TITRE II DISPOSITIONS FACILITANT LA TRANSMISSION D'ENTREPRISES À LEURS SALARIÉS
Article 11 A (nouveau) - Instauration d'un dispositif d'information régulière des salariés sur les possibilités de reprise de leur entreprise

Introduit à l'initiative du rapporteur de la commission des affaires économiques, l'article 11 A du projet de loi crée un dispositif d'information des salariés sur les possibilités de reprise d'une société, au moins tous les trois ans, à destination des salariés des sociétés commerciales de moins de 250 salariés. Le contenu, portant notamment sur les conditions juridiques et financières d'une reprise, comme les modalités de cette information seraient précisés par décret.

Votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 11 A sans modification.

Article 11 (art. L. 141-23 à L. 141-30 [nouveaux] du code de commerce) - Instauration d'un dispositif d'information préalable des salariés en cas de cession d'un fonds de commerce pour leur permettre de présenter une offre

L'article 11 du projet de loi instaure, dans deux sections nouvelles créées au sein du chapitre du code de commerce relatif à la vente du fonds de commerce, un dispositif d'information préalable des salariés lorsque le propriétaire d'un fonds de commerce entend le vendre, afin de permettre aux salariés, s'ils le souhaitent, de présenter une offre d'acquisition du fonds. Deux dispositifs distincts sont mis en place, selon que l'entreprise cédante comporte moins de 50 salariés, c'est-à-dire n'est pas soumise à l'obligation de mettre en place un comité d'entreprise, ou de 50 à moins de 250 salariés, c'est-à-dire est une petite et moyenne entreprise (PME) soumise en revanche à cette obligation de mettre en place un comité d'entreprise.

Outre les entreprises de 250 salariés et plus, qui sont écartées de ce nouveau dispositif, le projet de loi exonère certains cas de cession de son application. Ainsi, le mécanisme d'information préalable des salariés n'aurait pas à être mis en oeuvre en cas de succession, de liquidation du régime matrimonial ou de cession à un conjoint, un ascendant ou un descendant. De plus, ce mécanisme ne serait pas applicable aux entreprises faisant l'objet d'une procédure collective.

En outre, le projet de loi a écarté toute idée de droit préférentiel ou de priorité de rachat de l'entreprise par ses salariés, en raison des risques constitutionnels que cette idée recèle, du point de vue du droit de propriété comme de celui de la liberté d'entreprendre et de la liberté du commerce et de l'industrie. Il s'en tient en quelque sorte à un « privilège d'information » des salariés en cas de cession projetée par le propriétaire de l'entreprise.

Sur la proposition de son rapporteur, votre commission a approuvé ce nouveau dispositif, destiné à faciliter la reprise d'une entreprise par ses salariés lorsque celle-ci risque de disparaître pour cause de cession, en dépit des critiques, non dépourvues de fondement, qui peuvent être formulées par les organisations représentatives des entreprises. Dans ces conditions, votre commission s'est attachée à réduire les risques contentieux et à garantir la sécurité juridique de ces nouvelles dispositions, étant entendu qu'elles ont déjà été très utilement clarifiées grâce à l'adoption, par la commission des affaires économiques, d'amendements présentés par son rapporteur.

Votre rapporteur rappelle que l'acquisition d'un fonds de commerce suppose l'immatriculation de l'acquéreur, personne physique ou société, au registre du commerce et des sociétés. Ceci nécessite, pour le ou les salariés intéressés par la reprise, de procéder aux formalités d'immatriculation au RCS. La vente du fonds est soumise à un important formalisme 25 ( * ) , notamment l'enregistrement de l'acte de mutation ou, à défaut d'acte, la déclaration de la mutation à l'administration fiscale, aux fins de perception de droits d'enregistrement, et la publication sous quinzaine, aux frais de l'acquéreur, dans un journal d'annonces légales et au bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC), aux fins d'information des éventuels créanciers du vendeur, qui peuvent faire opposition au paiement du prix.

Par ailleurs, en application de l'article L. 1224-1 du code du travail, la cession du fonds de commerce par l'employeur emporte transfert des contrats de travail vers le nouvel employeur, l'acquéreur du fonds.

- Dispositif applicable dans les entreprises de moins de 50 salariés

L'article 11 du projet de loi insère, au sein du chapitre I er , relatif à la vente du fonds de commerce, du titre IV du livre I er du code de commerce, une nouvelle section 3 composée des articles L. 141-23 à L. 141-26.

. Article L. 141-23 du code de commerce

La cession du fonds de commerce par son propriétaire ne pourrait plus intervenir avant l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la notification de son intention de vendre le fonds. Cette période doit permettre aux salariés intéressés de formuler une offre : ils doivent d'ailleurs être expressément informés de la possibilité de présenter une offre de rachat.

Votre rapporteur s'interroge sur les éléments qui permettraient de caractériser juridiquement la notion d'intention de vendre. Il appartiendra en tout état de cause à la jurisprudence de la préciser, étant entendu qu'il sera de la seule responsabilité du propriétaire du fonds, le cas échéant le chef d'entreprise, de déterminer le moment auquel il souhaitera informer les salariés, ouvrant de ce fait le délai de deux mois. L'intention de céder sera appréciée a posteriori , une fois que la cession aura été réalisée, les salariés ayant été préalablement informés.

Les entreprises de moins de 50 salariés étant dispensées de la mise en place obligatoire d'un comité d'entreprise 26 ( * ) , l'information sur la cession du fonds de commerce doit être adressée uniquement à l'ensemble des salariés.

Lorsque le propriétaire du fonds n'est pas son exploitant, c'est-à-dire l'employeur des salariés, il notifie son intention de vendre à l'exploitant, qui en informe « sans délai » les salariés. Le délai de deux mois court à compter de la notification à l'exploitant. Les modalités de la notification à l'exploitant, à l'inverse des modalités d'information des salariés 27 ( * ) , ne sont pas précisées, alors que la date de la notification doit être certaine, puisqu'elle fait partir le délai de deux mois. Un amendement présenté ultérieurement a été adopté par votre commission pour régler ce point, à l'initiative de son rapporteur. À ce stade, votre rapporteur observe que l'exploitant du fonds peut tout à fait être intéressé à le racheter à son propriétaire, mais qu'il doit tout de même en informer l'ensemble de ses salariés.

Lorsque le propriétaire du fonds est également son exploitant, il doit notifier à ses salariés son intention de vendre. Le délai de deux mois court à compter de la date à laquelle tous les salariés ont reçu cette notification, ce qui signifie a contrario que le délai, logiquement, ne court pas tant qu'un salarié n'a pas reçu cette notification. Cette disposition soulève toutefois un problème de preuve : comment la date de départ du délai pourrait-elle être connue de façon certaine ? Le plus simple consiste à reprendre ce que prévoit le projet de loi lorsque le propriétaire du fonds est distinct de son exploitant, c'est-à-dire que le délai court à compter de la date de la notification. Aussi votre commission a-t-elle, sur la proposition de son rapporteur, adopté un amendement en ce sens.

Dans le cas où les salariés ont informé avant l'expiration du délai de deux mois le cédant de leur « décision unanime » de ne pas présenter d'offre, la cession peut intervenir immédiatement. Cette formulation laisse entendre que la décision serait unique et aurait une dimension collective : on peut d'ailleurs s'interroger sur les conditions dans lesquelles pourrait être acquise une décision unanime. Dans la mesure où chaque salarié individuellement peut vouloir présenter une offre, sans que cela soit nécessairement une offre collective, il convient de préciser en réalité que chaque salarié doit faire connaître son intention de ne pas présenter une offre. À l'initiative de son rapporteur, votre commission a adopté en ce sens un amendement , qui en outre renvoie au pouvoir réglementaire, dans un souci de sécurité juridique, le soin de préciser les modalités selon lesquelles chaque salarié informe le propriétaire du fonds qu'il ne souhaite pas présenter d'offre.

Le projet de loi assortit cette nouvelle obligation d'information des salariés d'une sanction : la cession du fonds peut être annulée lorsque la procédure d'information n'a pas été respectée. L'annulation est prononcée par le juge sur demande « des salariés », formulation qui laisse entendre que cette action est collective. Le texte fait en outre référence, de façon superflue, à la « juridiction civile ou commerciale compétente » : le tribunal de commerce est généralement compétent pour régler les litiges survenant à l'occasion de la cession d'un fonds de commerce, en application de la loi, sous réserve de la compétence du tribunal de grande instance dans certains cas 28 ( * ) .

Sur proposition de son rapporteur, votre commission a adopté un amendement de clarification rédactionnelle précisant que l'action en nullité peut être engagée par tout salarié et non par des salariés et supprimant la mention inutile des juridictions.

L'action en nullité se prescrirait dans un délai de deux mois à compter de la date de publication de la cession, soit un total de quatre mois et quinze jours au plus à compter de la notification. Le délai de prescription se veut particulièrement court, dans un souci de proportionnalité, compte tenu de la lourdeur de la sanction encourue. Ainsi, la cession ne serait plus susceptible d'être remise en cause devant le juge dans des délais très brefs, ce qui serait de nature à respecter les exigences de sécurité juridique et économique de la transaction, dans l'intérêt de l'entreprise, du cessionnaire et des salariés.

Si le juge n'est pas tenu d'annuler la cession dans la mesure où le texte n'institue pas une nullité absolue, il n'est toutefois pas orienté par des critères qui pourraient le conduire à ne pas annuler, en particulier la perte de chance qui résulterait pour les salariés du fait de ne pas avoir été informés de l'intention de cession. Ainsi, dans l'hypothèse où en réalité aucun salarié ne serait en mesure ou même ne souhaiterait reprendre, rien n'interdirait au juge d'annuler la cession du fonds, y compris en cas d'action abusive ou malveillante de la part d'un salarié, qui serait en fait dépourvu d'intérêt à agir. Le caractère disproportionné de cette situation a suscité l'interrogation de votre rapporteur. Pour autant, votre commission n'a pas souhaité préciser que la cession ne pourrait être annulée que dans l'hypothèse où aucun salarié ne souhaitait présenter une offre, d'autant que cela pourrait constituer une incitation à ne pas informer les salariés, affaiblissant de fait l'effectivité du dispositif.

Au demeurant, l'absence d'information des salariés peut également résulter d'un manquement de l'exploitant du fonds de commerce, s'il est distinct du propriétaire. En effet, le propriétaire peut avoir régulièrement informé l'exploitant, sans que celui-ci ait fait diligence pour informer les salariés. Il serait contestable que le propriétaire soit sanctionné pour la faute de l'exploitant alors même qu'aucun salarié ne souhaitait faire une offre. Pour autant, écarter la sanction de nullité en pareil cas ouvrirait la voie à des contournements et pourrait aussi faire perdre beaucoup de son effectivité au dispositif. En pareille hypothèse, le propriétaire serait conduit à engager la responsabilité de l'exploitant à raison du préjudice tiré de l'annulation de la cession de son fonds de commerce.

. Article L. 141-24 du code de commerce

Dans sa rédaction initiale, le texte prévoyait que l'information des salariés pouvait intervenir par tout moyen, notamment par voie d'affichage sur le lieu de travail. Votre rapporteur considérait cette disposition comme particulièrement risquée d'un point de vue contentieux, car elle n'apportait aucune certitude quant à l'information effective de tous les salariés et donc au point de départ du délai de deux mois, alors même que la cession sans information préalable de tous les salariés fait encourir l'annulation. En effet, dans sa cohérence, ce dispositif exige que chaque salarié soit effectivement informé, et pas seulement réputé informé par exemple par l'intermédiaire des délégués du personnel 29 ( * ) ou par une affiche apposée sur le lieu de travail.

Conscient de cette réelle difficulté, le Gouvernement a présenté à la commission des affaires économiques, qui l'a adopté, un amendement selon lequel l'information des salariés peut être effectuée par tout moyen, précisé par voie réglementaire, de nature à rendre certaine la date de sa réception. Votre rapporteur reste sceptique, dans la mesure où serait alors renvoyé au pouvoir réglementaire le soin de fixer de fait les modalités de calcul d'un délai ouvrant une possibilité de sanction très lourde, d'autant que l'idée de rendre certaine la date de la réception de l'information par les salariés, et pas seulement la réception elle-même, soulève des interrogations.

Aussi, dans un souci de limitation maximale du risque contentieux, à l'initiative de son rapporteur, votre commission a adopté un amendement prévoyant que les salariés devaient être informés de l'intention de céder du propriétaire du fonds par lettre recommandée avec avis de réception ou par lettre remise contre récépissé. Seul ce moyen fournit la garantie juridique que chaque salarié a été informé. Ce même amendement encadre également la notification de l'intention de céder par le propriétaire du fonds à l'exploitant, lorsqu'ils sont distincts - question non traitée par le texte -, à charge pour l'exploitant d'informer les salariés sans délai.

Par ailleurs, le projet de loi prévoit que les salariés une fois informés seraient tenus à une obligation de discrétion, sur la portée de laquelle votre rapporteur s'interroge, d'autant que, concrètement, pour formuler une offre de reprise, les salariés devront vraisemblablement s'adresser à des tiers, tels que des établissements de crédit ou des experts-comptables. Sur proposition du Gouvernement, la commission des affaires économiques a adopté un amendement pour prévoir que cette obligation de discrétion s'appliquerait « dans les mêmes conditions que celles applicables aux membres des comités d'entreprise en vertu de l'article L. 2325-5 du code du travail ».

Selon l'article L. 2325-5 du code du travail, « les membres du comité d'entreprise et les représentants syndicaux sont tenus à une obligation de discrétion à l'égard des informations revêtant un caractère confidentiel et présentées comme telles par l'employeur ». Cette notion est connue de la jurisprudence.

Au-delà d'une obligation de discrétion qui serait appréciée au cas par cas, votre rapporteur s'interroge sur la mise en place d'une obligation plus forte de confidentialité, qui devrait nécessairement être tempérée vis-à-vis des personnes sollicitées par les salariés pour les aider à formuler leur offre éventuelle. En atteinte, la divulgation d'une telle information, par ses conséquences éventuelles, pourrait compromettre la reprise de l'entreprise par un tiers. Dans un souci de clarification, votre commission a adopté un amendement présenté par son rapporteur imposant une telle obligation de confidentialité pour les salariés informés de l'intention de cession du fonds, assortie d'une levée de cette obligation à l'égard des personnes dont l'aide est nécessaire aux salariés souhaitant formuler une offre de rachat du fonds. S'agissant de professionnels, ces personnes extérieures à l'entreprise seraient soumises au secret professionnel les concernant.

En tout état de cause, en cas de violation de son obligation de discrétion comme de confidentialité, un salarié encourrait des sanctions disciplinaires voire, le cas échéant, un licenciement pour faute de la part de l'employeur qui exploite le fonds. Sa responsabilité pourrait également être engagée en cas de préjudice pour l'employeur.

. Article L. 141-25 du code de commerce

Selon le projet de loi, la cession pourrait intervenir dans un délai de deux ans à compter, semble-t-il, de l'expiration du délai de deux mois qui suit l'information des salariés sur l'intention de céder le fonds de commerce, sans qu'il faille à nouveau engager la procédure d'information des salariés. Modifié sur ce point par la commission des affaires économiques, le texte indique que la cession intervient dans les deux ans, ce qui pourrait laisser entendre, à tort, qu'il existerait une obligation de cession.

Au-delà de ce délai de deux ans, en l'absence de cession du fonds, il conviendrait d'informer à nouveau les salariés, réitérant la même procédure. Votre rapporteur s'interroge sur l'utilité de cette disposition, dès lors que les salariés sont déjà informés de l'intention de céder du propriétaire du fonds.

. Article L. 141-26 du code de commerce

Enfin, le projet de loi dispose que ce dispositif d'information des salariés ne s'applique pas dans certaines circonstances particulières que sont la succession, la liquidation du régime matrimoniale, la cession du fonds à un conjoint, un ascendant ou un descendant, ainsi qu'en cas de « sociétés » faisant l'objet d'une procédure collective au titre du livre VI du code de commerce. Votre commission approuve ces exonérations, qui permettent de ne pas perturber la transmission familiale des entreprises et de préserver les spécificités des procédures collectives.

Sur la proposition de son rapporteur, votre commission a adopté un amendement de précision rédactionnelle, visant à exonérer non les sociétés mais les entreprises faisant l'objet d'une procédure collective. En effet, le propriétaire d'un fonds de commerce est souvent une personne physique, à l'encontre de laquelle peut être ouverte une procédure collective

Dans l'hypothèse où une procédure collective serait ouverte au cours du délai de deux mois, elle rendrait caduque l'application des dispositions introduites par le présent projet de loi, sans difficulté d'interprétation.

- Dispositif applicable dans les PME de 50 salariés et plus

L'article 11 du projet de loi insère, au sein du chapitre I er , relatif à la vente du fonds de commerce, du titre IV du livre I er du code de commerce, une nouvelle section 4 composée des articles L. 141-27 à L. 141-30.

Selon le Gouvernement, le choix du seuil des PME a été effectué en opportunité, par cohérence avec les seuils existants, au motif que les enjeux de la reprise d'entreprise par les salariés concernent statistiquement les PME en priorité, compte tenu des moyens financiers à mobiliser, en particulier les entreprises de moins de 100 salariés.

. Article L. 141-27 du code de commerce

À la différence du dispositif concernant les entreprises de moins de 50 salariés, celui concernant les PME d'au moins 50 salariés ne s'ouvre pas par une définition de son champ d'application. En effet, l'exonération des entreprises plus grandes que les PME ne figure qu'à la fin du dispositif. Dans ces conditions, dans un souci de lisibilité de la loi, votre commission, sur la proposition de son rapporteur, a adopté un amendement précisant dès le premier article L. 141-27 le champ d'application du dispositif, à savoir les entreprises soumises à l'obligation de mettre en place un comité d'entreprise et entrant, à la clôture du dernier exercice, dans la catégorie des PME, soit les entreprises employant moins de 250 salariés et dont le chiffre d'affaires n'excède pas 50 millions d'euros ou le total de bilan 43 millions d'euros. Cet amendement propose aussi de définir la catégorie des PME par référence à l'article 51 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, qui détermine les différentes catégories d'entreprises en fonction de leur taille, selon des critères qui ont été fixés par le décret n° 2008-1354 du 18 décembre 2008, plutôt que par renvoi à une simple recommandation de la Commission européenne, comme le fait le projet de loi. Au surplus, les critères retenus par le décret du 18 décembre 2008 sont les mêmes que ceux recommandés par la Commission européenne.

En outre, dans la mesure où seraient ici concernées les entreprises de plus de 50 salariés, le nouveau dispositif d'information des salariés portant sur l'intention de cession du fonds de commerce, destiné à leur permettre de formuler s'ils le souhaitent une offre de rachat, devrait se combiner avec la procédure d'information et de consultation du comité d'entreprise, prévue par l'article L. 2323-19 du code du travail, s'agissant des « modifications de l'organisation économique ou juridique de l'entreprise, notamment en cas de fusion, de cession, de modification importante des structures de production de l'entreprise ainsi que lors de l'acquisition ou de la cession de filiales » 30 ( * ) . De plus, le projet de loi dispose que l'information des salariés sur l'intention de cession intervient au plus tard en même temps que l'information du comité d'entreprise sur la cession. Votre rapporteur s'interroge sur la lourdeur qui devrait résulter de la concomitance de ces deux procédures. Pour autant, l'objectif du présent projet de loi consiste bien à informer chaque salarié, au-delà du seul comité d'entreprise, afin de permettre à tous ceux qui le souhaitent d'envisager une reprise de leur entreprise 31 ( * ) .

Ainsi, nonobstant la présence du comité d'entreprise, selon le même schéma que dans les entreprises de moins de 50 salariés, l'exploitant du fonds de commerce doit informer les salariés de l'intention de cession du fonds, soit qu'il soit lui-même propriétaire du fonds soit que le propriétaire du fonds lui ait notifier son intention de vendre.

Toutefois, le projet de loi ne fixe pas dans ce cas, alors qu'il le fait pourtant pour les entreprises de moins de 50 salariés, de délai de deux mois interdisant la cession du fonds à compter de la notification de l'intention de cession à l'exploitant, lorsque celui-ci est distinct du propriétaire, à charge pour lui d'informer les salariés, ou bien directement aux salariés lorsque l'exploitant en est aussi le propriétaire. De plus, le projet de loi indique que le cédant du fonds adresse à l'exploitant une notification de son intention de céder « en cas de cession » ( sic ), rédaction quelque peu contradictoire, sauf à considérer que l'information des salariés n'est qu'une obligation purement formelle sans conséquence, alors que la cession a presque déjà eu lieu.

Certes, la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi a prévu, à l'article L. 2323-3 du code du travail, que le comité d'entreprise devait disposer d'un « délai suffisant d'examen » pour accomplir ses missions consultatives. Elle a ajouté que, sauf dispositions législatives spéciales ou accord entre l'employeur ou le comité d'entreprise, ce délai ne pouvait être inférieur à quinze jours. Dès lors, la cession du fonds pourrait intervenir dès quinze jours après l'information du comité et des salariés sur le projet de cession, soit bien avant le délai de deux mois prévu pour les entreprises de moins de 50 salariés.

Dans ces conditions, votre rapporteur s'interroge sur les délais qui permettraient aux salariés intéressés de présenter une offre. En effet, rien en l'état du texte n'interdit au propriétaire du fonds de le céder très rapidement après que les salariés de l'entreprise ont été informés, privant de fait de toute portée réelle l'obligation légale d'informer les salariés. En outre, l'exploitant auquel le propriétaire du fonds a notifié son intention de céder n'est pas tenu d'informer les salariés « sans délai », comme le texte le prévoit pourtant dans les entreprises de moins de 50 salariés. Aussi votre commission a-t-elle, à l'initiative de son rapporteur, adopté un amendement de cohérence destiné à ménager un délai de deux mois entre la notification de l'intention de céder et la date à laquelle la cession peut intervenir au plus tôt ainsi qu'à prévoir, lorsque le propriétaire du fonds est distinct de son exploitant, que ce dernier informe sans délai ses salariés de l'intention du propriétaire. Par ce même amendement, votre commission a clarifié la rédaction du texte s'agissant de la concomitance de l'information des salariés sur l'intention de cession et de la consultation du comité d'entreprise sur la cession, qui n'est évoquée par le texte que dans l'hypothèse où le propriétaire et l'exploitant du fonds sont des personnes distinctes.

Votre commission considère que la loi doit comporter les garanties de sa mise en oeuvre effective, ce qui ne semble pas être suffisamment le cas en l'espèce, dans l'intérêt des salariés.

Par ailleurs, s'agissant des dispositions de cette section identiques à celles pour lesquelles votre commission a déjà proposé des modifications pour la section précédente, les amendements qui portent sur les dispositions applicables aux entreprises de moins de 50 salariés portent également sur les dispositions applicables aux PME d'au moins 50 salariés.

. Article L. 141-28 du code de commerce

Ainsi, pour les PME d'au moins 50 salariés, le projet de loi prévoit des modalités d'information des salariés et une obligation de discrétion dans les mêmes termes que pour les entreprises de moins de 50 salariés.

Votre commission formule donc la même analyse et propose par ses amendements déjà évoqués les mêmes modifications.

. Article L. 141-29 du code de commerce

De même, pour les PME d'au moins 50 salariés, le projet de loi ouvre un délai maximal de deux ans pour que la cession intervienne sans qu'il soit nécessaire de procéder une nouvelle fois à l'information des salariés, dans les mêmes termes que pour les entreprises de moins de 50 salariés.

Votre commission formule donc la même analyse et propose par ses amendements déjà évoqués les mêmes modifications.

Le texte ajoute que ce délai de deux ans est suspendu si le comité d'entreprise est consulté sur un projet de cession du fonds de commerce en application de l'article L. 2323-19 du code du travail. La suspension court de la date à laquelle le comité d'entreprise est saisi jusqu'à la date à laquelle il rend son avis ou, à défaut, jusqu'à la date à laquelle expire le délai imparti pour qu'il rende son avis. Sur cette disposition, votre commission a adopté un amendement de cohérence rédactionnelle présenté par son rapporteur.

. Article L. 141-30 du code de commerce

Enfin, le projet de loi exonère les PME d'au moins 50 salariés de l'obligation d'informer les salariés en cas de succession, de liquidation du régime matrimonial ou de cession du fonds à un membre de la famille, ainsi qu'en cas d'ouverture d'une procédure collective, dans les mêmes termes que pour les entreprises de moins de 50 salariés.

Votre commission formule donc la même analyse et propose par ses amendements déjà évoqués les mêmes modifications.

- Difficultés et limites pratiques du dispositif envisagé

Très contesté par les organisations représentant les entreprises, qui le perçoivent comme une atteinte au secret des affaires et un frein à la cession d'entreprise, le dispositif d'information préalable des salariés en cas de cession se justifie par le nombre important d'entreprises qui disparaissent du fait de l'absence de repreneur, en promouvant la reprise par les salariés.

Entendus par votre rapporteur, le Mouvement des entreprises de France (MEDEF), l'Association française des entreprises privées (AFEP), la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) et le réseau des chambres de commerce et d'industrie (CCI France et chambre de commerce et d'industrie de Paris) ont unanimement jugé que ce texte irait à l'encontre des réalités économiques concrètes du marché de la transmission d'entreprise. Un argument important est celui de la confidentialité qui, selon ces organisations, devraient entourer la préparation et la négociation d'une cession d'entreprise. Sur ce point important, le texte prévoit une obligation de discrétion, précisée pour être alignée sur celle prévue pour les membres du comité d'entreprise lorsqu'ils sont saisis d'informations qualifiées de confidentielles par le chef d'entreprise. Votre commission a souhaité aller plus loin, pour éviter de déstabiliser les processus de reprise d'entreprises.

Les représentants des entreprises appellent l'attention sur le risque de blocage d'une reprise en cours de négociation en raison de sa divulgation, a fortiori dans des bassins d'emplois de taille moyenne dans lesquels la cession d'une entreprise même modeste représente des enjeux importants en termes d'emplois. Ils craignent les effets perturbateurs pouvant résulter de l'intervention publique de syndicats, de l'attitude des élus locaux comme de la presse ou même du préfet. Ils soulignent également dans certains cas les risques d'atteinte à l'image voire à l'actif de l'entreprise par les salariés eux-mêmes... Ayant un effet dissuasif sur le repreneur potentiel, ces éléments pourraient également porter atteinte au crédit de l'entreprise, en suscitant l'inquiétude de ses partenaires (fournisseurs, clients, banquier...). Enfin, le risque d'annulation contentieuse de la cession intervenue en méconnaissance de l'obligation préalable des salariés est perçu comme une catastrophe pour la pérennité de l'entreprise et par conséquent l'avenir de ses salariés.

Votre rapporteur considère que, sans les ignorer ou les minorer, il convient de relativiser les potentiels effets négatifs de ce nouveau dispositif et de ne pas en exagérer la portée. Ainsi, afin d'éviter que son intention de céder soit divulguée sur la place sans que la question de la transmission soit réglée, le propriétaire du fonds pourrait conclure les négociations avec le repreneur potentiel avant de notifier son intention de vendre aux salariés et attendra l'expiration du délai de deux mois avant de conclure officiellement la vente, déjà négociée. On peut craindre que l'obligation de consultation des salariés se transforme dans la plupart des cas en simple obligation formelle à remplir, la cession étant déjà en réalité réglée.

Au-delà de ces critiques et de ces limites, ce nouveau dispositif peut toutefois permettre de répondre utilement à certaines situations concrètes dans lesquelles le chef d'entreprise n'aurait pas envisagé, à tort, une reprise par ses salariés. Il peut également contribuer à une évolution des mentalités, tant des chefs d'entreprise que des salariés eux-mêmes, sur la reprise de leur entreprise. En effet, même si la reprise d'une entreprise par ses salariés n'est pas toujours la solution, dans le contexte économique et social actuel, il est nécessaire d'inciter davantage les salariés qui le souhaitent, lorsque c'est possible, à reprendre leur entreprise.

Ainsi, les propriétaires d'entreprise ne se trouveront pas sans liberté d'action pour transmettre leur entreprise, puisqu'il ne leur est pas interdit d'entrer en négociation avant d'informer leurs salariés. Il conviendra tout de même d'encourager les bonnes pratiques en matière d'information loyale des salariés en amont de tout projet de cession.

La reprise d'une entreprise par ses salariés représente cependant des engagements lourds et exige, de la part des salariés intéressés et quelle que soit la formule juridique retenue, des capacités financières et managériales pour acquérir l'entreprise puis la faire fonctionner et la développer. Votre rapporteur insiste donc sur les enjeux importants et très concrets, pour la réussite de la reprise, de formation et d'accompagnement des salariés repreneurs. Ces enjeux ne relèvent pas du domaine du législateur, mais de la responsabilité des partenaires des créateurs et repreneurs d'entreprise, en particulier les réseaux consulaires et toutes les structures d'aide.

Votre commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 11, sous réserve de l'adoption de ses amendements.


* 25 Articles L. 141-12 et suivants du code de commerce, notamment.

* 26 Article L. 2322-1 du code du travail. L'article L. 2323-19 du code du travail prévoit que le comité d'entreprise doit être informé et consulté en cas de cession.

* 27 Voir infra .

* 28 Le tribunal de grande instance est compétent dans le cas de la cession d'un fonds de commerce mis en location-gérance (articles L. 144-1 et suivants du code de commerce) avec maintien du régime de la location-gérance par le nouveau propriétaire du fonds, la cession ne constituant pas en pareil cas un acte de commerce.

* 29 En application de l'article L. 2312-1 du code du travail, les délégués du personnel doivent être mis en place dans les entreprises et établissements d'au moins onze salariés.

* 30 Le défaut d'information et de consultation du comité d'entreprise constituerait un délit d'entrave au sens de l'article L. 2328-1 du code du travail, faisant encourir aux responsables de l'entreprise une peine d'un an de prison et 3750 euros d'amende. Il peut aussi, à l'appréciation du juge, faire courir un risque d'annulation des décisions prises en méconnaissance des prérogatives du comité.

* 31 À cet égard, le projet de loi n'envisage pas l'information des salariés dans les entreprises de moins de 50 salariés par l'intermédiaire des délégués du personnel, mais une information directe.

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