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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Décès d'un sénateur

Remplacement d'un sénateur entré au Gouvernement

Démission et remplacement d'un sénateur

Délégation (Candidature)

Commissions (Candidatures)

Attaques terroristes

M. Gérard Larcher, président du Sénat

Mme Éliane Assassi, présidente du groupe CRC.

M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE

M. Philippe Adnot, délégué des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe

M. François Zocchetto, président du groupe UDI-UC

M. Bruno Retailleau, président du groupe UMP

M. Didier Guillaume, président du groupe socialiste

M. Jean-Vincent Placé, président du groupe écologiste

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur

Intervention en Irak

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international

M. Robert Hue

M. Stéphane Ravier

M. Aymeri de Montesquiou

M. Bruno Retailleau

M. Daniel Reiner

Mme Leila Aïchi

Mme Michelle Demessine

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères

M. Laurent Fabius, ministre

Délégation (Nomination)

Commissions (Nominations)

Renvoi pour avis

Sénateur en mission

Inscription à l'ordre du jour d'une proposition de résolution

Commissions mixtes paritaires (Demande de constitution)

Demande d'avis sur des nominations

Organismes extraparlementaires (Candidatures)

Dépôt de documents

Nouvelle organisation territoriale de la République (Procédure accélérée - Suite)

Discussion des articles

M. Philippe Bas, président de la commission des lois

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique

ARTICLES ADDITIONNELS AVANT L'ARTICLE PREMIER

Ordre du jour du mercredi 14 janvier 2015

Analyse du scrutin public




SÉANCE

du mardi 13 janvier 2015

46e séance de la session ordinaire 2014-2015

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : M. Philippe Adnot, Mme Colette Mélot.

La séance est ouverte à 16 h 15.

Le procès-verbal de la précédente séance est adopté.

Décès d'un sénateur

M. le président.  - J'ai le profond regret de vous faire part du décès de notre collègue Jean-Yves Dusserre, survenu le 27 décembre dernier. Il avait été élu sénateur des Hautes-Alpes le 28 septembre 2014. Je prononcerai son éloge funèbre ultérieurement mais je tiens d'ores et déjà à saluer sa mémoire. Au nom du Sénat, je souhaite exprimer notre sympathie et notre profonde compassion à sa famille, à ses proches et au groupe UMP.

Conformément aux articles L.O. 3245 et L.O. 179 du code électoral, M. le ministre de l'intérieur a fait connaître qu'en application de l'article L.O. 319 du code électoral, Mme Patricia Morhet-Richaud est appelée à remplacer, en qualité de sénatrice des Hautes-Alpes, notre regretté collègue Jean-Yves Dusserre. Son mandat a débuté le dimanche 28 décembre, à 0 heure. Au nom du Sénat tout entier, je lui souhaite une cordiale bienvenue.

Remplacement d'un sénateur entré au Gouvernement

M. le président.  - Conformément à l'article premier de l'ordonnance du 17 novembre 1958 portant loi organique pour l'application de l'article 23 de la Constitution, j'ai pris acte de la cessation, le dimanche 21 décembre 2014 à minuit, du mandat sénatorial de M. Jean-Marc Todeschini, nommé secrétaire d'État chargé des anciens combattants et de la mémoire, par décret du 21 novembre 2014.

Il est remplacé par M. Patrick Abate dont le mandat de sénateur de la Moselle a commencé le lundi 22 décembre 2014, à 0 heure. Au nom du Sénat tout entier, je lui souhaite la plus cordiale bienvenue.

Démission et remplacement d'un sénateur

M. le président.  - J'ai reçu une lettre de M. Philippe Marini par laquelle il s'est démis de son mandat de sénateur de l'Oise, à compter du mercredi 7 janvier, à minuit. Il est remplacé par M. Alain Vasselle, dont le mandat de sénateur de l'Oise a commencé le jeudi 8 janvier 2015, à 0 heure.

Délégation (Candidature)

M. le président.  - Le groupe UMP a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu'il propose pour siéger à la délégation sénatoriale aux entreprises en remplacement de M. Jean-Yves Dusserre, décédé. Cette candidature va être publiée et la nomination aura lieu conformément à l'article 8 du Règlement.

Commissions (Candidatures)

M. le président.  - Le groupe UMP a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu'il propose pour siéger à la commission des affaires sociales, en remplacement de M. Jean-Yves Dusserre, décédé. Le groupe CRC a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu'il propose pour siéger à la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, en remplacement de M. Jean-Marc Todeschini, dont le mandat de sénateur a cessé. Le groupe socialiste a fait connaître à la Présidence le nom du candidat qu'il propose pour siéger à la commission des affaires européennes, en remplacement de M. Jean-Marc Todeschini, dont le mandat de sénateur a cessé. Ces candidatures vont être publiées et les nominations auront lieu conformément à l'article 8 du Règlement.

Le débat sur les attaques terroristes à l'Assemblée nationale s'étant prolongé au-delà de l'heure prévue, je suspens la séance pour quelques instants.

La séance, suspendue à 16 h 25, reprend à 16 h 40.

Attaques terroristes

M. Gérard Larcher, président du Sénat .  - « Je préfère mourir debout que vivre à genoux ». Tels étaient les propos de Charb, en septembre 2012. Ils sont morts debout : Cabu, Wolinski, Tignous, Honoré, Bernard Maris et leurs camarades, Elsa Cayat, Michel Renaud, Mustapha Ourad, Frédéric Boisseau. Eux qui n'avaient que leur crayon, leur carton, leurs convictions, leur vie, ils ont été frappés par les balles du fanatisme qui croit qu'on peut aussi tuer les idées, la liberté. Oui, liberté, celle de penser, celle de s'exprimer, celle de dessiner, y compris quand cela nous dérange.

Clarissa Jean-Philippe, policière municipale, Frank Brinsolaro, Ahmed Berabet, policiers, sont morts dans l'exercice de leurs fonctions. Ils sont morts pour l'état de droit, pour l'ordre républicain, victimes de leur devoir.

Yohan, Yohav, Philippe, François-Michel, leurs vies innocentes se sont arrêtées par la haine nourrie dans l'ignorance de l'autre à la veille de la journée consacrée par eux à la prière. L'antisémitisme, celui de la porte de Vincennes, après celui de Créteil, de Bruxelles, de Toulouse, c'est l'antithèse du visage de la France.

Notre pays s'est rassemblé. Je voudrais saluer l'action du président de la République, du Gouvernement, et la vôtre, monsieur le ministre de l'intérieur, saluer l'esprit de responsabilité des mouvements politiques de la majorité comme de l'opposition. La République vient de se dresser dans cette épreuve, elle a cheminé dans un long cortège de dignité, de refus et de silence.

Oui, « Liberté, j'écris ton nom !... Par le pouvoir d'un mot, je recommence ma vie ». Oui, « vivre ensemble », c'est tellement plus fort que nos différences ! Oui, « fraternité » n'est pas qu'un mot au triptyque républicain.

Samedi, dimanche, ils étaient des milliers, ils étaient des millions, partout, à Paris, dans chacune de nos villes et chacun de nos bourgs, pour crier que la France qui est la nôtre, c'est celle de la fraternité et que jamais elle ne se laissera aller aux complaisances de la haine, du rejet, du fanatisme.

Mais cette levée en masse, cette levée de citoyens nous oblige ! Ces drames nous obligent à l'unité, au courage, à l'action. Nos mains, nos esprits ne peuvent trembler. Il nous faut lucidement faire notre devoir d'exigence absolue.

Il nous faut analyser en profondeur comment, dans le pays des Lumières, peut se construire une telle expression de la barbarie et du crime.

Il nous faut traiter les questions concrètes auxquelles nos concitoyens attendent des réponses : la question de l'organisation du renseignement, celle du prosélytisme dans nos prisons, celle des réseaux sociaux utilisés pour véhiculer des messages de haine, celle de l'éducation, tant à la citoyenneté qu'à la connaissance de l'autre au travers de ses origines, de sa religion. Ces questions, et d'autres encore, nous avons le devoir de les entendre et d'y répondre.

La compassion, la tristesse vont nous étreindre encore : ce matin à la préfecture de police et à Jérusalem, dans quelques jours aux Invalides. Mais, pour que la paix soit mieux qu'une incantation, il nous faut agir, en nous écoutant les uns les autres, dans l'exigence et sans faiblesse. C'est notre devoir de parlementaire. Le Sénat fera son devoir. J'y veillerai et je prendrai les initiatives qui m'incombent.

Je vous propose maintenant de nous lever, d'observer un moment de silence et de le conclure par cet hymne qui nous a rassemblés si nombreux ces jours derniers et qui est toujours le ciment de la République. (Mmes et MM. les sénateurs et les membres du Gouvernement se lèvent et observent une minute de silence avant d'entonner l'hymne national)

Mme Éliane Assassi, présidente du groupe CRC.   - Aujourd'hui, le Parlement rend hommage à toutes les victimes des attaques terroristes perpétrées la semaine dernière, mercredi 7 janvier au siège de Charlie Hebdo et vendredi 9, au supermarché Hyper Casher. Les sénateurs du groupe CRC, qui ont chevillé au corps le combat pour la liberté de la presse et la liberté d'expression, contre toutes les censures, contre l'antisémitisme, la xénophobie et le racisme, s'inclinent devant ces morts pour la liberté. Dans cette France plongée dans la violence et la peur, les mobilisations de samedi et dimanche derniers soulèvent un immense espoir. Le peuple a rendu hommage aux victimes et dit sa profonde aspiration à vivre ensemble, en paix, à faire respecter la devise de la République : liberté, égalité, fraternité.

Cette vague humaine était digne, pacifique ; nul message de haine n'a pris le dessus. Penser, écrire, dessiner librement : tel fut le message dominant. « Liberté, j'écris ton nom », disait Éluard. Ces millions de femmes et d'hommes ont lancé un immense appel aux dirigeants de notre pays pour que cela ne se reproduise plus, pour que les idéaux affichés sur les frontons redeviennent réalité pour tous. Le débat démocratique commence. À nous de faire fructifier le meilleur. Cela suppose de combattre le racisme, la haine des musulmans, l'antisémitisme. Avec nos concitoyens, nous voulons parler de liberté, d'égalité, de fraternité, de paix, de solidarité. De sécurité aussi, sans laquelle il ne peut y avoir de liberté. Nous voulons aussi débattre de la prison, de l'école, de culture. Donner les moyens aux services publics, engager un vaste plan d'éducation populaire, afin que la République puisse réinvestir les zones de misère sociale. Tout cela aura un prix. Ce n'est pas le dogme de l'austérité qui apportera un début de réponse.

Le temps est encore au recueillement, à l'émotion, à la solidarité mais très vite, il faudra passer à l'action, donner un sens au « vivre ensemble ». Après l'émotion, il faudra marcher ensemble vers une société plus juste, plus solidaire, qui place la justice et l'éducation en son coeur, et non plus l'argent roi. Le groupe CRC s'y attachera.

Aujourd'hui, nous pensons très fort aux victimes, à leurs proches, à leurs collègues. (Applaudissements unanimes)

M. Jacques Mézard, président du groupe RDSE .  - La France et la liberté sont blessées. Parce que le premier mot de la devise nationale est liberté, parce que depuis plus de deux siècles, en dépit des guerres, des crises, des souffrances, de nos erreurs, liberté et France sont indissociablement unies aux yeux du monde. Parce que l'attentat a frappé ceux qui incarnaient au plus haut degré cette liberté, ceux qui les protégeaient, des otages martyrs, la Nation s'est levée, criant face à la barbarie sa réponse : ignorer la peur, faire face, combattre.

Le choc est d'autant plus fort que les victimes sont des hommes de liberté, capables de rire de tout et d'abord d'eux-mêmes, rendant l'intolérance ridicule.

La force de ce cri impose à tous les responsables d'être à la hauteur du message car le temps de la colère suivra de près le temps de l'émotion, si le temps de l'action ne vient pas vite. Il le faut pour châtier les assassins et pour poser les bases d'une politique de nature à assurer la sécurité de nos concitoyens dans une République apaisée.

Le 11 septembre 1848, Victor Hugo disait que les véritables amis de l'ordre ont toujours été les plus sérieux amis de la liberté. Sans autorité, il n'y a pas de démocratie. Il n'y a plus de place pour le laxisme, l'angélisme. Il appartient au pouvoir exécutif de restaurer l'État, de faire appliquer la loi et les décisions de justice. Il y a quelques semaines, je saluais l'action du ministère de l'intérieur et des forces de l'ordre, qui viennent d'être applaudies par le peuple. Si la loi n'est plus adaptée, on la change : c'est notre rôle. Sinon, on l'applique. « Que doit faire le législateur ? II doit concilier ce qui convient aux principes et ce qui convient aux circonstances ». C'est du Danton dans le texte.

La révolution numérique doit nous amener à faire évoluer la loi : internet ne saurait être une zone de non-droit. Il faut aussi donner aux forces de l'ordre les moyens de leur action. Chérif Kouachi a séjourné dans le Cantal, chez son mentor en matière de djihadisme, à quelques kilomètres d'une gendarmerie -qui vient d'être fermée...

Nous devrons examiner rapidement nos responsabilités sur les causes de ces drames. Causes endogènes dans nos quartiers, dans le développement d'un communautarisme incompatible avec nos principes républicains, dans un système éducatif débordé : comment lutter contre l'illettrisme dans des classes où des majorités d'élèves ne parlent pas le français ? Causes exogènes dues à la politique extérieure au Proche-Orient et au Maghreb, politique d'ingérence dans les pays tiers ; Jacques Chirac, en 2003, avait vu juste ainsi que son Premier ministre d'alors.

L'homme sait faire mal à l'homme. Les massacres ont ponctué l'histoire. Ce qui change, ce ne sont que les méthodes. Ces crimes ont été commis au nom de Dieu, comme cela est récurrent depuis des siècles du fait des extrémistes de toutes religions. En 1209, on disait sur notre sol : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ». Les djihadistes d'aujourd'hui sont de la même veine : ils veulent attenter à la vie terrestre pour mériter la vie éternelle.

Qualifié dans cette enceinte de laïque intégriste, président du groupe pour lequel la République laïque est l'essence même du combat politique, je dis ici que la République laïque est toujours plus nécessaire pour garantir les valeurs de la France, qu'aucun gouvernement ne doit céder en rien à toute dérive communautariste. Plus que d'un observatoire de la laïcité nous avons impérativement besoin d'une politique laïque à tous les niveaux. La religion doit demeurer dans la sphère privée, c'est cela le vrai moyen de rejeter le sectarisme et l'intolérance, pour que vive la République. (Applaudissements unanimes)

M. Philippe Adnot, délégué des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe .  - Je m'associe à l'hommage rendu par les Français aux victimes innocentes de ces attaques terroristes ; aux policiers, dont il faut souligner le dévouement ; aux membres et la rédaction de Charlie Hebdo : on a le droit de ne pas aimer ce qu'ils faisaient, on n'a pas le droit de s'en prendre par les armes à la liberté d'expression.

Les ayatollahs du politiquement corrects pullulent. Tous les jours augmente le nombre de choses que l'on n'a pas le droit d'exprimer, et cela ne vient pas seulement des extrémistes religieux.

Il faudra bien qu'un jour la communauté internationale se penche sur le conflit israélo-palestinien qui, en plus de la souffrance infligée à ces deux peuples, nourrit tous les fantasmes dans nos banlieues et sert de paravent au terrorisme international. La laïcité recule : la minute de silence dans les écoles l'a montré.

Rien n'est résolu par la grande manifestation. Il faudra identifier les dysfonctionnements, nous demander pourquoi le tueur de Vincennes avait été libéré au bout d'un an et demi alors qu'il était condamné à cinq ans. Nous interroger aussi sur les moyens : nous voyons parfois des véhicules de gendarmerie immobilisés faute d'essence.

Un des policiers a dit qu'il avait eu les terroristes dans son viseur mais n'avait pu tirer, n'étant pas en état de légitime défense. Je rends hommage aux forces de l'ordre : leur courage, leur détermination, leur sang-froid forcent notre admiration. Nous sommes fiers d'eux, et pour cela, nous devons les soutenir aujourd'hui et demain. Je ne demande pas vos applaudissements pour mon intervention mais pour eux. (Applaudissements unanimes)

M. François Zocchetto, président du groupe UDI-UC .  - Face à la violence qui a déferlé, je salue les forces de l'ordre, les dirigeants internationaux, qui nous ont exprimé leur solidarité, et le peuple français, qui s'est levé en masse.

Nous devons agir. Une commission d'enquête sur le djihadisme est à l'oeuvre ici même depuis plusieurs mois, à l'initiative du groupe UDI-UC. La loi ne règle pas tout ; donnons surtout à nos services les moyens requis. Face à la contrainte budgétaire, assumons cette priorité.

Il faudra aborder la question pénitentiaire. Nos prisons ne doivent plus être des lieux de radicalisation. Cela suppose que les moyens de l'administration pénitentiaire soient renforcés.

Il faut surtout lutter contre le fanatisme. C'est un combat quotidien. Soyons aux côtés des enseignants, des médecins, des gardiens de prison, des agents de nos collectivités, confrontés à l'intolérance. Refusons toutes ces compromissions du quotidien qui font le lit de la radicalité.

Quels sont les ressorts qui font que certains Français, certains de nos enfants basculent dans la haine de leur pays ? Sans verser dans la culture de l'excuse, il faut identifier les lacunes familiales, sociétales, qui en sont la cause.

Apportons des réponses rapidement pour que les victimes de la semaine dernière ne soient pas mortes pour rien. (Applaudissements unanimes)

M. Bruno Retailleau, président du groupe UMP .  - Depuis dimanche, plus que jamais, nous sommes fiers d'être français. Dimanche, les Français sont redevenus un grand peuple à la face du monde. Dimanche, nous avons tous marché contre le terrorisme, mais aussi pour la Nation et pour cette grande passion française qu'est la liberté, à commencer par la liberté de conscience, celle de croire ou de ne pas croire.

Comme disait le général de Gaulle, il existe un pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde. C'est au nom de ce principe que la France vient d'être attaquée dans ce qui doit bien être qualifié de « guerre » car, comme dit Camus, « mal nommer les choses, c'est ajouter aux malheurs du monde ».

Ce n'est pas une guerre de religion -jamais des terroristes n'auront le droit de se réclamer de la religion- mais c'est bien d'une guerre qu'il s'agit, qui prospère sur la situation nationale et internationale. Nationale, car notre société est aux prises avec une nouvelle forme de radicalité, à une jeunesse fanatisée, hypnotisée par le mal absolu. Internationale, car le terrorisme a changé de nature -il est diffus et connecté, déterritorialisé et enraciné- et d'expression -il livre aussi une guerre de l'information.

Nous devons nous donner les moyens juridiques, budgétaires, politiques de mener cette guerre et de la gagner. La commission d'enquête sénatoriale doit être renforcée, dans son périmètre et ses missions, pour apporter des réponses concrètes aux questions que se posent les Français : comment cela a-t-il pu être possible ? Comment faire pour que cela ne se reproduise pas ? Tout doit être réévalué en fonction des menaces nouvelles. Je souhaite que le Sénat, au-delà des clivages, fasse des propositions au Gouvernement. Les Français exigent vérité et fermeté. Ils ont le droit d'être protégés, nous en avons le devoir.

Après cette tragédie, il n'y a plus de place pour l'angélisme. L'émotion nationale ne doit pas occulter ce qui s'est produit sur internet ou dans les écoles, le refus de respecter la minute de silence. La France n'est pas et ne sera jamais un archipel de tribus, une juxtaposition d'individus. Nous devons redonner à ces jeunes le goût de la France. Baisser les yeux devant les communautarismes, c'est baisser les bras devant l'islamisme. Parce que nous sommes ce soldat de l'idéal vanté par Clemenceau à la tribune, le 11 novembre 1918, nous devons gagner le combat pour la liberté, pour la République, pour la sécurité des Français. Vive la République et vive la France ! (Applaudissements).

M. Didier Guillaume, président du groupe socialiste .  - L'année 2015 commencé dans le sang : 17 morts, 17 morts pour la France. Ils représentaient la France dans toute sa diversité sociale, d'origine, de croyance, d'opinion. L'attaque contre Charlie Hebdo, c'est une atteinte à la liberté de la presse que nous condamnons ; ils ont été tués parce qu'ils dessinaient librement. L'assassinat des policiers, c'est une atteinte à la République que nous condamnons ; ils ont été tués parce qu'ils représentaient l'État. L'assassinat antisémite des clients d'Hyper Casher, c'est une atteinte à la religion juive que nous condamnons ; ils ont été tués parce qu'ils étaient juifs.

C'est la nation tout entière qui était visée. La France a été attaquée pour ce qu'elle est. La France est le pays des lumières, elle a toujours combattu l'obscurantisme. C'est cette France-là que nous aimons. Nous sommes fiers d'être Français, nous sommes fiers de la France. Le but des terroristes est de nous faire peur, mais la France n'a pas peur -comme le disait le Général de Gaulle dans l'appel du 18 juin. Elle doit rester digne, debout, fière de son héritage. Le peuple a répondu à la barbarie par la fraternité, dans les rues de nos villes et de nos villages. Il faut malheureusement des événements dramatiques pour que nous prenions conscience de ce que nous sommes, que nous nous rassemblions derrière le drapeau, que nous chantions la Marseillaise. Nous aimons ce que nous sommes et nous le clamons à la face du monde.

Gloire à nos forces de l'ordre, à ces hommes et ces femmes de sacrifices, à tous ceux qui agissent pour nous défendre et nous protéger. L'État a été efficace. Le chef de l'État a été l'incarnation de l'unité nationale, le Premier ministre a coordonné de manière exemplaire l'action gouvernementale, le ministre de l'intérieur a démontré son sang-froid et son efficacité : sincères félicitations, cher Bernard Cazeneuve. (Tous les sénateurs applaudissent ; les sénateurs socialistes se lèvent ainsi que plusieurs sénateurs des groupes RDSE et UDI-UC).

En ces périodes agitées, nous devons garder la tête froide ; ne sombrons pas dans le tout sécuritaire. Nous ne sommes pas favorables à un Patriot Act parce que nous sommes la France. Certains veulent rétablir la peine de mort ? Elle ne sera jamais réintroduite dans notre pays. (Applaudissements à gauche et quelques bancs au centre) Oui à des mesures exceptionnelles, non à des mesures d'exception. La sécurité est un droit fondamental, la nation tout entière y a droit.

Nous ne sommes pas en guerre contre une civilisation, contre une religion, ne faisons pas d'amalgames. La France ne serait rien sans les juifs, les musulmans, les athées, les croyants et les non-croyants. Elle ne serait rien sans la laïcité, ce ciment des différences, qui est le fondement du pacte républicain, du vivre ensemble. Travaillons à la mise en oeuvre de nos valeurs fondamentales. Liberté, égalité, fraternité, gage de notre détermination et de notre optimisme pour la République et pour la France. (Applaudissements)

M. Jean-Vincent Placé, président du groupe écologiste .  - Monsieur le président du Sénat, je vous remercie pour les mots que vous avez eus, qui sont à la hauteur des circonstances tragiques qui nous rassemblent ici. Je salue l'action du président de la République, du Premier ministre, la vôtre, monsieur le ministre de l'intérieur, qui fut efficace, et votre comportement d'une grande dignité. Je salue aussi le sens des responsabilités des formations politiques républicaines, en ces trois jours terribles où nos valeurs fondamentales ont été frappées au coeur.

La liberté d'expression, d'abord. Au groupe écologiste, nous connaissons bien les journalistes de Charlie Hebdo, pacifiques et généreux. On risque aujourd'hui la mort en France pour avoir fait un dessin irrévérencieux sur Mahomet : c'est insupportable ! Nous ne céderons jamais rien sur la liberté d'expression, indissociable de la liberté d'opinion et de pensée. Ici, nous sommes tous Charlie.

L'autorité de l'État a aussi été attaquée. Policiers assassinés, blessés, notre reconnaissance va au Raid, au GIGN, à la BRI, aux policiers, gendarmes et militaires mobilisés pour nous protéger. Nous sommes tous ici des policiers.

Enfin, c'est la laïcité qui a été blessée. Quatre personnes sont mortes parce qu'elles étaient juives. Nous devons inlassablement lutter contre l'antisémitisme. Chacun, quelle que soit sa confession, doit pouvoir vivre en France dans la liberté et la sécurité. A l'État de les garantir, c'est cela, la vraie laïcité.

Il y a le temps du recueillement -nous n'oublierons jamais les victimes. Il y a le temps de la mobilisation -le peuple s'est dressé dimanche ; elle ne doit pas retomber, à nous de la faire vivre. Viendra le temps de la réflexion : d'autres violences sont à craindre. Comment s'y préparer ? Comment protéger la République ? Les réponses au terrorisme ne peuvent être que globales, collectives, solidaires. Il faut mobiliser toutes les composantes de notre pays, politiques, religieuses, philosophiques, mobiliser aussi nos alliés en Europe et dans le monde.

Cette attaque contre nos valeurs appelle à l'unité nationale, demain et après-demain. Elle est si fragile... Sachons la préserver à chaque instant, c'est notre bien commun le plus précieux. Sachons nous élever, comme le peuple, à la hauteur des enjeux et des dangers. Nous sommes tous Charlie, nous sommes tous policiers, nous sommes tous juifs. Vive la France, vive la République : (Applaudissements)

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur .  - (Applaudissements) Je m'exprime aujourd'hui dans une immense émotion. Votre discours, monsieur le président, très juste, très profond, a exprimé ce que nous sommes, ce que sont les valeurs de la République, ce qui nous rassemble ici et dans le pays. J'ai retrouvé cette émotion, cette force dans tous les discours prononcés ici, comme dans celui du Premier ministre à l'Assemblée nationale. Nous l'avons tous ressentie dimanche, dans les rues de Paris. Les chefs d'État et de gouvernement de l'Union européenne, et au-delà, étaient venus dire, autour du président de la République, leur attachement à la France et à ses valeurs universelles. Nous étions nombreux à dire que nous n'avions pas peur, que nous étions déterminés, face au terrorisme, à faire prévaloir ce que nous sommes et les valeurs de la République.

Nous avons tous à l'esprit l'importance du drame de la semaine dernière. Avec leurs crayons, les journalistes, les dessinateurs, les caricaturistes de Charlie Hebdo étaient les descendants de Voltaire et de son Micromégas ; leur crayon était leur moyen de témoigner de leur impertinence, de nous regarder avec distance. C'est cette impertinence, cette liberté qu'on a voulu atteindre. Par leur talent, Cabu, Wolinski témoignaient de notre amour de la liberté.

On a voulu atteindre les policiers, qui incarnent le droit, l'ordre, l'amour de l'État de droit, de la République, qui constituent notre patrimoine commun. Ils ont été en première ligne et méritent toute notre estime. Franck, le policier qui assurait la protection de Charb, est tombé la main sur son pistolet. Je n'oublierai jamais les larmes de ses camarades du Service de protection des hautes personnalités, qui savaient son courage, sa droiture, sa valeur. Je n'oublierai jamais le regard digne de sa mère, déterminée à résister à la peur. Je n'oublierai jamais l'effroi, la colère des camarades de la jeune policière municipale de Montrouge, abattue dans le dos. Je n'oublierai jamais la tristesse incommensurable des policiers du commissariat du 11e arrondissement de Paris, camarades du policier Ahmed, qui avait tenté d'intercepter les assassins de Charlie Hebdo, leur fierté d'être policiers. Je n'oublierai jamais le regard des agents de la BRI et du Raid, qui ont tenté de sauver le plus de vies possibles lors de l'attaque de l'Hyper casher. Je veux leur dire à tous mon immense, mon incommensurable gratitude. (Applaudissements prolongés sur tous les bancs) Je sais que cette émotion, vous la partagez tous. Je n'oublierai jamais combien vous avez été proches de ceux qui assurent notre sécurité : à vous aussi, sénateurs et sénatrices de France, pour la solidarité et l'amour de la France dont vous avez fait montre, je veux dire ma gratitude et mes remerciements.

Je n'oublierai pas plus les propos tenus par les représentants de communauté juive, leur lassitude, leur tristesse d'avoir peur. Comme l'a fait le Premier ministre avec force à l'Assemblée nationale, je veux leur dire que nous mettrons tout en oeuvre pour que plus jamais un seul juif de France n'ait peur, parce qu'il y a des barbares qui refusent la liberté si précieuse de croire ou ne de pas croire. (Applaudissements)

Nous étions ensemble dimanche dans les rues de Paris. Le peuple de France a pris dans ses bras tous les journalistes de France, qui incarnent la liberté et la font vivre dans la République, tous les policiers de France, qui font respecter l'État de droit, tous les juifs de France qui aiment le République, tous ceux qui refusent la division, l'effroi et la peur.

Il faut désormais regarder l'avenir. Nous nous tenons à la disposition des assemblées pour expliquer et pour rendre compte. Cette exigence est aujourd'hui plus forte que jamais. C'est ensemble que nous devons tirer les enseignements de ce drame pour apporter les justes corrections et être plus forts, mieux armés face au risque terroriste.

D'abord, il y a l'urgence. L'enquête se poursuit. Une cellule opérationnelle a été mise en place pour assurer son bon déroulement, qui réunit plusieurs fois par jour autour de moi les responsables du ministère de l'intérieur. Nous avons décidé de ne pas la désarmer, de sorte que nous puissions identifier tous les complices et les mettre hors d'état de nuire. Tout est mis en oeuvre pour que les enquêtes progressent et atteignent leur but. Les services placés sous ma responsabilité, notamment la DGSI, sont mobilisés face à un terrorisme d'un nouveau type. Le nombre de djihadistes a augmenté de 80 % depuis le début de l'année ; il y a ceux qui sont partis combattre en Irak ou en Syrie et peuvent revenir, conduits par l'instinct de haine ; il y a ceux qui adhèrent à Al Qaeda et peuvent encore frapper ; il y a ceux qui n'appartiennent à rien mais se radicalisent seuls sur internet et peuvent frapper à tout moment -ce sont les plus difficiles à atteindre. Il y a les cellules dormantes, les réseaux de trafiquants d'armes et de drogue qui financent le terrorisme. Mes services sont déterminés à agir pour qu'il n'y ait pas de sanctuaire en France pour tous ces criminels. (Applaudissements) Face au risque, notre mobilité, notre capacité d'adaptation, notre mobilisation doivent être totales.

Nous avons pris la décision de protéger toutes les écoles, tous les lieux de culte de la communauté juive, à sa demande et en liaison avec elle. Les actes islamophobes se sont aussi multipliés ces derniers jours ; il est du devoir de la République de protéger tous ses enfants, de traquer tous ceux qui attaquent ses valeurs. Comme l'a dit avec force le Premier ministre à l'Assemblée nationale, nous serons intransigeants dans la défense de la laïcité.

Pour nous armer davantage, nous devons traiter collectivement trois questions. D'abord, celle des moyens. La concorde nationale doit perdurer. Nos forces de sécurité ont perdu des moyens, elles doivent en retrouver. C'est l'esprit des recrutements nouveaux au sein de la police et de la gendarmerie ; outre les 432 nouveaux postes prévus, nous avons besoin d'informaticiens, de techniciens pour mieux détecter les filières et lutter contre les cyberattaques. 12 millions d'euros par an ont été affectés à la DGSI pour améliorer ses capacités technologiques d'intervention. Les infrastructures informatiques du ministère de l'intérieur doivent être renforcées. La défaillance du système Khéops a illustré les conséquences du sous-investissement. 40 millions d'euros sont déjà affectés pour les véhicules ; l'effort se poursuivra.

Des moyens donc pour la police, la gendarmerie, mais aussi pour l'administration pénitentiaire. La garde des sceaux s'attache à apporter les justes réponses à la question de la radicalisation en prison. (Murmures à droite)

Nous venons d'adopter deux lois sur le terrorisme, la seconde il y a deux mois. Je me souviens de nos débats ; il est normal en démocratie que l'on recherche le juste équilibre entre liberté et sécurité. Il y a eu des débats sur l'équilibre entre régulations d'internet et liberté d'expression, sur l'interdiction administrative de sortie du territoire, sur la conservation au-delà de trente jours du contenu des interceptions de sécurité. Je crois que nous ne sommes pas allés au bout de la logique... Je ne propose pas des lois d'exception -qui seraient une victoire des terroristes sur la démocratie...

Mme Esther Benbassa.  - Bravo !

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - ...mais de regarder la réalité en face et de doter la France de tous les moyens propres à lutter efficacement contre le terrorisme. Nous devons ensemble prendre nos responsabilités. Il faut agir au niveau européen, en coopération ; nous travaillons étroitement avec nos partenaires en matière de renseignement et de criminalité organisée. Nous luttons avec volontarisme contre le trafic d'armes, qui a une dimension internationale et alimente le terrorisme. Nous devons nous doter de moyens pour démanteler rapidement ces filières ; il faut identifier et arrêter les trajets de ceux qui nous menacent : c'est le PNR. J'appelle les parlementaires européens à bien comprendre que le PNR est indispensable pour lutter contre le terrorisme ! (Applaudissements sur les bancs socialistes, RDSE, au centre et à droite)

Mme Nicole Bricq.  - Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre.  - Nous devons aussi faire évoluer Schengen, l'interpréter intelligemment pour rendre les contrôles plus systématiques et plus efficaces sur certains vols.

Nous devons engager une réflexion sur l'évolution du cadre Schengen, non pour remettre en cause la liberté de circulation mais pour la conjuguer avec l'exigence de sécurité. (M. Robert del Picchia applaudit) Nous avons besoin de plus de coopération européenne et internationale.

L'agenda est riche. Le Gouvernement est déterminé à avancer avec vous, rapidement, dans l'unité nationale et le consensus le plus large. Tout ce que nous devons faire ensemble sera inspiré par ce que vous avez dit, et qui nous rassemble : la laïcité, le respect de l'autre, l'amour de la République et de ses valeurs. Ce qu'a révélé la marche de dimanche, c'est cet amour ; il nous donne de la force face aux attaques des terroristes ! (Applaudissements prolongés)

M. le président.  - Merci pour cet hommage aux victimes, monsieur le ministre, mais aussi d'avoir partagé nos interrogations. Le Sénat est disponible, vigilant et engagé.

La séance, suspendue à 18 heures, reprend à 18 h 5.

Intervention en Irak

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat suivi d'un vote sur la demande du Gouvernement d'autorisation de prolongation de l'intervention des forces armées en Irak, en application du troisième alinéa de l'article 35 de la Constitution.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international .  - Par coïncidence, c'est le même jour que le Sénat est appelé à débattre des attaques terroristes et de notre intervention en Irak.

Le 19 septembre dernier, le président de la République a décidé de faire intervenir nos forces armées en Irak, à la demande des autorités irakiennes, confrontées à l'organisation terroriste Daesh. Le 24 septembre, j'avais exposé devant vous les objectifs de cette intervention dans le cadre d'une coalition internationale.

Depuis la chute de Mossoul, Daesh a réussi à contrôler près du tiers du territoire irakien, maîtrisait les principaux axes de communication et menaçait Bagdad. La stabilité, l'existence même de l'Irak étaient menacées, avec à la clé une déstabilisation de la région et de l'Europe. Daesh révélait alors son véritable visage, celui d'une organisation criminelle, sectaire et barbare -décapitations, viols, meurtres, traque des chiites, des chrétiens, des yazidis... Nous devions agir pour affaiblir Daesh et permettre aux Irakiens de restaurer la souveraineté de leur pays. Nous devions agir là-bas pour nous protéger ici. (M. Aymeri de Montesquiou approuve) C'est une illusion de penser qu'il y a des frontières, c'est une illusion de penser que c'est parce que nous sommes là-bas qu'il y a du terrorisme ici. C'est le contraire.

Des coups majeurs ont été portés à Daesh, mais notre oeuvre n'est pas achevée. C'est pourquoi le Gouvernement vous demande, en application de l'article 35 de la Constitution, d'autoriser la prolongation de notre intervention en Irak. L'offensive de Daesh a été stoppée, des territoires conquis ont été repris. Ces résultats, nous les devons à une large coalition réunissant plus de soixante nations, sous l'égide des États-Unis d'Amérique, dont une trentaine ont engagé des moyens militaires.

Je salue nos soldats, ainsi que ceux des pays européens et arabes qui combattent à leurs côtés. Après quatre mois d'opérations, le rapport de forces sur le terrain a été modifié ; il faut l'inverser durablement. La menace que Daesh fait peser à l'ouest de Bagdad demeure préoccupante.

Notre dispositif est monté en puissance. Aujourd'hui, nous déployons quinze avions Rafale et Mirage 2000, ainsi que des moyens de ravitaillement en vol, de détection et de renseignement. Depuis le mois de septembre, nos avions ont effectué plus de 300 missions ; 34 frappes ont affaibli le potentiel des terroristes et permis d'obtenir des renseignements sur les combattants venus de l'étranger.

Nous participons aussi à l'armement, au conseil et à la formation des combattants kurdes. Au total, une centaine de formateurs français seront sur place, un millier si l'on prend en compte les pays voisins.

La France est l'un des pays les plus impliqués, après les États-Unis.

Les militaires français vont participer à la formation de l'armée irakienne et le porte-avions Charles de Gaulle, en tournée vers l'Inde, pourrait être présent dans le golfe arabo-persique.

La stabilité de la région ne requiert pas seulement des moyens militaires mais une stratégie d'ensemble. En Irak, la situation politique s'est stabilisée grâce à un gouvernement ouvert à toutes les composantes politiques et ethniques. Modernisation de l'appareil de sécurité, lutte contre la corruption, mise en place d'un cadre fédéral garantissant l'unité de l'Irak, reconstruction économique : les chantiers sont immenses. Le président de la République a dit au Premier ministre irakien notre soutien. La France, comme le Royaume-Uni, a choisi de ne pas mener de frappes aériennes en Syrie. Nous soutenons en revanche l'opposition modérée. La situation à Kobané, à Alep, ne laisse personne indifférent. « Ni Bachar, ni Daesh » disait le Premier ministre : ce serait une illusion que de prétendre lutter contre Daesh en maintenant au pouvoir M. Bachar el-Assad. Je rappelle que c'est ce dernier qui a fait sortir les terroristes des prisons ! Ces deux factions se combattent mais s'épaulent aussi.

La situation politique passe par l'inclusion de certains éléments du régime -faute de quoi l'État s'effondrerait comme on l'a vu en Irak- mais aussi de l'opposition, pour que toutes les fractions de la population soient représentées. C'est évidemment très difficile mais nous continuons à y travailler. Il n'est pas question de se précipiter dans les bras de Bachar el-Assad, comme je l'entends dire.

Nous devons aussi nous mobiliser sur le plan humanitaire. Les pays de la région consentent à des sacrifices énormes pour accueillir des réfugiés syriens : au Liban, ces derniers représentent l'équivalent de 20 millions de personnes en France !

Nous continuerons à accueillir, au titre de l'asile, des familles syriennes et irakiennes appartenant aux minorités pourchassées. C'est l'honneur de la France.

Ces interventions militaires ne sauraient avoir d'effet immédiat. Réduire Daesh prendra du temps. Quitter nos partenaires aujourd'hui, ce serait abandonner l'Irak aux terroristes.

Le drame de Toulouse s'est produit à un moment où la France n'était présente ni au Mali ni en Irak. Pas de faux arguments, donc.

Daesh a un programme : répandre la terreur dans le monde. Parce que les terroristes continuent de tuer, de déstabiliser la région et de nous menacer nous-mêmes, nous devons poursuivre notre tâche.

Nous la poursuivrons aussi au Sahel. Le sud de la Libye devient un repaire pour les terroristes. Au Nigéria, au Cameroun, dans les pays voisins, Boko Haram continue de commettre des crimes effroyables. Je veux saluer nos forces présentes sur place.

Le Premier ministre et le ministre de l'intérieur l'ont dit : 400 ressortissants français combattent sur place, en Syrie, avec les terroristes, 67 sont morts au combat. Face à cette menace, nous entendons adapter nos moyens.

Ce qui importe le plus, c'est la détermination du peuple français à défendre ses valeurs de liberté, d'égalité et de laïcité. Les attaques que nous venons de vivre doivent nous rendre plus forts. En voyant dimanche, à nos côtés, le quart des dirigeants de la planète dire que la France est la patrie de la liberté, nous avons tous été émus. Nous avons aussi fait la preuve qu'un grand pays, c'est un pays uni.

L'unité de la République, voilà la meilleure réponse à apporter aux terroristes. Nous vous demandons de juger, avec nous, que la prolongation de notre intervention en Irak est nécessaire, au service de la démocratie et de la liberté. (Applaudissements)

M. Robert Hue .  - Ce débat intervient quelques jours après les attentats terroristes tragiques qui ont coûté la vie à dix-sept de nos concitoyens. Nos pensées vont à leurs proches. Dimanche, la France a offert au monde et à elle-même l'image de l'unité et de la détermination. Après le temps de l'émotion vient celui de la réflexion et de l'action.

La lutte contre le terrorisme se mène aussi hors de nos frontières, aux côtés d'États fragilisés. Le dernier Livre blanc de la défense nationale le rappelait : que des territoires échappent durablement au contrôle des États est un risque stratégique majeur pour l'Europe. Nous y sommes !

C'est pourquoi, face à la menace d'établissement du califat de Daesh, le président de la République a répondu à la demande des autorités irakiennes en engageant l'opération Chammel. La France a tenu son rang. Face à la progression rapide de Daesh, qui veut réussir là où Ben Laden avait échoué, il fallait agir vite.

J'ai dit, il y a quatre mois, que nos alliés européens devaient s'engager plus fortement. Quatre mois, c'est bien court pour apprécier l'efficacité d'une intervention. Nos forces accomplissent parfaitement chacune de leurs missions, sans que l'Irak ait retrouvé son intégrité territoriale. Nous avons contenu Daesh sans l'avoir fait reculer.

Ce sera donc un conflit de longue durée. En avons-nous les moyens, alors que nos soldats sont engagés au Sahel, en Centrafrique, alors que 10 000 soldats vont être déployés en France même pour parer à d'éventuels attentats ?

Les forces aériennes ne suffiront pas à déloger Daesh. Or, les Américains eux-mêmes rechignent à intervenir au sol -alors qu'ils sont largement responsables de la situation actuelle, par leur « guerre préventive » de 2003. Je salue encore une fois la clairvoyance du président Chirac, dont la décision s'est, a posteriori, révélée être la bonne.

Il faut resserrer nos relations diplomatiques et politiques avec des pays incontournables dans la région, tels la Turquie, l'Iran, le Qatar, l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, qui doivent sortir de l'ambiguïté. La Russie est aussi un partenaire indispensable.

Nous devons poursuivre nos frappes aériennes pour le moment mais nous devons aussi soutenir les acteurs de la région en lutte contre les groupes terroristes en leur permettant de s'emparer d'un conflit qui les concerne et aider les populations qui sont les premières victimes de la barbarie. Attention à ne pas confondre la responsabilité de protéger les populations avec le changement de régime -voyez les conséquences désastreuses de l'intervention en Libye...

Le groupe RDSE votera unanimement et en responsabilité en faveur de la prolongation de l'intervention de nos forces armées en Irak. (Applaudissements)

M. Stéphane Ravier .  - Je veux, pour commencer, saluer la mémoire d'un jeune de 16 ans, Mikaël Asaturyan, sauvagement poignardé à la sortie de son lycée à Marseille.

La France est en guerre contre le terrorisme islamiste, qui vient de frapper notre pays en plein coeur. La peur doit changer de camp. Nul ne peut nier que la menace soit devenue intérieure.

Vos responsabilités et celles de vos prédécesseurs de l'UMP sont écrasantes. Qui a fait de la France une place forte djihadiste en abolissant nos frontières, en laissant les imams extrémistes fomenter la haine dans nos quartiers ? C'est vous ! Qui a défilé aux côtés de représentants des pays du Golfe qui abritent les sponsors du terrorisme mondial, de la Turquie d'Erdogan alliée de l'État islamique contre les Kurdes ? C'est vous !...

M. Jeanny Lorgeoux.  - C'est le peuple de France !

M. Stéphane Ravier.  - Qui a fait le lit de l'islamisme en déstabilisant le Proche-Orient, à l'appel de pseudo-prophètes cheveux au vent ? C'est vous ! Nous l'avions dit, avec Marine Le Pen : votre stratégie attentiste, fondée sur des changements de régimes dits printemps arabes a débouché sur l'hiver islamiste. Les régimes autoritaires précédents n'étaient pas parfaits mais ils étaient préférables à la violence fanatique. (M. Daniel Raoul s'exclame)

C'est à partir de la Syrie, où vous l'avez épargné contre le régime en place, que l'État islamique a mis la main sur des pans de l'Irak. Ces terroristes pratiquent le génocide des chrétiens d'Orient et d'autres minorités. Vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas.

La France est la deuxième contributrice à la coalition, avec les Britanniques qui, en intervenant en 2003 aux côtés des Américains, portent une lourde responsabilité dans la situation actuelle.

Nous voterons pour la prolongation de l'intervention mais, pour remplir notre vocation multiséculaire de défenseurs des chrétiens d'Orient et protéger les Français, il faudra aller plus loin pour éradiquer le cancer de l'islamisme et ses métastases et permettre aux populations déplacées de retourner vivre chez elles en paix. Cessez de priver de moyens nos armées ! Avec le déploiement de 10 000 hommes, la France devient notre premier théâtre d'opérations. Exigez de la Turquie un engagement clair contre Daesh ! Rétablissez le dialogue avec le régime syrien sans le sanctifier ni l'absoudre, pour combattre notre ennemi commun. Cessez de vouloir dupliquer nos institutions et faites preuve de réalisme dans des pays qui n'ont pas nos traditions politiques.

Il faut poursuivre notre intervention en Irak et agir en Syrie jusqu'à ce que cette région ne puisse plus servir de camp d'entraînement pour les djihadistes qui nous ont frappés dans notre chair.

présidence de M. Claude Bérit-Débat, vice-président

M. Aymeri de Montesquiou .  - Comment 200 000 km² d'Irak et de Syrie ont-ils pu être conquis en quelques jours ? Mossoul prise en quelques heures ? Personne n'imaginait une telle montée en puissance : la carence de nos services de renseignement est inquiétante.

Il faut détruire Daesh pour faire cesser le massacre des minorités, les viols et le commerce de petites filles, mais aussi pour des raisons de sécurité intérieure. On évalue entre 1 000 et 1 500 le nombre de djihadistes français de Daesh. Ils sont en fait sans doute plus... Selon un sondage, 25 % des 18-25 ans éprouveraient de la sympathie pour Daesh !

Impossible d'éradiquer cette organisation sans troupes au sol. Or on a constaté à Mossoul la piètre qualité des forces irakiennes. Les Sunnites d'Arabie Saoudite n'interviendront pas contre d'autres Sunnites. Les États-Unis ne veulent pas répéter l'erreur de 2003, les Britanniques sont épuisés. Nous-mêmes sommes déjà engagés en Afrique.

C'est la garde présidentielle, appuyée par le PKK et les frappes aériennes de la coalition, qui ont mis fin à la progression de Daesh. Le PKK est la force la plus importante localement, or nous ne coopérons avec lui que clandestinement car il est considéré comme un groupe terroriste...

Encourageons la reprise du dialogue entre Kurdes et Turcs. N'oublions pas que la frontière entre terroristes et résistants s'estompe parfois avec le temps, que Begin et Arafat ont chacun reçu le Prix Nobel de la paix.

Nous avons hérité de relations exécrables avec l'Iran. Or, pour éradiquer Daesh, quelle autre solution que de se coordonner avec l'Iran ? Notre diplomatie doit être pragmatique et courageuse, comme elle le fut en 1964, quand le général de Gaulle reconnut la Chine en pleine guerre du Vietnam, ou en 2003, quand le président Chirac a refusé l'intervention en Irak.

Il faut aider l'Iran à retrouver sa place dans le concert international. Cela aidera à faire respecter les libertés civiles dans ce pays (M. Jean-Yves Leconte approuve) Agissons aussi en Syrie. Il n'y a pas de domaine où il faille être plus pragmatique que la guerre, qui est un art tout d'éxécution.

Le groupe UDI-UC votera la prolongation demandée. (Applaudissements)

M. Bruno Retailleau .  - Je veux rendre hommage à nos soldats engagés en Irak et sur d'autres théâtres d'opération, ainsi que nos diplomates qui, à leur façon, sont aussi des « soldats de l'idéal ».

La demande du Gouvernement soulève deux questions. Des éléments remettent-ils aujourd'hui en cause le bien-fondé de notre intervention, d'abord ? Les attentats de la semaine dernière sont dans tous les esprits. J'ai été l'un des premiers parlementaires à me rendre en Irak au mois d'août, j'ai vu, à Erbil, s'entasser par milliers des enfants, des vieillards, des hommes et des femmes, dans des églises, des appartements en construction, des terrains vagues, la peur au ventre. J'ai vu l'effroi sur leur visage et j'ai compris que nous faisions face à une radicalité absolue, une forme d'islamo-fascisme, de totalitarisme, à la haine de l'autre. Et j'ai acquis la conviction que la France, pays des libertés, devait contribuer à l'éradication de Daesh, au nom de la défense des minorités, chrétiennes ou yazidies, mais aussi de nous-mêmes et de nos valeurs -non des valeurs occidentales mais des valeurs universelles, celles de toute l'humanité.

Comment admettre de voir se constituer, à quelques heures de Paris, une base terroriste appuyée sur un quasi-État ? Notre combat en Irak est le prolongement de celui que nous menons en France contre le terrorisme et c'est pourquoi le groupe UMP votera la prolongation de notre intervention.

Il fallait empêcher Daesh de s'emparer de Bagdad et d'Erbil. Désormais, l'objectif est de l'éradiquer.

Or, la seconde question est celle-ci : nos moyens suffisent-ils ? Les frappes aériennes, seules, sont impuissantes. Il faudra donc soutenir, au sol, les Peshmergas et l'armée irakienne.

Pour la première fois, le Sénat n'a pas voté les crédits militaires. Le budget de la défense n'est pas à la hauteur de ce que vous exigez de nos soldats. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Il n'est pas de victoire militaire sans victoire politique préalable. Le nouveau Premier ministre irakien poursuit une indispensable politique d'unité nationale. C'est ainsi que l'Irak libre se lèvera, comme un seul homme, contre l'inhumanité de Daesh.

Notre diplomatie devra aussi sortir de l'ambiguïté. En Syrie, sans légitimer Bachar el-Assad, il faudra déterminer nos priorités. Il faut aussi combattre Daesh sur le territoire syrien. Nous devons également travailler avec la Russie et l'Iran. La raison le commande, sans qu'il faille brader nos exigences.

Quant à la Turquie, elle interdit encore à nos avions de la coalition -dont elle fait pourtant partie- de décoller de ses bases. Or, les Kurdes ne peuvent être mis au même niveau que les terroristes de Daesh ! Il faut avancer, monsieur le ministre. La vie de nos soldats en dépend.

Un mot sur la question humanitaire, qui me tient tout particulièrement à coeur. Dans quelques semaines, les agences onusiennes n'auront plus les moyens de subvenir aux besoins des 2 millions de déplacés alors que le froid gagne l'Irak.

Au nom de la France, j'ai vu la lumière s'allumer dans le regard de certains réfugiés, terrorisés. Elle représente pour eux un espoir. Soyons à la hauteur de cette attente. Où est l'Europe dans cette affaire ? Obtenons au moins de l'Union européenne les moyens nécessaires pour faire face à l'urgence humanitaire. (Applaudissements) Dans quelques semaines, il pourrait être trop tard. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Daniel Reiner .  - Les 7, 8 et 9 janvier, la France a été victime d'attaques terroristes inédites par leur ampleur et leur portée. En s'attaquant à ceux qui font appliquer les lois, à ceux qui s'expriment librement, à ceux qui ont d'autres croyances qu'eux, les terroristes ont voulu atteindre notre âme. Le peuple français a exprimé, dimanche, son attachement à ses valeurs.

Avec Serval, nous avons atteint nos objectifs : la sauvegarde de l'intégrité territoriale du Mali et la relance d'un processus politique.

Il faudra désormais relever le défi libyen. Au Niger, à Adama, au plus près de la frontière libyenne, nous avons pris la mesure de son immensité. Je rends hommage à nos militaires engagés sur place.

L'opération Chammal s'inscrit dans la lutte contre le terrorisme international. Nourri à une idéologie salafiste sommaire, Daesh est à l'opposé de toutes nos valeurs. Ses atrocités sont d'une inhumanité inqualifiable. Né en Syrie, il est devenu l'ELIL. Il contrôle 200 000 km², 10 millions de personnes, des ressources financières considérables et dispose de plusieurs dizaines de millions de combattants. Il se constitue dans la durée, avec pour but de déstabiliser tout le Proche-Orient. La mondialisation nous apporte beaucoup mais elle sert aussi ces organisations qui propagent leur idéologie rétrograde.

La notion de théâtre d'opération enfermé dans des limites géographiques strictes a perdu de sa pertinence. La défense de l'avant et la sécurité de l'arrière -c'est-à-dire du territoire national- sont de plus en plus liés. La guerre contre ces organisations sera longue ; aucun désengagement n'est possible.

La France a une stratégie cohérente et souple, fondée sur la résolution 2170 des Nations unies et sur l'appel des autorités irakiennes. Elle a pris ses responsabilités et tient son rang. Il s'agit de stabiliser le Proche-Orient, de protéger les minorités de la région. Il s'agit aussi de sécuriser notre propre territoire, de dissuader les combattants susceptibles de partir pour le djihad avant de revenir commettre des attentats... Soutenir les peshmergas kurdes, les organisations syriennes modérées. Tels sont nos objectifs. Faire coopérer des États aux stratégies différentes, tel est le défi. Soutenir les tribus sunnites, trouver des partenaires syriens, réduire les ressources financières de Daesh, autant de points essentiels.

Avec Chammal, nous avons déployé des moyens adaptés à nos capacités. La coopération entre la France et les États-Unis est excellente ; nous sommes la deuxième puissance contributrice à la coalition, loin devant les Britanniques. La stratégie et les décisions ont élaborées en collaboration avec nos partenaires ; la France garde son autonomie stratégique.

La France ne frappe pas en Syrie ; elle prône une solution politique, avec un gouvernement d'union nationale inclusif, sans Bachar el-Assad. L'Iran ne pourra participer aux négociations qu'une fois la question nucléaire réglée.

Bagdad a été sécurisée, Daesh aurait perdu 2 000 combattants depuis l'été, les cibles, dont les raffineries, ont été atteintes. L'opération Chammal est un succès. Mais il ne nous appartient pas d'intervenir au sol : nous formons et équipons les armées des pays concernés.

Ne fixons pas de calendrier : ce serait dans l'intérêt de nos adversaires. Ce combat relève du temps long. L'échelle est inédite, c'est une lutte globale, de l'Afghanistan au Mali, au Yémen, en Somalie, en Irak, peut-être demain en Lybie, voire au Nigeria. Nos forces doivent s'adapter à un nomadisme stratégique, comme le prévoyaient les deux derniers livres blancs. Issu d'une idéologie totalisante, déshumanisante et régressive, Daesh prospère sur les ruines des printemps arabes.

Les chefs d'État présents à Paris dimanche dernier ont pu prendre la mesure de la menace terroriste. Pays des droits de l'homme, la France doit livrer ce combat pour défendre sa vision du monde qui est l'universalisme. Les attentats subis renforcent notre détermination à le poursuivre. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Leila Aïchi .  - Après la tristesse et l'effroi, à mon tour d'exprimer notre indignation, notre incompréhension, notre émotion. Nous ferions injure à la mémoire des victimes par notre inaction. Ce qui doit nous guider, c'est la sécurité des Français, en France et à l'étranger. L'heure est à la mobilisation et à l'unité nationale. J'étais, comme vous tous, dans une des manifestations de ce week-end. Je suis fière de ce sursaut républicain. C'est ce message que la France doit porter dans le monde.

Le groupe écologiste a soutenu les interventions au Mali et en République centrafricaine. Personnellement, j'ai toutefois émis de grandes réserves contre le projet de frappes aériennes en Syrie, en l'absence de bases légales et parce qu'un soutien militaire à l'opposition syrienne n'était pas de nature à assurer la protection des minorités. Le vote des Communes en Angleterre, le choix du président Obama nous ont évité de nous lancer dans une aventure : on ne peut agir sans mandat de l'ONU et sans l'Europe. L'absence de défense européenne est un manque criant et une chance pour le terrorisme.

Daesh n'est pas un État, c'est une organisation de fanatiques criminels. Il faut neutraliser cet obscurantisme. Cette tâche incombe tout d'abord aux Irakiens, que nous devons aider. Évitons de nous enfermer dans une approche de court-terme. La stratégie de sortie de crise peine à se dessiner. Il faut articuler intervention militaire et règlement politique. Tirons les leçons des erreurs du passé, en Libye, en Irak. Nous devons agir sur le plan diplomatique, en Turquie comme en Syrie.

Faisons preuve de pragmatisme, de realpolitik. Disons à nos alliés du Golfe que toute ambiguïté est inacceptable. Attaquons-nous aux ressources de Daesh : d'où vient son armement ? D'où vient son financement ? Qui sont les intermédiaires ? Qui sont ses clients ?

M. Alain Fouché.  - Bonnes questions !

Mme Leila Aïchi.  - Le risque de nouveaux attentats sur notre sol ne doit pas justifier un Patriot Act à la française. Nos services ont surtout besoin de moyens humains et matériels. C'est en période de crise que l'on voit la force de nos principes. Soyons unis contre la barbarie, la violence, les extrémismes politiques et religieux. Je forme le voeu que cette assemblée ne légifère jamais en divisant la France ; je forme le voeu d'un monde sans corruption ni pillage ; je forme le voeu d'un monde de justice où aucun peuple ne pourra en avilir ou en soumettre un autre.

Après un vif débat, le groupe écologiste a décidé de voter en faveur de la prolongation de notre intervention en Irak. (Applaudissements)

Mme Michelle Demessine .  - Les effroyables attentats de la semaine dernière donne une dimension toute particulière à notre débat. Les dix-sept morts de ce carnage ont été les cibles d'individus fanatisés, qui combattent les valeurs républicaines. L'heure est au rassemblement et à l'unité de la Nation pour défendre nos valeurs : liberté, égalité et fraternité. La démocratie n'est pas le consensus mou ; les divergences d'appréciation sur l'opportunité ou la forme des interventions militaires à l'étranger sont légitimes.

Cette année, les violences en Irak ont coûté la vie à 15 000 personnes, soit deux fois plus qu'en 2013 ; en Syrie, on compte 76 000 morts.

D'un côté, l'avancée de Daesh a été freinée par les frappes de la coalition, sous l'égide des États-Unis ; de l'autre, celle-ci se montre impuissante sur le front diplomatique. La nébuleuse terroriste voit sans cesse grossir ses rangs. Face à ces fanatiques, le silence et l'inaction ne pourront être de mise. Mais c'est aux forces nationales de résistance de reconquérir leur territoire ; or les forces irakiennes manquent de moyens. L'attitude des Turcs est incompréhensible : ils vont rechercher les combattants kurdes sur leur lit d'hôpital pour les mettre en garde à vue !

Réaffirmons nos principes face à la décision de l'exécutif d'engager nos forces sous un commandement américain. La France doit retrouver son autonomie, comme en 2003. Rappelons que Daesh est né du chaos provoquée par l'intervention anglo-américaine en Irak, liée aux intérêts des pétromonarchies.

Le peuple malien n'a pas cessé de payer le prix de cette folle idée d'imposer par la force le modèle américain qui a nourri le choc des civilisations cher à Georges Bush...

Cette guerre, menée au nom de la lutte contre le terrorisme, a fait naître un nouveau foyer de terrorisme international. Pour y remédier, la solution sera politique ou ne sera pas.

La réponse au défi lancé par Daesh est politique avant d'être militaire. La coalition doit peser sur les pays du Golfe et sur la Turquie pour priver Daesh de ses ressources. La vente du pétrole lui rapporte pas moins de 3 millions de dollars par jour et 1 milliard de subventions lui seront versées chaque année par des milliardaires des pays du Golfe...

Notre diplomatie doit rompre avec la tolérance actuelle vis-à-vis des régimes autocratiques, dictationnaire dans le développement du terrorisme.

Le drame qui a frappé la France doit susciter des réponses innovantes. Redonnons sa puissance à l'ONU. Menons la guerre à l'ignorance, au fanatisme et à l'obscurantisme. Les seules armes sont l'éducation, la culture, la négociation. La paix est l'immense chantier. La France doit y consacrer toutes ses forces. Le groupe CRC estime que la stratégie américaine est sans issue : il s'abstiendra donc. (Applaudissements sur les bancs du CRC)

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères .  - Les Français ont tragiquement mesuré que nous sommes en guerre contre le terrorisme. Devons-nous poursuivre cette guerre ? À cette question, les Français ont répondu dimanche en envoyant un message pour la liberté. Le peuple de France a montré en grandeur, soyons à sa hauteur.

Toute guerre est haïssable, bien sûr, mais la sécurité est un bien précieux. Sur le plan intérieur, nous devons tirer les leçons du drame, sans esprit partisan : les moyens du renseignement interne doivent être renforcés ; la délégation parlementaire au renseignement s'est prononcée sur ce point. Nous avons un sujet Réseaux sociaux, un sujet Efficacité du suivi des télécommunications, des passagers aériens, un sujet Code Schengen, qu'il faut adapter à la menace. Il faut expertiser ces sujets graves dans le calme. Entre sécurité et liberté, avons-nous placé le curseur au bon endroit ? Nos commissions d'enquête participeront au débat, nous devons faire vivre l'unité nationale en soutenant des initiatives législatives.

L'intervention militaire de la France contre le terrorisme en Irak est légitime et doit être poursuivie. On ne peut pas ne rien faire contre l'armée de la terreur, le califat de la barbarie, pour reprendre vos propres termes, monsieur le ministre. La stabilité régionale est menacée, le Liban, la Jordanie, l'Israël sont en danger. La défense de l'avant et la sécurité de l'arrière -notre territoire national- sont plus que jamais liés.

Le tout aérien s'explique surtout par le traumatisme de l'expérience de 2003... Il faudra une bataille de Mossoul, d'Alep, mais qui conduire la coopération au sol ?

Ancien Premier ministre de Jacques Chirac, je ne regrette en rien sa décision sur l'Irak. L'action sans condition pose la question de notre autonomie stratégique. N'oublions pas que nous dépendons du renseignement américain...

Le dialogue sunnite-chiite est-il possible sans l'Iran ? Le risque est réel de conforter Bachar el-Assad en Syrie... Faut-il nous résigner à reporter sa chute ? Ce nouveau « ni-ni » gouvernemental, ni Daesh ni Bachar, c'est la réponse de circonstances, mais il faut réfléchir aux étapes suivantes.

On voit bien les périls de l'exercice, monsieur le ministre, la difficulté à faire coopérer les soixante pays de la coalition. Il faudra bien trouver une solution politique. Nous partons sur une stratégie de moyen terme.

La France déploie 8 500 militaires dans une vingtaine d'Opex. C'est un effort considérable. Dix-huit de nos soldats y ont laissé la vie ces deux dernières années ; je leur rends à mon tour un hommage appuyé. Le surcoût des Opex a dépassé le milliard d'euros en 2014, pour la deuxième année consécutive. Parallèlement, nous connaissons la fragilité de la trajectoire financière de nos armées, ce qui a conduit le Sénat à rejeter les crédits de la mission Défense. Plus d'opérations, moins de dépenses, quel paradoxe ! Bercy n'est pas innocent de la guerre ; la sécurité doit être exemptée des restrictions budgétaires. (Applaudissements à droite et au centre ; Mme Bariza Khiari applaudit aussi)

Notre effort est-il soutenable ? Nous aurons une revue annuelle sur l'ensemble des Opex ; ce sera l'occasion d'interroger le Gouvernement, sur le problème libyen notamment. Le problème est devant nous ; il appelle une solution politique comme militaire. Quelles alliances, quels partenaires ? L'autorisation de prolongation en Irak que nous allons voter s'inscrit dans un contexte lourd. Nos armées peuvent compter sur notre soutien mais nous serons vigilants, avec pour obsession d'être à la hauteur de la grandeur que le peuple nous impose. (Applaudissements)

M. Laurent Fabius, ministre .  - Merci à M. Hue pour son soutien. On ne peut séparer nos ambitions légitimes en matière de lutte contre le terrorisme des moyens financiers pour le faire. C'est un des points que je retiens de ce débat, et je transmettrai votre message.

L'intervenant qui s'exprimait au nom du Front national a développé une pensée que nous connaissons : j'ai cru comprendre qu'il soutenait Bachar el-Assad - c'est l'une des grandes différences entre nous. L'accueil réservé par le Sénat à son discours est la meilleure réponse que l'on pouvait lui faire...

Notre indépendance ? Nous faisons partie d'une coalition, madame Demessine. Ce serait une erreur de céder à un réflexe anti-américain. Nous nous déterminons en fonction des intérêts de la France et du monde. En 2003, avec le soutien de l'opposition d'alors, le président Chirac avait refusé d'engager la France dans l'aventure irakienne. Mais ne pas prendre notre part au combat contre Daesh -sans que cela implique d'être le laquais ou le suiveur de qui que ce soit- aurait été une faute.

M. Retailleau a rendu hommage à nos soldats et à nos diplomates, qui servent notre pays d'une façon extraordinaire. Il a insisté sur la légitimité de notre intervention et posé la question des modalités. Je fais mien son propos sur le fait que nous sommes européens et que nous avons parfois le sentiment que d'autres n'ont font pas autant que la France... La France assume une mission au sein de l'Europe ; il est légitime que le coût financier soit partagé. On nous dit que nous sommes la capitale des libertés, très bien, mais en face, il faut des moyens. Vous avez évoqué, enfin, la situation humanitaire, qui est en effet gravissime, de l'avis même du HCR.

M. Reiner a fait une analyse très fouillée. J'en retiens l'idée que nous défendons, face à l'horreur de Daesh, nos intérêts nationaux.

Nous n'avons pas une vision éthérée ni naïve de l'humanité. La France ne prétend pas faire prévaloir la laïcité, la justice et la fraternité partout dans le monde. Notre priorité, c'est la sécurité des Français. Or, elle se joue en Irak, en Centrafrique, au Sahel. Ce serait folie que de penser que les terroristes s'arrêteront aux frontières : tous ceux qui ne se soumettent pas à eux doivent, selon eux, être tués ! Ne croyons donc pas que nous serions en sécurité si nous restions calfeutrés chez nous. (Applaudissements)

M. Robert del Picchia.  - C'est vrai !

M. Laurent Fabius, ministre.  - Merci à Mme Aïchi de son intervention nuancée. Il n'a pas été facile au groupe écologiste, si j'ai bien compris, de se décider à voter la prolongation de notre intervention. Je l'en remercie. J'ai cependant une autre analyse, madame Aïchi, de ce qui s'est passé en Syrie lorsqu'il a été question d'intervenir dans ce pays après que M. Bachar el-Assad eut employé contre son peuple des armes chimiques : progression dans l'horreur à laquelle la communauté internationale avait promis de réagir. Le Royaume-Uni puis les États-Unis ont finalement renoncé à intervenir. Bachar el-Assad n'a-t-il pas eu alors le sentiment qu'il pouvait agir en toute impunité ? Aux États-Unis, certains soutiens du président Obama partagent cette analyse.

Plusieurs d'entre vous ont dit que le moment était venu de se fixer des priorités et, face au mal absolu qu'est Daesh, de renouer le dialogue avec les régimes syrien et iranien. Nous sommes réalistes. Si l'on devait ne parler qu'avec de parfaits démocrates, ce serait vite le silence ! Nous avons des liens étroits avec les Russes, par exemple, et c'est la France qui oeuvre le plus à une désescalade en Ukraine. J'étais encore à Berlin lundi soir, à y travailler tard dans la nuit. Nous parlons aussi avec Téhéran et je recevrai vendredi mon homologue iranien. Mais les moyens ne doivent pas contredire la fin. Nous restons donc très vigilants face à Bachar el-Assad.

Si l'alternative est entre son régime et Daesh, alors on peut dire qu'ils sont de fait les meilleurs partenaires. Un mouvement s'esquisse en Russie, peut-être en Iran... La solution ne peut être du côté du régime de Bachar el-Assad. Il faut trouver une autre voie pour rétablir l'unité de la Syrie et le respect entre communautés. Avec des éléments de ce régime, peut-être, des soldats alaouites bien sûr, et des représentants des minorités. Mais qui paie les outils du combat en Syrie ? C'est d'abord l'Iran.

Mme Demessine a appelé à casser le terrorisme en s'attaquant au trafic d'armes et à ses autres sources de financement. Oui, Daesh tire une part de ses ressources de la vente de puits de pétrole... à Bachar ! À la Turquie aussi. Il faut mettre les pays voisins au pied du mur.

J'ai beaucoup apprécié l'analyse du président Raffarin, qui a défini notre tâche -veiller à la sécurité extérieure et intérieure- et dressé la liste des problèmes à traiter : contre le djihad et le terrorisme, en France et à l'étranger, nous devons nous doter de tous les moyens nécessaires, y compris financiers.

Merci de la dignité de ce débat. Après les événements de la semaine dernière, les responsables politiques doivent être à la hauteur des attentes de notre peuple. Ce soir, l'Assemblée nationale a été unanime pour approuver la poursuite de notre intervention en Irak. J'ai cru comprendre qu'il en irait de même ici, signe que le Sénat est décidément à la hauteur de ce qu'attend de vous le peuple français. (Applaudissements)

La demande d'autorisation de prolongation de l'intervention des forces armées en Irak est mise aux voix par scrutin public de droit.

M. le président.  - Voici le résultat du scrutin n° :

Nombre de votants 346
Nombre de suffrages exprimés 327
Pour l'adoption 327
Contre 0

Le Sénat a approuvé.

(Applaudissements sur les mêmes bancs)

M. le président.  - L'Assemblée nationale ayant également approuvé cette demande, je constate que le Parlement autorise la prolongation de l'intervention des forces armées en Irak.

Délégation (Nomination)

M. le président.  - Je rappelle au Sénat que le groupe UMP a présenté une candidature pour la délégation sénatoriale aux entreprises. Le délai prévu par l'article 8 du Règlement est expiré. La présidence n'a reçu aucune opposition. En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame Mme Patricia Morhet-Richaud membre de la délégation sénatoriale aux entreprises, en remplacement de M. Jean-Yves Dusserre, décédé.

Commissions (Nominations)

M. le président.  - Je rappelle au Sénat que le groupe UMP a présenté une candidature pour la commission des affaires sociales ; le groupe CRC a présenté une candidature pour la commission de la culture, de l'éducation et de la communication ; le groupe socialiste et apparentés a présenté une candidature pour la commission des affaires européennes. Le délai prévu par l'article 8 du Règlement est expiré. La présidence n'a reçu aucune opposition.

En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame Mme Patricia Morhet-Richaud membre de la commission des affaires sociales, en remplacement de M. Jean-Yves Dusserre, décédé ; M. Patrick Abate, membre de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, en remplacement de M. Jean-Marc Todeschini, dont le mandat de sénateur a cessé ; Mme Gisèle Jourda membre de la commission des affaires européennes, en remplacement de M. Jean-Marc Todeschini, dont le mandat de sénateur a cessé.

Renvoi pour avis

M. le président.  - J'informe le Sénat que le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, dont la commission des affaires économiques est saisie au fond, est envoyé pour avis, à leur demande, à la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, à la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire et à la commission des finances.

La séance est suspendue à 20 h 40.

présidence de M. Jean-Pierre CAFFET, vice-président

La séance reprend à 22 h 45.

Sénateur en mission

M. le président.  - Par courrier en date du 30 décembre 2014, M. le Premier ministre a fait part de sa décision de placer, en application de l'article L.O. 297 du code électoral, M. Michel Bouvard, sénateur de la Savoie, en mission temporaire auprès de M. Alain Vidalies, secrétaire d'État chargé des transports, de la mer et de la pêche, et de M. Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du budget. Cette mission portera sur le plan de financement du projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin.

Inscription à l'ordre du jour d'une proposition de résolution

M. le président.  - Par lettre en date du 19 décembre 2014, Mme Éliane Assassi, présidente du groupe CRC, a demandé l'inscription à l'ordre du jour de la proposition de résolution européenne sur le règlement des différends entre investisseurs et États dans les projets d'accords commerciaux entre l'Union européenne, le Canada et les États-Unis.

Je vous propose, en conséquence, de retenir le principe de l'inscription de cette proposition de résolution à l'ordre du jour du Sénat.

Il en est ainsi décidé.

Commissions mixtes paritaires (Demande de constitution)

M. le président.  - M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi autorisant l'approbation de la convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la Principauté d'Andorre en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu. Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues à l'article 12 du Règlement.

M. le Président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culture.

Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les mêmes modalités.

Demande d'avis sur des nominations

M. le président.  - Par lettre en date du 23 décembre 2014, M. le Premier ministre a demandé au Sénat de lui faire connaître l'avis de la commission compétente sur le projet de nomination de M. Sébastien Soriano aux fonctions de président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes.

Par lettre en date du 6 janvier 2015, M. le Premier ministre a aussi demandé au Sénat de lui faire connaître l'avis de la commission compétente du Sénat sur le projet de nomination de M. Daniel Verwaerde aux fonctions d'administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique.

Ces deux demandes d'avis ont été transmises à la commission des affaires économiques.

Organismes extraparlementaires (Candidatures)

M. le président.  - M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de deux sénateurs appelés à siéger au sein de la Commission supérieure des sites perspectives et paysages. Conformément à l'article 9 du Règlement, les commissions de la culture et du développement durable ont été invitées à présenter des candidats pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.

M. le Premier ministre a également demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d'un sénateur appelé à siéger comme membre suppléant au sein du conseil d'administration de l'Institut national de l'audiovisuel. La commission de la culture a été invitée à présenter une candidature.

La nomination au sein de ces organismes extraparlementaires aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues à l'article 9 du Règlement.

Dépôt de documents

M. le président.  - M. le Président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur la mise en oeuvre technique et opérationnelle de la portabilité du numéro de compte bancaire, ainsi que le rapport sur la mise en application de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation.

M. le président du Sénat a, en outre, reçu la convention financière entre l'État et l'Agence nationale pour la rénovation urbaine relative au programme d'investissements d'avenir et l'avenant n°2 à la convention entre l'État et l'Agence nationale de l'habitat relative au programme d'investissements d'avenir, action « Rénovation thermique des logements privés ».

Acte est donné du dépôt de ces documents qui ont été transmis aux commissions des finances et des affaires économiques.

Nouvelle organisation territoriale de la République (Procédure accélérée - Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la suite de l'examen du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (procédure accélérée).

Discussion des articles

M. Philippe Bas, président de la commission des lois .  - Il s'est écoulé un délai tellement long entre la discussion générale et la discussion des articles que nous ne pouvons pas faire comme si nous nous étions séparés hier soir !

M. Jean-Claude Requier.  - Absolument !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois.  - Nous avions souligné que nous attendions du Gouvernement de véritables mesures de décentralisation en faveur des régions afin de leur donner un rôle stratégique en matière d'emploi et de formation professionnelle. Nous attendons également des précisions sur les compétences des départements qui exercent, à un niveau de mutualisation tout à fait satisfaisant, des compétences en matière de collèges, de transports scolaires, de routes, de ports et de tourisme.

Enfin, nous attendions des engagements en matière d'intercommunalités : un seuil de population quatre fois plus important que celui fixé en 2010 ne nous paraît pas acceptable.

Nous avions eu la surprise, le jour de la discussion générale, de découvrir une salve d'amendements du Gouvernement visant purement et simplement à rétablir le texte adopté en Conseil des ministres en juin 2014 -et ce malgré les évolutions intervenues depuis, à l'écoute des associations d'élus notamment et à la suite du débat organisé en octobre au Sénat.

Aujourd'hui même, nous avons reçu 19 nouveaux amendements ! Et on nous en annonce d'autres pour demain...

Je me dois de rendre compte au Sénat des travaux que nous avons menés avec le Gouvernement, autour du président du Sénat. Sur certains points, des éclaircissements ont été apportés. Ils restent toutefois trop peu nombreux pour espérer aboutir à un texte consensuel. Si vous avez entendu nos arguments sur la politique de l'emploi, une solution reste à trouver sur la carte de l'enseignement professionnel. En matière de compétences départementales, il reste beaucoup à faire pour rapprocher nos positions, sur les transports scolaires, les ports ou le tourisme, même si le Gouvernement a entendu nos arguments sur les collèges. Sur les intercommunalités, vous maintenez le principe d'un seuil chiffré, en desserrant légèrement le calendrier. Là encore, il faut progresser. C'est dire que nous avons beaucoup de travail devant nous. L'effort accompli par le Gouvernement depuis la discussion générale est pour l'heure insuffisant. (Applaudissements sur les bancs UMP, UDI-UC ; M. Jacques Mézard applaudit aussi)

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique .  - Je ne vais pas répondre au président Bas point par point -nous en débattrons lors de l'examen des amendements. Un amendement du Gouvernement sur Paris prend du retard, c'est vrai : les discussions avec les élus se poursuivent. Cette proposition d'amendement a circulé à la demande d'un certain nombre d'entre vous. Le Gouvernement fera peut-être évoluer sa position. Nous ne voulons pas clore le débat avant même de l'entamer.

Nous sommes dans un contexte particulier. Présenter ce soir un texte portant sur la nouvelle organisation du territoire de la République, la dite loi NOTRe, a du sens. C'est heureux car dans un contexte de deuil et de tristesse, nous devons assumer ensemble nos responsabilités. Pour faire vivre nos valeurs, les membres du Gouvernement doivent les incarner, les porter.

Nous veillons à l'égalité. Un enfant de France ne dispose pas des mêmes opportunités selon l'endroit où il naît. Pour lutter contre cette prédestination de la naissance, évoquée par Edgar Morin, il faut parler d'éducation, d'emploi, de services publics. Faire correspondre les espaces administratifs à la vie des citoyens, faire prévaloir la coopération entre les territoires sur la compétition, voilà notre objectif. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

ARTICLES ADDITIONNELS AVANT L'ARTICLE PREMIER

M. le président.  - Amendement n°652, présenté par M. Collomb.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Les dispositions de la présente loi relative aux départements, aux établissements publics de coopération intercommunale et aux communes pour l'exercice des compétences mentionnées aux articles L. 3641-1 à L. 3641-9 et L. 5217-2 du code général des collectivités territoriales, sont applicables à la métropole de Lyon et aux métropoles, sous réserve de l'existence de dispositions contraires ou spécifiques, notamment introduites par la loi n°2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles.

M. Gérard Collomb.  - Ce soir et dans les jours qui viennent, nous devrons être à la hauteur des enjeux. Lors de la discussion de la loi sur les métropoles, nous avions trouvé des positions largement convergentes. Jean-Claude Gaudin, Louis Nègre et moi-même étions intervenus de manière conjointe pour plaider pour les grandes métropoles.

Je suis de ceux qui pensent qu'il n'y a pas d'opposition entre métropoles et régions : nous devons simplement trouver la bonne articulation. Les régions ne pourront être autant dans la proximité que les présidents des grandes agglomérations, avoir les mêmes relations avec leurs universitaires, leur tissu économique.

Il n'y a pas d'opposition fondamentale entre l'urbain et le rural. Les régions doivent être solidaires de leurs territoires. Il ne peut y avoir contradiction entre ce que nous décidons ce soir et ce que nous avons voté l'an dernier dans la loi Maptam. D'où cet amendement. Nous pourrons trouver un accord avec la commission, je pense.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois.  - Je regrette l'absence de mon co-rapporteur, pour des raisons de santé. Nous avons travaillé de concert, pour le bien des collectivités. J'espère qu'il nous rejoindra bientôt.

Monsieur le sénateur du Rhône -je ne connais pas d'autre titre et personne, ici, ne défend autre chose que l'intérêt général ! (sourires)-, vous souhaitez que l'on préserve les compétences de la métropole de Lyon. Aucune disposition du présent projet de loi ne remet en cause celles de la loi Maptam. Les rapporteurs ont déposé des amendements de précisions. L'article 3641-6 du code général des collectivités territoriales prévoit déjà des dispositions similaires du présent amendement : vous aurez satisfaction dans le reste du débat. Retrait ? Ce serait plus simple...

M. Gérard Collomb.  - Je retire mon amendement, au profit de l'amendement n°1 021 de la commission.

L'amendement n°652 est retiré.

M. le président.  - Amendement n°674, présenté par MM. Cazeau, Rome et Tourenne, Mme Perol-Dumont, MM. Madrelle et Daudigny, Mmes Bataille et Claireaux et MM. Cornano, Miquel, Cabanel et Courteau.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'organisation décentralisée de la République satisfait aux principes suivants :

Respect de la diversité des territoires ;

Recherche d'un égal accès des citoyens aux services publics, y compris dans les territoires les plus enclavés ;

Définition des missions et moyens affectés à chaque catégorie de collectivité locale.

Dans le respect des grandes orientations nationales, la région a la responsabilité de définir les grands choix stratégiques de développement de son territoire. En premier lieu, elle participe à l'amélioration de la compétitivité des entreprises au plan international en organisant le soutien à l'innovation, à la recherche et au développement économique.

Le département a la responsabilité de la coordination des compétences de proximité. A ce titre, le conseil départemental mobilise l'ensemble de ses moyens pour assurer la cohésion sociale de son territoire et exprimer les besoins spécifiques de la ruralité. Interlocuteur privilégié des communes et des intercommunalités, il déploie l'ingénierie et apporte les soutiens financiers nécessaires à la réalisation de leurs projets d'aménagement. 

Dans le respect de leurs compétences, les établissements publics de coopération intercommunale s'organisent pour assurer la gestion des politiques et la conduite des projets pour lesquels l'échelle communale s'avère inappropriée.

La commune est la collectivité territoriale de base de l'organisation décentralisée de la République. Porteur de la légitimité démocratique que lui a conférée l'élection municipale et détenteur du pouvoir de police administrative générale exercée au nom de l'État, le maire a la responsabilité d'oeuvrer à la sécurité et au bien-être de la population communale. Le pouvoir de police administrative générale du maire ne peut être délégué ou transféré au président de l'intercommunalité dont la commune est membre.

M. Bernard Cazeau.  - En juin 2014, l'exposé des motifs du projet de loi NOTRe évoquait un débat sur la suppression des conseils généraux. Certes, cela n'est plus d'actualité. Le 28 octobre, le Premier ministre a déclaré son attachement aux départements. Je souhaite que les choses soient clairement dites, voire répétées. D'où cet amendement, non normatif.

M. le président.  - Amendement n°813, présenté par M. Favier et les membres du groupe CRC.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans le respect des compétences attribuées par la loi aux différentes catégories de  collectivités territoriales et à leurs groupements, par application du principe de subsidiarité :

1° Les communes constituent la cellule de base de l'organisation territoriale de la République décentralisée et l'échelon de proximité de vie démocratique. Les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre sont un outil de coopération et de développement au service des communes ;

2° Les départements sont garants du développement territorial, de la solidarité et de la cohésion sociale sur leur territoire ;

3° Les régions contribuent au développement économique et à l'aménagement stratégique de leur territoire.

M. Christian Favier.  - Mme la ministre a évoqué le contexte exceptionnel dans lequel nous abordons ce projet de loi. Les collectivités locales doivent voir leur rôle renforcé, réaffirmé. Il faut davantage de proximité, alors que les liens se distendent, au risque de nourrir des comportements que nous condamnons. Attention à ne pas éloigner les décisions. D'où cet amendement, qui n'est pas non plus normatif mais réaffirme le principe de la répartition des compétences dévolues à chaque niveau.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - L'amendement n°674 ne présente aucune portée normative mais ressemble à un exposé des motifs. Retrait, sinon défavorable. L'amendement n°813 reprend les dispositions de l'article premier A du projet de loi de délimitation des régions. Nous allons en traduire les orientations dans le présent texte. Défavorable à cet amendement qui n'a, lui non plus, aucune portée normative.

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - En effet, ces amendements n'ont rien de normatif. Le présent projet de loi a vocation à traduire concrètement les principes qui viennent d'être évoqués. L'hyper richesse et l'hyper pauvreté posent problèmes, c'est vrai. Je comprends que vous ayez souhaité réaffirmer ces principes en début de débat. Néanmoins, retrait.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Ce qui va sans dire va encore mieux en le disant, surtout par les temps qui courent. En effet, madame la ministre, ce que vit la France en ce moment est très important -sauf que cette loi détricote notre organisation territoriale, elle détricote ce qui fait le lien interne entre nous. « C'est dans la commune qu'est la force des peuples libres », disait Tocqueville !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois.  - Très bonne référence !

M. Pierre-Yves Collombat.  - Vouloir noyer les communes dans de grandes intercommunalités, c'est aller à l'encontre de cette idée. Autre collectivité de proximité, le département.

Mme Jacqueline Gourault.  - Ce n'est pas le sujet...

M. Pierre-Yves Collombat.  - Mais si ! Se préoccuper du sentiment d'appartenance, des relations de citoyenneté suppose de sortir de la seule logique de la compétitivité ! Attention à ne pas faire le contraire de ce que l'on prône...

M. Ronan Dantec.  - Après cette semaine terrible qui nous a plongés dans l'effroi, prenons le temps pour voir en quoi ce projet de loi répond aux enjeux actuels. Les inégalités territoriales sont fortes même si elles n'excusent en rien la barbarie. Nous soutenons le renforcement de la région car il faut dépasser la compétition entre territoires, qui nuit à la cohésion nationale. Plus que de coopération, je parlerai de solidarité entre territoires. Cela vaut pour les territoires ruraux, pour les territoires urbains périphériques. Comment, à travers cette loi, raccommoder, recréer une histoire commune ? La péréquation, la solidarité financière entre territoires riches et pauvres doivent sortir renforcées de la loi.

Renforcer la démocratie locale, de proximité ? Cessons d'opposer démocratie communale et démocratie d'agglomération. Le débat n'a pas le même sens dans la ville centre que dans une petite commune périphérique qui se sent exclue des grandes décisions. Il faut sortir du débat en ayant renforcé l'égalité démocratique entre les citoyens.

L'amendement n°674 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°813.

M. le Président Amendement n°810, présenté par M. Favier et les membres du groupe CRC.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La compétence dite générale est un principe fondateur de la décentralisation et de la libre administration des collectivités territoriales, dans le respect des responsabilités accordées par la loi à chacune des collectivités et permet l'application de la règle de subsidiarité.

Mme Cécile Cukierman.  - Nous présentons une série d'amendements qui visent à rappeler les grands enjeux de la réforme territoriale engagée depuis cinq ans. En 2010, une majorité de droite avait supprimé cette compétence générale ; la gauche l'avait rétablie il y a un an. Cette règle non écrite découle des principes constitutionnels et garantit la subsidiarité. Je vous renvoie à l'article 72, alinéa 2, de la Constitution. Je m'étonne donc que le rapport de la commission des lois fasse si peu de cas de ce sujet et des propos du Gouvernement lors de la loi Maptam.

C'est le retour à une certaine forme de dirigisme, d'encadrement des élus locaux, coupables, dit-on, de faire n'importe quoi et de jeter l'argent public par les fenêtres... La compétence générale est source de progrès, d'innovation sociale et territoriale.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - L'article 72 de la Constitution -il faut le citer exactement- dit que les collectivités s'administrent librement « dans les conditions prévues par la loi ».

La compétence générale est un mythe ! Il y a bien un principe de subsidiarité. Certaines collectivités sont plus adaptées que d'autres pour exercer certaines compétences ; certaines sont optionnelles, ou facultatives. Je ne dois pas être bon juriste car je n'ai jamais compris ce qu'était la clause de compétence générale... (Dénégations) Nous l'avions supprimée sous vos hurlements avant qu'elle ne soit rétablie, sans que nous hurlions -si ça vous faisait plaisir... Je ne peux qu'être défavorable à l'amendement.

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale.  - Tous les élus de France demandent plus de clarté dans la répartition des compétences. La suppression de la clause de compétence générale s'accompagne de garanties. L'expression n'est d'ailleurs pas définie par le droit -ce n'est pas une notion juridique, mais politique. Avis défavorable.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - J'ai été élue en faisant campagne contre la suppression de la clause de compétence générale, sous Nicolas Sarkozy. L'organisation du chef-de-filat doit respecter la clause de compétence générale. Comment va-t-on traiter la politique du logement ? C'est en théorie une compétence d'État. Or, pas un logement n'est construit sans l'aide des collectivités locales.

M. Michel Bouvard.  - Tout à fait !

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Comment une seule intercommunalité peut-elle atteindre la masse critique pour financer des opérations aussi coûteuses ? La moitié des offices HLM sont départementaux. Solidarité territoriale, solidarité sociale, développement durable -on ne saura plus où on en est.

Où est la compétence logement dans la réforme territoriale ? (Applaudissements sur plusieurs bancs UMP et UDI-UC)

M. Pierre-Yves Collombat.  - Le système actuel est parfaitement clair : lorsque la loi n'attribue pas une compétence, toute collectivité peut intervenir dans l'intérêt communal, départemental ou régional. Pourquoi poser une question qui ne se pose pas ? Pour faire des économies ? L'objectif était de supprimer les financements croisés -fantasme managérial farfelu car un projet a un coût fixe, quel que soit le nombre de financeurs. Fantasme managérial aussi cette idée que les collectivités doivent se concentrer sur leur « coeur de métier »...

Madame la ministre, avez-vous emprunté le chemin de Damas, eu une illumination ? (Sourires) Pourquoi avoir changé d'avis de la sorte ?

Mme Sophie Joissains.  - Comme sur les métropoles ?

M. Pierre-Yves Collombat.  - On va au devant de difficultés extrêmes : les préfets vont devoir trancher sur tout ! Ne modifions pas ce qui fonctionne.

M. Bernard Cazeau.  - Monsieur le rapporteur, si vous ne savez pas ce qu'est la compétence générale, je peux vous dire que nombre de petites et moyennes communes, et même de communautés de communes, elles, le savent ! C'est ce qui a permis de financer leur développement tous azimuts, l'assainissement par exemple ! Des doublons, dites-vous ? (M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur, s'exclame) Pourtant, on a bien besoin d'investissements !

Je ne me permettrais pas de demander à Mme la ministre si elle a eu une illumination mais je voterai l'amendement.

M. Patrick Abate.  - Nous sommes nombreux à être attachés à ce principe, condition même des libertés locales. Comment prétendre engager une nouvelle étape de la décentralisation tout en restreignant le champ d'intervention des collectivités ?

Les financements croisés permettent la réalisation d'équipements et de services utiles à la population. Mieux vaudrait un chef-de-filat. L'efficacité passe en fait par une meilleure répartition des richesses.

Dans bien des domaines, le silence de la loi couvre un plus large champ que la loi elle-même. On ne peut tout faire entrer dans de petites cases, la loi ne peut tout prévoir. Au nom de la modernité et de l'innovation, votons l'amendement.

M. Michel Mercier.  - J'ai défendu ici la loi de 2010 qui supprimait la clause de compétence générale pour les départements et les régions mais la maintenait pour l'État et les communes. C'est précisément ce que fait ce projet de loi.

Ne confondons pas compétence et financement. Le projet de loi autorise explicitement les départements, en vertu de leur compétence de solidarité, à financer des équipements communaux.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Ou l'assainissement rural !

M. Michel Mercier.  - Il est normal que la commune, collectivité de proximité, conserve une compétence générale. Mais ne confondons pas tout.

On a beaucoup parlé de démocratie ces derniers jours. En démocratie, les élus doivent être jugés d'après ce qu'ils font. Encore faut-il savoir qui fait quoi ! Cette clarification est bienvenue. Je voterai contre les amendements qui s'y opposent.

M. Philippe Adnot.  - Au rythme où nous allons, je ne pourrai sans doute pas défendre ce soir mon amendement à l'article premier... Une anecdote : l'Aube souhaitait financer une zone d'activités, or le préfet refusait au département le droit de financer l'électrification au motif qu'il existait un syndicat, l'assainissement parce que c'était le rôle de la commune... Saucissonnage invraisemblable ! Sans la clause de compétence générale, l'opération n'aurait pu être menée. Une collectivité doit être en mesure de mener à bien ses projets. Je voterai l'amendement.

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Nous ne disons pas blanc puis noir. Nous avons mené un travail de fond et nous faisons confiance aux élus. Les compétences territoriales de l'action publique répondent au problème posé, par exemple sur le logement. Il faut enfin clarifier les responsabilités de chacun tout en encourageant les discussions, les délégations, en laissant des marges de manoeuvre.

Il y a un problème de financement des collectivités territoriales. Certaines ont des ressources trop faibles pour exercer leurs compétences. J'espère vous soumettre bientôt un projet de refonte de la DGF. Et je regrette que la majorité sénatoriale n'ait pas souhaité s'associer aux réflexions.

Enfin, le bloc communal conserve la compétence générale. On ne peut pas dire que la République s'appuie sur les communes et refuser de reconnaître cette compétence générale aux communes.

Ne croyez pas que des projets devront être abandonnés faute de compétence générale, par exemple dans le domaine du logement. La clause de solidarité territoriale est là pour aider les territoires en grande difficulté.

M. Éric Doligé.  - Ce n'est pas de notre faute si nous n'avons plus de ressources ! L'UMP, depuis 2010, défend la clarification des compétences de chaque niveau de collectivité. Reconnaissez que vous avez changé d'avis, madame la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Je l'ai fait.

M. Éric Doligé.  - L'UMP, elle, a une position constante. Les communistes aussi, d'ailleurs, même si c'est la position inverse. Une fois n'est pas coutume, nous soutiendrons le Gouvernement mais reconnaissez notre constance, cela nous fera plaisir !

L'amendement n°810 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°811, présenté par M. Favier et les membres du groupe CRC.

Avant l'article 1er

Inséré un article additionnel ainsi rédigé :

L'autonomie financière des collectivités territoriales est une garantie constitutionnelle pour leur assurer le bénéfice de ressources propres et ainsi leur permettre la mise en oeuvre réelle de leur libre administration.

De plus, la compensation intégrale des transferts de compétences de l'État, vers les collectivités territoriales, ou entre elles, doit être réellement assurée.

Par ailleurs toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales doit être accompagnée de ressources déterminées par la loi.

M. Christian Favier.  - La question des ressources prend une importance particulière à l'heure de la baisse des dotations. Or la Constitution prévoit la compensation de tout transfert de compétences. Le projet de loi passe cette question sous silence. On nous demande de légiférer à l'aveugle.

Cet amendement réaffirme les principes que doit respecter toute réforme des compétences des collectivités. Un rappel à la loi, si j'ose dire !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Nous allons avoir droit à tous les grands principes... Cet amendement non normatif ne fait que répéter la Constitution. Avis défavorable.

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Même avis.

L'amendement n°811 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°812, présenté par M. Favier et les membres du groupe CRC.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans les six mois qui suivent la promulgation de la présente loi, un rapport du Gouvernement est établi présentant l'ensemble des conséquences, financières et budgétaires pour les collectivités territoriales, des mesures adoptées.

M. Christian Favier.  - Ni l'étude d'impact ni le projet de loi n'aborde la question des conséquences financières de la nouvelle organisation territoriale. Elle est pourtant loin d'être secondaire.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Curieux de demander un rapport sur les conséquences de la loi... Comment serait-il rédigé ? En tout état de cause, il ne serait pas pertinent.

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Nous avons eu un exemple avec le transfert de compétences du département du Rhône à la métropole de Lyon : il a fallu un an de travail. Autant dire que ce que demande cet amendement serait irréalisable.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Bref, mieux vaut ignorer ce qu'on fait. C'est trop désespérant !

M. Alain Joyandet.  - Je voterai l'amendement. En ce qui concerne les conséquences financières, nous sommes dans le brouillard total. Ce n'est peut-être pas l'objet de cette discussion mais lorsque deux régions fusionnent alors qu'elles ont des niveaux de fiscalité très différente -je pense, par exemple, aux cartes grises-, que fera-t-on ? Qu'a-t-on fait dans les intercommunalités avec la TPU ? On a lissé sur plusieurs années. Or je ne vois rien de tel ici.

Un tel brouillard est inadmissible alors que les élections approchent. Qu'allons-nous dire à nos électeurs ? Je sais bien que c'est compliqué : on ne va pas hausser la fiscalité de 20 points ici, la baisser de 20 points là... (M. Michel Bouvard approuve)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois.  - La loi de 1971 sur la fusion de communes prévoyait le rapprochement des taux en plusieurs années.

Mme Jacqueline Gourault.  - Jusqu'à douze ans.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Rien n'est prévu pour les régions. La réforme a été si magique que l'on n'en découvre que maintenant un certain nombre de conséquences. La question des ressources et de la fiscalité locale n'est pas non plus traitée : il faudra attendre une loi de finances, nous dit-on...

M. André Vallini, secrétaire d'État.  - Cette année.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Cela dit, l'amendement de M. Favier ne résout pas votre problème.

L'amendement n°812 n'est pas adopté.

M. le président.  - Amendement n°814, présenté par MM. Vergès et Favier.

Avant l'article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'avant-dernier alinéa de l'article 1er de la loi n°2011-884 du 27 juillet 2011 relative aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique est ainsi rédigé :

« En Guadeloupe et à La Réunion, le congrès des élus départementaux et régionaux est composé des membres du conseil général et du conseil régional. »

M. Christian Favier.  - A la Réunion cohabitent sur le même territoire une région et un département. C'était le cas également pour la Guyane et la Martinique ; mais toutes deux ont opté pour un nouveau statut. Elles ont pu le faire parce qu'elles sont dotées d'un Congrès, structure qui réunit les conseillers régionaux et conseillers généraux. Et parce qu'elles ont eu le consentement des électeurs. La Réunion ne peut pas évoluer statutairement parce qu'elle ne peut réunir le Congrès, comme ont pu le faire la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane.

On objecte aux Réunionnais que toute évolution institutionnelle nécessiterait de supprimer la disposition Virapoullé. C'est une grave confusion car cette disposition ne vise qu'à exclure La Réunion de deux dispositions de l'article 73 de la Constitution : les possibilités d'adaptation des lois et règlements par les collectivités dans les matières où s'exercent leurs compétences et la possibilité pour ces collectivités de fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire, dans un nombre limité de matières. Cette disposition n'a donc rien à voir avec la question d'une évolution institutionnelle.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Tout cela n'a rien à voir avec le projet de loi. Deux collectivités sur un même territoire, on pourrait simplifier... Encore faut-il que les citoyens soient d'accord. Laissons la Constitution en l'état. (Applaudissements)

M. André Vallini, secrétaire d'État.  - A la Réunion, il n'y a pas d'unanimité sur cette question. Les élus départementaux et régionaux peuvent déjà se concerter de manière informelle. (Applaudissements)

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Une précision à M. Joyandet : l'article 37 du projet de loi sur la délimitation des régions prévoit bien que les taux d'imposition actuels continueront à s'appliquer jusqu'à une nouvelle délibération de la future région. Si vous souhaitez un lissage, nous pourrons voir cela en loi de finances.

M. Alain Joyandet.  - Si l'on aligne le tarif des cartes grises de Franche-Comté sur celui de Bourgogne, il en coûtera 18 millions d'euros aux Franc-Comtois ! Madame la ministre, nous délibérons tous les ans ! Il faut voter le taux des impôts avant le 31 mars. Je ne comprends pas votre réponse.

Mme Marylise Lebranchu, ministre.  - Nous vous ferons une réponse écrite.

L'amendement n°814 n'est pas adopté.

M. le président.  - Nous avons examiné sept amendements, c'est peu.

La séance est levée à minuit vingt-cinq.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

Ordre du jour du mercredi 14 janvier 2015

Séance publique

Présidence : Mme Isabelle Debré, vice-présidente

Mme Françoise Cartron, vice-présidente

Secrétaires :

M. Bruno Gille - M. Serge Larcher

À 14 heures 30 et le soir

- Suite du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (Procédure accélérée) (n°636, 2013-2014)

Rapport de MM. Jean-Jacques Hyest et René Vandierendonck, fait au nom de la commission des lois (n°174, 2014-2015)

Texte de la commission (n°175, 2014-2015)

Avis de M. Rémy Pointereau, fait au nom de la commission du développement durable (n°140, 2014-2015)

Avis de Mme Catherine Morin-Desailly, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (n°150, 2014-2015)

Avis de M. René-Paul Savary, fait au nom de la commission des affaires sociales (n°154, 2014-2015)

Avis de Mme Valérie Létard, fait au nom de la commission des affaires économiques (n°157, 2014-2015)

Avis de M. Charles Guené, fait au nom de la commission des finances (n°184, 2014-2015)

En outre, à 14 heures 30 :

- Désignation des trente-sept membres du groupe de travail préfigurant la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi pour la croissance et l'activité.

Analyse du scrutin public

Scrutin n° 81 sur l'autorisation de prolongation de l'intervention des forces armées en Irak.

Résultat du scrutin

Nombre de votants :346

Suffrages exprimés :327

Pour :327

Contre :0

Le Sénat a adopté.

Analyse par groupes politiques

Groupe UMP (143)

Pour : 142

N'a pas pris part au vote : 1 - M. Gérard Larcher, président du Sénat

Groupe socialiste (111)

Pour : 111

Groupe UDI-UC (42)

Pour : 42

Groupe CRC (19)

Abstentions : 19

Groupe RDSE (13)

Pour : 13

Groupe écologiste (10)

Pour : 10

Sénateurs non-inscrits (9)

Pour : 9