EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Présenté en Conseil des ministres le mercredi 15 septembre 2004 et déposé au Sénat le même jour, le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale comportait initialement 66 articles répartis sous quatre titres :

- Titre I er : Mobilisation pour l'emploi ( articles 1 er à 38 ) ;

- Titre II : Dispositions en faveur du logement ( articles 39 à 53 ) ;

- Titre III : Promotion de l'égalité des chances ( articles 54 à 65 ) ;

- Titre IV : Dispositions transitoires ( article 66 ).

Dans le droit fil du plan de cohésion sociale présenté le 30 juin dernier, ce projet de loi a pour objet de traiter ensemble les grands problèmes qui mettent en péril la cohésion de notre pays, à rebours de l'approche cloisonnée et morcelée qui a longtemps prévalu. Aussi repose-t-il sur trois piliers fondamentaux : l'emploi et l'activité, le logement, l'égalité des chances.

Selon les termes mêmes de l'exposé des motifs, le titre I er s'ordonne autour de quatre axes majeurs : rénover le service public de l'emploi, dynamiser l'insertion professionnelle des jeunes et en particulier l'apprentissage, favoriser la création d'entreprises, créer un million de contrats d'activité destinés aux allocataires de minima sociaux.

Par une lettre rectificative du 20 octobre 2004, le Gouvernement a décidé de modifier l'intitulé du chapitre IV de ce titre et de le compléter par huit nouveaux articles 37-1 à 37-8, relatifs aux restructurations des entreprises et aux licenciements économiques.

Le titre II est consacré au développement du logement social. Ses dispositions ont pour objet de relancer la production de logements locatifs sociaux et d'hébergements d'urgence, d'une part, de détendre le marché privé, d'autre part.

Le titre III prévoit différentes réformes destinées à rétablir l'égalité effective des chances en s'attaquant à la source aux inégalités. Outre des mesures en faveur de l'encadrement scolaire des élèves en difficulté et un renforcement de la péréquation à travers la réforme de la dotation de solidarité urbaine , ce titre consacre un chapitre à l' accueil et à l' intégration des étrangers .

Les moyens alloués au plan de cohésion sociale sont programmés par le projet de loi : 12,8 milliards d'euros au total sur les cinq années de la programmation (2005 à 2009).

Renvoyé, pour son examen au fond , à la commission des Affaires sociales , le projet de loi a fait l'objet d'une saisine pour avis de la commission des Finances et de la commission des Affaires économiques.

L' urgence a été déclarée . Lors de son audition par la commission des Affaires sociales, le 12 octobre 2004, M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, a indiqué qu'elle serait maintenue.

Votre commission des Lois a décidé de se saisir pour avis de dix articles ressortissant de son champ de compétence. Il s'agit :

- des articles 31, 53 et 59 , qui ont respectivement trait aux délégations de compétences entre collectivités territoriales, aux dispositifs de lutte contre l'habitat indigne et à la péréquation ;

- des articles 60 à 65 , relatifs à l'accueil et à l'intégration des personnes issues de l'immigration, et de l' article 66 , prévoyant des mesures transitoires, qui concernent directement les règles d'entrée et de séjour des étrangers.

I. LES DISPOSITIONS INTÉRESSANT LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES QUI RELÈVENT DU CHAMP DE COMPÉTENCE DE LA COMMISSION DES LOIS

Trois articles du projet de loi intéressant les collectivités territoriales ressortissent du champ de compétence de la commission des Lois. Ils ont respectivement pour objet : de garantir l'examen des demandes de délégation de compétences adressées par les communes aux départements et aux régions ( article 31 ), d'habiliter le Gouvernement à réformer par ordonnances les dispositifs de lutte contre l'habitat indigne ( article 53 ), de réformer la dotation de solidarité urbaine afin de renforcer la péréquation ( article 59 ).

A. GARANTIR L'EXAMEN DES DEMANDES DE DÉLÉGATION DE COMPÉTENCES ADRESSÉES PAR LES COMMUNES AUX DÉPARTEMENTS ET AUX RÉGIONS

L'article 151 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales a ouvert aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre , sous réserve que leurs statuts les y autorisent, la possibilité de demander aux départements et aux régions de leur déléguer l'exercice de n'importe laquelle de leurs compétences.

Les conseils généraux et régionaux sont bien évidemment libres de refuser de faire droit à une telle demande. En revanche, ils sont tenus de se prononcer, par une délibération motivée, dans un délai de six mois à compter de sa transmission.

S'agissant des communes , l'article 145 de la loi du 13 août 2004, inséré par le Sénat à l'initiative de notre ancien collègue M. Daniel Hoeffel, dispose simplement que les régions et les départements peuvent, par convention, leur déléguer tout ou partie de leurs compétences.

L' article 31 du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale a pour objet, en étendant aux communes le bénéfice des dispositions relatives aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, de les assurer que leur demande de délégation sera examinée, en imposant au conseil général ou régional concerné de se prononcer par délibération motivée dans un délai de six mois .

Présentée comme une mesure de simple coordination, il introduit une innovation importante à laquelle votre commission souscrit, sous réserve d'un amendement formel , dans la mesure où elle permettra de donner une véritable portée au principe de subsidiarité inscrit à l'article 72 de la Constitution par la révision du 28 mars 2003.

B. HABILITER LE GOUVERNEMENT À RÉFORMER PAR ORDONNANCES LES DISPOSITIFS DE LUTTE CONTRE L'HABITAT INDIGNE

L' article 53 du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale a pour objet, en application de l'article 38 de la Constitution, d' habiliter le Gouvernement à réformer par voie d'ordonnances les dispositifs de lutte contre l'habitat indigne .

Les règles applicables en ces matières sont, il est vrai, complexes et changeantes .Elles ont été clarifiées par la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, qui a harmonisé les différents régimes de police administrative et amélioré les droits des occupants d'immeubles insalubres ou menaçant ruines.

Depuis, la loi du 1 er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine a donné aux maires le pouvoir de prescrire la remise en état ou le remplacement d'équipements communs d'immeubles collectifs à usage principal d'habitation. La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales a institué une expérimentation consistant à permettre aux communes de se voir confier la responsabilité de la politique de résorption de l'insalubrité dans l'habitat et de lutte contre le saturnisme. Enfin, la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique a renforcé les moyens de lutte contre le saturnisme.

Les procédures s'avèrent aujourd'hui trop lourdes pour être efficaces, les responsabilités respectives de l'Etat et des collectivités territoriales mal définies et les droits des occupants insuffisamment garantis.

Une première ordonnance aurait pour objet de simplifier et d'harmoniser les divers régimes de police administrative, de faciliter la réalisation des travaux ainsi que l' hébergement et le relogement des occupants , de préciser les responsabilités respectives de l'Etat et des collectivités territoriales , de mieux préserver les droits des occupants et propriétaires de bonne foi , d'aménager et de compléter le régime des sanctions pénales .

Elle devrait être publiée dans un délai de douze mois suivant la publication de la loi, le projet de loi de ratification devant être déposé sur le bureau de l'une des deux assemblées trois mois plus tard .

Une seconde ordonnance aurait pour objet créer un dispositif de séquestre immobilier spécial afin de permettre à la collectivité publique ayant assuré des travaux d'office ou supporté des dépenses d'hébergement ou de relogement des occupants incombant au propriétaire de récupérer tout ou partie de sa créance.

Elle devrait être publiée dans un délai de seize mois suivant la publication de la loi, le projet de loi de ratification devant être déposé sur le bureau de l'une des deux assemblées trois mois plus tard .

Votre commission constate que cette nouvelle demande d'habilitation présentée par le Gouvernement est conforme aux dispositions de l'article 38 de la Constitution. Elle y souscrit en raison de la complexité et de l'enchevêtrement des règles applicables.

C. RÉFORMER LA DOTATION DE SOLIDARITÉ URBAINE AFIN DE RENFORCER LA PÉRÉQUATION

Le renforcement de la péréquation constitue le corollaire de l'affirmation de l'autonomie financière des collectivités territoriales. L'inégale répartition des bases des impôts locaux rend nécessaire l'institution de mécanismes de redistribution au bénéfice des collectivités les moins bien dotées afin de leur permettre d'exercer pleinement leurs compétences.

L' article 72-2 de la Constitution , inséré par la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République, confie ainsi à la loi le soin de prévoir « des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales . »

De tels dispositifs existent depuis longtemps. Les montants qui y sont consacrés, s'ils ont progressé, restent insuffisants et les aides demeurent trop peu sélectives.

Effort financier de l'Etat en faveur de la péréquation en 2004

En millions d'euros

Dotation de solidarité urbaine

635,0

Dotation de solidarité rurale

420,5

Dotation nationale de péréquation

568,6

Dotation de fonctionnement minimale totale

173,7

Dotation de péréquation des départements

691,9

DGF des groupements (hors dotation de compensation des EPCI)

1 939,9

Dotation de péréquation des régions

75,7

TOTAL

4 504,3

Un rapport publié en janvier 2002 par le Commissariat Général au Plan a mesuré, grâce à une étude économétrique, la réduction des écarts de richesse rendue possible par les dotations de l'Etat. Sur la période étudiée, soit 1994-1997, le rapport évalue ainsi à 30 % la réduction des écarts de richesse assurée grâce aux dotations. Il distingue celles qui présentent un pouvoir péréquateur « intensif » (Fonds national de péréquation, dotation de solidarité urbaine, dotation de solidarité rurale) de celles qui, à l'instar de la dotation forfaitaire, présentent un important pouvoir péréquateur en raison de leur masse mais voient ce pouvoir péréquateur s'amenuiser au fil du temps.

L'étude a été actualisée en 2004 pour la période 1998-2001, et son champ d'investigation étendu aux départements et aux régions. Il apparaît qu'« en 2001, la péréquation corrige(ait) 40 % des inégalités de pouvoir d'achat entre communes, 51 % entre départements et 54% entre régions. (...) Le taux de correction des inégalités progresse systématiquement dans le temps. De 1994 à 2001, la péréquation communale gagne 6 % en niveau, la péréquation départementale 8 % et la péréquation régionale 19 %. »

La loi de finances pour 2004 a rénové l'architecture des dotations de l'Etat aux collectivités territoriales . La dotation globale de fonctionnement se compose désormais, pour chaque niveau de collectivités territoriales, y compris les régions, d'une dotation forfaitaire et d'une dotation de péréquation. L'agrégation de diverses dotations a permis de multiplier par deux son montant, qui atteint près de 37 milliards d'euros, et, ainsi, de dégager des marges de manoeuvre supplémentaires en faveur de la péréquation.

Le projet de loi de finances pour 2005, s'inspirant des conclusions établies en juillet 2004 par un groupe de travail du Comité des finances locales, comporte des dispositions destinées à modifier les critères de répartition de ces dotations afin de mesurer objectivement les écarts de richesse et de mieux cibler l'effort de l'Etat consacré à la péréquation sur les collectivités les plus défavorisées.

Les débats que ces dispositions ne manqueront pas de susciter seront éclairés par les travaux de votre commission des Finances, de votre commission des Affaires économiques et de votre délégation à l'aménagement du territoire qui ont formulé, sur le rapport de notre collègue M. Claude Belot 1 ( * ) , des propositions tendant à renforcer la péréquation entre départements et entre régions en retenant un indice synthétique des charges pesant sur ces collectivités.

L' article 59 du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale a quant à lui pour objet de réformer la dotation de solidarité urbaine. Composante de la dotation globale de fonctionnement versée aux communes, elle est destinée à « contribuer à l'amélioration des conditions de vie dans les communes urbaines confrontées à une insuffisance de leurs ressources et supportant des charges élevées ».

La réforme proposée consiste :

- d'une part, à prévoir une majoration du montant de la dotation de solidarité urbaine de 120 millions d'euros par an pendant cinq ans , de 2005 à 2009, financée par un prélèvement sur le montant de la progression de la dotation globale de fonctionnement des communes et des établissements publics de coopération intercommunale ;

- d'autre part, à concentrer définitivement l'augmentation des crédits de cette dotation sur les communes ayant des zones urbaines sensibles et des zones franches urbaines , tout en garantissant aux communes éligibles que leur dotation individuelle ne sera pas inférieure à celle reçue en 2004.

Tout en souscrivant pleinement à l'esprit des mesures proposées, votre commission vous soumet deux amendements ayant respectivement pour objet :

- d' affecter à la dotation de solidarité urbaine un cinquième de l'augmentation annuelle du montant de la dotation globale de fonctionnement, dans la limite d'un plafond de 120 millions d'euros , entre 2005 et 2009, afin de ne pas pénaliser la progression des autres composantes de cette dotation ;

- de substituer un coefficient unique aux deux coefficients de majoration prévus au bénéfice des communes ayant des zones urbaines sensibles et des zones franches urbaines, afin d'en réduire la portée et d' accroître ainsi le nombre des communes bénéficiaires des augmentations de la dotation de solidarité urbaine .

* 1 Rapports d'information n°s 40 (Sénat, 2003-2004) et 342 (Sénat,2003-2004) de MM. Jean François-Poncet et Claude Belot au nom du groupe de travail commun sur la « péréquation » de la commission des Finances, de la commission des Affaires économiques et de la délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire.

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