IV. UN NOUVEL AXE DE RÉFLEXION : L'ACCOMPAGNEMENT DES ENTREPRISES DANS LES TERRITOIRES

En complément du suivi de l'exercice par les services déconcentrés des missions de protection des consommateurs, engagé par son prédécesseur, notre collègue Antoine Lefèvre - suivi qui mérite d'être prolongé, compte tenu des importantes difficultés rencontrées par les agents et les services concernés -, votre rapporteur a souhaité ouvrir cette année un nouvel axe de réflexion, sur l'accompagnement des entreprises dans les territoires .

Dans le cadre de cette réflexion, votre rapporteur a voulu commencer par entendre en audition la direction générale des entreprises (DGE), Bpifrance, Business France, l'Assemblée permanente des chambres de commerce et d'industrie, CCI France et les organisations professionnelles d'employeurs, en vue de dresser un premier constat. Compte tenu des prochaines élections régionales, l'Association des régions de France (ARF) n'a pas pu répondre à son invitation.

Plusieurs problématiques relèvent de ce thème, en particulier le rôle des régions dans l'accompagnement des entreprises, après le renforcement de leurs compétences en matière de développement économique et la clarification des compétences économiques des collectivités territoriales par la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, le rôle de Bpifrance au niveau territorial, le rôle des services déconcentrés de l'État, en particulier les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (pôles « 3E » 39 ( * ) des DIRECCTE), et les commissaires au redressement productif et le rôle des chambres consulaires, ainsi que le soutien et l'animation des pôles de compétitivité. Votre rapporteur s'interroge sur l'efficacité de la pluralité des acteurs et leur coordination dans ce champ de l'accompagnement des entreprises dans les territoires.

La loi n° 2015-991 du 7 août 2015 précitée a clarifié les compétences des collectivités territoriales en matière de développement économique, en donnant un rôle premier aux régions, par l'intermédiaire notamment du schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation, et en supprimant la clause de compétence générale pour les départements. Elle a également expressément prévu que les régions pouvaient soutenir les actions collectives des entreprises en la matière ainsi que les pôles de compétitivité, ce qu'elles faisaient déjà en pratique. La lisibilité des compétences économiques au niveau local s'en trouve ainsi améliorée.

En revanche, cette loi n'a pas modifié les compétences de l'État dans le domaine du développement économique, ce que déplore votre rapporteur, pour tenir compte de la réorganisation des compétences des collectivités. Selon les représentants de la DGE entendus par votre rapporteur, 550 de ses agents au sein des pôles « 3E » des DIRECCTE s'occupent de développement économique et d'accompagnement des entreprises, soit la moitié environ des effectifs de cette direction, l'autre moitié étant affectée en administration centrale.

Parmi les conclusions de la revue des missions de l'État, présentées par le Premier ministre le 12 juillet 2015, trois axes ont été retenus pour les missions de développement économique de l'État en région assurées par les DIRECCTE, avec le souci de limiter les chevauchements avec les autres acteurs : déclinaison au niveau régional des politiques publiques 40 ( * ) , accompagnement des entreprises et veille stratégique sur le tissu économique local, en lien avec le commissaire au redressement productif. L'administration centrale de la DGE étant en contact avec les grandes entreprises prioritairement, le public des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI) relève plutôt de la compétence prioritaire des DIRECCTE.

Votre rapporteur souligne toutefois la difficulté à maintenir pour les PME et les ETI une présence de proximité des services de l'État , dans la future carte des grandes régions, avec des effectifs réduits de 550 agents, qui plus est en diminution constante année après année 41 ( * ) , rendant la gestion locale de plus en plus difficile. Plusieurs scenarii sont à l'étude sur l'organisation territoriale des DIRECCTE dans les grandes régions.

Votre rapporteur admet néanmoins que les politiques économiques de l'État et des treize futures régions sont complémentaires : il ne saurait y avoir, en effet, treize politiques industrielles ou treize politiques d'attractivité. Il existe une politique industrielle nationale, des politiques nationales de filières comme une politique nationale des pôles de compétitivité, par exemple, sans préjudice des déclinaisons locales à l'initiative des régions elles-mêmes. En outre, d'une région à l'autre, la coopération avec l'État est variable, certaines régions étant plus impliquées que d'autres dans l'action économique ou dans une logique partenariale avec les autres acteurs dont l'État. Demeure également la question de l'articulation entre les compétences économiques des régions et celles des métropoles, que la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 précitée n'a pas pleinement clarifiée, au détriment de la lisibilité de l'action publique locale pour les acteurs des milieux économiques.

Toutefois, l'État n'a plus vocation à jouer un rôle d'accompagnement financier individuel des entreprises 42 ( * ) . Le niveau de ses crédits d'intervention ne le permet plus et les DIRECCTE n'ont plus de crédits déconcentrés à cette fin. Dès lors, il appartiendra d'abord aux régions de soutenir financièrement les entreprises de leur territoire , de façon individuelle comme collective. Une telle évolution, selon votre rapporteur, ne peut rester à terme sans conséquence sur l'organisation des acteurs locaux du développement économique. La question de la coordination de la multiplicité des acteurs locaux de l'accompagnement des entreprises se pose, avec des situations variables d'une région à l'autre : elle fonctionne très mal dans certaines régions.

Compte tenu de la tension croissante sur les effectifs de la DGE dans les DIRECCTE, au détriment du bon exercice des missions, comme de la baisse drastique des crédits d'intervention, votre rapporteur s'interroge sur la capacité des services déconcentrés de l'État à continuer à assumer dans les territoires, à terme, des missions de développement économique et d'accompagnement des entreprises . Dès lors, la dispersion des agents chargés de ces missions dans plusieurs entités publiques mérite d'être réévaluée.

De plus, dans le cadre de la nouvelle carte régionale, votre rapporteur rappelle que les agences régionales de développement économique devront être réorganisées.

Concernant l' action territoriale de Bpifrance , votre rapporteur tient à rappeler en premier lieu que ses comités régionaux d'orientation 43 ( * ) sont présidés de droit par les présidents de région. Bpifrance dispose de 45 implantations régionales en métropole et outre-mer et devraient en créer de nouvelles en 2016, dans une logique de proximité territoriale. En matière de financement des entreprises, 90 % des décisions sont prises au niveau local.

Compte tenu de l'histoire des organismes ayant précédé Bpifrance 44 ( * ) , les partenariats noués avec les acteurs locaux sont anciens et nombreux. Bpifrance a ainsi conclu une vingtaine de conventions de partenariat stratégique avec des régions, outre les fonds régionaux de garantie ou d'investissement 45 ( * ) gérés pour le compte des régions pour presque toutes. Au travers de ces outils, Bpifrance peut offrir une prestation d'interlocuteur unique aux entreprises, en agrégeant les outils de financement proposés par les divers acteurs. En outre, Bpifrance propose aux régions une ingénierie financière et technique pour mettre en place leurs outils ainsi que des plateformes internet. Des partenariats locaux sont également conclus avec des acteurs locaux compétents pour l'accompagnement des entreprises 46 ( * ) .

Votre rapporteur souligne néanmoins que Bpifrance ne s'adresse pas à l'ensemble du tissu économique local, mais par priorité aux PME et ETI. Ainsi, sauf en matière de garantie bancaire, les très petites entreprises (TPE) ne font pas partie de son public habituel, alors qu'elles contribuent à l'économie et à l'emploi localement de manière significative. Toutefois, les représentants de Bpifrance entendus par votre rapporteur ont indiqué que Bpifrance travaillait sur un projet de prêts de développement pour de petits montants destiné aux TPE , selon une procédure dématérialisée permettant de simplifier l'accès et de réduire les coûts de gestion.

Votre rapporteur perçoit ainsi une montée en puissance de Bpifrance en tant que financeur des entreprises, le cas échéant pour le compte d'autrui, au détriment des services de l'État, qui ne disposent plus de moyens d'intervention financière désormais.

Le représentant de Business France 47 ( * ) entendu par votre rapporteur a indiqué que des programmes d'internationalisation des entreprises ont été mis en place avec certaines régions, en ciblant des entreprises à fort potentiel de développement à l'export. Toutefois, nombre de prestations que peut proposer Business France aux régions semble entrer dans le champ des appels d'offres, ce qui limite la possibilité de construire des partenariats dans la durée. Un accord a été néanmoins été signé avec l'ARF en 2015.

En outre, les conventions conclues entre l'ancienne Agence française pour les investissements internationaux (AFII) et les agences régionales de développement économique ont été reconduites en 2014 48 ( * ) . Toutefois, par défaut de coordination, la communication économique des régions à l'étranger semble donner une image de rivalité entre elles plus que de complémentarité.

Les représentants des deux réseaux consulaires entendus par votre rapporteur ont tenu un discours relativement critiques à l'égard des services de l'État, considérant qu'ils jouaient un rôle de moins en moins actif et de plus en plus d'observateur ou de simple animateur, en raison du recul croissant des missions et des crédits de l'État vis-à-vis des entreprises. De plus, comme les aides de l'État ont quasiment disparu, les régions sont devenues les principaux soutiens financiers des entreprises . Si l'État doit garder un rôle d'impulsion au niveau national, dans les politiques de filières industrielles notamment, il n'a plus les moyens localement d'être le premier coordonnateur du développement économique, face à des régions renforcées. Il appartiendra néanmoins à l'État, au niveau national, de veiller à la cohérence et à l'homogénéité des actions des régions en matière économique, pour assurer un traitement comparable des entreprises, limiter les rivalités en matière d'attractivité des territoires pour les entreprises françaises comme pour les investissements internationaux et veiller à la coordination des différents acteurs locaux, notamment entre les régions, les chambres consulaires et Bpifrance, dans l'intérêt économique local.

Les représentants des deux réseaux consulaires ont insisté sur le besoin de renforcer le soutien et l'accompagnement des TPE et des PME , souvent écartées de fait des actions menées, y compris des programmes régionaux. Seul un renforcement des actions économiques de proximité permettra, selon votre rapporteur, un tel renforcement, de façon à adapter au plus près du terrain les modalités de l'action régionale aux spécificités des entreprises les plus petites.

Ainsi, votre rapporteur dresse un premier bilan selon lequel le rôle des DIRECCTE en matière de développement économique semble en recul, du fait de la perte de leurs capacités opérationnelles et financières, voire contesté par les autres acteurs locaux, tandis que la montée en puissance des régions suscite à la fois attentes et inquiétudes. Dans ce contexte, l'existence même de services déconcentrés dans ce domaine a pu être remise en cause, dès lors que le soutien qu'on peut en attendre n'existerait plus. La question de la gestion de proximité du développement économique a aussi été souvent évoquée.

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Sous le bénéfice de ces observations et sous réserve de l'adoption de l'amendement proposé par son rapporteur, votre commission des lois a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Développement des entreprises et du tourisme » de la mission « Économie » inscrits au projet de loi de finances pour 2016.


* 39 Entreprises, emploi et économie.

* 40 Par exemple, promouvoir auprès notamment des petites entreprises le crédit d'impôt en faveur de la compétitivité et de l'emploi (CICE) ou le mécanisme fiscal temporaire de suramortissement.

* 41 Selon les représentants de la DGE, ses effectifs dans les DIRECCTE perdent une quinzaine d'emplois par an.

* 42 Sous réserve des appels à projet du programme des investissements d'avenir (PIA) et de la contribution au financement de la gouvernance des pôles de compétitivité

* 43 Ces comités formulent un avis sur l'action de Bpifrance dans la région et veille à sa cohérence avec la stratégie régionale de développement économique.

* 44 OSEO, qui a regroupé notamment la Banque de développement des petites et moyennes entreprises (BDPME) et SOFARIS, et CDC Entreprises.

* 45 Il existe aujourd'hui 95 fonds régionaux ou interrégionaux d'investissement, qu'il faudra réorganiser en fonction de la nouvelle carte des régions, améliorant ainsi l'efficacité de l'effet de levier.

* 46 Par exemple, Bpifrance a conclu un partenariat avec l'agence de développement économique de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, pour accompagner des entreprises de croissance sélectionnées en commun.

* 47 L'établissement public Business France est issu de la fusion au 1 er janvier 2015 de l'Agence française pour les investissements internationaux (AFII) et d'UbiFrance.

* 48 Business France accompagne environ 1 200 projets d'implantation d'entreprises étrangères par an : ces projets sont diffusés auprès des agences régionales en vue de proposer des offres d'implantation aux investisseurs étrangers. Environ 400 projets se concrétisent par an.

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