B. LE CRÉDIT D'IMPÔT RECHERCHE : UN DISPOSITIF PUISSANT À PRÉSERVER TOUT EN RENFORÇANT SA SURVEILLANCE

D'un montant estimé à 4,05 milliards d'euros pour 2013, la dépense fiscale associée au crédit d'impôt en faveur de la recherche (CIR) devrait s'établir à 5,8 milliards d'euros en 2014, soit une augmentation de plus de 43 %.

En novembre 2012, le rapport de M. Louis Gallois 25 ( * ) , commissaire général à l'investissement, préconisait de conforter durablement le CIR afin de favoriser le rattrapage du niveau de soutien public aux efforts de recherche et développement (R&D) des entreprises par rapport à celui pratiqué par les autres pays les plus en pointe en la matière au sein de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). En effet, seulement 1,4 % des entreprises industrielles françaises bénéficiaient d'un financement public au titre de la R&D en 2008, contre 5,4 % de leurs homologues allemandes. Sa première proposition était ainsi libellée : « l'État s'engage à ne pas modifier cinq dispositifs, au moins, au cours du quinquennat :

- le crédit impôt recherche ;

- les dispositifs dits « Dutreil » favorisant la détention et les transmissions d'entreprises ;

- la contribution économique territoriale (68 modifications de la taxe professionnelle en 35 ans !) ;

- les incitations « sociales » aux jeunes entreprises innovantes, rétablies à leur niveau de 2010 ;

- les dispositifs en faveur de l'investissement dans les PME, notamment « l'IR PME 30 » ;

- « l'ISF PME 31 » (annonce du Président de la République à la remise des prix de l' « Audace Créative », le 20/09/2012) ».

L'article 54 du projet de loi de finances pour 2014 vise à simplifier l'assiette du CIR de manière à favoriser l'embauche des jeunes docteurs. Afin d'éviter qu'un jeune docteur soit recruté en remplacement d'un membre de l'équipe de recherche déjà en poste dans l'entreprise, le droit en vigueur prévoit un régime particulièrement avantageux selon lequel les dépenses de personnel relatives aux « jeunes docteurs » sont prises en compte pour le double de leur montant pendant les 24 premiers mois suivant leur premier recrutement, à condition que le contrat de travail de ces personnes soit à durée indéterminée et que l'effectif total de l'entreprise ne soit pas inférieur à celui de l'année précédente.

À l'usage, il est apparu que cette condition de maintien de l'effectif salarié de l'entreprise était peu pertinente dès lors qu'une entreprise peut se trouver en difficulté sur le plan économique et doit procéder à une diminution de son effectif global, tout en choisissant de maintenir ou d'accroître ses effectifs de chercheurs et techniciens de recherche affectés à la recherche et développement (R&D). Il est donc proposé d'assouplir cette condition, en ne subordonnant plus le régime spécifique applicable aux « jeunes docteurs » au maintien de l'effectif salarié de l'entreprise, mais au maintien de « l'effectif du personnel de recherche salarié » de l'entreprise.

L'article 71 du projet de loi prolonge, quant à lui, le régime d'exonérations sociales accordées aux jeunes entreprises innovantes (JEI) de 2013 à 2016, tout en procédant à une extension de son champ d'application pour y inclure l'ensemble des personnels affectés aux activités d'innovation afin de favoriser le passage aux phases d'industrialisation consécutives aux projets de recherche et développement (R&D).

L'article 31 du projet de loi de finances pour 2014 détermine les plafonds des taxes affectées aux opérateurs et divers organismes chargés de mission de service public. Dans le secteur de la recherche, des objectifs de réduction du montant total du produit de taxes reversé est ainsi fixé à - 10 % pour l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) et - 8 % pour le Centre de recherche de l'industrie du béton (CERIB) et le Centre technique de matériaux naturels de construction (CTMNC).

Enfin, l'Assemblée nationale a introduit, en première lecture, un article additionnel après l'article 33 du projet de loi afin de procéder à un prélèvement de 11 millions d'euros sur le fonds de roulement de l'Institut national de la propriété intellectuelle (INPI), dans un effort de participation de l'établissement au redressement des comptes publics.

Votre rapporteur pour avis souscrit pleinement aux dispositions du projet de loi de finances pour 2014 qui reprennent des recommandations qu'il avait déjà formulées au cours des exercices précédents.

Le rapport de la Cour des comptes de juillet 2013 consacré à la maîtrise de l'évolution du CIR 26 ( * ) dénonçait le défaut d'anticipation de la montée en puissance du dispositif du CIR lors de sa réforme en 2008, en raison d'un chiffrage sur la base de la dépense constatée en 2007 (soit 2,7 milliards d'euros), qui sous-estimait très fortement le coût du nouveau régime du CIR. L'« emballement » de la dépense fiscale associée au CIR a vocation à s'accélérer de façon significative du fait :

- du mécanisme qui permet aux entreprises de reporter, pendant une période de quatre ans, leur crédit d'impôt s'il est supérieur à l'impôt dû (impôt sur les sociétés et impôt sur le revenu) et de se voir ensuite rembourser l'éventuel reliquat. La Cour recommandait alors de prendre en compte les créances cumulées par les entreprises dans la prévision de dépense fiscale inscrite dans le projet de budget pour 2014, année au cours de laquelle le dispositif devrait entrer en régime de croisière, en estimant le « ressaut » à un montant supplémentaire de deux milliards d'euros. Le Gouvernement a intégré ce ressaut à hauteur de 1,75 milliard d'euros de dépense fiscale supplémentaire pour 2014 ;

- la montée en puissance du CIR se poursuivra bien après 2014 pour atteindre rapidement les six milliards d'euros, voire sept milliards d'euros si les entreprises déclaraient au CIR toutes leurs dépenses éligibles (soit 0,4 % point de PIB).

Afin de mieux maîtriser l'évolution de la dépense fiscale résultant du CIR, la Cour des comptes préconisait en particulier d' « exclure de l'assiette du crédit d'impôt compétitivité et emploi [CICE] les rémunérations déclarées dans le cadre du CIR, ou inversement » et de « réserver le bénéfice du CIR aux conventions d'intégration fiscale qui prévoient la rétrocession du crédit d'impôt aux filiales ayant généré les dépenses éligibles, ou proposer aux entreprises d'en faire une bonne pratique » afin de contenir les procédés d'optimisation fiscale. Elle insiste également sur la nécessité pour l'État de lutter plus efficacement contre la fraude en matière de CIR, en particulier afin de prévenir la création de sociétés éphémères, sous la forme de filiales de R&D, en vue de bénéficier du crédit d'impôt par remboursement anticipé. Selon la Cour, se pose également les questions du plafonnement des dépenses éligibles et d'un changement radical dans le principe du CIR, pour en faire une réduction d'impôt (n'ouvrant pas droit à un remboursement du Trésor public en cas de réduction supérieure au montant de l'impôt dû) plutôt qu'un crédit d'impôt.

À la suite des travaux de la Cour des comptes, plusieurs amendements ont été déposés par des députés socialistes et écologistes en vue de modifier le régime du CIR. Ces amendements tendaient à :

- plafonner à 100 millions d'euros le montant des dépenses de recherche éligibles ;

- consolider les dépenses de recherche éligibles au niveau des grands groupes et non des filiales ;

- interdire le cumul du CIR et du CICE ;

- supprimer le surplus de crédit d'impôt accordé au titre de l'embauche des « jeunes docteurs » ou de la sous-traitance de travaux de recherche ;

- supprimer certaines dépenses au sein de celles ouvrant droit au CIR, notamment celles liées à la propriété intellectuelle, la normalisation ou la veille technologique.

À l'initiative de son rapporteur spécial, M. Michel Berson, la commission des finances du Sénat a adopté un amendement tendant à supprimer le bénéfice du CIR pour les dépenses dépassant 100 millions d'euros. Votre rapporteur pour avis souscrit à ce plafonnement qui permet de supprimer le taux de 5 % de CIR pour les dépenses au-delà de 100 millions d'euros, dont l'effet incitatif n'a pas été jugé substantiel par la Cour des comptes, et permet à la fois de réorienter le bénéfice du CIR vers les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et d'envisager une réduction du coût du dispositif de l'ordre de 800 millions d'euros.

Votre rapporteur pour avis se félicite, néanmoins, que le Gouvernement ait réaffirmé, au cours des débats à l'Assemblée nationale, de ne pas modifier substantiellement les règles de calcul du CIR. S'il est vrai que la maîtrise du dispositif oblige à un renforcement des procédures de contrôle fiscal et à un calcul plus affiné des dépenses éligibles, il est indispensable de ne pas remettre en cause les effets positifs du CIR pour le développement de la R&D au sein des entreprises industrielles françaises, qui évoluent dans un secteur particulièrement exposé à la concurrence internationale. Conformément aux préconisations du rapport précité de M. Louis Gallois, il importe de ne pas déstabiliser un outil qui a largement fait la preuve de son efficacité et dont plusieurs pays de l'OCDE et pays émergents tendent à s'inspirer.

Votre rapporteur pour avis rappelle, en effet, que l'effet de levier du CIR a été évalué, pour la première fois en 2011, à 1,15, ce qui signifie que chaque euro de CIR consenti par l'État s'est accompagné de 1,15 euro de dépenses de R&D supplémentaires des entreprises, comme le suggère l'étude publié par le cabinet d'études Acies Consulting Group, qui a mis en place un « observatoire du crédit d'impôt recherche ». Selon cet observatoire, « grâce au CIR, l'industrie française est l'une des plus intenses en R&D d'Europe, supérieure de 20 % à celle de l'Allemagne », le régime fiscal français en faveur de la R&D étant considéré « parmi les plus incitatifs au monde » 27 ( * ) .

En outre, le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche a rappelé que « l'effet d'addition du crédit impôt recherche sur les dépenses de R&D des entreprises n'est pas démenti par les analyses statistiques » 28 ( * ) . L'intensité de R&D s'est effectivement redressée à partir de la réforme du CIR en 2008.

Par ailleurs, votre rapporteur pour avis souligne que, depuis la réforme du CIR mise en oeuvre en 2008, les dépenses sous-traitées par les entreprises à la recherche publique ont augmenté de 26 %, signalant un fort regain d'intérêt du secteur privé pour la recherche partenariale avec les organismes de recherche. En effet, le rapport sur les politiques nationales de recherche et de formations supérieures annexé au projet de loi de finances pour 2014 indique que les dépenses relatives à des travaux confiés à des institutions publiques de recherche (organismes de recherche, universités...) ont progressé sensiblement plus rapidement que les dépenses externalisées auprès d'entreprises (+ 18 %). Ce document montre également que :

- le nombre d'entreprises ayant sollicité les institutions publiques de recherche pour la sous-traitance de travaux de recherche a plus que doublé entre 2007 et 2011 ;

- le nombre de déclarants ayant embauché des docteurs a progressé de 160 % (de 439 déclarants en 2007 à 1 143 en 2011).

Votre rapporteur pour avis relève, en revanche, que le CIR ne profite encore que très insuffisamment aux universités et aux écoles d'ingénieurs. Or, il semble primordial de développer la recherche partenariale entre les entreprises bénéficiant du CIR et les universités, en particulier les universités de technologie.

Par ailleurs, une étude publiée par Thomson Reuters le 7 octobre 2013 classe la France en troisième position des « 100 premiers innovateurs mondiaux ». Derrière les États-Unis et le Japon, elle domine de très loin les autres pays européens, en raison de sa « politique fiscale avantageuse en matière de R&D qui permet d'attirer et de retenir des entreprises innovantes » 29 ( * ) .


* 25 Louis Gallois, Pacte pour la compétitivité de l'industrie française , rapport au Premier ministre du 5 novembre 2012.

* 26 Cour des comptes, L'évolution et les conditions de maîtrise du crédit d'impôt en faveur de la recherche , communication à la commission des finances de l'Assemblée nationale en application du 2° de l'article 58 de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), juillet 2013.

* 27 http://www.acies-cg.com/fr/node/484

* 28 Mme Frédérique Sachwald, adjointe au chef du service des entreprises, du transfert de technologie et de l'action régional au ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, citée par la dépêche n° 189925 de l'agence d'informations spécialisées AEF en date du 19 novembre 2013.

* 29 http://tempsreel.nouvelobs.com/economie/20131007.OBS0012/12-groupes-francais-parmi-les-100-plus-innovants-au-monde.html

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