B. EN LONGUE PÉRIODE, UNE DÉGRADATION TENDANCIELLE DE L'ÉQUILIBRE FINANCIER POUR TOUTES LES CATÉGORIES DE COLLECTIVITÉS

En effet, force est de constater que, en longue période, la tendance est à la dégradation de l'équilibre financier pour tous les niveaux de collectivités, et plus particulièrement pour les départements.

1. Une dégradation globale des capacités d'autofinancement

Votre rapporteur note d'abord que les capacités d'autofinancement des collectivités se sont réduites en 2008 et en 2009. Globalement, celles-ci ont diminué de 6,2 % en 2008 et de 1,8 % en 2009 , ce qui ne doit toutefois pas masquer des évolutions très variées en fonction du niveau de collectivités concerné :

- les capacités d'autofinancement des communes et des EPCI sont en augmentation (respectivement, de 6 et 14 %). Cette augmentation est d'autant plus étonnante que les coûts de fonctionnement des communes et de leurs groupements ne cessent de croître (près de 20 % pour les communes et pour les EPCI depuis 2002), alors même qu'une mutualisation des moyens aurait dû être engagée et qu'elle aurait dû provoquer des économies d'échelle ;

- les capacités d'autofinancement des régions connaissent un léger infléchissement (baisse de 5 %) ;

- celles des départements sont en chute libre (diminution de 18 % en 2009, qui succède à une baisse de 14 % en 2008).

Cette évolution est inquiétante, puisqu'elle confirme l'existence, sous l'effet de la réduction du montant des dotations de fonctionnement versées par l'État, d'un décalage durable entre les dépenses de fonctionnement (qui, malgré une décélération par rapport à 2008, augmentent pour toutes les catégories de collectivités) et les recettes de fonctionnement .

De même, l'épargne brute des départements et des régions continuera, selon toute vraisemblance, de diminuer en 2010 : selon l'Observatoire des finances locales, les capacités d'autofinancement des départements devraient ainsi baisser de 11,1 % en 2010 , celles des régions diminuant de 5,9 %.

Enfin, le niveau d'emprunt des collectivités n'a pas cessé, malgré les conventions FCTVA et malgré la relative amélioration de la conjoncture économique, d'augmenter : en 2009, l'encours de dette augmente ainsi, toutes catégories de collectivités confondues, de 4,5 %.

2. Un « effet de ciseaux » qui continue de mettre en danger la viabilité des finances départementales

Comme en 2008, le constat le plus préoccupant concerne les finances des départements.

(1) La dégradation continue des finances départementales : un déséquilibre qui s'est accru en 2009

L'effet de ciseaux (qui se définit comme une sensibilité divergente des ressources et des charges à la conjoncture économique, entraînant une hausse des dépenses concomitamment à une réduction des recettes) auquel les départements sont structurellement soumis s'est aggravé au cours de l'année 2009.

La crise a en effet provoqué une croissance sensible des dépenses sociales des départements : celles-ci ont augmenté de 4 % entre 2008 et 2009, si bien qu'elles représentent désormais 62 % des charges de fonctionnement. Au sein de ce total, on notera que les dépenses d'aide à la personne (RSA, aide personnalisée à l'autonomie des personnes âgées et PCH) ont augmenté de plus de 8 %. Ce constat est particulièrement problématique dans la mesure où les départements n'ont aucune maîtrise sur les prestations sociales qu'ils financent (ils ne peuvent en déterminer ni le montant, ni le nombre de bénéficiaires, ces décisions relevant uniquement de l'État).

Comme le résume Pierre Jamet dans son rapport précité : « Croît progressivement le sentiment, pour nombre d'élus décideurs, que comme leurs agents, ils deviennent des `guichets' agissant pour le compte d'autrui, en l'occurrence l'État. La montée en charge des dispositifs, les difficultés ou tensions budgétaires en découlant font naître un sentiment d'impuissance, voire une véritable angoisse collective des décideurs , apeurés de ne pouvoir, à terme, remplir leurs obligations. »

A cet égard, votre rapporteur souligne que, selon les données qui figurent dans le rapport précité de la Cour des comptes, le taux de couverture par l'État et les organismes sociaux a diminué entre 2008 et 2009, passant de 67 à 62 % ; cet écart entre les deux années représente, pour les départements, un surplus de financement de 5,3 milliards d'euros .

Parallèlement, les recettes des départements ont peu augmenté en 2009, notamment sous l'effet de la mauvaise conjoncture du marché de l'immobilier : celle-ci a eu un impact direct sur le rendement des DMTO, qui a chuté de 22,5 % entre 2008 et 2009 .

Dès lors, pour faire face à cette situation, les départements ont dû augmenter le taux de certains impôts locaux : en 2009, 73 départements ont voté des taux en hausse ; à l'échelle nationale, la hausse moyenne est nette, et s'établit à 6,2 % .

(2) Un phénomène structurel

De manière plus générale, on ne peut que constater que les ressources des départements sont en « décrochage » par rapport aux compétences qu'ils exercent et que la fragilisation des finances départementales, loin d'être un fait conjoncturel lié à la crise économique, est un phénomène structurel .

En effet, les dépenses et les ressources évoluent de manière inverse et ce, de manière inéluctable :

- les ressources des départements sont caractérisées par leur faible dynamisme. Le rapport précité de la Délégation aux collectivités territoriales a ainsi mis en évidence l'« atonie » de l'assiette de la TIPP, faisant passer le rendement de cette dernière de 24,3 milliards d'euros en 2000 à 14,5 milliards d'euros en 2010 (soit une chute de près de 60 % en dix ans ) ; quant aux dotations versées par l'État, elles sont en recul constant ;

- toutes les dépenses liées à la « décentralisation sociale » sont, au contraire, en augmentation continue : selon le rapport de l'Observatoire de la décentralisation, le total des dépenses d'aide sociale prises en charge par les départements a augmenté de 8,1 % entre 2009 et 2010 29 ( * ) .

En outre, selon M. Pierre Jamet, l'ampleur de cet effet de ciseaux risque de s'exacerber avec le temps . Il estime ainsi que, à long terme, le caractère contraint des ressources (lié notamment à la réforme de la taxe professionnelle, qui prive les collectivités d'une large partie de leur autonomie fiscale) 30 ( * ) , ainsi que le caractère obligatoire des dépenses (qui sont d'ailleurs fréquemment sous-estimées), devraient exercer une pression de plus en plus forte sur les finances départementales. Les compétences sociales dévolues aux départements après la loi du 13 août 2004 devraient d'ailleurs jouer un rôle non-négligeable dans cette évolution : en effet, ces transferts ont été effectués hors de tout mouvement global de décentralisation, si bien qu'elles ne font l'objet d'aucun contrôle de gestion .

Il convient, par ailleurs, de souligner que ce phénomène de « décrochage » n'a pas la même portée dans tous les départements : quatre critères permettent de caractériser les départements les plus vulnérables. Ainsi, sont particulièrement touchés par l'effet de ciseaux, les départements comptant un nombre important d'habitants de plus de 75 ans, dont le revenu moyen des ménages imposables est faible, qui connaissent un taux de chômage élevé et dont la densité démographique est limitée.

(3) Quelles solutions pour restaurer la viabilité des finances départementales ?

Plusieurs solutions ont été avancées pour répondre à la situation alarmante des départements.

A court terme, le gouvernement a tout d'abord repris l'une des propositions du rapport Jamet en créant, en septembre 2010, une « mission d'appui » pour les départements les plus en difficulté . Composée de fonctionnaires de l'Inspection générale des finances, de l'Inspection générale de l'administration et de l'Inspection générale des affaires sociales, cette mission est chargée de proposer aux départements les plus en difficulté, qui font appel à elle de manière volontaire, de conclure un « contrat de stabilité » grâce auquel ils pourront recevoir des avances 31 ( * ) ; en contrepartie, les conseils généraux en cause devront mettre en place un programme de stabilisation de leurs dépenses.

Selon les informations fournies par le gouvernement, à ce stade, quatre départements ont déjà sollicité la mission d'appui .

A plus long terme, le gouvernement a annoncé son intention de mener une réforme de la prise en charge de la dépendance ; examinée au cours de l'année 2011, celle-ci devrait notamment permettre de modifier les modalités de financement de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA).

Votre rapporteur considère que cette initiative, pour opportune qu'elle soit, n'est pas suffisante pour répondre aux difficultés des départements. Une réflexion globale sur la « décentralisation sociale » est aujourd'hui nécessaire pour éviter que, pour reprendre l'expression du président Gérard Larcher, les départements ne soient mis en « dépôt de bilan ».

Ainsi, selon la Cour des comptes, c'est l'ensemble des dépenses sociales assumées par les départements qui doit être revu et repensé : « à terme, le financement des aides sociales décentralisées n'apparaît pas viable » 32 ( * ) . Dès lors, toujours selon la Cour, « il revient à l'État de revoir les conditions de financement de ces prestations » (et non des seules prestations relatives à la dépendance), « qu'il a transférées aux départements sans leur donner les moyens d'en maîtriser l'évolution ou de modifier les dispositifs sociaux eux-mêmes ».

Ce point de vue est d'ailleurs partagé par les élus départementaux, et notamment par l'Assemblée des départements de France, qui préconise que les dépenses résultant de l'APA, de la PCH et du RSA soient compensées à l'euro près , sous le contrôle de la CCEC, par l'État, ce qui imposerait une révision annuelle des modalités de compensation.

Votre rapporteur estime donc nécessaire que le Sénat se saisisse de cette question et que, a minima , un débat sur ce sujet puisse être rapidement organisé.


* 29 Pour des éléments précis sur cette question, votre rapporteur renvoie au rapport précité de la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, qui a fait de la décentralisation sociale l'exemple des « ambiguïtés du principe de compensation des créations/extensions de compétences » et a montré, en détail, les raisons de la divergence entre les ressources et les dépenses des départements.

* 30 Selon la Cour des comptes, la réforme de la taxe professionnelle risque de faire baisser la valeur du point fiscal de 38 % dans l'Essonne et de 44 % dans le Pas-de-Calais, par exemple.

* 31 Ces avances figureront dans le projet de loi de finances rectificative pour 2010.

* 32 Rapport précité de juin 2010.

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