C. LA RECHERCHE D'UNE MEILLEURE ARTICULATION ENTRE L'AIDE BILATÉRALE ET MULTILATÉRALE

L'évolution de la répartition des crédits entre aide bilatérale et aide multilatérale au profit de cette dernière conduisent à faire de l'articulation entre les aides bi et multilatérale un des enjeux majeurs des années à venir. En France, cette articulation comprend également un échelon supplémentaire au rôle croissant qu'a l'Union européenne.

1. L'équilibre entre multilatéral et bilatéral : une question d'efficacité

Comme l'ont déjà souligné vos rapporteurs, le seul critère pertinent de répartition doit être une préoccupation d'efficacité. A l'évidence, certains sujets tels que le Sida ou le réchauffement climatique relèvent d'une action multilatérale car les enjeux et les sommes nécessaires dépassent le cadre national. Mais quel que soit le sujet, le principe d'efficacité implique que, si les institutions multilatérales s'avèrent être à l'usage moins efficaces que des outils nationaux, il faille réorienter nos financements.

L'aide multilatérale n'a de légitimité que si elle atteint les objectifs fixés, que si ces objectifs sont cohérents avec ceux que se fixe la France et si elle les atteint avec des coûts de fonctionnement raisonnables.

Or il n'est possible de mesurer cette efficacité que si le pilotage des contributions françaises aux différents organismes multilatéraux est suffisamment assuré et s'il est effectivement procédé à des évaluations régulières et approfondies des actions entreprises .

Ces préoccupations de redevabilité, d'évaluation et de pilotage sont depuis longtemps présentes à l'esprit des responsables de l'aide au développement. Elles sont au coeur de la Déclaration de Paris et du programme d'action d'Accra, qui sont aujourd'hui les cadres de référence en matière d'efficacité de l'aide et visent à définir un ensemble de pratiques communes d'ordre politique et technique, ainsi que de gestion, destinées à améliorer collectivement la mise en oeuvre de l'aide mondiale au développement.

On peut toutefois se demander si ces préoccupations sont suffisamment mises en pratique quand on considère par exemple les contributions françaises aux agences de l'ONU.

Comme le soulignent MM. Bellot et Châtaigner dans leur rapport « Les enjeux d'une réforme de l'architecture institutionnelle internationale en matière d'aide publique au développement », le système onusien est un système institutionnel complexe. Les agences spécialisées sont indépendantes (statuts et procédures, assemblées des Etats membres, directeur général désigné par l'Assemblée), ont un mandat diversifié (collecte et traitement de l'information, surveillance et alerte, élaboration de normes, activités de coopération et assistance technique) et sont financées par des contributions obligatoires pour leur fonctionnement et par des contributions volontaires pour des programmes de coopération.

La France, dans ce contexte, contribue à un nombre important d'agences et de programmes pour des montants parfois très réduits, parfois importants sans qu'on ait le sentiment qu'il y ait de véritable évaluation . Ainsi, le rapport de Mme Henriette Martinez souligne que « les auditions réalisées pendant cette mission confirment que l'attribution de nos contributions aux agences onusiennes est trop dispersée, et que le renouvellement de ces contributions, même très faibles, se fait sans une vraie réflexion stratégique sur les objectifs des organisations qui les perçoivent et a fortiori sans aucune évaluation de leurs résultats. Il convient donc d'en resserrer le nombre. Il faut également veiller à ce que l'aide arrivant effectivement sur le terrain ne soit pas rognée de manière trop importante par les frais de structures et de gestion (ressources humaines dans les sièges des organisations), que l'on sait énormes (ex. FAO). »

Ces remarques ne signifient pas qu'il faille renoncer à contribuer à ces fonds, mais seulement que les administrations en charge de la supervision de ces contributions doivent être en mesure d'évaluer leur pertinence.

Il est indéniable que la participation au multilatéralisme offre des effets de leviers, de synergies thématiques et la possibilité de participer au financement d'actions que, seule, la France ne pourrait se permettre de mener . En termes d'efficacité, les résultats obtenus par certains opérateurs multilatéraux, en matière de santé, notamment, montrent clairement que notre pays doit continuer d'y participer.

Dans un certain nombre d'autres cas, des contributions mêmes faibles permettent à la France d'avoir la possibilité d'exprimer ses préférences et d'orienter les actions de ces fonds vers les zones ou les secteurs qu'elle juge prioritaires et en particulier vers l'Afrique, comme l'a souligné le directeur du Trésor auditionné par votre commission.

Il faut en outre évoquer la question de la visibilité des contributions françaises aux fonds multilatéraux. Cette question est évidemment secondaire par rapport à celle de l'efficacité, de l'apport concret de l'aide à la réduction des inégalités Nord/Sud.

Elle ne peut cependant pas être écartée, car il importe que l'effort que la France consacre à cette action soit connu des Français. Les sommes engagées sur le budget de l'Etat et donc sur les impôts doivent être connues et discutées par l'opinion publique. La pérennité de l'action de l'Etat dans ce domaine suppose que l'opinion publique s'approprie ses objectifs. Or le cadre multilatéral dilue nécessairement la visibilité d'un pays dans l'ensemble indistinct des contributeurs. Qui sait ainsi que le quart du budget du FED est encore aujourd'hui assumé par la France ou que la France est le deuxième contributeur du fonds Sida ? Que ce soit au plan de la connaissance qu'en ont les citoyens ou au niveau des bénéficiaires ultimes, les habitants des pays en développement, personne n'a conscience du rôle essentiel de la France dans ces dispositifs majeurs de l'aide internationale. La visibilité de l'apport de la France au FED ou au fonds Sida n'existe tout simplement pas.

La question de la visibilité de notre effort doit être considérée dans nos réflexions sur le pilotage de l'APD Française en distinguant plusieurs questions : celle de la visibilité internationale de nos contributions, celle de la restitution de notre effort à la représentation nationale et à l'opinion publique et celle de notre capacité à peser sur les priorités des actions menées dans le cadre multilatéral .

2. La France doit veiller à faire valoir ses priorités dans le cadre d'une politique d'aide au développement européenne dont l'architecture va être modifiée par le traité de Lisbonne

Dans le cadre du traité de Lisbonne, qui vient d'entrer en vigueur, des interrogations portent sur le rôle du Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, sur le service européen pour l'action extérieure, ainsi que sur la représentation de l'Union européenne dans les organisations internationales, notamment à l'ONU.

Pour ce qui concerne l'aide au développement, on s'interroge sur l'éventuel rattachement de cette politique au Haut représentant pour les affaires étrangères et à sa gestion au sein du service européen pour l'action extérieure.

Il faut sans doute souhaiter que l'aide au développement fasse partie intégrante de la politique étrangère de l'Union et qu'à ce titre elle constitue une des prérogatives du Haut représentant de façon à pouvoir combiner tous les aspects des relations extérieures de l'Union. Mais il importe également que cette politique relève d'un commissaire de plein exercice qui puisse, au sein de la commission, porter la voix des pays en voie de développement. Dans ce cadre, une répartition des tâches où le pilotage stratégique pourrait être confié au Haut représentant, alors que la mise en oeuvre opérationnelle relèverait du commissaire, pourrait être envisageable.

Cette nouvelle architecture va se déployer, alors même que les perspectives financières du FED pour les années 2014-2020 seront en discussion. Vos rapporteurs invitent le Gouvernement à soutenir encore une fois une budgétisation de ce fonds afin qu'il s'intègre dans l'ensemble des crédits consacrés par l'Union européenne à l'aide au développement et plus largement aux relations extérieures de l'Union européenne et puisse être soumis au contrôle du Parlement européen.

3. Une articulation qui passe par des instruments de mise en cohérence

La coexistence de plusieurs niveaux d'intervention infra-étatique avec les collectivités territoriales, étatiques, et supra-étatiques avec l'Union européenne et les institutions multilatérales dans les mêmes pays et parfois dans les mêmes secteurs rend nécessaire la mise en place d'instruments permettant d'insuffler un maximum de cohérence dans les actions menées.

Au niveau européen, il faut espérer que l'approfondissement de l'Union conduira à une plus grande coordination des actions, des financements et des opérateurs. Dans un certain nombre de pays récipiendaires, la délégation pour l'Union européenne joue déjà un rôle fédérateur qui a vocation à se renforcer.

La mise en place de fonds communs constitue également une solution d'avenir pour agréger des fonds provenant de différents bailleurs afin de financer des actions menées dans un Etat donné. La mutualisation des fonds permet ainsi d'atteindre une taille critique et de se mettre d'accord entre bailleurs sur un programme d'action et un cahier des charges destinés à encadrer l'action des opérateurs sur le terrain. L'initiative « international health partnership » (IHP) dans le domaine de la santé a déjà donné de bons résultats, de même que la création au Niger d'un « fonds commun santé » abondé par la Banque mondiale et la France. Ces exemples permettent, comme l'a souligné M. Jean-Michel Severino, président de l'AFD, devant notre commission, « un alignement stratégique et une convergence opérationnelle, chacun s'accordant sur les objectifs à poursuivre et les méthodes à utiliser ».

Page mise à jour le

Partager cette page