B. MIEUX ÉVALUER L'EFFICACITÉ DU BONUS-MALUS ÉCOLOGIQUE, OUTIL PRINCIPAL DE L'INCITATION À LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE

Le bonus-malus est un outil incitatif classique par lequel l'État cherche à influencer les comportements de production et de consommation en intervenant sur le prix. La question des moyens est centrale : ou bien le mécanisme est à l'équilibre - les ressources tirées du malus couvrant celles du bonus - et le dispositif est neutre pour les finances publiques ; ou bien l'un des deux côtés de la balance l'emporte, et le système est excédentaire ou déficitaire. Cet équilibre change le niveau de contrainte que l'État impose aux comportements ciblés, mais il dépend aussi de la pertinence du réglage donné au mécanisme : un dispositif qui « bonusserait » largement un comportement majoritaire serait mécaniquement déficitaire et peu contraignant puisqu'il conforterait le comportement de la majorité des agents ; à l'inverse, la volonté d'infléchir radicalement des comportements sans coût pour la collectivité, ferait « malusser » les comportements majoritaires et de manière sévère pour les moins désirés, pour compenser les bonus accordés aux comportements recherchés.

Le bonus-malus est donc tout indiqué pour accélérer la transition écologique de notre économie, de notre société dans son ensemble. Son utilisation dépend de la priorité donnée à la transition et de la contrainte que la société, à travers l'État, s'impose pour y parvenir. En pratique, son efficacité est fonction de son réglage, plus ou moins congruent avec les comportements ciblés et de la pertinence des objectifs qu'on lui assigne. Le pilotage du bonus-malus nécessite donc une bonne connaissance de ses effets en continu , pour le corriger le plus rapidement possible en cas de « dérive » dans un sens non souhaité.

Le Grenelle de l'environnement a fait une large place à ce mécanisme, qui peut s'appliquer à des domaines très variés de la production et de la consommation. Pour les transports, le bonus-malus écologique est complémentaire au soutien du report modal et aux mesures normatives (« labels », normes « Euro ») fiscales et tarifaires encourageant la moindre pollution.

Votre rapporteur pour avis a souhaité examiner plus précisément l'utilisation que nous faisons de cet outil majeur : comment utilisons-nous le bonus-malus écologique ? Comment mesure-t-on son efficacité et quelles sont nos marges de progression ?

Dans le cadre restreint d'un avis budgétaire, il s'agit d'abord de poser des jalons en commençant par recueillir les grandes données du sujet. L'analyse porte d'emblée sur le bonus-malus écologique automobile, mais il est possible d'évoquer d'autres aspects, qui sont directement dans le sujet.

Instauré en décembre 2007, le dispositif du bonus-malus écologique automobile comporte deux volets.

- D'une part, il incite les acheteurs de véhicules neufs à privilégier les moins émetteurs de CO 2 . Le barème du mécanisme est fonction du niveau d'émission de CO 2 par kilomètre du véhicule. L'État « bonusse » l'achat d'un véhicule faiblement émetteur de CO 2 , en remboursant jusqu'à 7 000 euros à son acheteur ; inversement, l'acheteur doit s'acquitter d'un « malus », jusqu'à 6 000 euros, quand le véhicule est fortement émetteur. Hormis les administrations de l'État, toutes les personnes physiques ou morales sont éligibles au bonus écologique. Chaque année, le dispositif a été plus exigeant en faisant commencer le bonus et le malus plus bas dans l'échelle d'émission de CO 2 ; la zone dite « neutre » des véhicules qui ne sont ni « bonussés » ni « malussés » rejoint graduellement les objectifs que notre pays s'est fixés, en particulier d'une émission moyenne des véhicules neufs de 90 grammes de CO 2 en 2020 7 ( * ) .

- D'autre part, un « super-bonus » est instauré pour favoriser le renouvellement des véhicules anciens par des véhicules neufs moins polluants. Il prévoit une aide supplémentaire de 300 euros pour l'achat d'un véhicule éligible au bonus écologique, s'il s'accompagne de la mise à la casse d'un véhicule âgé de plus de 15 ans (ramené à 200 euros dans le PLF 2013). En 2009 et 2010, dans le cadre du plan de relance, le super-bonus a été remplacé temporairement par la « prime à la casse », d'un montant de 1 000 euros et attribuée à tous les véhicules de plus de 10 ans, sans conditio d'achat d'un véhicule « bonussé ».

Quel est le coût et quels sont les effets de ce dispositif ?

Le coût est bien mesuré : en quatre ans , nous avons consacré 1,45 milliard d'euros publics au bonus/malus écologique automobile 8 ( * ) , auxquels il faut ajouter les quelque 800 millions de la prime à la casse et du « superbonus » . Ce coût important n'a pas été anticipé : le ministère reconnaît que les changements de comportement des consommateurs ont été plus forts que prévu et qu'ils ont été amplifiés en 2009 et 2010 par un effet d'entraînement de la prime à la casse. Depuis l'an passé, le compte de concours financier a été remplacé par un compte d'affectation spéciale, pour revenir à l'équilibre.

La mesure des effets est évidemment plus complexe et dépend directement de l'évaluation qui en est faite. Or, et c'est un étonnement pour votre rapporteur pour avis, l'évaluation du bonus-malus écologique est peu détaillée , surtout vu son coût.

Un premier constat d'ensemble consiste à souligner le caractère de moins en moins polluant des véhicules neufs vendus en France : nous sommes passés d'une moyenne de 149 grammes de CO 2 en 2007 à 127 grammes cette année. Nous avançons vers l'objectif d'une émission moyenne de 130 grammes pour les véhicules qui circuleront en 2020, au lieu des 176 grammes moyens constatés en 2007.

Cependant, la part que l'on peut imputer au bonus/malus est très difficile à établir. D'abord, le mouvement est général : dans tous les pays européens, les véhicules neufs deviennent moins polluants, y compris dans les pays qui n'ont pas de bonus/malus. La France est allée plus vite que ses voisins, mais c'est aussi qu'elle partait d'assez haut et que les cinq dernières années ont été aussi de « rattrapage ». Ensuite, il est très difficile de départager l'effet du bonus/malus, de l'effet de deux phénomènes majeurs : la hausse du prix du carburant et la crise économique , qui se conjuguent pour inciter nos compatriotes à acheter des voitures de moindres cylindrées, de moindre consommation - et les constructeurs automobiles, tous pays confondus, à leur proposer des voitures toujours plus sobres, y compris les grosses cylindrées.

Dès lors, il est surprenant que l'administration n'évalue pas précisément, par des enquêtes qualitatives auprès des acheteurs de véhicules neufs, l'effet propre du bonus-malus. Les rares enquêtes disponibles paraissent sous-dimensionnées par rapport aux enjeux.

En mai 2010 le Commissariat général au développement durable (CGDD) a publié une première enquête sur les années 2008 et 2009, faisant apparaître les points suivants 9 ( * ) :


• un renouvellement de la flotte automobile par des véhicules plus propres. Entre 2007 et 2010, la part des véhicules émettant moins de 130g/km est passée de 30 % des ventes à 60 %, tandis que celle des véhicules émettant plus de 160g/km passait de 24 % à 8 % :


• un recul des émissions de gaz à effet de serre, gain évalué à 1,9 million de tonnes en 2008 et 3 millions de tonnes en 2009 (et calculé sur la durée de vie complète des véhicules) ;


• un bénéfice économique d'ensemble, monétarisé à 158 millions d'euros en 2008 et à 276 millions d'euros en 2009.

Le CGDD a réitéré en octobre 2012 10 ( * ) , de façon un peu plus précise sur le ciblage des effets agrégés, mais là encore loin de ce qui serait nécessaire pour aller au-delà de l'effet « global » qu'on lui prête et le régler plus précisément.

A titre d'exemple, le tableau suivant, extrait de cette dernière étude, ne présente que le volet « bonus » du dispositif : il montre de façon intéressante que le bonus produit un effet de seuil et qu'il s'est réduit progressivement aussi bien en montant, qu'en nombre de véhicules concernés ; il rappelle également combien les ventes des véhicules les plus « propres » sont encore marginales : à peine 0,1 % pour les véhicules électriques et 2 % pour les véhicules émettant moins de 95 grammes de CO2 par kilomètre. Cependant, cette synthèse ne présente pas l'équivalent pour le malus, comme si le dispositif n'avait qu'un versant et que les deux n'étaient pas complémentaires.

STRUCTURE DES IMMATRICULATIONS AU REGARD DES MODALITÉS D'ATTRIBUTION DU BONUS ÉCOLOGIQUE

Votre rapporteur pour avis estime que nous pouvons et que nous devons aller plus loin dans la connaissance de l'outil. Il nous faut pour cela en démêler et en préciser les objectifs, pour choisir ceux que nous pouvons atteindre au lieu de ceux que nous atteindrons sans aide particulière, ou ceux qui resteront hors de portée.

Il y a l'objectif économique, celui du soutien à la filière automobile française. C'est tout un symbole, à ce titre, que le « durcissement » du bonus/malus ait été annoncé, le 25 juillet dernier, par le ministre du redressement productif, dans le cadre du plan de soutien à la filière automobile. Est-ce là le signe d'un changement de la priorité « matrice » ? Or, quel est le lien précis entre le bonus/malus et la filière automobile française ?

Cherche-t-on à soutenir nos deux constructeurs nationaux, ou bien l'achat de toute voiture construite sur notre sol, y compris par tel constructeur asiatique ? Comment s'assurer que le dispositif choisi coïncide avec les gammes de nos constructeurs, plutôt qu'avec celles de leurs concurrents ? Est-ce même possible, ou bien, faute de congruence avec la construction française, le bonus/malus ne sera-t-il principalement qu'une subvention à l'achat de véhicules fabriqués en Asie ? Le bonus-malus ne met-il pas finalement en évidence le retard des constructeurs français sur les « véhicules propres », tout en accélérant la régression de leurs parts de marché ? Les réponses à ces questions stratégiques ne peuvent être apportées faute d'évaluations approfondies !

Le réglage du bonus/malus n'est pas toujours facile à faire non plus pour son volet « environnemental ». En se plaçant du seul point de vue des émissions de CO 2 , le raisonnement est assez simple et mesurable. Mais il faut compter également la pollution atmosphérique : le diesel émet plus de particules que les véhicules essence, au moins jusqu'à la norme Euro VI qui met les diesel à égalité polluante des voitures à essence, au prix de dispositifs techniques coûteux qui renchérissent les véhicules diesel. Il faudrait encore inclure l'ensemble des externalités de la production des véhicules eux-mêmes, y compris ce que coûte notre approvisionnement en hydrocarbures. Une fois l'équation complétée, où placer le curseur du bonus et celui du malus ? Quelle doit être la place respective de l'aide aux véhicules thermiques et aux véhicules électriques ? Parmi les thermiques, entre les véhicules diesel et les véhicules à essence ? Est-il plus efficace, sur le plan environnemental, d'aider l'achat de véhicules « propres » ou la destruction des plus « sales » ? Dès lors, pourquoi limiter le bonus au seul achat de véhicules neufs et ne pas l'étendre à des véhicules d'occasion récents ? A partir de quelles normes environnementales et dans quelles proportions ?

Les volets économique, social et environnemental, sont évidemment liés entre eux. Économiquement, si les véhicules que l'on souhaite faire acheter ne sont pas prêts, il ne serait pas efficace d'en encourager massivement l'achat, même si une dose d'encouragement peut accélérer l'innovation et la mise sur le marché de ces véhicules. Le dispositif ne sera pas acceptable socialement s'il accélère la perte d'emplois industriels dans notre pays, s'il n'est pas cohérent avec nos capacités de production, ou bien s'il n'est pas accompagné de mesures favorisant la constitution de filières. Même chose, s'il revenait à surtaxer de manière intolérable les véhicules anciens qui, pour être les plus polluants, rendent des services indispensables aux populations qui n'ont pas les moyens d'acheter des véhicules neufs...Pour autant, il ne s'agit pas de s'y résigner, la réponse à ces grands enjeux environnementaux étant déterminante.

Le réglage du bonus-malus et son articulation avec une politique d'ensemble sont essentiels, ce sont eux qui font l'utilité de cet outil, ou qui le transforment en gâchis d'argent public. Or, pour autant que votre rapporteur pour avis ait pu s'en rendre compte, les données disponibles sont encore parcellaires - à tout le moins, il y a des progrès à faire dans l'évaluation.

La logique du bonus-malus est applicable à bien des domaines, en particulier les péages autoroutiers. La directive « Eurovignette » 11 ( * ) permet d'aller plus loin dans l'avantage donné aux véhicules les plus propres, ou les transports collectifs. Dans le même sens, l'article 60 de la loi « Grenelle II » 12 ( * ) autorise à moduler les péages applicables aux poids lourds afin « de lutter contre les dommages causés à l'environnement, de résorber la congestion du trafic, de réduire les dommages causés aux infrastructures, de favoriser leur utilisation optimale et d'améliorer la sécurité routière ». Ces modulations peuvent viser la classe d'émission EURO du véhicule ou encore le moment de la journée, la date et le jour de la semaine, mais elles sont elles-mêmes plafonnées 13 ( * ) : le tarif le plus élevé ne doit pas être plus de deux fois le tarif le plus faible. Comment utilise-t-on ces ciblages ? Avec quels effets ? Quel est l'impact comparé des mécanismes dont nous disposons ? Nous avons là des outils nouveaux et qui peuvent se révéler fort efficaces à condition d'une utilisation appropriée fondée sur des analyses fines qui font aujourd'hui défaut.


* 7 En 2010, cette tranche neutre était comprise entre 125 et 155 g CO 2 /km ; en 2011, entre 110 et 150 g CO 2 /km ; en 2012, entre 105 et 140 g CO 2 /km ; l'an prochain, ce PLF laisse inchangé le seuil du bonus (à 105 g CO 2 /km) et diminue légèrement celui du malus (à 135 g CO 2 /km).

* 8 Le déficit atteint 214 millions d'euros en 2008 (439,37 millions de dépenses pour 225 millions de recettes), 522,3 millions en 2009 (724,56 millions de dépenses pour 202,25 millions de recettes), 516,8 millions en 2010 (707,22 millions de dépenses pour 190,39 millions de recettes) et 198,5 millions en 2011 (396,32 millions de dépenses pour 197,85 millions de recettes).

* 9 « Une évaluation du bonus malus automobile écologique » CGDD, mai 2010.

* 10 Les immatriculations de véhicules équipés de motorisations alternatives : un développement soutenu par la prime à la casse et le bonus écologique, octobre 2012.

* 11 Directive 1999/62/CE du 17 juin 1999 relative à la taxation des poids lourds pour l'utilisation de certaines infrastructures, modifiée par la directive 2006/38/CE du 17 mai 2006 (Eurovignette II) puis par la directive 2011/CE du 12 septembre 2011 (Eurovignette III).

* 12 Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement.

* 13 Le décret n° 2008-411 du 29 avril 2008 fixe ce plafond à 13 % alors qu'elles pouvaient atteindre jusqu'à 30 % dans le réseau français.

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