III. LE RENFORCEMENT DE L'ACTION SOCIALE DÉCENTRALISÉE

L'analyse des crédits de la solidarité consacrés à l'évolution de la dépense d'action sociale décentralisée prend, cette année, un tour particulier, en raison de l'entrée en vigueur de la deuxième vague de décentralisation en matière d'action sociale.

Pour conduire cette analyse, votre commission s'est appuyée sur les travaux de l'observatoire de l'action sociale décentralisée (ODAS) 13 ( * ) , dont elle tient encore une fois à saluer la qualité.

A. DES DÉPENSES D'ACTION SOCIALE DÉCENTRALISÉE EN VOIE DE RECOMPOSITION

1. Les budgets sociaux départementaux en 2003 : une croissance toujours forte

En 2003, la dépense nette d'action sociale des départements s'est élevée à 15 milliards d'euros, soit une progression de près de 9 % par rapport à 2002. Bien que moins importante que l'année précédente (14,5 %), cette croissance reste largement supérieure à celle constatée en moyenne sur la période 1997-2001, soit 2,8 %.

Dépense nette d'action sociale

(en milliards d'euros)

 

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

Dépense nette d'action sociale

10,85

11,25

11,52

11,71

12,10

13,85

15,05

Évolution en %

+ 2,6

+ 3,7

+ 2,4

+ 1,6

+ 3,3

+ 14,5

+ 8,7

Source : ODAS

Si cette augmentation continue de s'expliquer par la poursuite de la montée en charge de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), un deuxième facteur a affecté plus particulièrement les dépenses d'action sociale départementale pour 2003 : l'adoption d'une nouvelle nomenclature comptable à compter du 1 er janvier 2004. Celle-ci a obligé les départements à solder avant cette date l'ensemble des dettes qu'ils avaient à l'égard des établissements sociaux et médico-sociaux qu'ils financent, ce qui a entraîné une dépense exceptionnelle de l'ordre de 100 à 150 millions d'euros en 2003.

Contrairement à l'année précédente, l'année 2003 n'a pas enregistré de revalorisations exceptionnelles des rémunérations dans les établissements et services du secteur médico-social financés par l'aide sociale départementale. Il pourrait toutefois ne s'agir que d'une accalmie de courte durée, car l'année 2004 constituera la première année de sortie des aides à la réduction du temps de travail accordées sous l'empire de la loi Aubry II.

2. L'analyse des différentes composantes de la dépense d'action sociale

a) L'aide sociale à l'enfance

Les dépenses d'aide sociale à l'enfance (ASE) sont constituées par :

- la prise en charge des frais d'hébergement des enfants faisant l'objet d'une décision de placement, dans les établissements financés par le conseil général ou en famille d'accueil ;

- le financement du recours aux mesures d'action éducative en milieu ouvert (AEMO) ou aux travailleuses familiales, ainsi que le soutien aux associations d'aide à l'enfance en danger.

Avec une dépense totale de 4,5 milliards d'euros, les frais liés à l'ASE ont augmenté de 4 % en 2003, ce qui correspond à nouveau au rythme moyen de progression de ces dépenses sur longue période.

Dépense nette d'aide sociale à l'enfance

(en milliards d'euros)

 

1998

1999

2000

2001

2002

2003

Dépense nette

3,69

3,83

3,90

3,98

4,32

4,50

Évolution en %

+ 4,3

+ 3,8

+ 1,8

+ 2,1

+ 8,5

+ 4,2

Source : ODAS

Ces dépenses avaient connu une évolution particulièrement importante en 2002 (+ 8 %), du fait de la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail et de l'application d'un avenant à la convention collective de 1966 entraînant de nouveaux barèmes de primes dans les établissements accueillant les enfants confiés à l'aide sociale.

Pour autant, une augmentation de 4 % des dépenses, dans un contexte de stabilisation du nombre d'enfants suivis par les services départementaux d'aide sociale à l'enfance, demeure inquiétante car elle signifie que même en l'absence de mesures salariales exceptionnelles, la progression de la masse salariale reste forte.

b) L'aide sociale en direction des personnes handicapées

Les dépenses d'aide sociale en direction des personnes handicapées se sont élevées à 3,16 milliards d'euros, en progression de 6,4 % par rapport à l'année précédente. Ce rythme de progression est à nouveau conforme à la moyenne observée ces dernières années, l'année 2002 faisant figure d'exception avec une dépense exceptionnelle liée à la mise en oeuvre des 35 heures dans les établissements médico-sociaux accueillant des personnes handicapées et financés par les conseils généraux.

Dépenses d'aide sociale aux personnes handicapées

(en milliards d'euros)

 

1998

1999

2000

2001

2002

2003

Aide sociale à l'hébergement

1,80

1,91

2,01

2,15

2,41

2,59

ACTP versées aux personnes de moins de 60 ans

0,49

0,50

0,52

0,53

0,56

0,57

Dépense totale

2,29

2,41

2,53

2,68

2,97

3,16

Évolution en %

+ 6,5

+ 5,2

+ 5,0

+ 5,9

+ 10,8

+ 6,4

Source : ODAS

Le principal facteur permettant d'expliquer le rythme malgré tout encore élevé de progression de ces dépenses réside dans la poursuite des plans de créations de places en établissements, auxquels les départements ont largement participé. Ils ont notamment été massivement sollicités dans le cadre du programme de création de places en FAM, puisqu'ils interviennent obligatoirement comme cofinanceurs de ces établissements.

En revanche, on constate un palier dans l'augmentation des dépenses d'ACTP, le recentrage de cette allocation sur les personnes handicapées de moins de 60 ans semblant désormais achevé, parallèlement à la stabilisation du nombre de bénéficiaires de l'APA.

Dans les prochaines années, le rythme de progression des dépenses d'aide sociale aux personnes handicapées ne devrait pas ralentir et pourrait même encore s'accélérer sous l'effet de plusieurs facteurs :

- le nouveau programme de créations de places, annexé au projet de loi pour l'égalité des droits et des chances des personnes handicapées, ne manquera pas de mobiliser le cofinancement des départements ;

- le vieillissement des personnes handicapées entraîne une augmentation de la demande d'hébergement et la nécessité de créer de nouveaux types de structures adaptées à cette nouvelle population ;

- les départements se voient confier un rôle de pilote en matière de prise en charge des personnes handicapées, à travers leur responsabilité sur les maisons départementales des personnes handicapées : il est vraisemblable qu'ils seront amenés à encourager financièrement le développement des nouveaux services destinés aux personnes handicapées ;

- le projet de loi relatif à l'égalité des droits et des chances des personnes handicapées confie aux présidents de conseils généraux la liquidation et le versement de la nouvelle prestation de compensation : même s'il est prévu que les départements reçoivent, pour y faire face, une dotation de la CNSA visant à compenser les surcoûts de la nouvelle prestation par rapport à l'actuelle ACTP, il y a fort à parier que la participation de la Caisse n'assurera pas une compensation intégrale.

Enfin, des incertitudes demeurent quant aux contours de l'action sociale décentralisée dans le domaine du handicap . En fonction des choix qui pourraient être faits en matière de décentralisation, la dépense brute 14 ( * ) dans ce domaine pourrait tripler : le handicap deviendrait alors le premier poste de l'action sociale départementale.

c) L'aide sociale en faveur des personnes âgées

Les dépenses d'action sociale en faveur des personnes âgées s'élèvent à 2,95 milliards d'euros en 2003, en hausse de 22 % par rapport à l'année précédente. Au total, l'aide sociale aux personnes âgées a progressé de 68 % en deux ans, et même de 150 % avant prise en compte de la contribution du fonds de financement de l'APA (FFAPA).

Dépenses d'aide sociale aux personnes âgées

(en milliards d'euros)

 

1998

1999

2000

2001

2002

2003

Aide sociale à l'hébergement

0,91

0,88

0,88

0,82

0,70

0,90

ACTP versée aux plus de 60 ans

0,62

0,38

0,25

0,15

0,12

0,11

Prestation spécifique dépendance

0,24

0,44

0,55

0,67

0,42

0,12

APA

-

-

-

-

1,06

1,72

Aide ménagère

0,14

0,13

0,12

0,12

0,11

0,10

Total

1,91

1,83

1,80

1,76

2,41

2,95

Évolution en %

- 3

- 4,2

- 1,6

- 2,2

+ 37

+ 22,4

Source : ODAS

Bien qu'encore élevé, le rythme de progression des dépenses d'aide sociale aux personnes âgées a fortement ralenti par rapport à 2002. Ceci s'explique en partie par les modifications des conditions d'attribution de l'APA, introduites par la loi n° 2003-289 du 31 mars 2003, mais le principal facteur d'atténuation des dépenses en 2003 réside dans la progression exceptionnelle des recettes versées par le FFAPA.

En effet, alors que le fonds devait verser 800 millions d'euros au titre de l'exercice 2002 et 1.250 millions d'euros au titre de celui de 2003, les départements ont réellement perçu 637 millions d'euros en 2002 et 1.437 millions d'euros en 2003 : la dépense pour 2002 a donc été majorée et celle pour 2003 réduite.

Cette situation exceptionnelle ne devrait pas se reproduire en 2004, puisque la fin de la montée en charge du FFAPA réduit les risques de report de recettes. Ainsi, malgré une stabilisation probable du nombre de bénéficiaires, on devrait à nouveau observer une progression vive des dépenses d'APA en 2004.

Il convient enfin de noter une augmentation importante de la dépense d'aide sociale à l'hébergement en 2003, qui s'explique par deux facteurs : la régularisation des paiements aux établissements, après le gel des prix de journée prévu en 2002 dans le cadre de la réforme tarifaire des EHPAD, et le changement de nomenclature comptable au 1 er janvier 2004, qui a obligé les départements à solder l'ensemble de leurs comptes avec les établissements.

d) Les dépenses d'insertion et d'accompagnement social

Les dépenses d'insertion et d'accompagnement social s'élèvent à 4,44 milliards d'euros en 2003, soit une progression de 7 % par rapport à l'année précédente.

Elles sont composées de deux enveloppes, de nature très différentes :

- les dépenses d'insertion consacrées aux bénéficiaires du RMI, dans le cadre de l'obligation légale faite aux départements de consacrer une somme équivalente à 17 % des crédits versés par l'État, l'année précédente, au titre de l'allocation : ces dépenses représentent 640 millions d'euros en 2003 et augmentent donc de plus de 10 % par rapport à l'année précédente ;

- les dépenses d'accompagnement social, qui regroupent les dépenses de fonctionnement et d'intervention des services de protection maternelle et infantile (PMI) et des services sociaux départementaux : elles s'élèvent à 3,8 milliards d'euros en 2003, en hausse de 6,4 % par rapport à 2002.

Dépenses d'insertion et d'accompagnement social

(en milliards d'euros)

 

1998

1999

2000

2001

2002

2003

Dépense d'insertion des

0,53

0,59

0,55

0,53

0,58

0,64

bénéficiaires du RMI

+12,8 %

+ 11,8 %

- 6,8 %

- 3,6 %

+ 9,4 %

+ 10,3 %

Dépenses

2,82

2,86

2,93

3,15

3,57

3,8

d'accompagnement social

+ 3,3 %

+ 1,4 %

+ 2,4 %

+ 7,5 %

+ 13,3 %

+ 6,4 %

Total

3,35

3,45

3,48

3,68

4,15

4,44

+ 4,7 %

+ 3,0 %

+ 0,9 %

+ 5,7 %

+ 12,8 %

+ 7,0 %

Source : ODAS

L'augmentation des dépenses d'insertion des bénéficiaires du RMI tient essentiellement à la progression du nombre de bénéficiaires en 2003 : leur nombre était de 1,14 million au 31 décembre, ce qui représente une hausse de 4,9 % par rapport à la même date en 2002.

Dans les prochaine années, cette dépense devrait augmenter considérablement, dans la mesure où, conformément à la loi du 18 décembre 2003 15 ( * ) , les départements devront financer non seulement les actions d'insertion des bénéficiaires du RMI mais aussi l'allocation elle-même. Il convient toutefois de rappeler qu'ils reçoivent, pour financer ce transfert, une fraction de la TIPP, calculée sur la base des dépenses d'allocation constatées au 31 décembre 2003.

Mais, selon une étude conjointe de la CNAF et de la DREES, au 31 mars 2004, on comptait déjà 1,2 million allocataires, soit une hausse de 8,9 % par rapport à la même période de l'année précédente, cette situation étant due non seulement à la situation toujours difficile sur le marché du travail mais aussi aux conséquences de la réforme d'assurance chômage, entrée en vigueur au 1 er janvier et partiellement suspendue en avril 2004.

Il ne fait donc nul doute que, conformément au dispositif prévu en loi de finances initiale pour 2004, un ajustement des tarifs de TIPP attribués aux départements devra intervenir en loi de finances rectificative , pour compenser aux conseils généraux la progression des dépenses constatée au cours de cette première année de transfert de compétence.

La question reste toutefois posée au-delà de l'année 2004, puisqu'à compter de 2005, les départements devront assumer seuls les évolutions du coût de l'allocation, sans qu'aucune rectification du montant de la TIPP transférée ne vienne en compenser les dérives. L'inquiétude est d'ailleurs particulièrement importante pour les départements où le taux de bénéficiaires du RMI dans la population est élevé.


Les inégalités entre départements

La dépense d'APA est directement liée au nombre de personnes âgées dans la population et celle de RMI au nombre de bénéficiaires du RMI (lui même étroitement lié au contexte économique). Les départements vont avoir à faire face à des contextes sociodémographiques et socioéconomiques sur lesquels ils n'ont que peu d'influence. Or, ces contextes sont fortement inégaux.

Ainsi, le taux de personnes âgées de 75 ans et plus dans la population varie de 4,5 % dans le Val-d'Oise à 14,1 % dans la Creuse. Ainsi, le taux de bénéficiaires du RMI dans la population varie de 0,8 % dans la Mayenne à 4,7 % dans les Bouches-du-Rhône.

Afin de mesurer l'impact de ces réformes, nous avons sélectionné les 25 départements ayant les plus forts taux de RMI et les 25 ayant les taux les plus faibles ; ainsi que les 25 départements ayant les plus forts taux de personnes âgées de plus de 75 ans, et les 25 ayant les taux les plus faibles. En croisant les deux critères, ont été mis en évidence quatre catégories contrastées de départements :

- Catégorie A (faible taux de RMI - faible taux de personnes âgées) : Ain, Ille-et-Vilaine, Isère, Haut-Rhin, Savoie, Seine-et-Marne, Yvelines ;

- Catégorie B (faible taux de RMI - fort taux de personnes âgées) : Aveyron, Corrèze, Indre, Lozère ;

- Catégorie C (fort taux de RMI - faible taux de personnes âgées) : Haute-Garonne, Pas-de-Calais, Nord, Paris, Seine-Maritime, Seine-Saint-Denis ;

- Catégorie D (fort taux de RMI - fort taux de personnes âgées) : Alpes Maritimes, Ariège, Aude, Charente-Maritime, Lot-et-Garonne, Pyrénées-Orientales, Tarn-et-Garonne, Var.

 

Catégorie A

Catégorie B

Catégorie C

Catégorie D

Dépense d'aide sociale par habitant en 2003 + allocation RMI par habitant

206 €

232 €

333 €

306 €

Poids de l'insertion dans la dépense totale d'aide sociale en 2003

20 %

19 %

36 %

36 %

Dépense supplémentaire pour 10 % de bénéficiaires

+ 6 €

+ 6 €

+ 16 €

+ 15 €

Les caractéristiques de ces quatre catégories sont très contrastées. En particulier l'augmentation du nombre de bénéficiaires du RMI se traduirait par une dépense supplémentaire presque trois fois plus importante dans les 25 départements les plus touchés par le RMI que dans les 25 qui le sont le moins. Comme en outre la dépense initiale est déjà sensiblement plus importante, on n'imagine pas d'autre solution pour une décentralisation efficace qu'une forte péréquation de la part de l'État.

Source : La lettre de l'ODAS, juin 2004, Annexe

3. Les budgets primitifs des départements pour 2004

Une première estimation de la dépense d'action sociale décentralisée pour 2004 peut être donnée à partir de l'analyse des budgets primitifs des départements 16 ( * ) .

Les dépenses d'aide sociale représentent 64 % des dépenses de fonctionnement des départements , après la décentralisation du RMI. Leur montant passe de 16,8 à 22,4 milliards d'euros en 2004, progressant ainsi de 33,7 %. Cette hausse s'explique par quatre facteurs :

- la décentralisation du RMI : les départements ont prévu une dépense de 5,4 milliards d'euros en 2004 au titre du RMI, afin de faire face à la fois au financement des actions d'insertion et au versement de l'allocation ;

- le poids toujours croissant des dépenses d'APA : le coût de cette aide aux personnes âgées devrait atteindre 3,6 milliards en 2004 contre 3,3 milliards en 2003, ce qui représente une progression de 11,1 % ;

- a hausse exceptionnelle des dépenses destinée à la famille et à l'enfance : ces dépenses atteignent 4,9 milliards d'euros en 2004 contre 4,5 milliards d'euros en 2003 et augmentent donc à un rythme de 8,9 %. La généralisation de la nouvelle nomenclature comptable impose en effet la prise en compte des salaires des assistantes maternelles dans ces dépenses ;

- l'augmentation des dépenses en faveur des personnes handicapées : leur progression s'élève à 9,2 %, pour un montant total qui s'établit désormais à 3,6 milliards d'euros. Cette hausse s'explique par une augmentation des prix de journée ainsi que par la poursuite des créations de places.

Répartition des dépenses d'aide sociale départementale en 2004

Source : ADF

Il convient de préciser que ces estimations ne tiennent pas compte des dépenses supplémentaires liées à la gestion du RMI et à la mise en place du RMA. La charge supplémentaire pour les conseils généraux s'établirait à 59 millions d'euros. Elle devrait donc influer sur les dépenses de personnel et les dépenses d'aide sociale, avant que d'autres transferts de compétences à partir de 2005 ne fassent évoluer la structure des comptes départementaux.

* 13 La lettre de l'ODAS, numéro spécial, juin 2004.

* 14 C'est-à-dire la dépense avant prise en compte des transferts financiers de l'État vers les départements pour couvrir les transferts de compétences.

* 15 Loi n° 2003-1200 du 18 décembre 2003 portant décentralisation en matière de RMI et créant un revenu minimum d'activité.

* 16 Cf. Assemblée des départements de France, « Budgets primitifs et fiscalité des départements 2004 », juin 2004.

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