C. PRENDRE EN COMPTE LA CONTRAINTE DE FINANCEMENT DES RÉGIMES SPÉCIAUX

1. Inventaire des modes de financement

Compte tenu de l'insuffisance, au regard des prestations versées, de l'effort contributif issu des cotisations salariales et employeurs des grands régimes de retraite spéciaux, le bouclage du financement est assuré, suivant les cas, au moyen de cinq mécanismes différents : par une cotisation atypique, par une subvention de l'employeur, par une subvention de l'État, par une subvention de l'État combinée avec des transferts de compensation reçus des autres régimes ou par un adossement sur les régimes du secteur privé auquel s'ajoute une participation de l'entreprise publique.

• La Caisse de retraite et de prévoyance des clercs et employés de notaires (CRPCEN) constitue un cas particulier dans la mesure où elle présente la spécificité de se voir affecter un prélèvement de 4 % sur les émoluments et honoraires des notaires. Cette recette, assimilée à une cotisation, représente 27 % des produits totaux de la branche vieillesse de la caisse.

• La subvention d'équilibre de l'État constitue le schéma financier le plus simple d'équilibrage des régimes publics de retraite et de certains régimes spéciaux : c'est le cas pour le budget de l'État, qui assure par une contribution, 74 % des charges des pensions civiles et militaires ; de même pour la Comédie française, l'Opéra de Paris et le Fonds spécial des pensions des ouvriers et établissements industriels de l'État - FSPOIE  (à hauteur de 63 % des charges). Il convient enfin de relever que l'État assure une partie du financement des retraites des agents publics de La Poste.

• La subvention d'équilibre, réalisée apparemment en direct, par une entreprise publique ne représente qu'une variante du mécanisme précédent. On retrouve ce schéma à la RATP pour 61 % des charges des retraites, en plus des cotisations salariales et patronales. Dans la mesure où la RATP dépend totalement des transferts de l'Etat et des collectivités territoriales franciliennes, cette subvention de l'entreprise, intitulée « insuffisance du compte retraite » apparaît en fait comme une subvention d'équilibre déguisée de la puissance publique elle-même.

• Le mode de financement le plus courant des régimes spéciaux consiste à combiner, suivant des proportions variables, plusieurs mécanismes de financement non contributifs. Le besoin de financement du régime de retraite de la SNCF est ainsi assuré à hauteur de 54,6 % par une subvention d'équilibre de l'État et de 7,3 % par la compensation démographique. Pour les mines, le schéma est le même, respectivement pour 30,9 % et 61 % et pour les marins, pour 24,7 % et 60,3 %.

• L'adossement des industries électriques et gazières (IEG) sur les régimes de retraite du secteur privé (Cnav, Agirc-Arrco) constitue le schéma de financement le plus récent. Cette technique a été élaborée dans le cadre de la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières et elle est susceptible d'être reproduite à l'avenir, notamment pour la RATP.

Elle consiste à sortir les engagements de retraite du bilan de l'entreprise publique, la Cnav, l'Agirc et l'Arrco assurant alors le service des prestations de base et complémentaires, en contrepartie de cotisations employeur et salariée standardisées. Le maintien du régime spécial proprement dit (régime chapeau) est aussi, et surtout, financé par une contribution tarifaire sur les activités régulées, d'une part, par une prise en charge par les entreprises, d'autre part. La réforme des IEG ne date que du 1 er janvier 2005 et le recul manque encore pour en évaluer tous les effets. Toutefois, dans la mesure où il ne s'agit que d'une opération comptable et financière et que le niveau des prestations des assurés sociaux demeure inchangé, y compris pour les nouveaux entrants, le coût du régime spécial demeure très élevé pour l'entreprise. Pour mémoire, en 2003, EDF et GDF prenaient à leur charge plus de 80 % du poids des retraites de leurs agents.

En définitive, cette grande diversité de situation rend naturellement très difficile la comparaison des régimes de retraite spéciaux entre eux et par rapport aux autres régimes. Il en va de même pour la compréhension de leurs modes de financement, aussi bien par les assurés sociaux en général que par les ressortissants de ces régimes eux-mêmes.

2. Une contrainte inévitable de financement

Les régimes spéciaux seront confrontés à l'avenir à une contrainte de financement renforcée, dans la mesure où les autres grandes caisses de retraite devront faire face au choc démographique provoqué par le départ en retraite des nombreuses classes d'âge du baby-boom d'après guerre.

En 2005, le Conseil d'orientation des retraites a actualisé les données prospectives qu'il avait publiées en 2001. Ces nouvelles projections montrent que les besoins de financement des régimes demeureront importants, tandis que les rapports démographiques convergeront autour d'un cotisant pour un retraité entre 2020 et 2040. Cette tendance de fond provoquera inévitablement une dégradation des équilibres financiers de toutes les caisses de retraites.

A partir de cette année, compte tenu de l'ampleur du choc démographique à venir, le régime général sera en situation de déficit structurel. Il ne sera pas possible de le mettre à contribution pour financer, à un titre ou à un autre via notamment le mécanisme de compensation démographique, les avantages des régimes spéciaux.

Solde technique et rapport démographique des différents régimes à l'horizon 2020, 2040 et 2050

Rapport démographique cotisants/retraités

Solde technique (en millions d'euros)

2003

2020

2040

2050

2003

2020

2040

2050

Ircantec

1,99

0,72

0,37

0,32

477

-235

-1.795

-2.685

CNRACL

3,03

1,60

1,03

0,93

2.820

-584

-7.128

-972

Fonctionnaires de l'Etat

1,72

0,99

0,76

0,76

-3.141

-17.094

-33.754

-40.331

Banque de France

1,42

0,75

0,91

1,10

-12

-322

-244

-79

IEG (EDF-GDF)

1,35

0,93

1,04

0,98

-339

-1.114

-430

-814

Mines

0,08

0,01

0,00

0,00

-1.813

-956

-253

-109

SNCF

0,91

0,91

0,98

0,94

-2.773

-2.951

-2.992

-3.520

Cancava base

1,01

0,81

0,61

0,58

-747

-475

-1.028

-1.522

Non-salariés agricoles

0,34

0,34

0,45

0,59

-7.005

-5.097

-3.340

-2.535

Organic base

0,90

0,65

0,38

0,50

-1.196

-1.636

-1.910

-1.866

CNAVPL

3,41

1,55

0,99

0,90

376

311

285

516

CNAV (régime général)

1,73

1,25

0,85

0,78

3.689

-4.262

-39.093

-52.099

Arrco

2,12

1,48

1,03

0,97

4.624

569

-8.081

-8.829

Agirc

2,44

1,73

1,19

1,03

94

-2.922

-4.183

-5.748

Salariés agricoles

0,38

0,33

0,25

0,24

-2.180

-2.280

-2.668

-2.272

Ouvriers d'Etat (FSPOIE)

0,82

0,76

0,78

0,86

-1.126

-941

-770

-696

Ircantec

1,99

0,87

0,47

0,41

477

-214

-1.698

-2.552

RATP

1,59

1,19

1,00

0,90

-323

-652

-1.010

-1.387

IEG

1,35

0,94

1,03

0,98

-339

-1.114

-430

-814

Enim (marins)

0,58

0,50

0,61

0,65

-867

-784

-555

-507

* Solde technique : total cotisations et transfert du Fonds de solidarité vieillesse - total des pensions (en millions d'euros)

Source : Conseil d'orientation des retraites

Compte tenu de son extinction progressive, le déséquilibre du régime des mines ne devrait plus peser que de façon marginale sur l'assurance vieillesse à l'horizon 2050. Ce ne sera pas le cas des retraites de la SNCF, de la RATP et des marins : le solde technique de ces trois régimes passera en effet de - 4 milliards d'euros, en 2003, à - 4,4 milliards en 2020, à - 4,6 milliards en 2040 pour atteindre - 5,4 milliards en 2050.

*

* *

La commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission interministérielle « Régimes sociaux et de retraite ».

A l'occasion de l'examen des crédits de cette mission, elle a été conduite à aborder à nouveau la question des majorations de pension servies outre-mer par un autre régime spécial, celui des fonctionnaires. Elle a souhaité apporter à ce dispositif des modifications sous la forme d'un article additionnel après l'article 94, rattaché à la mission « Pensions ».

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