. Ce nouveau régime pourrait s'appliquer dès les élections régionales de 2010 à l'ensemble des parlementaires.

Trop souvent, le cumul des mandats apparaît comme une réponse à la précarité des élus. Cette situation n'est plus adaptée à une démocratie moderne. On pourrait créer un régime statutaire plus adapté pour les maires, les présidents de conseil général et les présidents de conseil régional, pour aller vers une véritable professionnalisation de la fonction de l'élu. L'article L. 2123-17 du code général des collectivités territoriales prévoit encore que « les fonctions de maire, d'adjoint et de conseiller municipal sont gratuites » ; il pourrait tout de même être modifié ! D'autant que les Français croient qu'il l'a déjà été et que les élus locaux s'enrichissent.

Conforter la démocratie territoriale, c'est aussi garantir l'avenir de notre démocratie territoriale et donc susciter des vocations, en particulier dans la jeunesse, dans les divers milieux professionnels. Le rôle des associations d'élus apparaît incontournable. On prétend qu'à l'occasion des prochaines élections municipales et cantonales de mars prochain, nous assisterons à un très important renouvellement. Or les informations qui nous parviennent du terrain traduisent, dans de très nombreuses communes, la difficulté à trouver des candidats représentatifs.

Il convient de renforcer les passerelles entre les trois fonctions publiques, pour permettre la valorisation des métiers, la mobilité et la promotion des agents tout au long de leur carrière. Une période de mobilité entre les trois fonctions publiques pourrait être rendue obligatoire dans tous les statuts et pour toutes les catégories. L'École nationale d'administration et l'Institut national des études territoriales pourraient avoir un tronc commun avec des spécialisations distinctes. Le rapprochement des fonctions publiques conditionne aussi le succès de la réforme de l'État et de la décentralisation.

L'État doit respecter les nouveaux domaines d'attribution des collectivités territoriales. Alors que les réformes engagées dans de nombreux pays européens ont eu pour effet de limiter drastiquement ses compétences au plan local, de réduire ses moyens d'action et, souvent, de supprimer son pouvoir de tutelle, il faudrait qu'en France aussi l'État tire toutes les conséquences des lois de décentralisation. Il doit réussir sa déconcentration pour donner la possibilité aux élus locaux d'avoir en face d'eux le représentant qualifié pour dialoguer et décider. La décentralisation, ce n'est pas la déconcentration, ce n'est pas non plus une simple délégation de compétence sur le mode : « Je décide et tu payes ».

La mise en place d'un nouveau statut pour les élus est indissociable d'une relance de la démocratie locale, base de notre système républicain et de son esprit citoyen. Les possibilités offertes par la réforme constitutionnelle de 2003 sont loin d'avoir été toutes utilisées. Cette timidité témoigne de la persistance d'une culture politique encore bien ancrée dans notre pays. Elle est fondée sur l'idée que l'État, en définitive, doit s'occuper de tout et décider de tout.

Pourtant, les potentialités ouvertes à la démocratie locale depuis 2003 sont importantes. De grands espoirs sont nés à la suite du nouvel élan donné au mouvement de décentralisation sous l'impulsion et avec une vraie volonté de mise en oeuvre, de Jean-Pierre Raffarin, fort de sa grande expérience du terrain. Je suis heureux de l'en féliciter.

Nous pensions qu'un processus irréversible était engagé mais l'actuelle conjoncture montre que la décentralisation est loin d'être acquise une fois pour toutes. La culture jacobine, les pesanteurs administratives et les réflexes centralisateurs regagnent vite du terrain lorsque la volonté politique semble s'éloigner. La décentralisation n'a pas été au centre de la campagne de 2007 pour l'élection présidentielle. La volonté de réforme et de rupture des Français s'est pourtant affirmée à cette occasion. Notre République décentralisée devrait profiter de ce contexte réformateur pour approfondir son processus de décentralisation. Ne serait-ce que parce que la décentralisation est un gage d'efficacité dans la gestion des fonds publics et pour la relance de la démocratie locale.

La France décentralisée ne peut plus s'en remettre à des commissions d'experts parmi lesquels ne figure d'ailleurs aucun élu du suffrage universel.

M. Éric Doligé.  - Mais tant d'étrangers !

M. Jean Puech.  - Les propositions de la commission Attali de supprimer les départements et un certain nombre de communes sont totalement déconnectées des réalités. Loin d'incarner la modernité, elles ne font que reprendre de vieilles lunes et ont été qualifiées de loufoques par un ancien Premier ministre. Elles ont été aussi, semble-t-il, enterrées par l'actuel.

Elles témoignent d'une époque que nous pensions révolue. Je serai donc sévère à l'égard de ces mandarins, issus de la haute fonction publique et vivant à huis clos entre le sixième et le septième arrondissement de Paris ! Ils n'ont pas confiance en la démocratie locale, ignorent tout de la province et semblent frappés d'hémiplégie ! (Sourires) Autant dire qu'ils sont redoutables...

Madame la ministre, vous connaissez le proverbe : les ministres passent, les concierges restent. C'est nous, élus du suffrage universel -au niveau national comme au niveau local- qui devons nous faire respecter, et, à travers nous, faire respecter le mandat confié par nos concitoyens qui sont très attachés aux collectivités locales car ils en connaissent l'importance dans leur vie quotidienne. Prétendre à la réussite d'une politique de proximité en supprimant un échelon, c'est une illusion !

M. Charles Revet.  - Eh oui !

M. Jean Puech.  - Développer une vraie démocratie locale, toujours plus performante et entretenant un lien fort avec les citoyens, c'est là qu'est la modernité. Pour cela, il convient d'élaborer un statut de l'élu et de réformer notre mode de gouvernance. Qui mieux que nous pourrait se saisir de ces questions, qui seraient à traiter dans un acte III de la décentralisation à rédiger de toute urgence ? Pour cela, il faut tenir compte de la réalité du terrain. Or, nous en sommes issus, nous, et nous remettons notre mandat en jeu, ce qui n'est pas le cas des « conseilleurs » ! Il en va des principes fondamentaux de la République, que nous devons défendre ardemment. (Applaudissements au centre, à droite et sur les bancs socialistes)

M. Patrice Gélard.  - Ce sujet est d'une actualité permanente. Mais, bien que le débat ressurgisse à chaque élection, les choses n'avancent guère ! Comme l'a dit Jean Puech, nous avons une République de retard. Nous ne pourrons modifier les choses en profondeur si nous en restons à l'idée que les fonctions sont gratuites, comme si tous les élus locaux étaient des bénévoles. La réalité et un souci de transparence exigent que l'on reconnaisse que cela est faux, au moins dans le cas des maires et des responsables d'exécutifs départementaux ou régionaux.

Le remarquable rapport de Jean Puech fait au nom de l'Observatoire de la décentralisation contient notamment des comparaisons avec les situations des pays de l'Union européenne ; j'y ajouterai qu'en Roumanie et en Bulgarie existe aussi le modèle d'une séparation entre l'exécutif et le délibératif local.

Ce rapport met également en lumière le caractère hétérogène des situations des élus locaux ; certaines des règles qui leur sont applicables sont mal connues des intéressés eux-mêmes. On trouve également dans ce rapport les résultats de l'enquête d'opinion sur le degré de satisfaction des élus dans différents pays d'Europe : les élus locaux ne sont pas satisfaits de leur sort. Madame la ministre, je vous suggère d'engager une concertation avec vos collègues européens pour revaloriser l'image de l'élu.

Un effort de transparence mettrait fin à certains errements dont on peut lire le récit jusque dans la presse people. Je partage le point de vue de Jean Puech : il est impossible d'élaborer un statut sans repenser nos structures territoriales, de façon à clarifier le processus de décentralisation. Il est également important d'établir des distinctions selon les origines socioprofessionnelles des élus : un élu fonctionnaire n'est pas « aussi égal » qu'un élu exerçant une profession libérale, agriculteur ou retraité. Récemment, un maire me confiait son soulagement d'avoir des retraitées dans son conseil municipal, sans lesquelles il aurait peiné à trouver des adjoints ! Et comment fait une jeune mère famille élue locale si elle ne réussit pas à faire garder ses enfants ? Nous devons viser à une égalité pour tous devant les fonctions et les responsabilités locales.

En ce qui concerne les élus au suffrage universel direct dans les exécutifs locaux, presque tous les pays européens ont choisi de séparer la fonction délibérative et l'exécutif. On a connu cela autrefois en France, lorsque le préfet était le véritable détenteur de la fonction exécutive dans les départements. Mais la fonction des maires ou des conseillers généraux n'a plus rien à voir avec ce qu'elle était en 1945 et encore moins avec l'esprit des lois de 1871 et 1884 : les charges se sont considérablement alourdies. Par ailleurs, le système peut avoir un effet pervers : lorsque l'on choisira le chef de l'exécutif municipal, départemental ou régional - appellerons-nous d'ailleurs ce dernier « gouverneur », malgré les abus dont ce nom fait l'objet dans certains pays ?- (sourires) il lui faudra une équipe, constituée non pas d'élus mais de professionnels, un peu comme le sont nos assistants parlementaires. Nous devons y réfléchir.

Un autre problème n'a pas été abordé par Jean Puech : l'élection au suffrage universel direct des intercommunalités, serpent de mer dont on discute beaucoup, mais qui pose des obstacles tels qu'ils n'ont toujours pas été surmontés.

Le changement de président d'un exécutif local fait aussi question. Si un président est nommé ministre, son remplacement sera automatique puisque s'appliquera, en vertu de la parité, la règle de l'alternance homme-femme, ce qui ne répond pas forcément aux souhaits du président sortant. Mieux vaudrait un système de parité globale...

En France, nous avons cinq cent mille élus -et le chiffre devrait être porté à six cent mille si l'on appliquait la règle d'un élu pour cent habitants- qui constituent un élément essentiel de notre démocratie : c'est grâce à cet extraordinaire maillage et grâce au dévouement de tous ces élus anonymes que notre démocratie peut vivre. (Applaudissements au centre, à droite et sur les bancs socialistes))

Mme Nathalie Goulet. - Il est difficile de prendre la parole après le président Gélard ! (Sourires)

Voilà sept ans presque jour pour jour -c'était le 18 janvier 2001- nous débattions ici même de différentes propositions de loi sur le statut de l'élu, sur un excellent rapport de Jean-Paul Delevoye alors président de l'Association des maires de France. Qu'avons-nous réglé depuis ? Je ne le sais pas exactement mais si j'en juge par la désaffection de nos compatriotes pour le scrutin municipal, je pense qu'il est grand temps de redorer le statut de l'élu.

Il n'est donc pas étonnant que dans mon département, l'Orne - deux cent quatre-vingt treize mille habitants, cinq cent cinq communes dont beaucoup ont entre cinquante et deux cents habitants-, on trouve peu de candidats pour les prochaines élections municipales et que 30 % des maires ne briguent pas un autre mandat en mars prochain. C'est compréhensible.

Quelques pistes en vrac, déjà proposées par Daniel Goulet, ici même, et adoptées, le 18 janvier 2001 -nous avons de la suite dans les idées dans la famille... Nous avions proposé d'instituer une protection du candidat, sur le type de celle des candidats aux élections professionnelles dans les entreprises, afin que le candidat à un mandat local ne soit pas pénalisé, par son employeur par exemple. Cela favoriserait la diversification des candidats, l'ouverture à la société civile et, donc, la démocratie. Et il y aurait moins de cumuls de mandats !

Vu le nombre et la complexité des procédures et des instances, le Centre de formation des élus qui existe sur le papier semble bien inaccessible. Nous avions proposé il y a sept ans une formation « volante » par intercommunalités par exemple. Comment les maires ruraux pourraient-ils suivre l'actualité juridique ? Depuis les dernières élections municipales, 133 décrets ont été adoptés opérant 2 399 mouvements sur la partie réglementaire du code général des collectivités territoriales. Dans le même temps, 163 textes législatifs ont été votés opérant 3 210 mouvements sur la partie législative du même code, dont 778 articles organiques. Il y a eu 1 956 ajouts pour 418 abrogations. Comment les élus ruraux s'y retrouveraient-ils dans ce maquis réglementaire et législatif qui se complexifie chaque jour à cause du mille-feuille des compétences ? Une meilleure formation éviterait aux jeunes élus de compréhensibles angoisses, favoriserait les vocations, et limiterait leur dépendance vis-à-vis d'une administration territoriale compétente mais surchargée.

Il faudra aussi repenser la couverture des risques. Là encore, l'évolution législative et réglementaire provoque un strabisme divergeant entre compétences et responsabilités. Le maire a de moins en moins de pouvoirs, rognés par l'intercommunalité, mais sa responsabilité reste la même du moins aux yeux de ses concitoyens. C'est pourquoi j'ai toujours été hostile à la compétence scolaire pour les intercommunalités, car en cas d'accident c'est le maire qui est responsable.

Si nous voulons redynamiser la démocratie locale, il est urgent de remettre en chantier le texte voté en 2001. Sinon, nous découragerons les courageux -en général retraités et célibataires, vu le caractère chronophage des mandats et de la réunionite galopante. Et nous favoriserons le cumul des mandats, frein aux réformes et encouragement aux féodalités bien vivaces surtout dans nos territoires ruraux. Quel est le kamikaze qui dans cette maison va applaudir à la suggestion de Jacques Attali de supprimer les départements ? Et pourtant...

Dans le mille-feuille des compétences dont je parlais et qui est la cause de bien des problèmes se pose depuis longtemps déjà la question de l'échelon cantonal. J'avais communiqué à l'actuel Président de la République quand il occupait vos fonctions, et ensuite à Thierry Breton, une étude simple : six cent soixante-douze cantons en France élisent un conseiller général alors qu'ils comptent moins de quatre mille habitants. Très franchement, ne peut-on envisager un redécoupage à l'heure de la rationalisation des politiques publiques et des économies d'échelle, alors que la France est couverte à pratiquement 100 % par l'intercommunalité ? Trente conseillers généraux dans le beau département de l'Orne pour deux centre quatre-vingt treize mille habitants dont beaucoup de résidents secondaires, pourraient sans doute faire aussi bien que les quarante en place à l'heure actuelle, réalisant ainsi sur un mandat une économie de plus d'un million d'euros qui seraient sûrement mieux employés à rechercher des infirmières, à assurer les soins à domicile d'une population vieillissante -au bon air de Normandie, certes, mais néanmoins vieillissante- ou à aider les entreprises. Puisque nous supprimons les services publics et les tribunaux, pourquoi hésiter à revoir cette organisation pesante et dispendieuse qui remonte à 1790 ? La loi du 11 décembre 1990 qui prévoyait un redécoupage électoral des cantons attend encore ses décrets d'application ! Je ne mentionne que pour mémoire la rupture d'égalité entre les candidats aux élections cantonales au regard du seuil de neuf mille habitants.

Une vraie réflexion doit être engagée : c'est à ce prix que nous redynamiserons la démocratie locale. « Victoire de l'optimisme sur l'expérience » comme disait Henri VIII à son sixième mariage, mais enfin.... Si nous voulons garder une démocratie de proximité vivante et ouverte il faut adopter un vrai statut de l'élu local, dans un système allégé et modernisé. Madame le ministre, si vous décidez de réunir un groupe de travail sur ce sujet, vous pourrez compter sur mon soutien indéfectible. Et si vous ne le faites pas, vous l'aurez aussi. (Applaudissements mesurés à droite, au centre et sur les bancs socialistes).

M. Jean Boyer.  - Cher Jean Puech, vos responsabilités d'élu d'un département rural vous ont justement inspiré cette question qui concerne un grand nombre d'entre nous. La ruralité doit être prise en compte dans la mise en place d'un statut propre aux élus car elle concerne non seulement des hommes mais aussi des territoires. Votre engagement dans votre Aveyron natal nous amène ce soir à nous interroger sur un véritable statut de l'élu local, longtemps promis, toujours repoussé malgré des avancées certaines. La Haute assemblée, expression de toutes les collectivités locales, souhaite plus qu'une autre apporter une contribution constructive dans l'obtention de ce statut. Notre débat doit aboutir à ce que des hommes de bonne volonté continuent à assurer un service de proximité irremplaçable, celui de relayer les habitants. Demain, y aura-t-il toujours des hommes engagés dans les trente six mille six cents communes de notre pays ? Pour préserver cette richesse humaine, administrative et collective, il faut agir avant qu'il ne soit trop tard. Oui, nous avons la chance de bénéficier de ce formidable maillage où la République est présente, partout, y compris dans la France profonde que j'aime souvent appeler le coeur de la France. Aujourd'hui, il n'y a pas de commune sans élu. Mais demain n'y aura-t--il pas des territoires sans hommes, sans responsables engagés ? Nos mairies sont, chacune à leur niveau, le coeur d'un territoire, l'âme d'un pays, la raison d'être d'une commune. Ce sont les archives des actes forts de la vie d'un homme : l'acte de naissance, de mariage et, malheureusement, celui du décès. C'est aussi tout cela la vie d'un élu, en particulier dans le monde rural où les hommes vivent et souffrent ensemble. La mairie, c'est aussi le lieu où ceux qui ont reçu la confiance des électeurs font tout ce qu'ils peuvent pour apporter de la vie mais aussi les équipements nécessaires à toute société du XXIème siècle. Être élu aujourd'hui, ce n'est plus un titre, c'est une mission. II faut être homme de bonne volonté pour s'y engager, sachant qu'il y a des satisfactions mais parfois aussi l'ingratitude individuelle ou collective. Mais nous avons choisi. II faut savoir répondre présent. « L'avenir ne se prévoit pas, il se prépare » comme disait le philosophe Maurice Blondel. Les élus savent anticiper, questionner, écouter avant d'agir. Il y a encore quelques années, le maire d'une commune rurale était souvent un agriculteur ou un artisan. Aujourd'hui, l'un et l'autre peuvent difficilement assurer ce mandat car l'exigence d'une exploitation agricole ou d'une entreprise artisanale laisse peu de disponibilité. II ne faudrait pas, demain, fonctionnariser cette belle mission. C'est pourquoi un vrai statut de l'élu est indispensable, un statut protecteur, permettant de concilier vie professionnelle et vie municipale. Nous devons éviter de réserver les mandats locaux aux seules personnes disponibles, souvent en fin d'activité professionnelle.

La tâche d'un maire ne se résume pas à présider un conseil municipal ou à décider d'un projet communal. Elle demande présence, écoute, compréhension. Le maire est un associé permanent. En cas de difficulté, c'est aussi le responsable trop facilement désigné. La mission de l'élu rural n'est pas facile, car il n'y a pas de filtre, pas de barrière, il est directement livré aux observations, aux demandes, voire aux critiques de citoyens dont certains sont devenus excessivement exigeants. Le citoyen a des droits, mais il a aussi des devoirs de civisme, le civisme communal. Civisme... Un mot qui se dilue, qui se dégrade. On regarde son intérêt personnel, pas assez l'intérêt collectif. On n'attache pas suffisamment d'importance à la sauvegarde d'un service public, d'une école ou d'un équipement si on préfère, pour soi-même, trouver une solution ailleurs.

Madame la ministre, votre forte personnalité, votre classe, votre détermination rassurent les élus. Merci de votre présence, de votre action appréciée de tous. Un maire ne sera jamais un responsable comme les autres. Il ne doit pas être exclusivement un homme de papiers, de dossiers. Il ne doit pas être seulement un gestionnaire, ni même seulement un bâtisseur. Il doit être un « associé viager » pour ceux qui vivent dans sa commune ou, pour un conseiller général, dans son canton. Nous ne sommes pas et nous ne devons pas être des spécialistes. Nous sommes avant tout des généralistes qui compensons parfois notre manque de connaissance par une forte volonté d'apporter des réponses. Nous les apportons souvent avec le langage du bon sens.

La finesse de l'élu local, son intelligence, sa bonne connaissance du terrain ne s'apprennent pas dans les livres mais se forgent dans les contacts au quotidien. Oui, il faut avancer sur le statut de l'élu. Nous passons notre temps en réunions ; la répartition des compétences est un vrai labyrinthe. Un maire ou conseiller général doit souvent aussi être membre d'une communauté de communes ou d'agglomérations. Cela exige un fort investissement personnel. Les élus en sont conscients, qui savent, avec Saint-Exupéry, que l'on ne peut « se sentir à la fois responsable et désespéré ».

« Il est un temps pour tout », dit l'Ecclésiaste. Il est un temps pour bâtir et un temps pour regarder ce que l'on a bâti. Bien des maires engagés depuis plusieurs décennies, date à laquelle les indemnités de fonction étaient très faibles, s'apprêtent à quitter leurs fonctions. Ils ont droit à la reconnaissance de la Nation.

Dans quelques semaines, d'autres devront subir la loi des urnes. Jules Claretie disait que tout homme, qui fait quelque chose a contre lui ceux qui voudraient faire la même chose, ceux qui font le contraire et surtout la grande armée de ceux qui ne font rien du tout. Vous ne m'y trouverez pas, monsieur le président du conseil général de l'Aveyron, car je salue votre initiative et vous en remercie. Nous voulons, avec vous, un statut pour les hommes de bonne volonté. (Applaudissements au centre, à droite et sur les bancs socialistes)

M. Pierre-Yves Collombat.  - Je remercie M. Puech de sa question, dans laquelle il a osé parler de statut, terme qui a fait reculer tous les gouvernements, même si la guerre de tranchées menée par les élus a permis de s'en rapprocher.

Il aura fallu attendre la loi du 24 juillet 1952 pour obtenir un premier mais miséreux régime indemnitaire, et vingt ans de plus, avec la loi du 23 décembre 1972, pour une maigre retraite d'agent non titulaire des collectivités. Malgré le rapport Debarge et la loi fondatrice de mars 1982, il aura fallu patienter vingt ans encore pour enregistrer, avec la loi du 3 février 1992, quelques nouveaux progrès en matière de disponibilité, de couverture sociale et de formation ; dix ans encore avant que la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité organise le régime des autorisations d'absence, des crédits d'heures et des congés pour élections ; celui des remboursements de frais et indemnités, néanmoins fiscalisées ; celui de la formation ; de la couverture sociale et facilite le retour à la profession en fin de mandat, mais seulement pour les maires et adjoints des communes d'au moins vingt mille habitants.

Le métronome de la réforme semblant réglé sur dix à vingt ans, faudra-t-il attendre 2012 ou 2022 pour voir naître enfin un véritable statut de l'élu local ?

Au chapitre des obligations, la loi du 5 avril 2000 a réduit les possibilités de cumul des mandats, mais en excluant les présidences de conseils d'administration, les mandats intercommunaux et celui de maire d'une commune de moins de trois mille cinq cents habitants hors de son champ d'application, permettant ainsi bien des accommodements avec le principe.

Cet ensemble de mesures disparates constitue-t-il pour autant un statut ? Évidemment, non. Les textes successifs évitent même soigneusement le terme. Dans le projet Galland, inabouti, il n'était question que d'une charte ; dans la loi de 1992, de « conditions d'exercice des mandats locaux », dans la loi relative à la démocratie de proximité de « démocratisation des mandats locaux ». Ces palinodies sémantiques ne sont pas innocentes. Elles trahissent l'absence d'une définition claire du statut juridique des collectivités locales, sans laquelle il ne peut être de statut de leurs élus. Car telle est bien la question : les collectivités locales, à commencer par les communes, sont-elles de simples organes administratifs ou les cellules de base de la démocratie, donc des entités politiques ?

M. Charles Revet.  - Bien sûr, au sens noble du terme !

M. Pierre-Yves Collombat.  - Car c'est alors seulement que la reconnaissance de l'autonomie locale, qui aura mis vingt-deux ans à être assumée, et que le statut de l'élu prennent un sens. Dans le cas contraire, le problème est purement fonctionnel et la décentralisation n'est que le synonyme de déconcentration, quelle que soit la gymnastique intellectuelle à laquelle on se livre.

Nul n'ignore que depuis leur création par la Révolution, les communes sont des entités politiques, et chacun a en mémoire ces mots de Tocqueville : « C'est dans la commune que réside la force des peuples libres. Les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science ; elles la mettent à la portée du peuple ; elles lui en font goûter l'usage paisible et l'habituent à s'en servir. Sans institutions communales une Nation peut se donner un gouvernement libre, elle n'a pas l'esprit de la liberté »

On en reste pourtant à un jacobinisme de stricte observance, issu d'une conception absolutiste de la souveraineté. Ne pas le reconnaître, c'est s'interdire de régler les questions essentielles. Car si l'on a affaire à une simple entité administrative, l'élu ne peut recevoir l'indemnité qui doit lui permettre de se consacrer à son mandat sans devenir une sorte de fonctionnaire ou de contractuel. C'est ainsi que l'entendaient et le rapport Mauroy et Michel Giraud, alors président de l'AMF : « Qui dit statut dit fonctionnarisation. » Et le code général des collectivités territoriales le confirme qui dispose que « les fonctions de maire, d'adjoint et de conseiller municipal sont gratuites ». Certaines sont pourtant indemnisées, sans que l'on sache clairement en contrepartie de quoi et, pour ajouter à la confusion, ces indemnités sont fiscalisées, signe qu'elles sont bien un revenu.

Ces contradictions juridiques peuvent se révéler gênantes. Car en refusant de reconnaître la fonction éminemment politique de l'élu local, on s'interdit de lui réserver le statut pénal correspondant à sa situation réelle. Alors que l'on prend en compte la spécificité de ses fonctions pour aggraver les peines qu'il encourt en cas de délit intentionnel en rapport avec sa fonction, on oublie qu'il agit au nom de la collectivité en cas de délit non intentionnel pour des fautes non détachables du service. Le maire, responsable de tout est traité comme un simple citoyen, responsable de lui seul.

La loi qui créera enfin un statut devra trancher ce point. Je vous livre ici les trois principes auxquels tiennent particulièrement les plus maltraités des élus, les élus ruraux.

Le principe de disponibilité, tout d'abord, qui conditionne la possibilité de l'action et l'autonomie de décision de l'élu. Il suppose l'existence d'une indemnité suffisante, quelle que soit la taille de la commune. Au contraire de M. Puech, j'estime qu'elle ne doit pas dépendre de la population, sauf à admettre une démocratie à plusieurs vitesses. L'argument de la proportionnalité des charges ne tient pas : si la charge est proportionnelle à la taille de la commune, elle est inversement proportionnelle aux moyens dont dispose le maire pour y faire face. Il conviendrait donc de définir un seuil minimum de moyens en même temps que de faire de l'indemnité une dépense obligatoire au lieu de la laisser à l'appréciation des conseils. Indexer l'indemnité sur celle des parlementaires, comme le proposait le rapport Debarge serait aussi un moyen symbolique de distinguer les élus du personnel administratif. La création d'une indemnité compensatrice ou d'un crédit d'impôt pour charges de familles faciliterait, enfin, l'accès des femmes aux fonctions électives.

Il est plus facile de libérer du temps pour les fonctionnaires ou les salariés de grandes entreprises que pour les cadres des petites entreprises ou les artisans. Deux volets sont complémentaires. D'une part, la création d'un crédit d'heures et le financement des pertes de revenu résultant de la réduction d'activité, de l'autre, la limitation du cumul des mandats pour assurer la disponibilité de l'élu. Le bon sens voudrait que le mandat de parlementaire ne soit pas compatible avec celui de maire, d'adjoint, à partir d'un certain seuil ou de président d'EPCI à partir d'une certaine taille. La participation des parlementaires aux assemblées locales, pour rester en prise avec le terrain, devrait en revanche être encouragée.

Deuxième principe, la sécurité à assurer aux élus en cas de cessation de mandat, de départ en retraite ou de reprise d'activité.

Il convient, par-dessus tout, de réaffirmer que l'élu n'agit pas personnellement mais au nom de la collectivité. C'est la collectivité, et non l'élu, sauf en cas de faute grave, qui devrait être tenue pour responsable en cas de délit non intentionnels et non détachables du service.

Il faudra aussi revenir sur les notions de délit formel et de prise illégale d'intérêt lorsque celui-ci est moral ; améliorer la couverture sociale et le régime de retraite obligatoire, au moins pour les indemnités les plus basses ; étendre les dispositions facilitant le retour à la vie professionnelle.

Troisième principe : le principe de responsabilité. Son corollaire est le renforcement des obligations de formation, de transparence, de démocratie. La meilleure façon de combattre l'idée fausse selon laquelle la démocratie participative perfectionnerait la démocratie représentative (« ah ! » à droite), de renforcer la démocratie locale est de créer les conditions d'un débat démocratique au sein des assemblée locales. La discussion des orientations budgétaires partait d'un bon sentiment, mais l'objectif n'a pas été atteint. La présentation de documents plus lisibles est une absolue nécessité...

M. Charles Revet. - C'est un peu dur pour les élus !

M. Pierre-Yves Collombat. - De la vitalité de l'opposition dépend celle de la démocratie locale ; tout ce qui permet son expression et des débats transparents va dans le bon sens. Ne serait-il pas utile en outre d'étendre certains des droits dont bénéficient les titulaires d'une fonction élective aux représentants des groupes d'élus ? C'est au sein des assemblées que doivent fonctionner les contrepouvoirs sans lesquels le mot « démocratie » est vide de sens. Ce point est plus important que le mode de désignation des exécutifs locaux ou la disparition des départements, ces marronniers pour feuilletonistes politiques.

Les plus petites collectivités locales n'auront pas les moyens d'assumer tout cela seules ; sauf à les laisser sur le bord du chemin, il faudra sans doute créer un fonds alimenté par l'État, les collectivités locales en fonction de leur richesse et les organismes qui sollicitent régulièrement leur concours, comme certaines chambres consulaires.

Ce ne sont ni les problèmes, ni les propositions qui manquent. Je remercie M. Puech d'avoir permis ce débat, en espérant que nous nous retrouverons avant dix ans. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Raymond Couderc. - Au nom du groupe UMP du Sénat, je me félicite de l'organisation de ce débat, et surtout de la manière dont la question du statut de l'élu a été abordée par M. Puech dans le rapport qu'il a présenté le 7 novembre dernier au nom de l'Observatoire de la décentralisation qu'il préside avec beaucoup de compétence. Ce rapport, qui ne se limite pas aux questions statutaires, souligne la montée en puissance des responsabilités des exécutifs locaux et pose le problème en termes de gouvernance et d'autonomie locales, sans oublier la réforme de l'État qui en est l'indispensable corollaire.

Cette problématique est européenne, mais chaque pays a cherché à la résoudre à sa façon. En France, elle est indissociable de la décentralisation et de la réforme de l'État. Les deux vagues de décentralisation ont modifié en profondeur l'organisation de notre pays : les collectivités territoriales disposent aujourd'hui de compétences importantes dans des domaines essentiels. Si cette plus grande proximité répond à leurs attentes, nombre d'élus locaux sont inquiets, voire découragés, par l'ampleur et la complexité des missions qui leur ont été confiées, préoccupés aussi par les modalités, notamment financières, de la décentralisation.

La réforme constitutionnelle du 28 mars 2003 et la loi organique du 29 juillet 2004 ont garanti l'autonomie financière des collectivités territoriales ; elles visent à éviter de nouvelles diminutions de la part de leurs ressources propres et précisent que tout transfert de compétences de l'État doit s'accompagner de l'attribution de ressources équivalentes. Nous avons ouvert ainsi une nouvelle ère dans les relations entre des collectivités locales mieux respectées et un État plus attentif à leurs préoccupations.

Les élus ont en outre le sentiment que leurs marges de manoeuvre se réduisent de jour en jour avec la multiplication de normes et de procédures juridiques de plus en plus contraignantes. Le groupe UMP se félicite de la création, le 4 octobre dernier, de la Conférence nationale des exécutifs, lieu de concertation privilégié qui permettra aux collectivités locales d'être mieux associées à l'élaboration des normes qui les concernent.

Enfin, et surtout, les élus locaux doivent faire face à une charge de travail croissante, liée à l'inflation normative, mais aussi à l'enchevêtrement des compétences entre l'État et les différents échelons de collectivités locales, et entre ces derniers. Cette confusion des responsabilités est source d'augmentation de la dépense publique et de perte de temps.

Si nous n'avons pas réellement à redouter une crise des vocations pour l'exercice des mandats électifs, nous devons nous attaquer sérieusement à ce problème. De moins en moins d'actifs ont la disponibilité nécessaire pour exercer leur mandat, ce qui risque de couper les conseils municipaux de la vie active. Les élus sont surchargés par la multiplication des réunions avec les services déconcentrés de l'État qui, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, ne cessent d'intervenir dans le processus de décision locale. Ils doivent aussi participer à une foule de structures de concertation qui, si elles permettent d'être davantage à l'écoute des administrés, sont chronophages ; il n'y a plus guère que les retraités pour être suffisamment disponibles. La démocratie est dévoreuse de temps.

Dans son rapport, M. Puech relève qu'un véritable statut de l'élu local « devrait permettre de concilier l'exercice d'une activité professionnelle et un mandat local, en donnant à l'élu salarié le temps nécessaire à l'accomplissement des tâches liées à son mandat, sans porter préjudice à sa vie professionnelle ». Soulignant les aménagements positifs apportés par le législateur, il reconnaît cependant qu'ils n'intéressent que les salariés ou les personnels de la fonction publique ; aucun mécanisme de compensation n'est par exemple prévu en faveur des membres des professions indépendantes. Je souhaiterais que vous puissiez nous dire, madame le ministre, où en est votre réflexion sur cette question qui conditionne l'accès de tous les citoyens à la fonction d'élu et une représentation socioprofessionnelle équilibrée dans les assemblées délibérantes.

Cette question du temps est étroitement liée à celle des compétences. L'un des meilleurs moyens d'optimiser le temps de travail des élus est en effet de limiter les doublons institutionnels et de simplifier les processus de décision. La suppression d'un niveau institutionnel, en l'occurrence des départements, que propose le rapport Attali, ne correspond ni à la réalité sur le terrain ni aux attentes de nos concitoyens. Nous devons raisonner avant tout à partir des politiques publiques, comme le suggère M. Lambert dans le rapport qu'il a remis au Premier ministre, le 7 décembre dernier. Au niveau local, les collectivités territoriales doivent s'adapter à l'évolution de leurs missions, prendre en compte le développement de l'intercommunalité et rechercher les moyens de rationnaliser leurs interventions respectives. L'État, de son côté, doit cesser d'intervenir dans des domaines qui ne relèvent plus de sa compétence.

La création d'un régime statutaire spécifique nécessite ainsi une clarification préalable des responsabilités : avant de décider quoi faire pour qui, nous devons savoir qui fait quoi. La clarification des compétences, la simplification des procédures et le renforcement de l'autonomie financière sont les clés d'une plus grande efficacité des politiques publiques et d'une plus grande responsabilisation de tous.

C'est dans cet esprit que le groupe UMP soutient les réformes structurelles engagées par le Gouvernement, et en particulier la réforme de l'État, afin notamment que les élus locaux puissent exercer leurs compétences plus librement, plus efficacement, plus simplement, au plus près des attentes de nos compatriotes. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Josiane Mathon-Poinat.  - La question du statut de l'élu local est récurrente à la veille d'élections municipales et cantonales. Si elle n'a pas trouvé de réponse, ce n'est pas faute d'initiatives parlementaires ; les élus communistes s'en préoccupent depuis une vingtaine d'années, notre groupe ayant déposé, dès 1989, une proposition de loi sur les fonctions électives. Nous l'avons présentée depuis à plusieurs reprises, ici comme à l'Assemblée nationale, afin de rendre notre dispositif plus conforme aux attentes des élus et des citoyens.

L'esquisse d'un statut de l'élu a été dessinée par la loi du 3 février 1992, qui a permis aux élus locaux d'acquérir un certain nombre de droits. Nos propositions vont plus loin. En janvier et février 2001, nous avons examiné une proposition de loi sur le statut de l'élu et celle de Mme Fraysse sur les fonctions électives locales. Aucun de ces textes n'a abouti.

La loi relative à la démocratie de proximité a en partie répondu à nos attentes.

Mais elle n'a pas créé un véritable statut.

Parce que le problème subsiste, nous avons fait des propositions lors du débat sur la parité en décembre 2006. Le lien n'est pas innocent car des mesures quantitatives sont insuffisantes et méprisantes. La loi de décembre 2006 fait dépendre l'accès des femmes aux mandats électoraux de mesures législatives mais si la fonction d'élu local suscite de moins en moins de vocations, c'est aussi parce que la mise en cause de leur responsabilité et les conséquences financières de la loi Raffarin ainsi que la disparition des services publics n'aident pas les élus à satisfaire les demandes de nos concitoyens. Pas étonnant alors que le sondage TNS Sofres dise leur lassitude et leur découragement.

Il est urgent de remettre le statut de l'élu sur le métier, mais pas au détour d'une question orale : on n'avancera pas en le repoussant sans cesse. Comment renouveler et diversifier les origines socioprofessionnelles ? Malgré les incitations pour les salariés, fonctionnaires et retraités forment une large majorité des élus et que dire des professions indépendantes ? Il est toujours difficile de concilier statut professionnel et mandat électoral -je ne parle même pas des femmes.

La loi reconnaît des droits aux élus, leur accorde des autorisations d'absence, des crédits d'heures, une formation, des indemnités, mais sans sécuriser les élus ni susciter des candidats. Les fonctionnaires sont plus nombreux parce que le rapport de force reste défavorable aux salariés toujours menacés d'un licenciement ou d'une mise au placard : la loi de 2002 n'est pas allée assez loin.

Notre groupe a déjà formulé de nombreuses propositions : absences autorisées, remboursement des frais de garde, reconnaissance de la compétence acquise, maintien d'indemnités pendant six mois en cas de chômage... Le financement de ces mesures ne saurait reposer sur les seules collectivités. Nous avions en 2001 proposé de créer un fonds alimenté par les entreprises. Il serait opportun de réviser la dotation de l'indemnité élu local, trop faible (2 167 euros) et trop restreinte (les communes de moins de mille habitants).

L'État a sa part de responsabilité dans la démocratisation de la vie locale. Un statut de l'élu est une exigence démocratique car tout citoyen doit pouvoir être candidat dans la sécurité avec un statut clair. Le mécontentement constaté par M. Puech appelle des réformes, afin que tous, hommes et femmes, puissent se faire élire, que tous les élus puissent exercer correctement leur mandat mais la situation actuelle risque de s'aggraver en raison des transferts de compétences non compensés et de l'augmentation de la responsabilité des élus vis-à-vis des administrés. Nous annoncerez-vous un statut de l'élu ? (Applaudissements à gauche)

La séance est suspendue à 20 h 10.

présidence de Mme Michèle André,vice-présidente

La séance reprend à 22 h 15.

M. Jean-Léonce Dupont. - Malaise, insatisfaction, inquiétude : c'est par ces termes que les enquêtes d'opinion qualifient l'état d'esprit des élus locaux. Selon l'Ifop, 45 % des maires seraient peu enclins à se représenter aux prochaines élections. Sur les sept cent cinq communes du Calvados, un tiers des maires seraient dans ce cas, exprimant un ras-le-bol face à des responsabilités toujours plus grandes et ingrates, pour des concitoyens toujours plus exigeants et souvent peu reconnaissants. Le constat vaut pour les conseils généraux, où les candidatures ne sont pas légion. Selon l'Observatoire sénatorial de la décentralisation, 58 % des élus locaux seraient mécontents de leurs conditions de travail. La situation s'est certes améliorée, avec les lois de 1992, 1999 et 2002, mais les élus manquent toujours d'un véritable statut, qui améliore leur condition avant, pendant et après leur mandat électif.

Avant l'élection, se pose la question de l'égal accès aux mandats. La loi de 2002 a certes introduit un droit au congé électif, mais seulement pour les communes d'au moins trois mille cinq cents habitants et les dix jours qu'il propose au candidat ne sont pas rémunérés. Les salariés du privé disposent de garanties très inférieures à celles des fonctionnaires, qui peuvent être mis à disposition pour exercer leur mandat et donc retrouver leur emploi après. Les catégories socioprofessionnelles des élus traduisent cette inégalité : 29 % sont des retraités, 18 % des agriculteurs et 15 % des fonctionnaires -parmi les maires agriculteurs, 99 % sont élus de communes de moins de trois mille cinq cents habitants. Les élus locaux demeurent cependant plus représentatifs que les élus nationaux.

Grâce aux règles relatives à la parité, les femmes représentent 47,5 % des conseillers municipaux des communes d'au moins trois mille cinq cents habitants, 11 % pour l'ensemble des communes, 10,5 % des conseillers généraux et 47,5 % des conseillers régionaux. L'accès des femmes aux fonctions exécutives doit être amélioré, en particulier par des dispositifs d'aide à la garde d'enfants.

Pendant le mandat, un véritable statut devrait mieux garantir les élus locaux en matière de responsabilité civile, administrative et pénale. La grande majorité des maires s'estiment insuffisamment protégés, il faut parfaire la loi Fauchon de juillet 2000 relative aux délits non intentionnels. Quant aux moyens matériels, ils sont insatisfaisants pour deux élus sur trois : une réflexion d'ensemble s'impose, qui porte également sur la nécessaire réforme de la fiscalité locale.

Après le mandat, un véritable statut devrait améliorer la reconversion des élus venus du privé et leur réinsertion professionnelle. La loi de 1992 a prévu un droit de réintégration, pour un mandat seulement dans une commune d'au moins vingt mille habitants et à condition que l'entreprise existe encore à l'issue du mandat. Rien n'est prévu pour les professions libérales. La loi de 2002 a créé une allocation différentielle de fin de mandat, elle aussi limitée aux communes d'au moins vingt mille habitants et pour six mois seulement. On comprend que 58 % des élus se déclarent insatisfaits de l'aide à leur réinsertion !

A l'heure de la « flexsécurité à la française », il faut tenter de supprimer les inégalités entre élus, cela passe par une réflexion globale, qui traite de la démocratie locale et des moyens que la société lui accorde. Vous avez évoqué la possibilité d'accueillir d'anciens élus dans la fonction publique, c'est une piste intéressante. Cette réflexion, cette réforme d'ensemble est nécessaire à une démocratie apaisée ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. Éric Doligé. - La question du statut de l'élu local n'est pas nouvelle, mais les réponses n'ont été que très parcellaires, comme c'est malheureusement une habitude dans notre pays. Rien n'a été réglé des problèmes de fond, ni l'inégalité d'accès entre les fonctionnaires et les salariés du privé, ni l'absence d'indemnité pour les élus des petites communes, ni le cumul des mandats -c'est une richesse pour notre démocratie, mais on l'utilise contre les élus, en caricaturant leur situation-, ni le cumul des indemnités, ni la protection sociale, ni les responsabilités civile, administrative et pénale d'élus exposés à la vindicte médiatique et au zèle des juges... La République n'est pas toujours très reconnaissante avec ses serviteurs et participe même parfois à la dévalorisation de leurs fonctions !

Le rapport dit Attali en est un bon exemple. Il devrait être communiqué au Président de la République demain mais il semble que tout le monde l'ait déjà lu -sauf les élus. Madame le ministre, il faudrait bannir cette habitude détestable des gouvernements, de n'informer les élus qu'en dernier, comme on l'a encore vu avec les OGM !

Le président de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale en a été informé au dernier moment, par sms.

La question a été bien posée à la commission Attali. Mais si l'on avait dépêché, plus modestement, un émissaire ailleurs que dans la capitale, on aurait obtenu des réponses pertinentes -certes pas trois cents propositions ni huit ambitions...

Prenons la septième : une nouvelle gouvernance au service de la croissance. La commission estime que de nombreuses institutions sont fossilisées et coûtent trop cher : la résolution 259 propose donc de faire disparaître l'échelon départemental, source de gaspillage. Pauvre département ! Se faire agitateur pour faire avancer les idées, fort bien, mais comment admettre des attaques infondées ? Quel manque d'égards envers des élus locaux à deux mois du renouvellement cantonal ! Tous, de tous bords, en sont scandalisés et je n'ose vous répéter ce que j'ai pu entendre sur l'intelligentsia parisienne qui vit en vase clos mais prétend faire le bonheur des pauvres provinciaux. La commission Attali ne comprenait que deux élus : un Allemand et un Italien, lequel aurait trouvé l'idée. Je me suis rendu avec M. Puech en Italie : jamais il ne nous serait venu à l'esprit de nous y immiscer dans ces questions.

Les élus locaux sont donc jugés indésirables, défaillants, gaspilleurs. Les départements seraient usés par les ans -ils ont été créés en 1790. Mais ils sont devenus collectivité locale de plein exercice en 1981 seulement ; et les régions, en 1982. Faut-il rappeler que les départements consentent huit fois plus d'efforts à l'égard des collèges que l'Etat avant le transfert de cette compétence ! L'Etat sollicite aussi les collectivités pour tenir ses engagements et financer les universités, la recherche, l'innovation,... Empêtré dans sa complexité et son centralisme, il a confié au département le RMI, l'APA, le handicap, les routes,... et il continue à transférer les responsabilités aux élus locaux. Madame la ministre, dites aux « experts » que la France ne s'arrête pas aux boulevards des maréchaux et qu'au-delà, il existe une vie et des élus consciencieux, sérieux.

Le département n'est pas un frein à la croissance. Il est une collectivité de proximité. La région doit être une collectivité de mission. Le département doit gérer non seulement les collèges mais les lycées, et la région, recevoir des compétences nouvelles et fortes, santé, universités, environnement. Quant à l'Etat, il ne doit plus intervenir dans les domaines déjà couverts par les collectivités, qui les financent souvent à plus de 50 % : le sport, la culture, le social, l'équipement... voire les pompiers.

La région doit être le lieu de cohérence entre les politiques des départements et celles des grandes agglomérations. Et les conseillers régionaux, pour cette raison, doivent être issus des collectivités composant la région, comme pour l'intercommunalité. Revoyons à la baisse le nombre des régions, pour les rendre plus efficaces et concurrentielles par rapport à leurs équivalents en Europe. Les départements doivent pouvoir se regrouper s'ils le souhaitent.

Depuis vingt ans, ce ne sont pas les départements qui ont créé des niveaux supplémentaires mais les régions avec les pays, et les communes avec les EPCI. Laissons les collectivités libres d'agir sur des compétences dynamiques ; et, sur les compétences passives, qu'elles respectent une logique de guichet unique. Les contrats de plan doivent être supprimés, ils sont une tutelle de l'État sur la région, et de la région et l'État sur les autres collectivités. Ils permettent à l'État d'être partout et de maintenir ses structures.

J'ai émis une douzaine de propositions. Ce n'est pas dans la culture du Gouvernement d'écouter les propositions issues de l'expérience locale ; il a une fois de plus préféré les paillettes de la notoriété. Je passe sur les propositions pour en venir à ma conclusion...

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre.  - Comment le Gouvernement pourra-t-il entendre vos suggestions, alors ?

M. Éric Doligé.  - Ne jetez pas avec l'eau du bain des élus locaux qui font avec beaucoup de passion la richesse de nos territoires. Ils sont prêts à la réforme, mais si l'Etat n'entre pas lui aussi dans la réforme, s'il n'associe pas les élus locaux, s'il cautionne les provocations attalinesques telles que la proposition 259, alors il y aura bien deux France, celle d'en haut, réduite à quelques penseurs en mal de reconnaissance et de succès en librairie, et celle d'en bas, composée d'élus et de citoyens qui se battent pour faire vivre nos territoires.

Le rapport de Jean Puech et nos interventions à cette tribune contiennent nombre de suggestions sur le statut de l'élu et l'organisation des territoires tout en relançant la croissance. Ne l'ignorez pas ! Mais je sais que je peux avoir confiance en vous. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs UMP, UC-UDF et socialistes)

M. Robert del Picchia.  - Vous connaissez bien les Français de l'étranger, madame la ministre, et vous avez toute leur sympathie. Pourquoi un sénateur représentant les Français de l'étranger prend-il ce soir la parole ? Je veux que les conseillers élus à l'assemblée des Français de l'étranger ne soient pas oubliés : suis-je hors sujet ?

M. Paul Blanc.  - Pas du tout !

M. Robert del Picchia.  - Ne doivent-ils pas être assimilés à des élus locaux ?

M. Paul Blanc.  - Si !

M. Robert del Picchia.  - Ces cent cinquante cinq élus -au suffrage universel direct- forment l'assemblée des Français de l'étranger. Je suis depuis plus de dix ans élu de l'Autriche et des pays de l'Europe de l'est et j'ai de réelles responsabilités à l'égard de mes administrés. Les conseillers participent à diverses instances, réunions, commissions : bourses scolaires, aide sociale, emploi, comités de sécurité que l'ancienne ministre de la défense connaît bien. Les élus agissent sur le terrain -un vaste terrain, parfois périlleux, avec des circonscriptions qui peuvent regrouper plusieurs pays. Ils se réunissent deux fois par an en session plénière à Paris mais siègent aussi en commission sur différents problèmes : un temps souvent pris sur leurs congés. Ils peuvent parrainer un candidat à la présidence de la République et élisent des sénateurs.

Leur indemnité, même si elle a été récemment augmentée, est insuffisante pour exercer un tel mandat. Mais ce qui fait le plus cruellement défaut, c'est un statut. Non seulement pour valoriser un travail difficile, mais aussi comme reconnaissance d'un rôle qui n'est pas toujours bien connu ni compris de l'administration consulaire. On nous voit parfois comme des élus au rabais, oubliant que nous provenons du suffrage universel.

Le statut apporterait une solution à certains problèmes concrets, comme la protection sociale -actuellement, les membres de l'AFE n'en disposent que durant leurs séjours à Paris pour les réunions de l'assemblée, or les risques n'y sont pas si considérables. Ils n'ont rien, en revanche, lorsqu'ils se trouvent dans leur circonscription, parfois dans des conditions dangereuses. Le régime statutaire des élus locaux doit aller jusqu'au bout et comprendre un régime spécifique pour les élus d'outre-frontière. Il faut en effet leur rendre justice : pour les Français de l'étranger non plus il ne saurait y avoir une République de retard ! (Applaudissements sur les bancs UMP, UC-UDF et socialistes)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre.  - Je remercie MM. Puech et Gélard de leur présentation exhaustive de la question.

Je les remercie également pour la hauteur de vue dont ils ont fait preuve en abordant cette question, certes d'actualité à quelques semaines des élections municipales, mais surtout au coeur de notre démocratie.

Élue locale en même temps qu'élue nationale, je suis actuellement en charge des collectivités. Je connais donc les exigences inhérentes aux mandats locaux, les risques parfois courus et les attentes des élus. Être à la tête d'un exécutif local, c'est être en première ligne face aux attentes de nos concitoyens.

Les nombreuses dispositions progressivement mises en place aboutissent à un ensemble cohérent et équilibré, mais qui reste à compléter.

Il me semble aussi que l'insatisfaction ressentie par certains élus locaux trouve son origine dans notre paysage institutionnel. Aujourd'hui, de nombreux élus souhaitent clarifier les responsabilités. Je l'ai dit devant l'AMF en rappelant que nous avons tous besoin de savoir qui fait quoi.

Le statut actuel -car, de facto, les règles en vigueur en forment un- assure un compromis entre la protection et la libre administration. Pour tenir compte des charges, le législateur a mis en place des droits et des garanties. De nombreuses dispositions permettent de concilier l'exercice d'un mandat local et d'une activité professionnelle. A-t-on pour autant tout réglé ? Non ! Ainsi, M. Couderc a mentionné les obstacles spécifiques aux élus exerçant une profession libérale, aux commerçants et artisans. Mme Mathon-Poinat a parlé des femmes, notamment des jeunes. Tous deux ont raison, mais quelle réponse apporter ? Il faudrait peut-être améliorer la fin de mandat.

De même, le droit à la formation est pleinement reconnu et le régime indemnitaire a sensiblement progressé, puisque les sommes versées aux maires et présidents d'autres assemblées locales ont augmenté en moyenne de 55 % entre 2002 et 2007. L'insertion professionnelle, abordée par M. Jean-Léonce Dupont, est un enjeu majeur en fin de mandat. Ses difficultés peuvent freiner les vocations, malgré l'allocation de fin de mandat créée en 2002. Mais j'estime que l'on ne va pas assez loin, car l'exercice prolongé d'un mandat d'élu devrait permettre d'accéder à la haute fonction publique locale, à l'instar de ce qu'organise la troisième voie d'accès à l'ENA.

Il serait utile de prolonger la réflexion sur les mesures pouvant faciliter la vie quotidienne des élus.

Je suis réservée lorsqu'on envisage de considérer la fonction d'élu local comme une activité professionnelle à temps plein. En effet, cela ne semble pas raisonnable dans une très petite commune, c'est-à-dire dans l'immense majorité d'entre elles. Par ailleurs, le mandat de maire d'une très grande ville n'est pas toujours plus contraignant que celui d'un maire de ville moyenne, car le premier dispose d'une administration étoffée tandis que le second doit davantage payer de sa personne Je redoute aussi la fonctionnarisation des élus locaux. Certes, les maires sont des fonctionnaires dans un certain nombre de pays. Je suis très favorable à la connaissance de ce qui se passe en dehors de nos frontières, mais je ne souhaite pas considérer les maires comme des fonctionnaires, car je partage l'opinion de M. Jacques Pélissard, président de l'AMF, lorsqu'il déclare que l'on méconnaîtrait les mandats locaux en croyant qu'ils devraient nécessairement être exercés par des professionnels.

Pour la même raison, je ne partage pas le sentiment exprimé par l'Observatoire sénatorial de la décentralisation à propos du cumul des mandats. Pour les Français, ce cumul a pour corollaire celui des avantages et des rémunérations, ce qui est inexact. Je préfère aborder cette question sous l'angle de la complémentarité. Ainsi, je pense qu'être maire apporte beaucoup aux députés et sénateurs. Il ne suffit pas de l'avoir été car la société change, il faut pouvoir rencontrer les gens au quotidien. De même, être conseiller général et conseiller régional peut être utile, d'autant plus que les compétences respectives des deux collectivités ne sont pas toujours bien distinguées. Il faudrait se demander pour quels mandats leur exercice par une même personne représente un avantage. Cela pourrait modifier le regard de nos concitoyens sur ce que nous faisons.

D'autres voies d'amélioration existent. Mme Goulet a cité le Centre de formation des élus locaux. Comme ils ne connaissent pas toujours leurs droits, je ferai remettre un guide à chaque maire nouvellement élu en mars. Je souhaite également engager avec le garde des Sceaux une réflexion sur les risques pénaux des élus, dont il ne faut pas sous-estimer le rôle dans la décision de ne pas se représenter alors que certaines infractions considérées comme intentionnelles devraient recevoir une autre qualification. Je pense notamment au favoritisme et à la prise illégale d'intérêts, souvent involontaires. La judiciarisation croissante de la vie publique incite à multiplier les actions contre les maires en période pré-électorale. Le droit est ainsi instrumentalisé à des fins politiques. Nous devons mettre un terme à cette dérive.

Je pense aussi qu'il faudrait améliorer la représentation de certaines catégories socioprofessionnelles. Pour moi, la question n'est pas la présence de retraités ou de fonctionnaires parmi les élus locaux, mais l'insuffisance des employés et des ouvriers.

Il existe un autre problème : la question n'est pas tant d'écarter certains que de permettre à d'autres, qui ne sont pas élus, de le devenir. Pour cela, il convient de travailler sur la fin du mandat électif, même si la question se pose davantage pour les mandats nationaux que pour les mandats locaux. Que devient l'élu au terme de son mandat ?

Les indemnités ne règlent pas tout. Monsieur Collombat, les situations sont extrêmement diverses selon la taille des communes. À cet égard, une chose me choque, même si elle ne concerne pas directement notre débat : il n'est pas normal que l'indemnité d'un maire soit très inférieure au salaire de son directeur des services, alors que c'est lui qui assume la totalité de la responsabilité -y compris pénale. D'un autre côté, il est vrai qu'une augmentation des indemnités risquerait de créer une charge trop lourde pour certaines communes. J'ai entendu quelques propositions, toutes difficiles à mettre en oeuvre. La Conférence nationale des exécutifs a été créée pour que toutes ces questions y soient débattues, dans un climat de confiance et de bonne foi qui permette d'avancer.

Monsieur del Picchia, je connais les contraintes, les difficultés et les risques que rencontrent -notamment pour les assurances- les élus des Français de l'étranger, dont le rôle est important. Il s'agit d'un vrai sujet et je suis prêt à ce que nous travaillions ensemble à la manière d'améliorer concrètement la situation de ces élus.

La question de la lisibilité des responsabilités locales est également importante, ainsi que l'a souligné Jean Puech. Ma conviction est que nous devons évoluer vers une meilleure lisibilité entre les compétences des différents niveaux d'administration afin de savoir qui fait quoi. Monsieur Doligé, ce problème est crucial : trop de maires se demandent à qui s'adresser. Cela nécessite une pause dans les transferts de compétences, selon le souhait largement majoritaire qui s'est manifesté lors de l'assemblée générale de l'Association des maires de France. Mais cette pause ne doit pas être un temps mort : nous devons la mettre à profit pour parvenir à un consensus sur le diagnostic, sinon sur les solutions. En la matière, l'immobilisme est impossible : des redondances existent et il convient de revoir les attributions de compétences au regard de l'intérêt général.

Beaucoup de rapports ont été écrits sur ces sujets ; certains servent au moins de poil à gratter ! La commission Attali propose de rationnaliser la gestion en distribuant les compétences entre les régions et l'intercommunalité. Je le dis clairement, je ne partage pas cette analyse. (On s'en félicite sur de nombreux bancs)

M. Guy Fischer.  - Voilà un scoop !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre.  - Pas du tout, monsieur Fischer, j'ai déjà exprimé cette opinion.

Selon moi, l'intercommunalité et la région sont des réalités rationnelles. Certes, pour faire du travail efficace, notamment en matière d'infrastructures, il est utile de passer par la région. Mais on se sent d'abord de sa commune et de son département. Quand on connaît la réalité du terrain, quand on voit au-delà du périphérique, de l'Adour -ou même de la Nivelle- on sait à quel point cet attachement compte.

D'autres pistes ont été proposées pour rationaliser l'organisation de l'État, notamment par M. Lambert. Sur ce point aussi la Conférence nationale devrait permettre des avancées. D'ailleurs, madame Goulet, avancer sur ce point n'empêche pas de procéder au redécoupage...

Mme Nathalie Goulet.  - Ah !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre.  - ... d'ailleurs souhaité par le Conseil constitutionnel pour les circonscriptions. Nous y procèderons en même temps pour les cantons, car que ferions-nous de cantons à cheval sur deux ou trois circonscriptions ? Nous commencerons à y travailler après les élections du printemps, en concertation avec tous les groupes politiques pour garantir une transparence totale. De plus, le recensement est près d'aboutir, qui donnera une vision non contestée de la démographie.

Il est aussi important de tenir compte, dans notre réflexion, du fait que les situations sont très diverses : nous traitons aussi bien des grandes villes que des communes rurales et plus largement du monde rural, monsieur Boyer. Le service public doit être une réalité outre-mer comme en Ile-de-France, comme dans les montagnes de l'Aveyron ! Mais la complexité tient également au travail administratif. Vous avez raison, monsieur Couderc : l'inflation normative que nous connaissons complexifie la gestion des collectivités locales tout en diminuant son efficacité. J'ai annoncé dès mon arrivée mon souhait que les collectivités puissent fonctionner de façon plus simple, plus efficace et moins coûteuse : une évolution réglementaire et législative doit intervenir. En outre, il faudrait permettre, dans le dialogue, d'adapter l'action publique aux réalités locales. En application du rapport remis par le préfet Laffont, des simplifications des procédures pourront aider les collectivités locales ; la Commission consultative sur l'évaluation des normes, dont vous avez voté le principe, associera les représentants des collectivités à l'élaboration de tous les projets de décrets les concernant. Si ça ce n'est pas du dialogue !

Je compte en outre répondre au sentiment d'isolement, voire de solitude éprouvé par les élus locaux. Souvent, les maires se sentent seuls devant les décisions à prendre, abandonnés par la puissance publique. À cet égard, les services de l'État ont un nouveau rôle à jouer. Quand elles ne disposent pas de services suffisamment étoffés pour obtenir une réponse juridique, les petites communes doivent pouvoir se tourner vers eux.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Ils disparaissent !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre.  - Le maillage territorial de l'Etat, à partir des sous-préfectures, doit être au plus près de ceux qui ont besoin de lui.

Monsieur Puech, mieux associer les élus locaux à la réforme de l'État est donc tout à fait dans mes intentions. C'est une attente de nos concitoyens ; notre responsabilité est d'y apporter une réponse dans un climat de confiance, au moins pour établir le diagnostic. La conférence des exécutifs en offrira le cadre.

Soyez sûrs que vous trouverez au ministère l'écoute que vous souhaitez.

L'intercommunalité est aussi susceptible d'aider les élus locaux, de leur apporter des réponses et d'aider à leur coordination. Je pense faire des propositions en ce sens et je souhaite que nous y travaillions ensemble.

Être élu local -je le sais parce que je le suis aussi et depuis longtemps-, c'est un honneur, même aux yeux de ceux qui veulent abandonner, mais c'est aussi une charge et une responsabilité. Contrairement à Patrice Gélard, je ne pense pas que son image soit dévalorisée ; ce sont des histoires de journalistes parisiens qui ne passent jamais le périphérique. Les gens font confiance à leur élu local, c'est lui qui représente la démocratie réelle et concrète. Il est donc du devoir de l'État d'alléger les contraintes qui pèsent inutilement sur lui. La modernisation de notre vie politique doit s'accompagner de la modernisation de notre travail commun : cessons donc de nous regarder en chiens de faïence !

A l'heure des nécessaires innovations, les élus locaux peuvent compter sur mon total soutien car notre volonté commune, c'est de servir nos concitoyens et de servir la France. (Applaudissements à droite et au centre)

Lois de financement de la sécurite sociale (Proposition de loi organique)

Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions du rapport de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi organique de MM. Alain Vasselle et Nicolas About tendant à prévoir l'approbation par les lois de financement de la sécurité sociale des mesures de réduction et d'exonération de cotisations et de contributions de sécurité sociale adoptées en cours d'exercice.

Discussion générale

M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales. - La discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 a conduit le Parlement à étudier de façon approfondie la question des niches sociales. Pour notre commission, ce sujet n'était pas nouveau : nous l'avons maintes fois souligné, la question des exonérations, allégements et autres réductions de charges sociales est devenue, ces dernières années, un aspect essentiel des finances sociales. Cela apparaît nettement dans les chiffres concernant les trois principales catégories d'allègements.

Tout d'abord, les allégements généraux de charges sociales - allégements Fillon et allégements au titre des heures supplémentaires- représentent une masse désormais proche de 30 milliards, laquelle est compensée par l'État grâce au fameux panier de recettes fiscales. Toutefois, malgré nos efforts pour l'inscrire dans la loi, nous n'avons pas encore réussi à obtenir une garantie de la compensation à l'euro près, année après année, de ces exonérations. Peut-être y parviendrons-nous un jour. Nous ne perdons pas l'espoir de vous convaincre, vous et vos services, monsieur le ministre ! C'est une nécessité compte tenu des montants en jeu et la sécurité sociale ne doit pas servir à financer la politique de l'emploi.

Ensuite, les allégements de charges ciblés, sur certains publics, certaines professions ou certaines zones du territoire, représentent plus de 3 milliards de moindres recettes pour la sécurité sociale, hélas très imparfaitement compensées par des dotations budgétaires qui pèchent à la fois par leur insuffisance et par le retard de leur versement. Nous ne doutons pas, monsieur le ministre, que vous allez donner des instructions pour que ces dotations soient prioritaires dans l'exécution budgétaire. Néanmoins, nous restons inquiets car il manquerait 1,5 milliard au titre de ces allégements pour l'exercice 2007. En l'absence de régularisation rapide, c'est une nouvelle dette de l'État envers la sécurité sociale qui va se constituer. Pouvez-vous dissiper nos inquiétudes et nous donner quelques précisions à ce sujet ? La création d'un ministère des comptes publics devrait rendre impossible le retour à une telle situation.

Troisième catégorie d'allégements : les exemptions d'assiette. Un récent rapport du Gouvernement évalue à au moins 40 milliards le montant de l'assiette exonérée, soit 10 % de la masse salariale. Les principaux dispositifs concernés sont : la participation, l'intéressement, diverses aides directes consenties aux salariés, comme les titres restaurant ou les chèques vacances, la prévoyance complémentaire, les retraites supplémentaires et les indemnités de licenciement. A l'article 16 du projet de loi de financement, nous avions débattu de l'intéressement et de la participation : vous aviez voulu maintenir leur exonération ; reste qu'il faudra s'entendre sur le sens du mot « rémunération ».

La Cour des comptes a consacré un long développement à cette question de l'assiette des prélèvements sociaux ; elle y a vu une source de financement supplémentaire pour la sécurité sociale. Je n'ai pas besoin de vous rappeler les observations de la Cour, ni les propos du Président Seguin, sur les niches sociales, en particulier sur les exonérations dont bénéficient les stock-options... De son côté, la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la Mecss, que j'ai l'honneur de présider, a également consacré du temps à cette question. Dans le rapport que je vous ai présenté en octobre dernier, à l'occasion du débat sur les prélèvements obligatoires, j'ai évoqué plusieurs pistes. Outre la remise en cause de la pertinence de certaines niches au regard de leur efficacité économique et sociale et du manque à gagner qu'elles entraînent pour la sécurité sociale, nous suggérions que l'on taxe à un faible niveau l'ensemble de ces assiettes exonérées, c'est-à-dire que l'on institue ce que j'ai appelé une flat tax. Cela a d'ailleurs fait l'objet d'un amendement au projet de loi de financement pour 2008, amendement que nous avons retiré à votre demande, monsieur le ministre, parce que vous le trouviez prématuré et pas encore suffisamment expertisé...

Ces exonérations posent deux questions. Une question de fond sur leur justification ; la commission des affaires sociales avait bien pressenti ce débat en déposant déjà, voici un an, un amendement de taxation des stock-options, préfigurant ainsi les dispositions adoptées cette année en loi de financement. Et une question de procédure relative à leurs modalités d'adoption et à leur évaluation par le législateur. La Mecss a mis en évidence l'insuffisance du contrôle exercé, tant par les ministères sociaux que par les commissions des affaires sociales des deux assemblées, sur les créations d'exonérations de cotisations et de contributions sociales ainsi que sur les modifications qui leur sont apportées. Dans la mesure où ces exonérations ne figurent pas nécessairement en loi de financement et peuvent être insérées dans n'importe quel texte législatif, il est fréquent qu'elles soient adoptées par le Parlement sans avoir été préalablement expertisées. Ainsi, ni vos services, monsieur le ministre, en particulier la direction de la sécurité sociale, ni les commissions des affaires sociales ne sont sollicitées sur ces dispositifs, qui ne sont pas davantage soumis à l'avis du gestionnaire -l'Acoss, les Urssaf ou les caisses initialement bénéficiaires de la ressource dont elles seront ensuite privées. Sur la cinquantaine de mesures d'exonération ou de réduction d'assiette de cotisations sociales votées entre le début 2005 et le début 2007, 40 % ne résultaient pas d'un arbitrage interministériel impliquant le ministère des affaires sociales, bien que leur impact sur les comptes sociaux soit de plus en plus lourd.

Pour corriger cette anomalie, la Mecss a suggéré de donner aux lois de financement un rôle central dans le contrôle des niches sociales, en en faisant le passage obligé de toutes les mesures d'exonération ou d'allégement de charges. Il n'y a pas huit jours, dans le texte sur l'emploi, nous avons encore voté une exonération sans en prévoir la compensation !

Cette suggestion fait écho à une proposition présentée, il y a bientôt trois ans, par notre commission, à l'occasion de l'examen de la nouvelle loi organique relative aux lois de financement. Une solution identique a également été défendue dans le rapport du printemps dernier de la mission conjointe de l'inspection générale des finances et de l'inspection générale des affaires sociales sur l'articulation entre les finances de l'État et celles de la sécurité sociale. La présente proposition de loi organique est la simple traduction de cet objectif commun. Elle propose que la création ou la modification d'exonérations ainsi que les changements apportés aux règles d'assiette puissent continuer d'intervenir dans le cadre des lois ordinaires, mais en n'accordant à ces mesures qu'un caractère provisoire. Toute prorogation au-delà de l'exercice en cours nécessitera une approbation en loi de financement. Cela permettra d'accompagner les dispositifs adoptés d'une première étude d'impact et donnera au Parlement la possibilité de s'assurer d'un niveau adéquat de compensation. Il ne s'agit en aucun cas de conférer un monopole à la loi de financement en matière d'exonérations de charges sociales. Celui-ci ne serait pas conforme à la Constitution puisqu'il remettrait en cause le droit d'amendement et d'initiative parlementaire. Mais il s'agit de conférer une sorte d'exclusivité à la loi de financement pour décider de la prorogation d'un dispositif de réduction ou d'allégement de charges. Cette procédure devrait interdire le contournement, trop souvent constaté, du principe de valeur organique selon lequel il ne peut être dérogé à la règle générale de compensation qu'en loi de financement.

Ce dispositif, enfin, a reçu par avance l'approbation du Gouvernement, tant par la voix de Mme Lagarde, lors du débat sur les prélèvements obligatoires, que par la vôtre, monsieur le ministre, lors du débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008. C'est pourquoi la commission vous demande d'adopter ce texte. (Applaudissements au centre)

M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique.  - Je rends hommage à la ténacité de votre commission des affaires sociales, dont le président et le rapporteur ont entrepris d'avancer vite sur ce sujet difficile. Le Gouvernement a manifesté en plusieurs occasions sa volonté de transparence et vous a adressé le mois dernier son rapport sur le sujet. J'ai proposé la semaine dernière, lors d'un débat à l'Assemblée nationale, la création d'un « groupe de Bercy » réunissant des membres du Gouvernement, des députés et des sénateurs. Les niches seront à son programme. Mais au-delà, il me semble nécessaire qu'il mène une réflexion globale sur la bonne gouvernance de nos finances publiques, pour parvenir à notre objectif de retour à l'équilibre.

Votre texte aurait pour effet de confier aux lois de financement de la sécurité sociale le pouvoir de ratifier a posteriori tout dispositif d'exonération ou d'exemption affectant l'assiette des cotisations. Si j'avais indiqué ma volonté de travailler à une proposition que vous aviez déjà formulée dans le cadre de la mission d'évaluation des comptes de la sécurité sociale, reste que d'autres dispositifs sont envisageables. Vous écartez, en raison de ses implications constitutionnelles, celui qu'a proposé M. Carrez à l'Assemblée nationale de doter les lois de financement de la sécurité sociale d'un monopole sur les exonérations et exemptions. L'idée de travailler avec plus de rigueur à la présentation et à l'évaluation de l'impact des dispositifs proposés est une piste à creuser, de même que la notion de niche à durée déterminée, proposée par la commission des finances. Enfin, les niches existantes devraient, elles aussi, faire l'objet d'une évaluation.

Toutes ces questions méritent d'être abordées par le groupe de Bercy. Aussi votre initiative me prend-elle un peu de court. Les implications techniques et juridiques sont si complexes que j'ai quelques doutes sur la constitutionnalité de votre proposition. Certes, vous n'instituez pas un monopole des lois de financement de la sécurité sociale, mais si une loi votée en juin doit tomber au 31 décembre, que reste-t-il de la compétence conférée au législateur par l'article 34 de notre Constitution ? J'ajoute que la brièveté du délai ne permettrait pas de mesurer l'effet des décisions et que les entreprises pourraient hésiter à faire usage des nouveaux dispositifs d'incitation à l'embauche en raison des incertitudes pesant sur leur validation. Votre proposition ne me semble donc pas totalement indemne des reproches que l'on peut adresser à celle de M. Carrez.

En outre, dès lors que la validation doit porter sur l'ensemble des exonérations, qu'elles soient ou non compensées, dans la plupart des cas, aucun intérêt financier ne justifierait une telle extension du périmètre des lois de financement. Il peut dès lors sembler paradoxal que ce soit le législateur financier social, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui valide des exonérations dont l'impact financier est porté par le budget de l'État.

Vous évoquez, dans votre rapport, l'idée d'une contribution minimale sur toutes les assiettes, piste intéressante mais qui mérite, dans un contexte de revue des politiques publiques, d'être évaluée.

Je souhaite, sur ce sujet et, plus largement, sur la question du pilotage des finances publiques, que l'année 2008 voie s'accomplir des progrès décisifs. La révision à venir de la Constitution pourrait être le bon vecteur pour avancer sur le sujet.

Bien que ma préférence aille donc à une démarche plus globale et en dépit des objections que je viens d'énoncer, je ne peux que faire bon accueil à une initiative dont je vous remercie. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Bernard Cazeau.  - Depuis plusieurs années, le Parlement s'est doté de nouveaux outils pour approcher le financement de la sécurité sociale. L'implication de l'impôt dans son financement a poussé le législateur à séparer le budget de la sécurité sociale du budget général, avant que la réforme constitutionnelle du 22 février 1996 ne donne au Parlement un droit de regard sur l'équilibre des comptes sociaux. À la suite du changement de mentalité dans la conduite des politiques budgétaires de l'État provoqué par la loi organique relative aux lois de finances de 2001, la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale a vu le jour en août 2005.

Vous connaissez l'attachement du groupe socialiste à une approche des comptes sociaux fondée sur la complémentarité du rôle du Parlement et du jeu de la démocratie sociale. A l'évidence, si la réforme de 1996, allait dans le sens d'un meilleur contrôle du Parlement sur l'action de l'exécutif et d'une plus grande transparence du débat sur l'action publique, la réforme de 2005 nous est apparue inachevée, confuse et ambiguë.

Si la volonté du Gouvernement était d'améliorer la gestion de la sécurité sociale, pourquoi organise-t-il sa faillite en la laissant se débattre dans les déficits ? Et n'est-il pas paradoxal de prétendre renforcer le contrôle du Parlement sur les comptes publics tout en s'appliquant à masquer la situation financière dans laquelle notre protection sociale s'enfonce ?

L'une des questions récurrentes, M. Vasselle ne me démentira pas, est celle de la compensation par l'État des exonérations de charges sociales. La loi de 2005 n'a pas retenu le principe d'une compensation intégrale. Comment, dans ces conditions, ce gouvernement peut-il prétendre sanctuariser les finances de la sécurité sociale ? La sonnette d'alarme est tirée depuis longtemps, et nous reconnaissons, monsieur Vasselle, votre opiniâtreté. La Mecss a très largement relayé vos préoccupations : la plaie est toujours à vif, et le rapport de la Cour des comptes y porte le sel. Elle dénombre ainsi, au 1er septembre 2005, quarante-six mesures d'exonération de cotisations et de réduction d'assiette des cotisations de sécurité sociale, dénonçant une inflation des propositions sans maîtrise de la décision. Elle ajoute que, depuis le 1er janvier 2005, trente-six mesures ont été envisagées dont dix-sept sans même que le ministère en charge de la sécurité sociale en soit informé ! Ces mesures, souligne-t-elle, présentées sans la moindre analyse d'impact, posent le problème de l'équité du financement de la protection sociale.

Un rapport du Gouvernement sur l'évaluation des pertes d'assiette liées à l'existence des niches sociales en évalue le montant à 41 milliards, perte de recette le plus souvent non compensée. Ce qui laisse à penser qu'une véritable compensation aurait tôt fait de résorber le déficit des comptes sociaux...

Les législateurs que nous sommes ne doivent pas en permanence être mis devant le fait accompli : il n'est pas normal que la commission des affaires sociales ne soit pas saisie de la kyrielle d'allègements ciblés qui émaille de nombreux textes... Quid de leur bien-fondé ? Produisent-ils toujours les effets escomptés ?

Reste que l'on peut s'interroger sur l'efficacité du dispositif que vous proposez. L'approche mécanique que vous retenez soulève des objections tant au plan technique qu'à celui des principes. Ainsi, la reconduction annuelle des autorisations d'exonération ne risque-t-elle pas de détourner durablement les entrepreneurs de dispositifs d'exonération révocables annuellement ?

Ensuite, si la politique fiscale est amputée par des mécanismes contraignants, quelle sera la portée de l'action gouvernementale ? Les prélèvements sociaux ne sont pas dissociables des autres prélèvements obligatoires ; s'ils sont légitimes, rien n'empêche d'être plus scrupuleux dans leur ciblage. L'imbrication de la politique économique et de la politique sociale ne peut être contestée. L'abus n'exclut pas l'usage.

La proposition de loi laisse augurer le passage d'un objectif de dépenses, qui fonde les lois de financement, à une norme de dépenses, préfiguration d'une forme de régulation comptable sous l'égide du Parlement -ce qui nous éloigne d'un système aujourd'hui fondé sur un droit de tirage en fonction des besoins. Cette logique n'est-elle pas étatiste, alors que la gouvernance de nos régimes sociaux est traditionnellement plurielle ?

Il n'y a guère de miracle, de toute façon, à attendre du texte proposé compte tenu de la nature de notre régime politique et du fonctionnement unilatéral de nos institutions. Vous feignez de croire le Parlement suffisamment fort pour revenir sur des annonces gouvernementales ; imagine-t-on l'Assemblée nationale se soulever contre une décision du gouvernement qu'elle soutient ?

M. Guy Fischer. - Non !

M. Bernard Cazeau. - Imagine-t-on le Parlement refusant des instructions venues de plus haut ?

M. Guy Fischer. - Non !

M. Bernard Cazeau. - La nature de notre régime institutionnel sera-t-elle tranchée au détour d'une proposition de loi sur les comptes sociaux ?

M. Guy Fischer. - Non !

M. Bernard Cazeau. - Le texte donne plutôt le sentiment qu'on veut masquer la responsabilité politique du Gouvernement...

M. Paul Blanc. - Non !

M. Bernard Cazeau. - ...et de ses prédécesseurs dans le pilotage défaillant des comptes sociaux. Réforme de l'assurance vieillesse en 2003 : où sont les résultats ? Réforme de l'assurance maladie en 2004 : où sont les résultats ? Où sont ceux de la maîtrise médicalisée, du parcours de soins, du dossier médical personnalisé ? Les déficits s'enchaînent, 2005, 2006, 12 milliards en 2007, 9 encore en 2008. La dette atteint 100 milliards. Selon le Premier président de la Cour des comptes, en 2010, avec des taux d'intérêt à 5 %, la totalité des produits de la Cades ne suffira pas à payer les intérêts de la dette !

Un mécanisme juridique n'effacera jamais une mauvaise politique. La mise en cohérence des finances publiques et de celles de la sécurité sociale ne naîtra pas d'un outil administratif mais de la pratique collégiale du pouvoir. Nous ne pouvons disculper le Gouvernement au travers d'un texte placebo qui laisse trop d'interrogations en suspens. Nous nous abstiendrons. (Applaudissements à gauche)

M. Éric Woerth, ministre. - C'est déjà encourageant !

M. Guy Fischer. - La discussion rapide et tardive du texte ne nous permet guère d'approfondir les questions qu'il pose. On peut d'ailleurs se demander si MM. About et Vasselle, ce dernier étant président de la Mecss, ne sont pas en mission pour le compte du Gouvernement...

Depuis qu'existent les lois de financement et les ordonnances Juppé de 1996, de nombreuses dispositions législatives, à l'impact mal évalué, ont été prises pour modifier l'équilibre des comptes sociaux, notamment en substituant des recettes fiscales à des cotisations sociales, avec d'autant plus de constance que la sécurité sociale a cessé d'être gérée directement par les partenaires sociaux -son budget fait désormais l'objet d'un texte et d'un débat au Parlement. Parmi toutes ces dispositions, l'affaire de la réduction du temps de travail paraît secondaire au regard des exonérations, souvent non compensées, des contrats aidés ou des emplois en zone franche urbaine, de la ristourne générale sur les bas salaires ou, plus récemment, de l'exonération des heures supplémentaires. Trente milliards de cotisations sociales ont été remplacées par des recettes fiscales, trois sont perdus car correspondant à des exonérations non compensées, sans parler des revenus exemptés de toute contribution ou assujettis à un niveau ridicule.

Toutes ces dispositions, prises le plus souvent hors lois de financement et seulement validées par elles, expliquent le déficit persistant de la sécurité sociale, ce qui pose clairement la question de la pertinence des choix opérés depuis 1996. Nous devons nous interroger sur le bien fondé de confier à la discussion parlementaire, par le biais de textes où la marge des élus est réduite, la question du financement de la sécurité sociale et les priorités de la politique sociale de la Nation. Sans loi organique sur le financement de la sécurité sociale, pas de franchise médicale, pas de campagnes de déremboursement, pas de tarification à l'activité, pas de remise en cause de notre régime de protection sociale !

Nous ne voterons pas cette proposition de loi sans réelle valeur normative, qui n'empêchera pas demain Mme Lagarde d'inventer la TVA sociale et de la faire valider par une loi de financement.

L'étatisation de la sécurité sociale n'a pas amélioré le niveau des prestations ni assuré l'équilibre des régimes sociaux. Plutôt que de sophistiquer encore les lois de financement, il faut poser avec force la question de la renaissance de la démocratie sociale. Comment accepter que douze ans après les ordonnances Juppé les 25 millions d'assurés du régime général soient encore privés de donner leur avis ? Ceux de la MSA tiennent à leur participation, à l'élection de leurs mandants ; pourquoi faire deux poids et deux mesures ? On m'opposera la présence des organisations syndicales représentatives...

M. Alain Vasselle, rapporteur. - Oui !

M. Guy Fischer. - Êtes-vous d'accord pour que les assurés désignent eux-mêmes ceux qui gèreront les caisses dont ils dépendent ?

M. Alain Vasselle, rapporteur. - Je vous écoute...

M. Guy Fischer. - Quand mettra-t-on un terme à cette anomalie ? L'étatisation a montré ses limites, il est temps de rendre la sécurité sociale aux assurés, aux salariés, aux retraités et aux familles ! (Applaudissements à gauche)

La discussion générale est close.

Intervention sur l'article unique

M. Charles Guené. - Je salue au nom du groupe UMP l'initiative de MM. About et Vasselle, qui démontrent qu'il est possible de parvenir à plus de transparence et d'efficacité dans la gestion des comptes de la sécurité sociale.

L'objectif de leur proposition de loi alimente un débat récurrent au sein de la commission des affaires sociales et plus généralement de notre Assemblée. La Mecss avait déjà suggéré de faire des lois de financement le passage obligé des mesures d'exonération ou d'allègement de charges, reprenant ainsi une suggestion faite en 2005 par la commission des affaires sociales ; une solution identique avait été défendue par l'inspection générale des finances et celle des affaires sociales dans leur rapport sur l'articulation entre les finances de l'État et de la sécurité sociale.

Des acteurs, dont on ne saurait contester la compétence, ont jugé cette mesure pertinente. Le groupe UMP la votera. (Applaudissements à droite)

En application de l'article 59 du Règlement, l'article unique du projet de loi organique est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 327
Nombre de suffrages exprimés 226
Majorité absolue des suffrages exprimés 114
Pour l'adoption 203
Contre 23

Le Sénat a adopté.

Prochaine séance, aujourd'hui, mercredi 23 janvier 2008, à 15 heures.

La séance est levée à minuit cinq.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du mercredi 23 janvier 2008

Séance publique

À 15 HEURES ET LE SOIR

Discussion du projet de loi (n° 151, 2007-2008), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, pour le pouvoir d'achat.

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DÉPÔT

La Présidence a reçu :

- de M. Serge Dassault un avis présenté au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, pour le pouvoir d'achat (n° 151, 2007-2008) et sur la proposition de loi, présentée par M. Jean-Pierre Bel et les membres du groupe socialiste et apparentés, en faveur du pouvoir d'achat (n° 116 rect. 2007-2008) ;

- de M. le Président de l'Assemblée nationale une proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, créant de nouveaux droits pour les victimes et améliorant l'exécution des peines ;

- de M. Xavier Pintat un rapport fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et l'Organisation internationale Iter pour l'énergie de fusion relatif au siège de l'Organisation Iter et aux privilèges et immunités de l'Organisation Iter sur le territoire français (n° 153, 2007-2008).