N° 104

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2009

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur le projet de loi de finances pour 2010 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ,

TOME I

ACTION EXTÉRIEURE DE L'ÉTAT

Par M. Yves DAUGE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Legendre , président ; MM. Ambroise Dupont, Michel Thiollière, Serge Lagauche, David Assouline, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Ivan Renar, Mme Colette Mélot, M. Jean-Pierre Plancade , vice-présidents ; M. Pierre Martin, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Christian Demuynck, Yannick Bodin, Mme Béatrice Descamps , secrétaires ; MM. Jean-Paul Amoudry, Claude Bérit-Débat, Mme Maryvonne Blondin, M. Pierre Bordier, Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Bruguière, M. Jean-Claude Carle, Mme Françoise Cartron, MM. Jean-Pierre Chauveau, Gérard Collomb, Yves Dauge, Claude Domeizel, Alain Dufaut, Mme Catherine Dumas, MM. Jean-Léonce Dupont, Louis Duvernois, Jean-Claude Etienne, Mme Françoise Férat, MM. Jean-Luc Fichet, Bernard Fournier, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, MM. Jean-François Humbert, Soibahadine Ibrahim Ramadani, Mlle Sophie Joissains, M. Philippe Labeyrie, Mmes Françoise Laborde, Françoise Laurent-Perrigot, M. Jean-Pierre Leleux, Mme Claudine Lepage, MM. Alain Le Vern, Jean-Jacques Lozach, Mme Lucienne Malovry, MM. Jean Louis Masson, Philippe Nachbar, Mme Monique Papon, MM. Daniel Percheron, Jean-Jacques Pignard, Jack Ralite, Philippe Richert, René-Pierre Signé, Jean-François Voguet.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 13 ème législ.) : 1946, 1967 à 1974 et T.A. 360

Sénat : 100 et 101 (annexe n° 1 ) (2009-2010)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

À ceux qui prétendent, en reprenant Fiodor Dostoïevski, que « la civilisation française est morte, elle n'a plus rien à dire », on leur répondra, en référence à Alexis de Tocqueville, que la nation française est « la mieux faite pour [...] devenir tour à tour un objet d'admiration, de haine, de pitié, de terreur, mais jamais d'indifférence ». Le monde ne se désintéresse pas de la France : le « désir de France » est bien là, il va même croissant au sein de puissances émergentes telles que la Chine, l'Inde ou encore le Brésil. Il appartient donc à notre pays de renouveler son offre culturelle pour répondre aux attentes exprimées par les publics étrangers à l'égard de la culture française, qui ont profondément changé.

La France jouit d'une capacité de diffusion culturelle et intellectuelle exceptionnelle. À l'origine du concept de « diplomatie culturelle » depuis l'émergence, à la fin du XIX e siècle, des Alliances françaises , la France dispose, encore aujourd'hui, d'un réseau culturel universel, le plus dense au monde. Ce même réseau culturel s'est appuyé sur le génie d'écrivains diplomates comme Chateaubriand, Stendhal et Saint-John Perse, et il a permis d'asseoir la notoriété de noms illustres de la littérature francophone contemporaine tels que Atiq Rahimi, Tierno Monénembo et Jean-Marie George Le Clézio, respectivement couronnés en 2008 par les prix Goncourt, Renaudot et Nobel de littérature.

Consciente de l'impact de la mondialisation sur les identités culturelles, la France a su renouveler son message sur la scène internationale, en faisant de la promotion de la diversité culturelle et de son corollaire, l' « exception culturelle », les fers de lance de son action culturelle extérieure, notamment par le biais de la convention de l'UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles , adoptée le 20 octobre 2005.

Or, force est de constater qu'aujourd'hui, notre stratégie culturelle à l'étranger n'est pas à la hauteur des ambitions affichées. Elle est illisible, profondément handicapée par la multiplicité de ses opérateurs et par l' absence d'un pilotage stratégique clair . Le budget de la coopération culturelle a fait l'objet, jusqu'en 2009, de « coupes » sans précédent. Dans ces conditions, notre réseau culturel, en profonde restructuration, navigue à vue et se trouve en proie à une démobilisation préoccupante.

Dans le cadre d'une mondialisation dominée par les industries culturelles anglo-saxonnes , la France accuse une perte de vitesse inquiétante en matière de présence culturelle à l'étranger par rapport à ses principaux partenaires et concurrents. L'influence culturelle et intellectuelle française à l'étranger est désormais battue en brèche par l'activisme d'autres pays comme le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Espagne ou encore la Chine qui ont érigé, à l'image des États-Unis, le concept de « soft power » en priorité de leur diplomatie.

Nos établissements culturels à l'étranger font les frais de l'absence d'un pilotage stratégique clairement identifié. Or, sans maître à bord, une politique publique n'est pas en mesure de défendre ses moyens auprès de Bercy. Ainsi, le coût pour l'État du réseau culturel français n'aurait pas dépassé 136 millions d'euros en 2008, soit l'équivalent du budget d'un établissement public comme l'Opéra national de Paris. Les financements destinés au rayonnement culturel et linguistique auraient baissé de 10 % de 2005 à 2008, une diminution qui s'est accélérée en 2009, puisque les crédits de la coopération culturelle ont baissé de 13 % dans les pays développés au sens de l'OCDE et de 9 % dans les pays en développement. Dans le cadre de la loi de programmation triennale des finances publiques pour la période 2009-2011, cette baisse avait vocation du reste à se poursuivre à un rythme toujours aussi préoccupant.

Compte tenu de l'importance des coûts fixes de notre réseau culturel, cette diminution a été principalement répercutée sur ses crédits d'intervention. Les dépenses de programmation culturelle des différents postes auraient ainsi été réduites de 15 % en moyenne, cette diminution pouvant atteindre dans certains pays 30, voire 40 %.

L'illisibilité de notre présence culturelle à l'étranger, résultat de la dispersion des acteurs et des moyens, tranche avec la stratégie offensive de nos concurrents , comme le Royaume-Uni avec le British Council ou l'Allemagne avec le Goethe Institut.

Face à cette crise de notre rayonnement culturel à l'étranger, la commission de la culture, de l'éducation et de la communication et la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat ont réclamé de toute urgence, dans un rapport d'information commun publié en juin 2009 1 ( * ) , un « sursaut » de notre diplomatie culturelle. L'enjeu est lourd : s'il venait à manquer le rendez-vous décisif de la diplomatie d'influence, il en résulterait une marginalisation croissante de notre pays sur la scène internationale.

Il est donc temps d'adresser un signal fort en direction tant de nos personnels culturels à l'étranger que des publics étrangers désireux d'échanger avec nos milieux culturels. Notre capacité à nous renouveler et à réactualiser nos systèmes de pensée se mesure à la vitalité de nos échanges avec les cultures étrangères. L'écrivain polonais Witold Gombrowicz observait à juste titre : « être français, c'est justement prendre en considération autre chose que la France ».

I. LE RÉSEAU CULTUREL FRANÇAIS À L'ÉTRANGER : UNE CRISE DE SENS

A. UN RÉSEAU CULTUREL EN PROIE À LA DÉMOBILISATION

1. Un manque de lisibilité budgétaire

La présentation budgétaire des crédits de la coopération culturelle et linguistique est marquée par l'illisibilité de la dépense dans ce domaine, en particulier du fait d'une césure de moins en moins pertinente entre la coopération avec les pays industrialisés, relevant du programme 185 « Rayonnement culturel et scientifique » de la mission « Action extérieure de l'État », et les pays en développement, relevant du programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement » de la mission « Aide publique au développement ».

Votre commission a eu l'occasion de le souligner à plusieurs reprises dans ses rapports pour avis budgétaires sur les crédits de l'action culturelle extérieure et de la francophonie : la ligne de partage entre les programmes 185 et 209 en matière d'action culturelle extérieure est de moins en moins adaptée à la réalité de nos priorités stratégiques. En effet, les pays émergents restent inscrits dans le programme 209 alors que l'action culturelle en Chine et en Inde n'obéit pas aux mêmes impératifs que la coopération culturelle dans les pays de la zone de solidarité prioritaire (ZSP) et les pays moins avancés.

Votre rapporteur pour avis se félicite néanmoins de la distinction, au sein du programme 209, entre le volume d'aide et de coopération consacré aux pays émergents et à revenu intermédiaire, inscrit dans l'action 2, et celui consacré aux pays de la ZSP ou aux pays les moins avancés, figurant à l'action 3. Toutefois, la difficulté de la lecture budgétaire réside dans le fait que la politique culturelle et linguistique, d'une part, et la coopération en matière de développement, d'autre part, constituent deux sphères d'intervention autonomes, bien que susceptibles d'interagir .

À ce titre, votre rapporteur pour avis souligne la spécificité des questions culturelles liée à la nature même de la commande artistique. À ce titre, les biens culturels font précisément l'objet d'un traitement spécifique dans le cadre de la mondialisation commerciale. Pour ces raisons, il est regrettable de confondre systématiquement dans le programme 209 l'action culturelle extérieure et la politique globale de coopération .

En conséquence, un document budgétaire transversal regroupant l'ensemble des crédits consacrés à l'action culturelle extérieure semble indispensable pour garantir la lisibilité et la cohérence de notre politique de coopération culturelle et linguistique. Cet effort de lisibilité budgétaire apparaît d'autant plus nécessaire que la constitution d'une direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats maintient le risque de voir notre politique de coopération culturelle et linguistique diluée, voire effacée au profit d'enjeux plus globaux, sans réelle visibilité sur les plans politique, administratif et surtout budgétaire .

La création de l'agence chargée de l'action culturelle extérieure de la France, qui devrait prolonger les missions actuelles de CulturesFrance sous la forme d'un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), devrait présider (on ose l'espérer) à une éventuelle modification de cette architecture budgétaire.

En outre, au sein du programme 185, les charges incompressibles exponentielles de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) et de nos contributions à diverses organisations internationales exercent un effet d'éviction considérable sur les crédits spécifiques de la coopération culturelle et linguistique, c'est-à-dire affectés aux instituts et centres culturels et aux Alliances françaises.

La création d'un opérateur unique chargé de la coopération culturelle et linguistique, longtemps réclamée par votre commission, devrait dès lors être un moyen de sanctuariser les moyens de notre réseau au sein d'une ligne budgétaire clairement identifiée et d'éviter ainsi que la coopération culturelle et linguistique serve de variable d'ajustement au sein du programme 185, absorbé à 83 % par la dotation de l'AEFE .

Pour avoir une vision globale des financements consacrés à l'action culturelle extérieure, outre les crédits du programme 185, il faut également tenir compte :

- des crédits consacrés à la coopération culturelle dans les pays en voie de développement et les pays émergents, qui relèvent du programme 209 de la mission interministérielle « Aide publique au développement » ;

- des crédits consacrés à l'action internationale du ministère de la culture, qui figurent dans le programme 224 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » du budget du ministère de la culture.

2. Un budget en sursis

À la lecture du projet annuel de performances pour 2010 de la mission « Action extérieure de l'État », les crédits d'intervention du programme 185 consacrés, hors subvention à l'AEFE, à la diplomatie publique d'influence s'établiront, en 2010, à 88 millions d'euros , soit une diminution de - 4,8 % par rapport à leur niveau de 2009 (92 millions d'euros).

Dans le projet de loi de finances pour 2010, il est proposé de ventiler ces crédits d'intervention selon la répartition suivante :

- 32,6 millions seront consacrés à l' animation du réseau de coopération culturelle et linguistique , c'est-à-dire au fonctionnement des services de coopération et d'action culturelle (SCAC) et des services culturels spécialisés de notre réseau diplomatique, à hauteur de 2,5 millions d'euros, aux dotations pour opérations des établissements culturels à autonomie financière (EAF, instituts et centres culturels) et des centres pour les études en France (CEF), pour un montant de 16,6 millions d'euros, et au soutien aux actions de coopération menées par les opérateurs CulturesFrance (9,8 millions d'euros) et CampusFrance (0,4 million d'euros) et dans le cadre de la promotion des industries culturelles et de la modernisation du réseau culturel à l'étranger (3,3 millions d'euros) ;

- 20,6 millions d'euros seront consacrés à la promotion de la langue et de la culture françaises et de la diversité linguistique et culturelle ;

- 34,7 millions d'euros seront consacrés au renforcement des échanges scientifiques, techniques et universitaires .

Cette dégradation des moyens spécifiquement consacrés aux actions de coopération culturelle et linguistique intervient alors même qu'au titre des exercices budgétaires pour 2009 et 2010, une rallonge exceptionnelle de 40 millions d'euros (soit 20 millions d'euros par an) a été obtenue afin de soutenir les industries culturelles et audiovisuelles et de redynamiser notre réseau culturel à l'étranger. Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2010, cette enveloppe devrait être ventilée de la façon suivante :

- 8,3 millions d'euros sur le programme 185 « Rayonnement culturel et scientifique » ;

- 11,7 millions d'euros sur le programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement » de la mission interministérielle « Aide publique au développement ».

Votre rapporteur pour avis tient ainsi à souligner que le versement de ce financement supplémentaire ne suffit pas à enrayer la tendance à la baisse des crédits de la coopération culturelle et linguistique, observée depuis 2005, dans la mesure où le versement de ce financement supplémentaire intervient, non pas par rapport au niveau de 2009, mais par rapport à la diminution sensible que prévoyait initialement la loi de programmation triennale des finances publiques pour la période 2009-2011 .

En d'autres termes, cette rallonge budgétaire ne devrait permettre que de maintenir, tant bien que mal, à leur niveau de 2009 les crédits destinés à l'action culturelle extérieure, alors que la loi de programmation triennale prévoyait une forte baisse de ces crédits en 2009 et 2010.

Par ailleurs, la diminution des crédits affectés aux projets de coopération culturelle est également visible au sein du programme 209, consacré à la coopération en direction des pays en développement : elle serait de - 4,4 % en 2009, et ce malgré l'abondement à ce programme d'une partie de la rallonge budgétaire évoquée précédemment.

À la lecture du projet annuel de performances pour 2010 de la mission « Aide publique au développement », les crédits affectés à la diplomatie d'influence au titre du programme 209 s'établissent en effet en 2010 à 162,6 millions d'euros , contre 170,1 millions d'euros en 2009, et se décomposent de la façon suivante :

- 17,1 millions d'euros consacrés aux dotations des établissements culturels à autonomie financière ;

- 7,2 millions d'euros de subventions aux Alliances françaises ;

- 74,6 millions d'euros affectés aux bourses et à la formation des élites étrangères ;

- 12,2 millions d'euros consacrés aux échanges d'expertise ;

- 5,4 millions d'euros pour abonder les partenariats Hubert Curien dans le cadre de la politique de soutien aux échanges scientifiques et technologiques internationaux du ministère des affaires étrangères ;

- 46,1 millions d'euros de subventions et de prestations au service de la diplomatie d'influence.

Votre rapporteur pour avis souhaite appeler l'attention du Sénat sur la dégradation des moyens budgétaires consentis à deux instruments pourtant essentiels de notre diplomatie d'influence :

- les Alliances françaises voient leurs subventions chuter de - 21 % sur le programme 185 et de - 24 % sur le programme 209 ;

- les crédits consacrés aux bourses diminuent de - 20 % sur le programme 185 et de - 10 % sur le programme 209.

L'évolution observée des crédits spécifiquement consacrés au réseau culturel de la France à l'étranger est la suivante :

2005

2006

2007

2008

2009

2010 (prévision)

Enveloppes
des SCAC

Total
(avant LOLF)

214 199 387

P185

59 518 503

56 741 577

58 796 263

53 279 000

53 183 230

P209

194 532 292

184 704 589

164 471 747

140 816 000

143 145 920

Alliances françaises

Total
(avant LOLF)

10 169 952

P185

2 237 841

1 186 566

1 793 728

1 645 340

2 402 436

P209

8 623 277

6 164 927

7 939 744

6 511 519

7 181 194

Fonctionnement EAF culturels

Total
(avant LOLF)

42 006 375

P185

17 310 122

15 619 487

15 641 495

14 065 529

15 200 000

P209

23 641 750

18 139 541

23 754 797

20 963 571

21 500 000

Fonctionnement EAF de recherche

Total
(avant LOLF)

7 168 160

P185

1 549 350

1 293 942

1 733 389

1 273 750

1 400 000

P209

5 562 665

4 426 398

4 040 988

4 914 098

4 500 000

Dotations pour opérations

Total
(avant LOLF)

20 798 108

P185

6 701 652

4 277 088

5 140 497

4 751 615

6 221 058

P209

14 871 105

6 456 593

11 732 601

13 436 249

17 106 613

Source : Programmation

Source : Ministère des affaires étrangères et européennes.

Votre rapporteur pour avis observe ainsi que, malgré l'enveloppe supplémentaire de 20 millions d'euros en faveur de l'action culturelle extérieure, la diminution des crédits des services de coopération et d'action culturelle (SCAC) des ambassades, sur la période de 2006 à 2010, s'établira à - 23 % . Sur la même période, la baisse des subventions aux Alliances françaises s'élèvera à - 11 %, alors que les crédits affectés aux établissements culturels à autonomie financière (instituts et centres culturels) chuteront de - 4 %, étant entendu qu'ils avaient déjà décru de - 10 % de 2006 à 2008 avant l'ouverture de la rallonge budgétaire.

Source : Ministère des affaires étrangères et européennes.

* 1 Rapport d'information n° 458 (2008-2009) de MM. Jacques Legendre et Josselin de Rohan, fait au nom de la commission de la culture et de la commission des affaires étrangères, déposé le 10 juin 2009.

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