II. L'ENJEU D'UNE RÉFORME EN PROFONDEUR DE LA POLITIQUE DU « LOGEMENT D'ABORD »

A. UNE POLITIQUE POUR LE MOMENT INADAPTÉE A LA HAUSSE CONSTANTE DES BESOINS

1. L'évolution des besoins d'hébergement et d'accompagnement vers le logement

Selon les données fournies par le projet annuel de performances pour 2013, le parc d'hébergement comptait au 31 décembre 2011 75 347 places , soit 39 346 places en centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), 19 766 places en centres d'hébergement d'urgence, de stabilisation et d'insertion et 16 235 places en hôtel.

Au cours de l'hiver 2011-2012, 9 446 places supplémentaires ont été mobilisées chaque soir.

A ces places s'ajoutent 10 269 places en maisons-relais ou pensions de famille.

Evolution du nombre de places d'hébergement et de logement adapté
sur la période 2004-2010

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

Maisons relais/Pensions de famille

1 899

2 262

3 192

4 619

6 172

7 909

9 212

Centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS)

30 332

30 603

31 185

37 220

38 298

39 442

39 540

Places d'hôtel

6 953

8 626

9 393

9 802

10 647

13 025

15 016

Centres d'hébergement d'urgence (CHU) et places de stabilisation, hors CHRS

11 919

12 212

13 138

14 565

16 556

17 535

18 919

Places de résidences hôtelières à vocation sociale à disposition de l'Etat

-

-

-

-

-

118

203

Total places d'hébergement

51 103

53 703

56 908

66 206

71 673

78 029

82 890

Source : Cour des comptes

La Cour des comptes estime à 150 000 le nombre de personnes sans domicile à la fin des années 2000 4 ( * ) . Malgré l'augmentation du nombre de places au cours des dernières années, l'offre d'hébergement et de logement adapté reste donc clairement sous-dimensionnée.

Tout aussi inquiétant, elle se caractérise par un recours croissant aux nuitées d'hôtel, système pourtant régulièrement dénoncé en ce qu'il est à la fois inadapté à la mise en place d'un dispositif d'accompagnement et d'insertion des personnes et particulièrement coûteux pour l'Etat.

Le rapport annuel du 115 pour l'année 2011 souligne les faiblesses du dispositif actuel d'hébergement : « plus que jamais le dispositif d'hébergement d'urgence se révèle sous tension et dans l'incapacité de répondre à ses missions, témoin de la crise sociale actuelle et de ses répercussions directes sur les plus démunis ».

Selon ce rapport, les demandes d'hébergement effectuées auprès du 115 ont augmenté de 17,5 % en 2011 , celles venant de familles connaissant une hausse particulièrement soutenue de 54 %. Les familles représentent 30 % du nombre total de demandeurs tandis que les personnes isolées, en particulier les hommes seuls, demeurent la catégorie la plus nombreuse puisqu'elles concentrent près de la moitié des demandes.

Une solution d'hébergement n'a pu être proposée aux demandeurs que dans moins de la moitié des cas , le plus souvent en raison de l'absence de places suffisantes.

Le manque de places disponibles conduit les structures d'accueil à sélectionner les publics hébergés et à ne proposer que des solutions ponctuelles. En 2011, 52 % des personnes hébergées avaient effectué plusieurs demandes au cours de l'année, 5,7 en moyenne. Ce chiffre est de 7,4 pour les seules familles. Dans ces conditions, les principes d'inconditionnalité et de continuité de l'accueil, pourtant inscrits dans la loi, ne sont pas respectés.


Les principes d'inconditionnalité et de continuité de l'hébergement d'urgence

Article L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles : « toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique et sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence [...] ».

Article L. 345-2-3 du code de l'action sociale et des familles : « toute personne accueillie dans une structure d'hébergement d'urgence doit pouvoir y bénéficier d'un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès lors qu'elle le souhaite, jusqu'à ce qu'une orientation lui soit proposée. Cette orientation est effectuée vers une structure d'hébergement stable ou de soins, ou vers un logement, adaptés à sa situation ».

Pour plusieurs catégories de personnes hébergées, doit être également pris en compte l'enjeu d'une meilleure articulation entre les différentes structures d'accueil.

Ainsi, les demandeurs d'asile , déboutés ou confrontés à l'insuffisance de places dans les centres d'accueil de demandeurs d'asile (Cada), ne peuvent être hébergés par ces structures et sont donc accueillis dans les dispositifs d'hébergement de droit commun.

Le rapport de l'Assemblée nationale sur la politique d'hébergement d'urgence 5 ( * ) souligne que l'afflux de mineurs étrangers isolés dans certains territoires, notamment dans la région Ile-de-France, pris en charge par les conseils généraux au titre de l'aide sociale à l'enfance (Ase), a des conséquences sur la politique d'hébergement dans la mesure où, arrivés à l'âge adulte, certains jeunes sont amenés à recourir à des solutions d'hébergement d'urgence.

Si le phénomène est difficile à quantifier, se pose la question de la capacité des conseils généraux à travailler avec les structures associatives en charge de l'hébergement pour assurer la continuité de la prise en charge de ces jeunes ainsi que du travail d'intégration mené avec eux. Le rôle des services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO) apparaît à ce titre essentiel pour assurer la coordination entre les différents acteurs.

2. Les limites de la politique de refondation lancée en 2009

Lancée en 2009, la politique de refondation du système français d'hébergement se fonde sur le concept de « logement d'abord ». Né aux Etats-Unis avec l'expérimentation d'un dispositif « Pathways to the housing » destiné aux personnes souffrant de troubles psychiques et d'addictions, le « logement d'abord » a fortement inspiré certaines politiques publiques en Europe ainsi que les travaux menés par la conférence européenne de consensus sur le sans-abrisme.

Reposant sur la conviction que le logement constitue la condition première de la réussite du parcours d'insertion, les politiques du « logement d'abord » tendent à privilégier le développement d'une offre de logement durable ainsi que de dispositifs d'accompagnement social vers et dans le logement, au détriment des solutions temporaires d'hébergement.

Si les mesures mises en oeuvre par le précédent gouvernement ont eu certains aspects positifs, notamment en termes d'humanisation des structures d'hébergement, force est de constater qu'elles sont loin d'avoir atteint leurs objectifs pour ce qui est de la mise en place de dispositifs de logement adapté destinés à remplacer des places d'hébergement temporaire. En particulier, la refondation s'était fixé en 2009 un objectif de création de 15 000 places de pensions de famille/maisons relais d'ici la fin de l'année 2011. Or à cette date, le nombre de places ouvertes était inférieur à 11 000.

Dans le même temps, les solutions d'hébergement d'urgence n'ont pas augmenté au même rythme que les besoins. Or, ainsi que le souligne la fondation Abbé Pierre dans son rapport sur le mal-logement 6 ( * ) , la mise en place d'une véritable politique du « logement d'abord » ne peut se faire en niant les besoins spécifiques d'hébergement.


* 4 Cour des comptes, rapport d'évaluation : la politique publique d'hébergement des personnes sans domicile, novembre 2011.

* 5 Rapport d'information de Danièle Hoffman-Rispal et Arnaud Richard, au nom du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques, sur l'évaluation de la politique de l'hébergement d'urgence, janvier 2012.

* 6 Fondation Abbé Pierre pour le logement des défavorisés, « L'état du mal-logement en France, 17 e rapport annuel », 2012.

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