B. DES POTENTIALITÉS À EXPLOITER

1. La ratification des instruments internationaux : une procédure à parfaire

Les accords internationaux ne constituent qu'une part de l'activité diplomatique de la France mais ils représentent l'essentiel de l'activité législative dans le domaine des affaires étrangères.

L'article 53 de la Constitution dispose que « les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à l'organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l'Etat, ceux qui modifient des dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l'état des personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu'en vertu d'une loi. Ils ne prennent effet qu'après avoir été ratifiés ou approuvés ».

Ces textes représentent environ la moitié des lois promulguées chaque année mais il s'agit de textes spécifiques sur lesquels le mode d'intervention privilégié du Parlement, l'amendement, ne peut en principe s'exercer 2 ( * ) .

Aucun projet de loi d'approbation n'a été rejeté par le Parlement sous la cinquième République mais on peut relever que les commissions des Affaires étrangères des deux assemblées manifestent un empressement variable à se saisir de certains textes, à l'exemple de celui de la convention d'extradition avec le Canada dont l'examen a été différé le temps de sa renégociation.

Plus que les modalités de l'intervention du Parlement pour la ratification de textes internationaux c'est son caractère tardif qui nuit à plus d'un titre aux prérogatives parlementaires.

Elle intervient, tout d'abord, par définition, une fois le processus de négociation achevé et le texte signé ce qui ne permet pas au Parlement de peser sur le contenu du texte.

Mais cette demande de ratification est elle-même souvent tardive : il n'est pas rare que quatre à cinq années 3 ( * ) s'écoulent entre la signature d'un accord et le dépôt sur le bureau de l'une ou l'autre des assemblées du projet de loi en autorisant l'approbation. Dans l'intervalle, les personnes chargées de négocier l'accord ont pu changer plusieurs fois d'affectation et le dossier reculer dans le rang des priorités des services. On peut noter, à cet égard que l'article 8 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 prévoyait, en évoquant les traités, que le président de la République « en donne connaissance aux chambres aussitôt que l'intérêt et la sûreté de l'Etat le permettent ».

De façon certes exceptionnelle 4 ( * ) , cette situation a conduit le Parlement à prendre l'initiative d'autoriser la ratification d'un accord par voie d'amendement à un projet de loi traitant d'un autre sujet.

En outre, l'autorisation parlementaire ne signifie pas systématiquement le dépôt immédiat des instruments de ratification d'un accord 5 ( * ) , le Parlement se bornant à autoriser l'approbation du texte.

Enfin, la liste des accords soumis à ratification prend souvent la forme d'un « inventaire à la Prévert », noyant des textes importants, dans la masse de textes parfois anecdotiques ou dont l'entrée en vigueur ne change rien à l'état du droit. L'Assemblée nationale puis le Sénat ont résolu cette difficulté par le recours à des procédures d'examen simplifiée en séance publique mettant fin à la litanie des discussions générales sur des sujets disparates et réservant le débat en séance publique aux textes importants.

A l'inverse, en dépit des résolutions adoptées par le Sénat à plusieurs reprises en avril puis en décembre 2003, le Gouvernement n'a pas fait le choix, à la différence de la quasi-totalité de ses partenaires européens, de soumettre à la ratification parlementaire les accords d'extradition et d'entraide judiciaire en matière pénale conclus entre l'Union européenne et des pays tiers, sur le fondement de l'article 24 du Traité sur l'Union européenne, ainsi que le permet l'article 24§5 du Traité. Ainsi lors de la signature, le 25 juin 2003, de deux accords d'extradition et de coopération judiciaire en matière pénale entre l'Union européenne et les États-Unis d'Amérique, treize États membres (soit l'ensemble des Etats membres, à l'exception de la France et de la Grèce) ont fait une déclaration d'après laquelle ils ne seraient liés par ces accords que lorsqu'ils auraient satisfait à leurs règles constitutionnelles respectives. Compte tenu de l'importance politique et du caractère sensible du contenu de ces accords, le fait que le Parlement n'en soit pas saisi pour ratification a pu sembler problématique.

Pour autant, la solution retenue en matière européenne, qui prévoit une information du parlement, en amont de la signature des accords ou des textes européens, via la procédure de l'article 88-4, et lui permet de se prononcer par voie de résolution, fait figure d'exemple.

S'il n'est évidemment pas envisageable de modifier le contenu des traités, ce qui serait en contradiction avec le droit international, ni de remettre en cause la compétence de l'exécutif pour les négocier, l'approbation parlementaire doit pouvoir prendre tout son sens par une information en amont de la procédure législative sur l'engagement et le déroulement des négociations.

Cette information, qui suppose sans doute autant une modification de la pratique que du droit, aurait l'avantage de ne pas placer le Parlement, et avec lui l'opinion, devant le fait accompli et, comme le souligne le rapport du comité constitutionnel, « il n'est pas exclu que dans certains cas le Gouvernement puisse en tirer avantage ».

A la différence d'autres politiques publiques, le Parlement n'est donc pas le co-auteur, en qualité de législateur, de la définition de la politique étrangère et de défense et son action doit donc prioritairement s'exercer par la voie du contrôle.

2. Le contrôle, voie privilégiée d'intervention

Les instruments du contrôle parlementaire sont applicables dans leur totalité aux domaines de la politique étrangère et de la défense. Ces instruments se sont développés et renforcés ces dernières années.

Ainsi les questions de politique étrangère sont abordées régulièrement au cours des séances de questions au gouvernement. Les questions orales ou écrites peuvent également porter sur ces questions.

A l'automne 2006, le Sénat a débattu d'une première question orale internationale sur la gestion de crises en Afrique, suite à la publication d'un rapport d'information de la commission des affaires étrangères et de la défense.

A l'initiative de cette commission, s'est également tenu le 14 mai 2008 un débat en séance publique sur la politique étrangère de la France. Ce débat, qui a fait suite au débat organisé dans chacune des assemblées sur l'envoi de renforts d'effectifs sur le théâtre afghan, permet que ces sujets soient abordés en évitant le recours à la dramatisation que représente l'engagement de la responsabilité du gouvernement sur le fondement de l'article 49, alinéa 1 de la Constitution auquel le Gouvernement avait recouru, en 1991, pour déclencher un vote sur l'engagement français dans la guerre du Golfe.

Ces travaux en séance publique s'ajoutent aux travaux des commissions qui peuvent se saisir de tous sujets internationaux, entendre régulièrement les ministres compétents, envoyer des missions sur place 6 ( * ) et publier des rapports d'information.

La modernisation de la procédure budgétaire par la loi organique relative aux lois de finances a contribué à renforcer l'information des parlementaires sur l'organisation et les actions des ministères des affaires étrangères et de la défense. La lisibilité du budget consacré à la défense a, en particulier, notablement progressé à cette occasion. La définition d'indicateurs de performance incite à une évaluation et à un contrôle parlementaire renforcés. En matière de défense, les commissions des deux assemblées examinent ainsi, à un rythme trimestriel, les conditions d'exécution du budget du ministère.

Dans un domaine du renseignement, le parlement français dispose désormais, à l'instar des autres démocraties, d'un organe de contrôle spécifique, la délégation parlementaire au renseignement, créée par la loi du 9 octobre 2007.

Le Parlement dispose donc d'ores et déjà d'un large éventail d'instruments de contrôle à valoriser. En matière européenne, ce contrôle a été systématisé et développé.

3. Les procédures en matière européenne, un mode élaboré de contrôle parlementaire

Constituées en juillet 1979, suite à l'élection au suffrage universel du Parlement européen, les délégations pour l'Union européenne des assemblées, dénommées ainsi après l'entrée en vigueur du Traité de Maastricht, sont spécifiquement chargées du suivi des questions européennes.

La production de droit dérivé par les institutions communautaires, développée notamment suite à l'adoption de l'Acte unique, en 1986, a conduit les assemblées à développer progressivement des procédures élaborées de suivi de l'action des institutions communautaires et de contrôle de l'action du gouvernement au sein de ces institutions.

Ces procédures prévoient tout d'abord une information du Parlement sur les projets d'actes avant leur adoption.

Introduit par la loi constitutionnelle du 25 juin 1992, l'article 88-4 de la Constitution, modifié par la loi constitutionnelle du 25 janvier 1999 prévoit ainsi que le Gouvernement soumet obligatoirement à l'Assemblée nationale et au Sénat, dès leur transmission au Conseil de l'Union européenne, les projets ou propositions d'actes des Communautés européennes et de l'Union européenne comportant des dispositions de nature législative.

En outre, le Gouvernement peut soumettre aux Assemblées les autres projets ou propositions d'actes ainsi que tous documents émanant d'une institution de l'Union européenne, documents qui ne comportent pas de dispositions de nature législative mais qui sont susceptibles d'intéresser le Parlement.

Au sein de ces différents textes, les délégations pour l'Union européenne identifient ceux sur lesquels le Parlement doit prendre position et la forme que cette position doit prendre.

Elle dispose d'un moyen d'expression spécifique avec le dépôt d'une proposition de résolution transmise à la commission permanente compétente. Elle peut également adopter des conclusions qui sont transmises au gouvernement.

Le processus d'information des délégations pour l'Union européenne leur permet d'intervenir en amont de l'adoption d'un texte et d'informer les parlementaires et le Gouvernement des difficultés qu'il est susceptible de soulever. La délégation du Sénat pour l'Union européenne avait ainsi détaillé, dans un rapport d'information, les difficultés soulevées par le projet de directive « services », dite « directive Bolkestein », bien avant que celle-ci ne soulève un vaste débat dans l'opinion publique.

Des débats en séance publique sont organisés suite au dépôt de questions orales européennes, qui permettent de faire le point sur des négociations en cours.

Les déclarations du gouvernement suivies d'un débat en séance publiques ont été systématisées à partir de juin 2005 avant chaque Conseil européen.

Enfin, les délégations peuvent décider, comme les commissions permanentes, de missions d'information sur les sujets de leur choix, comme, par exemple, le suivi des négociations d'adhésion avec les pays candidats.

Les procédures élaborées en matière européenne, qui combinent des modes d'intervention spécifiques, encore renforcés par le présent projet de loi, et des instruments « classiques », représentent un mode particulièrement élaboré de contrôle parlementaire et peuvent constituer une source d'inspiration pour le contrôle du Parlement en matière internationale pour renforcer son information et ses moyens d'expression.

* 2 Saisi d'une modification du règlement de l'Assemblée nationale visant à supprimer les mots « et il ne peut être présenté d'amendements » à l'article 128 relatif à l'approbation des accords internationaux, le Conseil Constitutionnel, sans la censurer, a considéré que cette suppression ne saurait avoir pour effet de donner compétence aux parlementaires pour assortir de réserves, de conditions ou de déclarations interprétatives, l'autorisation de ratifier un traité ou d'approuver un accord international non soumis à ratification. Sont ainsi recevables les amendements autorisant la ratification d'un accord non prévu par le projet de loi.

* 3 Le record est certainement détenu par l'acte constitutif de la FAO, pour lequel un projet de loi a été déposé 62 ans après la signature

* 4 L'article 5 de la loi n° 2003-698 du 30 juillet 2003 stipule ainsi, suite au vote d'un amendement parlementaire qu' »Est autorisée la ratification de l'accord sur la conservation des oiseaux d'eau migrateurs d'Afrique-Eurasie (ensemble trois annexes), ouvert à la signature à La Haye le 15 août 1996, et dont le texte est annexé à la présente loi »

* 5 C'est ainsi que le Sénat a examiné en janvier 2007, un protocole additionnel à la convention pénale sur la corruption, convention signée en 1999 et dont la ratification avait été autorisée deux ans plus tôt par le Parlement, mais dont les instruments de ratification n'avaient toujours pas été déposés, faute des modifications nécessaires du droit interne.

* 6 Des délégations de la commission des Affaires étrangères et de la défense du Sénat se sont ainsi rendues, au printemps 2008, sur trois des théâtres d'opérations extérieures impliquant des troupes françaises : Côte d'ivoire, Afghanistan et Liban.

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