3. Faire mieux respecter l'esprit de la loi
a) Encadrer plus sévèrement la déductibilité des dons aux partis pour mieux assurer la transparence des financements

Les dons des personnes morales sont interdits depuis 1995. Ont-ils pour autant disparu ?

Une réglementation plus rigoureuse des dons des personnes publiques est un des moyens de s'en assurer.

Aujourd'hui, rappelons-le, toute personne peut financer la ou les formations de son choix dans la limite de 7 500 euros par groupement. En revanche, le nombre des bénéficiaires n'est pas limité. Il peut s'ensuivre une démultiplication des structures pour créer autant de donataires sans que soit encadrée l'utilisation finale de ces financements.

Si la libre constitution des partis politiques est constitutionnellement garantie, le législateur doit cependant veiller avec vigilance à ce que ces financements soient bien utilisés selon l'objectif qui leur est assigné : la vitalité du pluralisme politique. Les dons bénéficient, en effet, d'une exonération fiscale partielle qui se traduit par une réduction d'impôt.

Si la déductibilité incite les citoyens à participer au financement de la vie politique, elle se traduit par une perte de recettes pour l'État. Cette minoration de l'impôt impose que le motif d'intérêt général pour lequel elle a été mise en place ne soit pas détourné de sa finalité.

(1) Le dispositif en vigueur

Les dons effectués par un particulier pour financer un candidat ou un parti bénéficient d'une réduction d'impôt 41 ( * ) . Ils sont versés soit à une association de financement électoral, soit à un mandataire financier.

Cette déductibilité a été étendue aux cotisations versées par les personnes physiques aux partis et groupements politiques par la loi du 19 janvier 1995 42 ( * ) qui a aussi relevé le plafond des dépenses prises en compte au titre de cette réduction.

Un seul plafond global (20 % du revenu imposable) et un taux de réduction unique (66 %) s'appliquaient jusqu'en 2011 pour les versements aux candidats aux élections ou aux partis politiques.

Les dons aux partis ou groupements politiques ne peuvent excéder 7 500 euros par parti, cette limite ne s'appliquant pas aux cotisations.

Les dons au profit d'un ou de plusieurs candidats ne peuvent pas excéder 4 600 euros pour les élections (ensemble des scrutins d'un même type) :

Ø pour l'élection présidentielle, les législatives ou les régionales ;

Ø pour les municipales ou les cantonales dans les circonscriptions d'au moins 9 000 habitants ;

Ø pour l'élection des représentants français au Parlement européen ;

Ø pour les élections sénatoriales à compter du renouvellement de 2014.

La limitation du montant du don par personne et par an à chaque parti politique (7 500 euros) ou par élection et par personne (4 600 euros) doit être distinguée de la limite maximale des dons et versements ouvrant droit à déduction fiscale, laquelle a été réduite par la loi de finances pour 2012 à 15 000 euros par foyer fiscal pour les dons aux partis (ce plafond correspond à deux dons au maximum autorisé).

Lorsque le montant des dons dépasse la limite de 20 % du revenu imposable, l'excédent est reporté sur les cinq exercices suivants et ouvre droit à la réduction d'impôt dans les mêmes conditions.

(2) Le resserrement opéré par le projet de loi de finances pour 2013

A l'initiative de sa commission des finances et en dépit de l'avis défavorable du gouvernement et des réserves de son rapporteur général, l'Assemblée nationale vient d'adopter lors de l'examen en cours du projet de loi de finances pour 2013, un amendement limitant à 7 500 euros, par an, le montant total des dons consentis par une personne physique aux partis politiques 43 ( * ) . Lors de sa séance du 23 novembre 2012, le Sénat a adopté l'article 4 quinquies sans modification.

Notre collègue François Marc, rapporteur général de la commission des finances, observe dans son rapport que : « Le dispositif proposé peut s'interpréter comme une volonté de freiner la multiplication des micros-partis et d'avancer encore dans la transparence du financement de l'activité politique, sans revenir sur les principes fondamentaux ayant guidé le législateur lors de l'adoption de la loi précitée du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique. (Il) aurait pour effet de limiter le montant de la dépense fiscale liée au financement des partis politiques, sans que le gain attendu ait pu être chiffré. »

Cette limitation devrait contribuer à réduire les contournements de la loi par la multiplication des formations ; celles-ci ne contribuent pas toutes directement au débat démocratique, faute d'une audience raisonnable dans l'opinion publique que ne peut permettre le faible nombre de leurs adhésions ou de candidats investis pour les consultations électorales. Concourent-elles réellement à l'expression du suffrage tel que le prévoit l'article 4 de la Constitution ?

Outre qu'elle se présente partiellement comme un cavalier budgétaire, la modification adoptée par le Parlement conduit à réduire globalement les moyens légaux d'existence des partis et intervient dans un contexte de difficultés budgétaires pour plusieurs formations qu'elle ne contribuera donc pas à alléger.

La question du meilleur choix se pose en conséquence, la recherche de la ligne d'équilibre entre deux déviations du financement : la multiplication de partis au risque de provoquer la création de « coquilles vides » ou la mise en place de circuits financiers « hors la loi ».

Pour votre rapporteur, le législateur doit tenir compte de ces deux écueils en privilégiant en tout état de cause la voie du financement légal qui doit respecter des modalités de nature à assurer la transparence financière de la vie politique.

b) Encadrer davantage les flux financiers entre formations politiques pour répondre à l'intention du législateur

La poursuite de la transparence est indéniablement l'un des motifs qui a conduit à l'élaboration d'une règlementation en matière de financement de la vie politique. Or il s'avère que l'existence de flux financiers entre partis politiques rend incertaine la destination effective des dons aux partis politiques.

Il arrive en effet que des particuliers, pour contourner la limite fixant à 7 500 euros le don par parti politique, et par an, effectuent la même année des dons à plusieurs « micro-partis politiques », anticipant un retour ultérieur de l'ensemble de ces dons vers une même formation politique « centrale », par le jeu des flux financiers entre partis politiques que la législation ne limite pas. Ces micro-partis, sans qu'ils soient davantage définis juridiquement que les partis « traditionnels », constituent des formations politiques qui peuvent n'avoir d'autre fondement que de financer des formations politiques plus importantes ou de recevoir de celles-ci des dotations dont l'origine comme le destinataire sont incontrôlables. Toutefois, une analyse succincte des flux entre formations politiques laisse transparaître que ce sont principalement les formations politiques majeures qui alimentent de petits partis politiques, et non l'inverse. Autrement dit, les courants d'idées, structurés en une association, organisés autour d'une ou plusieurs personnalités, sont assez largement financés par des « formations mères ».

La difficulté vient notamment du fait qu'il n'est pas possible pour la CNCCFP de déterminer, dans les comptes des partis bénéficiant d'une aide publique, la part des dépenses consacrées directement aux campagnes électorales des versements effectués à un autre parti. Des formations politiques peuvent ainsi échapper au périmètre de certification des comptes. Indéniablement, cette situation gagnerait à être clarifiée car le financement public des partis n'a pas vocation à alimenter des formations politiques qui contournent, par leur mode de financement, l'esprit de la loi. Votre rapporteur ne souhaite pas interdire le principe des flux financiers entre partis politiques. En revanche, une réflexion devrait être engagée sur la part maximale que les transferts financiers doivent représenter dans l'ensemble des revenus d'une formation politique.

c) Prévenir les difficultés budgétaires des partis politiques

Votre rapporteur, sans disposer de données exhaustives sur le long terme, a pu constater, au regard des documents consultés au siège de la CNCCFP, que plusieurs formations politiques nationales ont vu leur endettement s'accroître fortement entre 2009 et 2010 (les comptes des partis politiques pour l'exercice 2011 n'ont été transmis à la CNCCFP qu'en juin 2012, leur examen est donc encore en cours).

Il suggère en premier lieu, afin que la CNCCFP puisse à terme assurer un suivi de cet endettement, de rendre obligatoire l'annexion, aux comptes remis par les partis à la CNCCFP, d'un état des dettes et des prêts en cours.

L'endettement des principales formations politiques françaises, en 2009 et 2010, s'établissait ainsi :

2010

Nom du parti

Emprunts et dettes auprès des établissements de crédit

Emprunts et dettes financières divers

Dettes fournisseurs et comptes rattachés

Dettes fiscales et sociales

Autres dettes

TOTAL

Nouveau parti anticapitaliste

- €

52 146 €

70 750 €

77 038 €

60 929 €

260 863 €

Association PSLE - Nouveau Centre

126 625 €

100 000 €

200 853 €

78 062 €

48 958 €

554 498 €

Mouvement démocrate

2 015 202 €

- €

120 597 €

7 481 €

11 715 €

2 154 995 €

Union pour un mouvement populaire

28 405 731 €

34 484 €

4 895 135 €

3 593 797 €

778 705 €

37 707 852 €

Ligue communiste révolutionnaire

- €

146 000 €

56 299 €

5 809 €

- €

208 108 €

Mouvement Ecologiste indépendant

527 €

- €

97 758 €

- €

42 524 €

140 809 €

Mouvement pour la France

20 €

- €

21 224 €

52 501 €

- €

73 745 €

Solidarité Ecologie gauche alternative

- €

- €

- €

- €

- €

- €

Europe Ecologie les Verts

2 013 631 €

1 709 064 €

549 566 €

1 114 381 €

531 184 €

5 917 826 €

Lutte ouvrière

23 €

- €

178 000 €

37 058 €

3 430 €

218 511 €

Union pour la Démocratie française

- €

- €

35 859 €

200 463 €

885 488 €

1 121 810 €

Chasse Pêche Nature et Traditions

- €

- €

43 830 €

35 831 €

- €

79 661 €

Parti socialiste

3 979 204 €

199 453 €

2 343 529 €

3 773 333 €

7 677 941 €

17 973 460 €

Parti communiste français

1 815 491 €

426 292 €

1 872 484 €

1 640 965 €

2 993 594 €

8 748 826 €

Parti radical de gauche

38 €

15 784 €

63 970 €

56 373 €

41 447 €

177 612 €

Le Trèfle - Les nouveaux écologistes - Homme Nature Animaux

52 000 €

4 269 €

66 080 €

2 758 €

- €

125 107 €

Front national

- €

9 555 212 €

868 135 €

1 051 571 €

179 456 €

11 654 374 €

TOTAL

38 408 492 €

12 242 704 €

11 484 069 €

11 727 421 €

13 255 371 €

87 118 057 €

MOYENNE

2 259 323 €

720 159 €

675 533 €

689 848 €

779 728 €

5 124 792 €

2009

Nom du parti

Emprunts et dettes auprès des établissements de crédit

Emprunts et dettes financières divers

Dettes fournisseurs et comptes rattachés

Dettes fiscales et sociales

Autres dettes

TOTAL

Nouveau parti anticapitaliste

- €

37 695 €

61 372 €

44 702 €

75 371 €

219 140 €

Association PSLE - Nouveau Centre

100 739 €

100 000 €

238 626 €

110 944 €

6 777 €

557 086 €

Mouvement démocrate

812 371 €

697 €

94 357 €

4 181 €

16 905 €

928 511 €

Union pour un mouvement populaire

12 676 531 €

13 569 €

3 981 129 €

2 002 846 €

737 876 €

19 411 951 €

Ligue communiste révolutionnaire

- €

146 000 €

56 187 €

32 532 €

- €

234 719 €

Mouvement Ecologiste indépendant

225 €

- €

42 023 €

- €

98 642 €

140 890 €

Mouvement pour la France

- €

- €

180 966 €

29 020 €

- €

209 986 €

Solidarité Ecologie gauche alternative

- €

- €

239 €

- €

- €

239 €

Les Verts

2 492 825 €

623 458 €

197 340 €

37 828 €

531 450 €

3 882 901 €

Lutte ouvrière

- €

- €

211 650 €

25 445 €

42 436 €

279 531 €

Union pour la Démocratie française

- €

- €

35 000 €

227 475 €

963 057 €

1 225 532 €

Chasse Pêche Nature et Traditions

- €

- €

42 005 €

30 694 €

- €

72 699 €

Parti socialiste

5 316 692 €

277 747 €

2 459 649 €

3 756 999 €

6 924 180 €

18 735 267 €

Parti communiste français

1 385 600 €

459 932 €

1 927 770 €

1 627 397 €

2 588 265 €

7 988 964 €

Parti radical de gauche

21 €

16 420 €

123 264 €

49 481 €

45 317 €

234 503 €

Le Trèfle - Les nouveaux écologistes - Homme Nature Animaux

78 000 €

4 269 €

57 024 €

12 590 €

- €

151 883 €

Front national

- €

10 249 424 €

733 577 €

740 672 €

174 023 €

11 897 696 €

TOTAL

22 863 004 €

11 929 211 €

10 442 178 €

8 732 806 €

12 204 299 €

66 171 498 €

MOYENNE

1 344 883 €

701 718 €

614 246 €

513 694 €

717 900 €

3 892 441 €

Source : Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.

Votre rapporteur constate, d'une part, que l'endettement global des formations politiques nationales s'est accru de plus de 20 millions d'euros en une seule année. Pourtant, les dépenses directement électorales ont peu évolué entre 2009 et 2010. Autrement dit, l'accroissement récent de l'endettement des formations politiques n'est pas intégralement imputable au cycle électoral.

En effet, en 2009, les partis politiques ont dépensé 24 844 873 euros en propagande et communication et 4 758 536 euros en aides financières aux candidats, soit un total de 29 603 409 euros ; en 2010, les partis politiques ont dépensé 18 937 698 euros en propagande et communication et 11 302 661 euros en aides financières aux candidats, soit un total de 30 240 359 euros.

Il est, en tout état de cause, peu aisé de faire des analyses pertinentes quant à la corrélation entre les recettes et les dépenses des partis politiques et le cycle électoral : la période électorale (et son financement) débute un an avant la date de l'élection alors que les comptes des partis politiques retracent une comptabilité annuelle allant du 1 er janvier au 31 décembre de l'exercice concerné. Les partis politiques n'ont d'ailleurs pas l'obligation de procéder à des provisions pour les campagnes électorales futures, il s'agit d'une simple faculté.

Votre rapporteur estime que l'endettement structurel des partis politiques, lié à un niveau de dépenses supérieur aux recettes, et à l'instabilité des recettes dans le temps, se renforce. Il suggère en conséquence de réfléchir au lissage du financement public des formations politiques afin d'atténuer les cycles de revenus et de prévenir ainsi les risques, pour ces partis, de chercher à recourir à des financements illicites.


* 41 cf. article 200 du code général des impôts.

* 42 Cf. art. 21 de la loi n° 95-65 du 19 janvier 1995 relative au financement de la vie politique.

* 43 Cf art. 4 quinquies du projet de loi de finances pour 2013 (n° 147 - 2012-2013).

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