II. DES CHANGEMENTS DE MÉTHODE SONT NÉCESSAIRES POUR ACCÉLÉRER LE REPORT MODAL

Le « bleu » budgétaire n'hésite pas à mettre en avant l'« orientation résolument intermodale » des crédits aux infrastructures : est-ce véritablement le cas ? Comment s'en assurer, au-delà du satisfecit sur les grandes masses budgétaires ?

Une première réponse consiste d'abord à regarder les résultats obtenus ces dernières années en matière de report modal : sommes-nous sur la « bonne pente » pour atteindre les objectifs fixés en 2009, d'une part modale de 25 % du fret non routier et non aérien en 2022 ? La stratégie mise en oeuvre par le PLF 2013 est-elle en continuité et prolonge-t-elle la tendance, ou bien son « orientation résolument intermodale » affirmée dans le texte du projet de loi augure-t-elle d'une accélération du rythme du report modal ?

Dans le cadre étroit de cet avis budgétaire, votre rapporteur pour avis fait deux constats , qui motivent un appel à des changements de méthode pour accélérer le rythme du report modal :

- la pente, d'abord, est, non pas trop faible, mais contraire à celle que nous voulions : au rythme où nous allons ces dernières années, et qui paraît maintenu plutôt que véritablement accéléré par ce PLF 2013, nous ne faisons qu'endiguer imparfaitement l'évolution vers le « tout routier » et nous n'atteindrons évidemment pas les objectifs de report modal fixés en 2009 - ce qui fait douter, même, que nous atteignions les objectifs plus récents de la conférence environnementale. La part du fret non routier et non aérien était à 12,6 % en 2006, l'objectif était qu'elle passe à 15,75 % en 2012 pour atteindre les 25 % en 2022 ; or, elle a régressé depuis 2006, pour atteindre 11,7 % en 2011. En d'autres termes, six années de politique « résolument intermodale » - car la tonalité du discours est constante ces dernières années-, n'ont pas empêché que la part modale du fret alternatif à la route continue à reculer dans notre pays ;

- la stratégie du report modal, ensuite, n'est pas assez opératoire , faute d'être suffisamment explicitée, débattue, traduite en programmes conséquents et cohérents - et faute d'être servie par une évaluation précise des outils que nous utilisons pour atteindre nos objectifs. Comment les informations très nombreuses qui concernent le report modal sont-elles agrégées, comparées, débattues ? Les actions nombreuses et diverses qui ont un impact sur le report modal sont-elles évaluées, rapportées à une stratégie d'ensemble, pour nous aider à choisir les infrastructures, mais également les normes incitatives dont nous avons besoin ?

Dans ces conditions, le débat que nous devons avoir autour du SNIT est stratégique : il est l'occasion d'un changement de méthode devenu nécessaire pour le report modal et auquel les paragraphes suivants espèrent contribuer.

A. PRÉCISER LES CRITÈRES DE SÉLECTION DES INFRASTRUCTURES ET DE L'ALLOCATION DES RESSOURCES PUBLIQUES

Les infrastructures sur lesquelles nous mettons des moyens sont-elles bien celles dont nous avons besoin ? Comment sont-elles sélectionnées ?

La loi « Grenelle I », dans ses articles 16 et 17, définit un nouveau cadre de référence pour les projets d'infrastructures aussi bien que pour leur sélection.

OBJECTIFS ET CRITÈRES DE SÉLECTION DES INFRASTRUCTURES
DANS LA LOI « GRENELLE I »

Article 16

« Un schéma national des infrastructures de transport fixe les orientations de l'État en matière d'entretien, de modernisation et de développement des réseaux relevant de sa compétence, de réduction des impacts environnementaux et de la consommation des espaces agricoles et naturels, et en matière d'aides apportées aux collectivités territoriales pour le développement de leurs propres réseaux.

« Il vise à favoriser les conditions de report vers les modes de transport les plus respectueux de l'environnement en poursuivant, de manière simultanée, les trois objectifs suivants :

« a) A l'échelle européenne et nationale, poursuivre la construction d'un système de transport ferroviaire à haut niveau de service pour les voyageurs et pour le fret, et d'un réseau fluvial ;

« b) Au niveau régional, renforcer la multipolarité des régions ;

« c) Au niveau local, améliorer les déplacements dans les aires métropolitaines.

« Il veille à la cohérence globale des réseaux de transport et évalue leur impact sur l'environnement et l'économie.

« Il sert de référence à l'État et aux collectivités territoriales pour harmoniser la programmation de leurs investissements respectifs en infrastructures de transport.

« Il est actualisé et présenté au Parlement au moins une fois par législature.

« L'État et ses établissements publics gestionnaires d'infrastructures ferroviaires et fluviales passent des contrats pluriannuels définissant des priorités et prévoyant les moyens nécessaires à leurs actions. »

Article 17

« I. Le schéma national des infrastructures de transport, qui constitue une révision des décisions du comité interministériel de l'aménagement et du développement du territoire de décembre 2003, sera élaboré en 2009 en concertation avec les parties prenantes du Grenelle.

« L'État évalue l'opportunité des projets d'infrastructures à inscrire dans le schéma national des infrastructures de transport en se fondant sur des critères permettant d'apprécier la contribution des projets à l'atteinte des objectifs de développement durable fixés dans le cadre de la présente loi. Ces critères seront par priorité :

« - le solde net d'émissions de gaz à effet de serre induites ou évitées par le projet rapporté à son coût ;

« - l'avancement d'autres projets et les perspectives de saturation des réseaux concernés ;

« - la performance environnementale (lutte contre le bruit, effet de coupure, préservation de la biodiversité...) ;

« - l'accessibilité multimodale, le développement économique, le désenclavement et l'aménagement des territoires aux différentes échelles ;

« - l'amélioration de l'efficacité, de la sécurité et de la cohérence du système de transport existant ;

« - la réalisation des objectifs d'accessibilité des personnes à mobilité réduite prévus par la législation nationale ».

On sait que le SNIT n'a pas été rédigé dans l'année 2009, comme en disposait le législateur, et que le débat n'est pas clos, nous y reviendrons plus loin. Cependant, quelle est l'incidence de ces deux articles de principe sur la sélection des infrastructures, et plus largement l'allocation des ressources publiques ?

Depuis la loi d'orientation sur les transports intérieurs 4 ( * ) (LOTI) de 1982, les grands projets d'infrastructures de transports font l'objet d'une évaluation préalable, le législateur ayant précisé qu'ils devaient tenir compte « des besoins des usagers, des impératifs de sécurité, des objectifs du Plan de la nation et de la politique d'aménagement du territoire, des nécessités de la défense, de l'évolution prévisible des flux de transports nationaux et internationaux, du coût financier et, plus généralement, des coûts économiques réels et des coûts sociaux » 5 ( * ) . L'évaluation préalable est rendue publique avant l'adoption définitive du projet. Un bilan est ensuite réalisé dans un délai de cinq ans, également rendu public. Des décrets en Conseil d'État ont précisé les critères, eux-mêmes détaillés dans des circulaires. Le document de référence actuel est une instruction cadre du 25 mars 2004, publiée à la suite du rapport « Boiteux II » de 2001 6 ( * ) et mise à jour en mai 2005.

La méthode suivie consiste à attribuer une valeur monétaire à une série d'externalités, principalement les gains de temps pour les usagers, les vies humaines épargnées, les réductions de bruit, d'émission de gaz à effet de serre et de pollution de l'air. Le « bénéfice actualisé net » de l'investissement est calculé en comparant la « chronique des coûts » tout au long de la durée d'utilisation de l'infrastructure, y compris les frais financiers de l'investissement et les charges d'entretien et de renouvellement, avec les avantages économiques qui sont évalués en monnaie constante puis actualisés selon un taux fixé à 4 % en 2005 (au lieu de 8 % antérieurement). En deçà de ce taux de 4 %, l'investissement est considéré comme étant insuffisamment attractif.

En pratique, cette évaluation prévisionnelle , faite pour chaque projet en amont du dossier d'enquête d'utilité publique, est effectuée par le maître d'ouvrage . Qui plus est, les conventions de financement conclues par l'AFITF en matière routière n'en mentionnent pas les résultats , contrairement à ce qui se passe avec les transports collectifs urbains de personnes.

Ensuite, les bilans des projets une fois réalisés, effectués cette fois par le conseil général de l'Environnement et du Développement durable (CGEDD), montrent que ces évaluations sont sensibles surtout aux hypothèses de gains de temps et de trafic .

Pour autant que votre rapporteur pour avis a pu s'en rendre compte, cette grille d'analyse et les conditions de l'évaluation préalable ne sont plus en phase avec l'agenda politique depuis le Grenelle ni avec la demande sociale en général.

Lors des auditions, les services du ministère ont répondu qu'ils travaillaient à une « actualisation » de l'instruction cadre de 2005, sans plus de précision. Il avait fallu trois ans au ministère pour tenir compte du rapport de Marcel Boiteux, et il faudrait désormais plus de quatre années pour qu'il tienne compte de la loi Grenelle I, c'est un peu long !

De ce fait , la « grille d'analyse » ajustée au Grenelle de l'environnement risque de n'être pas disponible pour la commission « Mobilité 21 » , dont la commande est précisément de hiérarchiser les projets. Comment les projets seront-ils présélectionnés, au-delà de critères administratifs évoqués par Frédéric Cuvillier devant notre Commission - en particulier celui de savoir si les projets ont déjà fait l'objet d'une déclaration d'utilité publique ou non ?

Même si toute grille d'analyse est nécessairement imparfaite et qu'il faut toujours tenir compte de critères locaux d'aménagement du territoire, il faut aller le plus loin possible dans l'analyse et partager l'information. C'est nécessaire, parce que l'équilibre général que nous cherchons à atteindre est particulièrement complexe à établir et parce que sans cette grille, nous travaillerons toujours « au doigt mouillé » et prisonniers des urgences.

Les débats en commission ont bien montré le souci commun de disposer d'analyses suffisamment détaillées et contradictoires pour pouvoir comparer des scénarios alternatifs d'infrastructures et de mesures réglementaires.

Le dossier des poids lourds de 44 tonnes en est particulièrement emblématique . Nous sommes sur le point d'autoriser la circulation des 44 tonnes sur 5 essieux jusqu'en 2019 (44 tonnes sur 6 essieux ensuite), n'est-ce pas une prime à la route bien plus forte que les incitations que nous mettons en place pour le report modal ? Que pèse une autoroute ferroviaire très intermittente entre nos frontières luxembourgeoise et espagnole, face à l'autorisation donnée aux 44 tonnes du nord de l'Europe de transiter vers la Méditerranée en traversant notre territoire tout entier ? L'état de nos routes ne s'en trouvera-t-il pas dégradé, et ce, sans recettes complémentaires en compensation de cette autorisation ?


* 4 Loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs.

* 5 Article 14 de la LOTI dans sa rédaction initiale.

* 6 « Transports : choix des investissements et coût des nuisances ». Marcel Boiteux. Commissariat général au plan, juin 2001. Ce rapport fait suite à celui de 1994 : « Transports : pour un meilleur choix des investissements ».

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