B. UNE MARGE DE MANoeUVRE ÉTROITE

Le programme « administration pénitentiaire » représente 41,5 % des crédits de la mission justice, soit, dans le projet de loi de finances initialement présenté par le Gouvernement devant le Parlement, une dotation en crédits de paiement de 3,2 milliards d'euros , en augmentation de 6 % par rapport à l'an passé.

Les autorisations d'engagement (2,8 milliards d'euros) demandées enregistrent une forte contraction (- 38,45 %).

Titre et catégorie

Autorisations d'engagement
(en millions d'euros)

Crédits de paiement
(en millions d'euros)

Ouvertes en LFI pour 2012

Demandées pour 2013

Ouvertes en LFI pour 2012

Demandées pour 2013

Titre 2 : dépenses de personnel

1 877

1 976

1 877

1 976

Titre 3 : dépenses de fonctionnement

523

506

713

749

Titre 5 : dépenses d'investissement

2 210

307

336

370

Titre 6 : dépenses d'intervention

78

106

86

108

TOTAL

4 691

2 887

3 013

3 196

L'évolution des crédits apparaît largement déterminée par les créations d'emplois liées à l'ouverture des nouveaux établissements ainsi que par les charges contractuelles dues au partenaire privé pour les établissements en gestion déléguée .

1. Les effectifs : des créations largement déterminées par l'extension des capacités de détention

A périmètre constant, le plafond d'autorisation d'emploi pour 2013 s'élève à 35 750 ETPT 5 ( * ) contre 35 511 ETPT en 2012. Cette progression correspond à l'extension en année pleine de 74 ETPT décidés en 2012 et à la création de 165 ETPT. 50 ETPT ont été transférés du programme « administration pénitentiaire » vers le programme « conduite et pilotage de la politique de la justice » dans le cadre de la mise en place des plateformes interrégionales du ministère de la justice.

Ce plafond se répartit de la manière suivante :

Catégorie d'emploi

Plafond autorisé pour 2012

Plafond autorisé pour 2013

Effet des mesures de transfert pour 2013

Variation 2012/2013

Magistrats de l'ordre judiciaire

17

17

-

Personnels d'encadrement

1 391

1 386

- 11

+ 6

Métiers du greffe, de l'insertion et de l'éducatif (catégorie B)

4 131

4 156

+ 25

Administratifs et techniques (catégorie B)

1 019

1 013

- 5

- 1

Personnels de surveillance (catégorie C)

26 033

26 247

+ 214

Personnels administratifs et techniques (catégorie C)

2 920

2 881

- 34

- 5

TOTAL

35 511

35 700

- 50

+ 239

M. Henri Masse, directeur de l'administration pénitentiaire a indiqué à votre rapporteur que les crédits avaient été obtenus pour financer la création de 715 emplois sur trois ans . Ces 715 emplois pourraient être complétés par des effectifs dégagés grâce à des redéploiements, soit au total :

- 787 emplois pour assurer l'ouverture des nouveaux établissements ;

- 288 emplois pour accompagner les actions d'insertion et de probation et favoriser la diversité des prises en charge ;

- 30 emplois pour lutter contre l'intégrisme dans les établissements pénitentiaires.


Les créations d'emplois

L'augmentation des effectifs est encore principalement liée à l'ouverture ou l'extension d'établissements pénitentiaires :

- armement du centre pénitentiaire d'Orléans Saran et du centre pour peines aménagés de Nouméa ;

- mise en oeuvre du dispositif d'accroissement des capacités du quartier « centre de détention » de Nantes ;

- dernière phase d'armement de la maison centrale de Condé-sur-Sarthe ;

- ouverture du quartier de semi-liberté de Saint-Martin-les-Boulogne et du quartier « nouveau concept » à Longuenesse.

L'évolution des effectifs appelle trois séries d'observations.

D'abord, l'effort réel déployé en faveur de la création d'emplois de surveillants ne doit néanmoins pas occulter deux difficultés. L'organigramme des établissements déterminant l'effectif nécessaire à son fonctionnement est souvent sous dimensionné au regard notamment de la surpopulation chronique rencontrée par certaines catégories de prisons. Ensuite, l'effectif réel des surveillants ne correspond pas, dans de nombreux cas, à l'organigramme théorique.

Lors de la visite par votre rapporteur du centre pénitentiaire de Châteauroux (15 mars 2012), il manquait ainsi 14 agents au regard de l'effectif prévu pour le fonctionnement de cet établissement.

Les vacances peuvent concerner toutes les catégories.

Ainsi comme l'avait déjà noté votre rapporteur, les premiers surveillants peuvent être remplacés par des « faisant fonction » qui n'ont ni la formation, ni l'expérience requises pour remplir ce rôle. La faiblesse de l'encadrement intermédiaire constitue une des fragilités de la gestion des établissements pénitentiaires.

La deuxième observation porte sur le transfert des missions d'extractions judicaires précédemment assurées par les services de police et de gendarmerie décidé par le Gouvernement le 30 septembre 2010. Jusqu'alors, l'administration pénitentiaire ne prenait en charge que les transferts qu'elle avait initiés.

Le transfert de charge aurait dû s'échelonner sur trois années (2011-2013) en contrepartie d'un transfert d'emplois et de crédits du ministère de l'intérieur. Dès le départ, l'arbitrage n'a pas été favorable au ministère de la justice. Bien que, selon le ministère de l'intérieur, 1 200 EPT aient été affectés à cette mission, 800 ETP seulement ont été accordés au ministère de la justice pour exercer cette mission (200 emplois en 2011, 250 en 2012, 350 en 2013). Le Gouvernement avait alors fait valoir un « gain de productivité » d'un tiers en raison d'une part de « l'intégration au sein du même ministère du prescripteur des opérations -les services judiciaires- et de l'opérateur -l'administration pénitentiaire » ; d'autre part, du recours à la visioconférence.

L'évaluation des effectifs, faite au prorata des extractions judiciaires accomplies dans les trois premières régions de l'expérimentation (Lorraine, Auvergne et Basse-Normandie) et des ressources accordées, a d'abord conduit à affecter aux nouveaux pôles de rattachement d'extractions judiciaires (PREJ) cinquante emplois de surveillants. Néanmoins, le ministère de la justice et des libertés a constaté, sur la base de différentes études menées par les services de l'administration pénitentiaire et des services judiciaires, l'insuffisance des effectifs alloués pour la reprise de ces missions.

La détermination des effectifs du PREJ est ainsi passée d'un calcul au prorata à un calcul par évaluation du poids réel des missions d'extraction judiciaire. Les régions Picardie et Franche-Comté ont fait l'objet d'un transfert de missions sur la base de ce nouvel arbitrage 6 ( * ) . Le transfert des missions d'extraction devrait être étendu d'ici la fin 2012 aux régions Champagne Ardennes, Midi-Pyrénées et aux départements franciliens du ressort de la cour d'appel de Versailles.

Votre rapporteur relève que, contrairement à la loi de finances pour 2012, le projet de budget ne prévoit aucun transfert d'emplois pour poursuivre ce transfert. Lors de son audition, le directeur de l'administration pénitentiaire a indiqué avoir obtenu un moratoire d'une année pour la reprise des extractions dans l'attente des conclusions d'un rapport commandé aux inspections générales.

Outre l'insuffisance des effectifs, l'administration pénitentiaire a été confrontée à trois autres séries de difficultés :

- l' absence initiale d'encadrement des agents affectés aux PREJ à laquelle il a fallu remédier dès lors que le nombre de surveillants affectés était réévalué ;

- l' inadéquation de l'organisation du temps de travail -inspirée du système retenu pour la détention- au regard de la forte variabilité journalière des extractions ; une charte du temps expérimentale a dû être élaborée. A titre d'exemple, en juin 2012, selon les jours, le nombre d'extractions judiciaires a pu varier de 1 à 15 en Aquitaine, de 11 à 31 en Picardie, de 3 à 14 en Basse-Normandie, de 11 à 36 en Lorraine et de 1 à 10 en Franche-Comté.

Afin de pouvoir anticiper la durée des missions et la mobilisation des moyens nécessaires, la circulaire du 2 septembre 2011 avait retenu le principe d'une indication par l'autorité judiciaire de la durée prévisible de l'acte . Or, sur 7 790 réquisitions traitées par l'administration pénitentiaire de septembre 2011 à juin 2012, 26,5 % seulement mentionnent une durée possible de l'acte. Ainsi une même équipe ne peut que rarement être réservée sur deux missions successives ;

- l' inadaptation des moyens : l'administration pénitentiaire a acheté des véhicules de transport de personnes détenues, soit d'occasion, auprès de la gendarmerie nationale, soit neuf. Néanmoins, compte tenu des besoins croissants de l'administration pénitentiaire et de la vétusté de certains véhicules cédés par la gendarmerie nationale, un marché national d'achat a été mis en place en janvier 2013.

Par ailleurs, les agents du PREJ communiquent depuis septembre 2011, et quelle que soit l'urgence, à partir d'équipements GSM standardisés qui ne comportent pas les fonctions « détresse », « urgence » et « géolocalisation ». La direction de l'administration pénitentiaire a décidé la mise en oeuvre d'un système d'alerte articulé autour du recours à un dispositif GSM-protection travailleur isolé et la mise en place d'un centre de traitement des appels.

Cette nouvelle mission (comportant le port d'une arme à feu et des déplacements hors des établissements pénitentiaires) exige aussi une formation adaptée des personnels que l'administration pénitentiaire a dû organiser dans des délais très réduits. Des modules de formation de trois semaines (avec mises en situation) ont été mis en place.

La dernière observation touche à l'insuffisance des créations d'emplois liés à l'insertion ou la prévention de récidive -emplois qui peuvent relever des métiers de l'insertion et de l'éducatif mais aussi de surveillance (en effet, le contrôle du placement sous surveillance électronique relève des surveillants et non des conseillers d'insertion et de probation). Selon les documents budgétaires, 63 emplois seraient consacrés à cette filière en 2013. Les créations ne paraissent pas à la mesure d'une politique d'aménagement de peine ambitieuse ( voir infra ).


La revalorisation de la situation des personnels

L'administration pénitentiaire a obtenu une enveloppe de 7 millions d'euros afin de financer les différentes mesures catégorielles.

Parmi les mesures catégorielles engagées antérieurement, il convient de relever :

- l'extension en année pleine de la mise en oeuvre de l'indemnité de fonctions et d'objectifs pour les personnels d'insertion et de probation (0,2 million d'euros) ;

- la poursuite de la réforme statutaire de la filière des personnels d'insertion et de probation (1,3 million d'euros).

Les mesures nouvelles comprennent :

- une mesure catégorielle pour le personnel de surveillance (corps d'encadrement et d'application), soit 5 millions d'euros ;

- la mise en place de la prime de fonctions et de résultats des secrétaires administratifs, soit 0,5 million d'euros.

Les personnels de direction, traditionnellement discrets, sont ceux qui, au cours des entretiens de votre rapporteur avec les représentants des organisations syndicales et professionnelles, ont fait part de la plus vive insatisfaction.

Ce mécontentement trouve en partie son origine dans l'enlisement du dossier de l'intégration des directeurs dans la catégorie A + de la fonction publique. M. Jean-Michel Dejenne, premier secrétaire du syndicat national des directeurs pénitentiaires, a indiqué que les syndicats n'avaient obtenu aucune information sur la teneur du projet d'arrêté d'octobre 2011 et le devenir de ce texte. Les directeurs s'inquiètent également de la possible remise en cause de l'attribution de logements de fonction. Un décret du 9 mai 2012 a confié au préfet la compétence exclusive pour signer les demandes de baux après instruction par France Domaine, sur la base d'un arrêté déterminant les fonctions ouvrant droit à logement par nécessité absolue de service ou convention d'occupation précaire. Le ministère de la justice n'a toujours pas publié cet arrêté. Selon le syndicat national des directeurs pénitentiaires, plusieurs personnels de direction sortant d'école ou mutés sont ainsi tenus d'acquitter intégralement leur loyer ou de contracter des baux privés pour se loger, ce qui peut réduire de manière très substantielle leur traitement. Votre rapporteur partage cette préoccupation : l'attribution d'un logement de fonction s'accorde avec le principe de mobilité et l'obligation de disponibilité.

Ces éléments, conjugués avec la raréfaction des perspectives de carrière, contribuent aux départs plus fréquents et plus précoces des personnels de direction vers d'autres secteurs -43 en deux ans. Ces mouvements seraient positifs s'ils se traduisaient aussi par des retours permettant un enrichissement d'expérience au bénéfice de l'administration pénitentiaire. Tel est rarement le cas.

2. Les moyens de fonctionnement : un effort de sincérité

Les crédits du programme administration pénitentiaire consacrés au fonctionnement s'élèvent à 506,1 millions d'euros en autorisations d'engagement et 749,1 millions d'euros en crédits de paiement, soit, respectivement, une diminution de 3,2 % et une augmentation de 5 %.

La progression des crédits de paiement apparaît désormais comme un effet presque mécanique du paiement des loyers des établissements construits en partenariat public-privé et des charges liées aux marchés de gestion déléguée . A ce titre, les montants alloués à l'administration pénitentiaire par le projet de loi de finances s'élèvent à 396,4 millions d'euros contre 383,2 millions d'euros en 2012 (347,6 millions d'euros en 2011).

Trois autres facteurs contribuent à la hausse des crédits de fonctionnement :

- le développement de la surveillance électronique qui devrait concerner 12 025 personnes en 2013, soit une dépense de 34,7 millions d'euros ;

- le financement des reports de charge lié à la sous-évaluation de la part des dépenses de santé prises en charge par l'Etat (ticket modérateur et forfait hospitalier journalier) - 35,11 millions d'euros contre 30 millions d'euros en 2012 et 26 millions d'euros en 2011 ;

- le rajustement des dotations de fonctionnement au niveau réel des dépenses de fonctionnement assumées par l'administration pénitentiaire dans les établissements en gestion publique.

Si votre rapporteur se félicite d'une présentation des dotations de fonctionnement plus conforme à l'exigence de sincérité budgétaire , il s'inquiète cependant de l'évolution de certaines dotations liées directement à la mise en oeuvre de la loi pénitentiaire. Ainsi, l'enveloppe consacrée à la lutte contre l'indigence , dont le montant avait été fixé en 2011 et 2012 à 4,8 millions d'euros, a été ramené à 2,8 millions d'euros afin de l'ajuster, selon les documents budgétaires, au niveau de sa consommation effective au cours des exercices précédents.

Votre rapporteur relève également que la subvention accordée à l'école nationale de l'administration pénitentiaire se réduit de près de 7 % (de 27,4 millions d'euros à 25,6 millions d'euros) alors que la formation -initiale et continue- des personnels devrait demeurer une priorité.


* 5 Les équivalents temps plein travaillé correspondent aux effectifs pondérés par la quantité de travail des agents (un agent titulaire travaillant à temps partiel à 80 % correspond à 0,8 % ETPT). En outre, tout ETPT non consommé l'année est perdu l'année n + 2, contrairement à la notion d'emplois budgétaires qui, une fois créés, demeuraient acquis.

* 6 Les effectifs des régions concernées par l'expérimentation de 2011 (Lorraine, Auvergne et Basse-Normandie) ont été également abondés en avril 2012.

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