B. UNE ACTIVITÉ QUI A CONSIDÉRABLEMENT AUGMENTÉ

1. Un nombre de QPC à présent stabilisé, mais élevé

La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 6 ( * ) et la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution ont rendu possible, à compter du 1 er mars 2010, la saisine a posteriori du Conseil constitutionnel par tout justiciable estimant qu'une disposition législative en vigueur porte atteinte à ses droits et libertés. Entre la première décision rendue le 28 mai 2010 et le 19 juillet 2013 , 332 décisions issues d'une question prioritaire de constitutionnalité ont été rendues , soit cinq fois plus que les décisions résultant d'une saisine a priori du Conseil (67 décisions « DC ») sur la même période. Si l'on exclut les années 2010 et 2011 qui ont vu le lancement de la procédure, et qui à ce titre ne peuvent être considérées comme représentatives, le Conseil rend depuis deux ans entre 70 et 80 décisions de ce type chaque année. Ce nombre élevé et stabilisé de décisions a pu être rendu dans des conditions satisfaisantes, en moyenne dans un délai de 2 mois et 3 semaines , respectant ainsi le délai de 3 mois fixé par la loi organique précitée. Ce délai n'est tenable qu'à la condition de respecter scrupuleusement un certain nombre de règles auxquelles le Conseil ne déroge pas : délai maximal des plaidoiries de 15 minutes, refus systématique des reports d'audience, etc. Votre rapporteur précise, toujours au cours de la période précitée, que sur 1 336 QPC soulevées devant les juridictions, 348 ont été renvoyées au Conseil, soit un peu plus de 26 % .

Précisons que le nombre important de décisions rendues n'a pas entraîné d'insécurité juridique particulière, d'une part parce que le nombre de décisions de non-conformité demeure limité (49 sur 332 en tout sur la période précitée), d'autre part parce que le Conseil a fait application, pour 23 d'entre elles, de la faculté de moduler dans le temps les effets de sa décision afin de donner le temps au législateur de légiférer de nouveau.

Le tableau suivant récapitule la proportion par sort des décisions QPC entre le 28 mai 2010 et le 13 juillet 2013 :

Sort des différentes QPC

Part des QPC concerné

Décision de conformité à la Constitution

55 %

Conformité avec réserve

13 %

Non-conformité totale

17 %

Non-conformité partielle

9 %

Non lieux et autres décisions

6 %

Conformément à l'article 62 de la Constitution, « une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause. »

Les exemples de QPC par lesquelles le Conseil constitutionnel a usé de cette faculté de différer dans le temps les effets de sa décision ne manquent pas.

Rappelons que le Parlement a, par exemple, eu à se prononcer, en matière de garde à vue , sur une nouvelle rédaction des articles 62, 63, 63-1 et 77 du code de procédure pénale, censurés parce qu'ils créaient, dans leur rédaction antérieure, un déséquilibre entre la prévention des atteintes à l'ordre public et l'exercice des libertés constitutionnellement garanties : le Conseil constitutionnel décala de onze mois la prise d'effet de sa décision (décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010).

Le Conseil constitutionnel a également usé de cette faculté de différer dans le temps les effets de sa décision, lorsqu'il a annulé l'article L. 251-3 du code de l'organisation judiciaire, qui fixe la composition du tribunal pour enfants , au motif que ces dispositions portaient atteinte au principe constitutionnel d'impartialité des juridictions, laissant en l'espèce un an et demi au Parlement pour légiférer.

Il en fut de même concernant l'article 800-2 du code de procédure pénale, relatif aux frais irrépétibles , que le Conseil constitutionnel avait déclaré non conforme à la Constitution suite à une question prioritaire de constitutionnalité, en ce qu'il portait atteinte à l'équilibre du droit des parties dans le procès pénal : le Parlement a, pour ce faire, disposé d'un délai de plus de quatorze mois entre la décision rendue le 21 octobre 2011 et la prise d'effet de l'annulation fixée au 1er janvier 2013.

Cependant, compte tenu de l'application de règles constitutionnelles spécifiques à la matière pénale, à savoir le principe de non rétroactivité de la loi pénale plus dure, et, à l'inverse, le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce, le Conseil constitutionnel ne serait probablement pas fondé à différer dans le temps toutes les décisions qu'il rend en la matière : c'est le cas semble-t-il lorsqu'il traite de la définition des infractions. C'est ainsi qu'il n'a pas différé dans le temps les effets de la censure de l'article 222-33 du code pénal, définissant le délit de harcèlement sexuel (Décision n° 2012-240 QPC du 04 mai 2012). Cette abrogation immédiate a conduit le législateur à adopter, le plus rapidement possible, de nouvelles dispositions législatives afin que ne perdure pas un quelconque vide juridique sur une telle infraction. En conséquence, la loi n°2012-954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel, qui ne vaut que pour les faits de harcèlement commis à compter de son entrée en vigueur, fut adoptée.

On remarquera donc que l'effet du décalage dans le temps est juridiquement sécurisant. Toutefois, il contraint souvent le Parlement à légiférer dans des délais restreints, avec toutes les conséquences sur le travail parlementaire que cela induit (procédure accélérée, etc.).

2. Le rendu de décisions importantes a nécessité un travail considérable

Votre rapporteur se contentera de souligner, au travers d'un exemple, la charge d'activité considérable qui peut résulter de certaines décisions. En atteste la décision n°2013-156 PDR, par laquelle le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer sur la requête de M. Nicolas Sarkozy tendant à l'annulation de la décision de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) en date du 19 décembre 2012 relative à son compte de campagne pour l'élection présidentielle de 2012.

Rappelons que la loi du 6 novembre 1962 prévoit que la CNCCFP « approuve, rejette ou réforme, après procédure contradictoire, les comptes de campagne et arrête le montant du remboursement forfaitaire prévu au V du présent article ». Ses décisions « peuvent faire l'objet d'un recours de pleine juridiction devant le Conseil constitutionnel par le candidat concerné, dans le mois suivant leur notification ».

Le Conseil constitutionnel a instruit cette requête avec le concours de deux rapporteurs adjoints. L'auteur de la requête ainsi que le Président de la CNCCFP ont respectivement produit sept mémoires entre le 10 janvier et le 11 juin 2013 . Le Conseil constitutionnel a procédé à de nombreuses mesures d'instruction pour évaluer le montant des dépenses devant ou non être inscrites au compte de campagne, auprès d'une formation politique, de plusieurs mairies, de la présidence de la République, de cabinets de conseils et de plusieurs sociétés. Au total, plus de six mois de travail auront été nécessaires pour rendre cette seule décision .

3. Des perspectives d'activité encore en hausse avec le référendum d'initiative partagée

La mise en place du référendum d'initiative partagée, qui devrait résulter de l'adoption du projet de loi organique et du projet de loi portant application de l'article 11 de la Constitution pourrait conduire à renforcer encore l'activité du Conseil. D'une part, sur le fondement de l'article 60 de la Constitution, « le Conseil constitutionnel veille à la régularité des opérations de référendum prévues aux articles 11 et 89 et au titre XV ». D'autre part, il devrait être chargé plus spécifiquement de contrôler le soutien des inscrits sur les listes électorales à l'initiative référendaire, c'est-à-dire au moins 10% du corps électoral, ou 4,5 millions d'électeurs, pour chaque référendum de ce type.

Afin de permettre au Conseil constitutionnel d'exercer cette compétence de manière exclusive, la commission mixte paritaire réunie le 30 octobre 2013, a souhaité lui accorder les moyens juridiques et matériels qui lui permettraient de statuer sur les réclamations dont il pourrait être saisi par tout électeur.

Les réclamations seraient préalablement examinées par une formation présidée par l'un des membres du Conseil constitutionnel. La formation plénière du Conseil constitutionnel resterait compétente pour statuer définitivement en cas d'appel de l'auteur de la réclamation contre la décision de la formation ou lorsque la formation souhaiterait renvoyer, notamment en raison de l'importance de l'affaire, à la formation plénière.

En outre, les services compétents de l'État seraient tenus leur concours matériel au Conseil constitutionnel dans sa mission. Dans ce cadre, le ministre de l'Intérieur lui communiquerait, dès lors que le Conseil en ferait la demande, la liste des soutiens recueillis.

Enfin, le Conseil constitutionnel pourrait s'entourer de délégués, choisis parmi les magistrats judiciaires ou administratifs, et des experts nécessaires à sa mission.


* 6 L'article 61-1 de la Constitution dispose que « lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. »

Page mise à jour le

Partager cette page