EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 27 novembre 2019, la commission a examiné le rapport pour avis sur les crédits relatifs à la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » du projet de loi de finances pour 2020.

Mme Sophie Primas , présidente . - Mes chers collègues, avant d'aborder la discussion sur les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » pour 2020, je vous propose d'aborder un autre point.

Nous avons adopté, en juillet dernier, un rapport d'information présenté par notre rapporteur Fabien Gay sur l'affaire des faux steaks hachés distribués aux associations caritatives dans le cadre du FEAD.

Il est important d'assurer un suivi des recommandations que nous avons adoptées et, au besoin, de leur donner une traduction législative quand l'opportunité se présente. Cela fait aussi partie de notre travail de contrôle et je sais que vous y êtes collectivement attachés.

A cet égard, M. Gay souhaiterait vous présenter rapidement un amendement qui tire les conclusions de ce dernier et qui pourrait être examiné dans le cadre du projet de loi de finances sur les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». M.Gay, si vous pouvez nous présenter l'amendement rapidement.

M. Fabien Gay . - Merci Madame la Présidente. C'était la 18 e recommandation de notre rapport qui disait que ce n'était pas aux associations de payer les conséquences de la crise dont elles ont été les victimes. Elles supportent des frais de stockage et des frais de rachat de steaks de substitution que nous avons estimés à plus d'un million d'euros en juillet dernier. La facture s'alourdit de jour en jour. Nous avons pris deux engagements : nous avons écrit un courrier avec vous, Madame la présidente, ainsi qu'avec les deux rapporteurs spéciaux de la mission, Monsieur Bazin et Monsieur Bocquet, au ministre Darmanin pour lui demander de débloquer la situation. Nous attendons son retour. Nous proposons en parallèle de déposer un amendement fléchant un million d'euros au sein de la mission pour que les associations soient très vite remboursées. J'ai revu les quatre associations et aujourd'hui ça pèse dans leurs finances. Elles sont très attentives à ce que de l'argent puisse très rapidement être débloqué. Je pense qu'elles seront très sensibles si nous pouvions signer très largement cet amendement. C'était la 18 e recommandation de notre rapport, et c'est pourquoi nous ouvrons largement l'appel à co-signature. Je vous remercie Madame la présidente.

Mme Sophie Primas . - Merci beaucoup. Donc vous l'avez compris, appel à co-signature sur l'amendement qui était la 18 e recommandation du rapport adopté à l'unanimité de notre commission.

Nous allons donc passer sur la mission  « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ». Je laisse la parole à nos rapporteurs pour avis : Laurent Duplomb, Françoise Férat et Jean-Claude Tissot.

M. Laurent Duplomb . - Merci Madame la présidente,

Je voudrais commencer mon propos par un point d'actualité. Vous savez qu'aujourd'hui beaucoup de tracteurs convergent vers Paris et que beaucoup de tracteurs seront en manifestation partout en France. Cela montre une fois de plus de plus le désarroi d'une profession qui ne sait plus à quel saint se vouer et, malheureusement, le budget de l'agriculture de cette année ne va pas apporter de réponses satisfaisantes à leurs demandes.

Je voudrais proposer, Madame la présidente, de rejeter ce budget de l'agriculture. Je présenterai la partie qui me correspond en trois points.

Le premier point est une satisfaction. Beaucoup de sénateurs ont lutté, ont signé des tribunes ou ont interpellé le Gouvernement ces dernières semaines pour contester la proposition de diminuer de 45 millions les recettes affectées aux chambres d'agriculture qui aurait lourdement pénalisé les chambres départementales. Le Gouvernement a reculé sur ce prélèvement qui n'était pas une économie pour l'État mais une très légère diminution des impôts des contribuables qui sont propriétaires de terrains agricoles. Cela représentait moins de 1 euro à l'hectare. Quand on sait que les agriculteurs propriétaires sont propriétaires de 50% au maximum des terrains qu'ils exploitent, cela représente 50 centimes d'économies par hectare exploité. Cet effet d'annonce dissimulait très maladroitement la réelle volonté du Gouvernement : diminuer le budget affecté aux chambres pour les forcer à évoluer sur le sujet de leur régionalisation. Je pense qu'après le mouvement des gilets jaunes et compte tenu du désarroi du monde agricole et du monde rural, ce n'était pas un bon signal. Les chambres départementales sont des outils de proximité. En faire des chambres régionales dans certaines régions qui sont des regroupements de 12 départements était une erreur. Le Gouvernement a également reculé sur sa proposition de supprimer les taxes INAO ce qu'il convient de saluer également. Il faut rappeler que les taxes INAO aident le développement des appellations. Je voulais commencer mon propos par cette double satisfaction.

Mon deuxième point consiste à dénoncer une fausse information sur ce budget. Si vous lisez comptablement ou mathématiquement le budget, vous verrez qu'il augmente de 172 millions d'euros mais si on entre un peu plus dans le détail, on se rend compte que l'augmentation n'est due qu'au réengagement pluriannuel des mesures agro-environnementales, comme cela avait déjà été le cas dans le passé, notamment dans le budget pour 2016. Les MAEC - les mesures agro-environnementales - augmentent, en autorisations d'engagement, de 168 millions d'euros. Ce n'est donc pas un budget en augmentation qui prend en compte le désarroi des agriculteurs : c'est simplement un budget reconduit d'une année sur l'autre, c'est-à-dire un budget qui conserve son rythme de croisière alors que je pense, au sens propre comme au sens figuré, que l'agriculture est loin de vivre une période de douce croisière.

Trois augmentations budgétaires sont à signaler mais elles sont subies : 6 millions d'euros concernant la prévention des dégâts causés par les prédateurs - ça ne favorise pas l'agriculture ; 10 millions d'euros de plus sur le Brexit qui entraînera un besoin de réaliser davantage de contrôles aux frontières sur les denrées alimentaires ; enfin, et c'est finalement la seule décision que le ministère aura prise cette année, 25 millions d'euros pour des dépenses informatiques et pour anticiper le recensement agricole. En clair, compte tenu de ces éléments, dire que le budget augmente pour faire face aux difficultés des agriculteurs est une fausse information.

Le troisième point constitue une réelle déception et c'est pour ça que je vous demanderai de rejeter le budget de l'agriculture. Dans ce budget, rien n'est fait pour préparer l'avenir de l'agriculture. Le budget de la mission devrait permettre, par les financements apportés, de tracer une stratégie, de dessiner un plan, d'accompagner l'innovation, le développement numérique, de  traiter des problèmes tel que la couverture des agriculteurs face aux aléas climatiques, ou de lutter contre la formation de déserts vétérinaires en milieu rural. Dans ce budget, rien ne permet d'ouvrir ces débats essentiels. Nous avons voulu, avec les deux autres rapporteurs, élargir nos auditions sur ces éléments plus prospectifs : nous avons reçu les professionnels des solutions de biocontrôle et les syndicats du machinisme agricole. Nous nous rendons compte que l'agriculture a fait d'énormes progrès ces dernières années - les équipements d'épandage des produits phytopharmaceutiques en sont l'exemple typique avec la mise en place des buses anti-dérive ; avec la mise en place de l'intelligence embarquée avec la géolocalisation, nous avons la coupure des rampes automatiques qui permet de ne pas avoir une double dose au même endroit, ce qui diminue mécaniquement la quantité de phytosanitaires de 10 à 30 %... Aujourd'hui, s'ouvre une nouvelle ère avec l'intelligence artificielle embarquée : nous pourrons, avec un même outil, reconnaître une mauvaise herbe devant le tracteur puis en temps réel, transformer la bouillie nécessaire avec le produit phytosanitaire nécessaire, au microgramme près, pour traiter uniquement la plante par la rampe du pulvérisateur. Cela permettrait de diminuer entre 70 et 90 % des volumes de phytosanitaires. Si ce n'est pas le ministère de l'agriculture qui se charge de développer ces outils, de les vulgariser et de permettre leur accès aux agriculteurs, comment peut-on traiter les problèmes de notre agriculture avec une ambition partagée, celle de diminuer les volumes de produits phytosanitaires utilisés ?

Faute de ces outils, on ajoute des contraintes à l'exploitant. À chaque fois qu'on fait cela, on ouvre les portes un peu plus grandes aux importations. N'oublions jamais que nous consommons un peu plus d'un jour par semaine des produits agricoles importés et que sans doute un quart de ces produits importés ne correspondent pas à nos normes. On se devrait d'avoir ces éléments en tête. Et, pourtant, le budget de l'agriculture n'y répond pas.

J'ai proposé un amendement sur le suramortissement en première partie de ce projet de loi de finances qui a d'ailleurs été adopté par le Sénat. Cet amendement de suramortissement permettra de guider les investissements qui seront faits par des filières agricoles qui gagnent de l'argent - actuellement celle du porc parce que les cours ont augmenté - de façon à les inciter à se poser les bonnes questions pour préparer l'avenir. Ce dispositif de suramortissement, travaillé avec les filières, permettra d'inciter à réduire les risques d'exposition aux risques climatiques, de diminuer l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et d'améliorer la prise en compte du bien-être animal. Dans l'hémicycle, le Gouvernement a répondu que cela ne servait à rien parce que les agriculteurs avaient déjà l'épargne de précaution. Mais l'épargne de précaution n'a rien à voir. On ne peut pas dire aux agriculteurs il faut que vous épargniez pour préparer les aléas climatiques et les évolutions sanitaires et de l'autre côté leur dire on ne vous aide pas sur le suramortissement et sur les investissements pour l'avenir. Ce sont deux choses complémentaires et pas contradictoires. Ces éléments-là alimentent la légitime déception induite par ce budget.

Pour terminer, malgré un avis défavorable sur l'adoption de ce budget, nous pouvons déposer des amendements en notre nom afin de recueillir l'avis du ministre sur ces sujets en séance publique. Je vous proposerai, à cet égard, deux amendements d'appel. Le premier porte sur l'évolution des produits phytosanitaires. Aujourd'hui, il y a une ligne dans le budget du programme 206 qui permet de financer un accompagnement de la diminution des produits phytosanitaires qui est de 330 000 euros. Je vous propose dans cet amendement de la faire symboliquement passer de 330 000 à 1 330 000 euros.

Le deuxième amendement d'appel concerne les contrôles aux frontières sur les denrées alimentaires. On ne peut pas continuer à mettre autant de contrôleurs pour contrôler les exploitations en France, par exemple pour contrôler la surface cultivée d'une parcelle qui est toujours la même. Je propose qu'on puisse mettre ces contrôleurs aux frontières pour contrôler les produits importés qui ne correspondent pas à nos normes. C'est pour cela que je vous propose de passer cette ligne en ajoutant 3,4 millions d'euros qui correspondent à 100 ETP supplémentaires.

Petite anecdote sur les amendements que nous vous avions proposés l'année dernière. Ils ont tous été rejetés par le Gouvernement en séance publique mais finalement en partie mis en place pendant l'année.

Pour terminer, je vous propose donc de rejeter le budget de cette mission mais de voter favorablement sur le budget du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » (CASDAR). Actuellement, on a une vraie question à se poser sur le CASDAR. Traditionnellement, on donne un avis de sagesse ou on rejette le budget du CASDAR faute de lisibilité sur ce qu'il finance. Le budget du CASDAR c'est 136 millions d'euros sur les cotisations des agriculteurs. Ces 136 millions servent, pour une part, environ 40 millions, aux chambres de l'agriculture, mais également aux instituts techniques, aux différentes associations qui ont la capacité de faire des investissements et de l'innovation. Nous n'avons pas besoin de tirer sur le CASDAR. Si Bercy veut récupérer les 45 millions qu'ils n'ont pas pu avoir par la réduction de la taxe sur les chambres d'agriculture, le risque est que l'année prochaine, ils se focalisent sur le CASDAR. Si nous donnons un avis de sagesse ou si nous rejetons le budget du CASDAR, nous donnerions la possibilité au ministère de reprendre notre décision en soulignant que si nous le rejetons, nous ne sommes pas convaincus de l'utilité du budget du CASDAR. Nous devons au contraire démontrer notre attachement à ce système qui est le seul à fonctionner comme cela dans le monde, avec des cotisations des agriculteurs qui permettent de financer l'innovation. Cela demande aussi - c'est pour cela que nous avions concentré nos auditions sur le CASDAR - que nous ayons pendant l'année des propositions pour rendre le CASDAR plus lisible, plus transparent et pour qu'il permette de mieux répondre aux attentes et aux enjeux stratégiques de l'agriculture.

Je vous demande donc de rejeter le budget de la mission agricole mais de voter favorablement sur le CASDAR.

Mme Françoise Férat . - Merci Madame la présidente et merci Laurent.

Au-delà de cette vision globale du budget, je souhaitais à mon tour vous faire part de quelques annonces qui ne manquent pas de nous inquiéter sur deux sujets : la compétitivité de notre agriculture et l'excellence de notre politique sanitaire qu'il convient de préserver.

Nos travaux ne cessent de rappeler que nos agriculteurs évoluent dans un marché mondial et qu'à force de parler de montée en gamme, on en oublie l'impératif de compétitivité. Je dois dire que l'année dernière nous avions réussi à remettre ce débat au coeur de l'actualité en sauvant le dispositif d'exonération dégressive de cotisations patronales pour les employeurs de travailleurs saisonniers (le TO-DE). Or il est toujours programmé que ce dispositif disparaisse en 2021. Il ne faut pas s'y résigner et nous avons déposé, avec Laurent et Jean-Claude, en notre nom, un amendement appelant à sa pérennisation. Il a été adopté au Sénat, avec l'avis défavorable du Gouvernement. En revanche, le Ministre nous l'a affirmé en commission : il est pour que ce dispositif se poursuive cette année, l'année prochaine, l'année suivante, ... Pourquoi ne pas l'acter dès aujourd'hui ?

Concernant la politique sanitaire, nos auditions permettent chaque année de dresser un état des lieux des risques auxquels nos agriculteurs sont exposés.

Le risque de peste porcine africaine demeure extrêmement présent. La clôture semble avoir contenu, jusqu'à présent, le risque, mais il convient de demeurer vigilant. Le budget prévoit à ce titre le maintien d'une ligne de 3 millions d'euros par an - cela me semble léger - pour des mesures de surveillance particulière. C'est essentiel pour notre filière porcine.

Il convient de noter également une recrudescence des cas de tuberculose bovine, même si la France reste bien sûr indemne, ainsi que l'apparition de quelques cas en 2019 de maladie d'Aujeszky et de brucellose. Ces cas sont maîtrisés grâce à l'excellence de notre système sanitaire de détection et de traitement, qu'il convient à chaque fois de saluer.

Concernant les végétaux, la surveillance va être renforcée à la suite de l'entrée en vigueur de deux nouveaux règlements européens en décembre 2019. Ils impliqueront une surveillance obligatoire d'environ 180 organismes de quarantaine, c'est-à-dire une multiplication par près de 6 du nombre d'organismes nuisibles à surveiller. Cela se traduira, mécaniquement, par une hausse des contrôles nécessaires, estimés à environ 10 000 contrôles supplémentaires, pour les FREDON, d'où la hausse du budget qui leur est accordée cette année d'environ 6 millions d'euros.

Concernant la sécurité sanitaire des produits que nous importons, nos préoccupations sont toujours aussi vives. Nous ne le répéterons jamais assez : les Français consomment de plus en plus de produits alimentaires importés, qui n'ont sans doute pas les mêmes garanties en matière de sécurité sanitaire que l'alimentation produite en France. Aujourd'hui, les contrôles sur les normes de production de ces denrées sont majoritairement réalisés dans le pays qui exporte. Il importe donc de renforcer les contrôles inopinés en France pour accroître notre sécurité alimentaire et surtout garantir une concurrence loyale avec nos agriculteurs.

C'est pourquoi nous avions soutenu, dès l'année dernière, que le recrutement de 40 ETP pour faire face au Brexit était insuffisant. Le Gouvernement nous avait répondu que nous fantasmions. Il en a finalement recruté non pas 40 mais 185 dès cette année, et il projette d'en recruter 175 de plus en 2020... Nous ne pouvons que nous féliciter d'avoir eu raison trop tôt. C'est pour acter ces recrutements anticipés et continuer de les réaliser cette année qu'au total, par rapport au budget de l'année dernière, le budget 2020 prévoit une hausse de 320 ETP des effectifs du programme 206 pour le Brexit. Mais je vais tempérer votre enthousiasme : ces emplois ont été financés par une réduction du plafond d'emplois du programme 146, celui qui est dédié à l'enseignement supérieur agricole. Je m'en suis inquiétée auprès de notre administration qui m'a répondu qu'il n'y avait pas à s'en faire.

Mais ces dépenses en faveur de notre sécurité sanitaire ne vont pas assez loin. Je rappelle que les Français - les chiffres sont importants - dépensent 0,3 euro par habitant et par an pour les inspections sanitaires sur les produits destinés à la consommation : c'est 1,5 euro par habitant aux Pays-Bas, 1,7 euro en Belgique et 2,4 au Danemark. Avec le Brexit et les accords de libre-échange, la France va devenir de plus en plus exposée aux importations de pays tiers : il est donc nécessaire de nous doter des moyens de contrôles à l'importation suffisants au nom de la sécurité sanitaire de nos consommateurs et afin d'assurer enfin une concurrence loyale avec nos producteurs. Pour ne pas alourdir les finances publiques, il est possible de redéployer de la masse salariale du ministère vers ces fonctions pour alléger les formalités administratives imposées à nos agriculteurs tout en renforçant les contrôles sur les denrées importées.

Le Brexit inquiète également nos pêcheurs, qui peuvent se voir interdire l'accès aux eaux britanniques. Le budget prévoit une aide d'urgence en cas de fermeture de ces eaux pour indemniser les navires restant à quai faute d'une activité économique suffisante : ce sont environ 50 millions d'euros qui ont été budgétés, tant par le FEAMP que par les crédits nationaux.

Je ne peux enfin pas conclure mon intervention, comme l'a évoqué mon collègue Laurent Duplomb, sans parler de la situation de nos vétérinaires. Dès l'année dernière, nous alertions sur le risque de voir apparaître dans nos campagnes des déserts vétérinaires, comme sont apparus des déserts médicaux. La tendance se poursuit cette année, faute d'une action résolue du ministère sur le sujet.

Je vous rappellerai ici trois tendances inquiétantes.

Premièrement, le nombre annuel de recrutements de vétérinaires stagne depuis 2016.

Deuxièmement, l'urbanisation des jeunes vétérinaires s'accroît encore un peu, avec des spécialisations de plus en plus tournées vers les animaux de compagnie. Par conséquent, le nombre de vétérinaires en élevage dans les zones rurales diminue.

Troisièmement, se développe un recours accru à des vétérinaires formés à l'étranger : 43 % des primo-inscrits à l'ordre national chaque année ont été formés à l'étranger, la moitié en Belgique sans doute par expatriation et l'autre moitié dans des pays comme la Roumanie ou l'Espagne.

On ne peut pas s'engager à aider nos éleveurs tout en les privant, en pratique, de la relation privilégiée qu'ils ont avec leurs vétérinaires ruraux. Des solutions existent, je le rappelle : je pense aux stages tutorés obligatoires en école nationale vétérinaire.

Et je rejoins donc Laurent dans sa démonstration en ajoutant qu'en plus du manque d'ambition de ce budget gestionnaire bien loin du budget visionnaire dont nous avons besoin, des facteurs d'inquiétudes nous appellent à vous inviter à ne pas adopter les crédits de la mission.

Je laisse la parole à Jean-Claude.

M. Jean-Claude Tissot . - Merci Madame la présidente, merci Françoise.

Je ne peux que confirmer les propos que nous venons d'entendre : ce budget ne permettra pas de répondre aux nombreuses attentes de nos agriculteurs.

Il témoigne d'ailleurs d'une vision court-termiste à laquelle nous ne pouvons pas souscrire.

Cela est visible dans trois domaines : la gestion des risques climatiques, la politique forestière et le fonds d'indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques.

Mon premier point concerne la gestion des risques climatiques.

En 2018 a été constituée une réserve pour aléas dotée de 300 millions d'euros. Elle a été réduite  en 2019 à 200 millions d'euros. Cette année, le Gouvernement l'ampute une nouvelle fois à hauteur de 25 millions d'euros pour la ramener à 175 millions d'euros.

Le ministre a annoncé lors de son audition devant notre commission qu'il ne voulait plus de cette réserve à terme. Même avec le renforcement de la solution assurantielle, c'est une erreur car, comme l'a démontré le rapport de Nicole Bonnefoy adopté à l'unanimité de la mission d'information sur les risques climatiques, les agriculteurs vont être très exposés à des sécheresses plus nombreuses et plus violentes - on l'a vu cette année, tout comme à des tempêtes de grêle et de pluies plus violentes et fréquentes. Et ces effets sont déjà perceptibles ! Les sécheresses des deux dernières années le démontrent.

Le ministre ne fait, au fond, que rétablir la vérité sur cette réserve budgétaire contre les risques qui n'est en fait qu'une assurance de l'État contre ses propres dysfonctionnements. Depuis sa création, la réserve a servi à financer à 70 % des apurements communautaires à l'Union européenne. On est très loin, nous le voyons bien, d'une vision stratégique destinée à permettre une meilleure prévention et une meilleure indemnisation des agriculteurs face aux risques climatiques auxquels ils sont exposés.

Mon second point concerne la politique forestière.

Souvenez-vous, l'an dernier nous avons dit : « la forêt va dans le mur ». Et nous y sommes, avec une cascade de réactions en chaîne qui se résume en trois phases.

En premier, la sécheresse a affaibli les défenses naturelles des arbres ; les insectes ravageurs ont ainsi pris le dessus et provoqué des dégâts considérables, avec, en particulier, des forêts du grand Est et des essences comme l'épicéa qui sont dévastées. Je précise que la crise sanitaire est, en réalité, assez générale : elle menace toutes les essences et ne se limite pas aux attaques de scolytes qui sont des petits scarabées. Deuxième phase : une fois morts ou scolytés, les arbres doivent être prélevés et mis sur le marché, ce qui implique des dépenses supplémentaires pour les forestiers. Leurs recettes vont cependant diminuer car l'augmentation des volumes fait baisser les prix, d'autant que le bois scolyté prend une teinte bleue ce que les acheteurs considèrent comme un facteur de dépréciation. Troisième phase : personne ne sait quelles essences replanter et les dégâts de gibier menacent la replantation.

Bref : les crédits de la forêt restent à un niveau ridiculement bas - 8 % du budget de l'agriculture - et en plus ils baissent de 2,5 %. Plus encore, ces crédits concernent essentiellement la forêt publique et je proposerai de ne pas pénaliser l'organisme qui dynamise la gestion de la forêt privée au moment où on en a le plus besoin en lui allouant 1,5 million de plus par un amendement d'appel déposé pour faire réagir le ministre. Bien entendu, c'est une goutte d'eau budgétaire : l'Allemagne, à titre de comparaison, prévoit 800 millions d'euros supplémentaires pour aider sa forêt face à la crise ; de notre côté nous proposons 16 millions d'euros sur trois ans. Mon dernier point concerne le fonds d'indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques.

Le Sénat a adopté une proposition de loi visant à créer un fonds d'indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques en 2018. Dans une version remaniée ciblée sur les maladies professionnelles, lors de la loi Egalim, la création du fonds a été votée à l'unanimité. Le Gouvernement, après l'avoir longtemps repoussée, a acté, à l'article 46 du projet de loi de financement de la sécurité sociale, la création du fonds. Mais à la lecture de cette proposition gouvernementale, la solution proposée n'est pas satisfaisante.

Le dispositif prévoit une simple extension du régime de prise en charge des maladies professionnelles pour les agriculteurs salariés et non-salariés, ainsi qu'une prise en charge « forfaitaire » qui n'assurera pas une réparation intégrale des préjudices subis.

Peut-être serait-il opportun de rappeler au Gouvernement la rédaction initiale du Sénat sur ce sujet : un périmètre délimité aux maladies professionnelles et une réparation non forfaitaire des préjudices.

Surtout, pourquoi l'État devrait-il être le seul à ne pas participer au financement du fonds d'indemnisation ? C'est sous sa responsabilité que sont délivrées les autorisations de mise sur le marché des produits, les AMM, il est donc normal qu'il assume cette responsabilité en participant à l'indemnisation des victimes agricoles de ces produits. De plus, à faire reposer le financement uniquement sur les fabricants de produits phytopharmaceutiques, immanquablement la hausse va être reportée sur les agriculteurs ce qui augmentera considérablement encore les charges. Sur ces trois points, je constate trois désaccords profonds avec les positions que nous pouvons défendre régulièrement dans l'hémicycle ou en commission.

C'est pourquoi, avec les mêmes arguments qu'ont pu développer Françoise Férat et Laurent Duplomb, je vous propose de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits de la MAAFAR mais d'émettre un avis favorable sur les crédits du CASDAR. Je vous remercie.

M. Daniel Gremillet . - Je voudrais remercier nos trois rapporteurs pour leur travail. Le secteur de l'agriculture est face à des défis et à des exigences franco-françaises. Elles ne sont ni internationales ni européennes : elles sont bien françaises. À la lecture de ce budget, on a le sentiment que nous ne sommes pas à la hauteur des ambitions et des enjeux qui sont devant nous. En matière agricole, par rapport au contrôle des denrées importées, je partage complètement la proposition qui est proposée. Il faut que nous soyons cohérents : nous avons voté l'article 44 lors de la loi Egalim - il ne s'agit pas que le Sénat soit en contradiction sa position ! Il faut que les Français aient dans leur assiette des produits répondant à ce qu'on exige des agriculteurs français. Il faut donc s'assurer que ce qui vient de l'extérieur soit de la même nature. Encore faut-il avoir les moyens de mettre en oeuvre ce qui a été voté. Je me réjouis de cette proposition parce qu'on est vraiment en cohérence entre ce qu'on peut décider lorsqu'on légifère et ce qu'on met en oeuvre dans le budget, immédiatement, dès lors que le texte est en application.

Deuxième exemple sur les vétérinaires. Je partage complètement ce qui a été dit. Mais je vais encore plus loin. Le risque de désert vétérinaire fait peser un risque énorme à la population humaine et n'est pas uniquement un risque sur les productions animales, mais bien un risque sanitaire ! Je rappelle que certains épisodes touchent bien sûr les animaux mais certaines maladies sont transmissibles à l'homme. Le dossier de la profession vétérinaire est donc un dossier qui intéresse l'ensemble des Français, où qu'ils soient. C'est un dossier majeur car les vétérinaires sont les gardiens du temple sur le territoire. C'est un vrai enjeu et là encore, si on est dans une situation favorable en France en termes de qualité de vie, ils en sont en grande partie responsables.

Je terminerai sur le dossier forêt. J'ai été très déçu de l'audition du ministre la semaine dernière. L'enjeu est majeur et la réponse tape complètement à côté. Je serai tenté de dire, là encore, qu'il n'y a aucun cap fixé par le ministère. La forêt serait susceptible d'apporter beaucoup de réponses aux enjeux de notre époque. On est très en retard en France sur le séchage du bois ce qui fait qu'on met sur le marché des produits qui ne sont pas conformes à la règlementation européenne. Résultat des courses : ce sont des produits qui viennent d'Allemagne qui sont dans nos bâtis.

Je partage complètement les propositions de nos rapporteurs, surtout celle de sceller dans le marbre le CASDAR parce que le CASDAR c'est 100 % des crédits financés par les agriculteurs et il est absolument essentiel que ces moyens permettent d'adapter l'agriculture aux défis.

Mme Anne-Catherine Loisier . -Je salue le travail conjoint et cohérent de nos trois collègues.

Ce qui ressort est qu'il y a visiblement un manque de vision et de projection dans l'avenir sur les questions agricoles et forestières. J'ai le sentiment qu'il y a une totale absence de prise en considération des dangers, en tout cas des menaces sur les aspects sanitaires, que ce soient les vétérinaires ou que ce soient les problèmes que rencontre la forêt avec la vulnérabilité qui est liée au changement climatique et donc les attaques parasitaires de plus en plus importantes et sur toutes les essences. L'Allemagne a pris la mesure du danger en investissant 800 millions pour rapidement évacuer les bois malades des parcelles. Ce que nous ne faisons pas aujourd'hui. Malheureusement on peut penser que c'est chronique et qu'il y aura un désastre au printemps prochain parce que les parasites repartiront de plus belle.

Je voulais juste revenir sur les aspects forestiers en soulignant la problématique sur le plafonnement des taxes affectées qui a déjà été évoquée par notre collègue Martial Bourquin il y a quelques jours. La forêt, malgré ses besoins d'investissements majeurs, est touchée par ce fléau puisqu'on plafonne la taxe de défrichement. Il y a seulement 2 millions qui viennent à la forêt et les 4 autres repartent dans le budget de l'État. Le fonds stratégique n'est pas réévalué. Je pense qu'il faut qu'on interroge le ministre là-dessus. Quand il a été créé, on était à 25 millions d'euros, aujourd'hui on en est à 18 millions. Donc au lieu de l'augmenter pour permettre le reboisement de la France, on le diminue. Concernant le CNPF, il est important qu'il y ait des acteurs - la forêt privée couvre une grande partie de notre territoire, les 2/3 de nos forêts - et aujourd'hui il y a 450 acteurs qui peuvent faire ce travail de conseil et de préconisation sur le terrain. Ce n'est vraiment pas le moment de diminuer les effectifs.

Notre collègue posera la question au ministre cet après-midi sur le plan scolyte et les 16 millions d'euros promis. Comment sont-ils mis en oeuvre sur le terrain ? Je voulais aussi vous alerter sur le problème que rencontrent de plus en plus de communes face à un déséquilibre de leur budget de fonctionnement puisqu'elles ne peuvent pas compter sur les recettes habituelles en matière de forêt et elles risquent d'avoir de grandes difficultés pour établir leur budget 2020. Donc peut-être conviendrait-il d'interroger le ministre sur ce sujet. Cela ramène la question sur sa capacité à mettre en oeuvre rapidement ce programme d'actions et de débloquer rapidement ces 16 millions d'euros sur l'ensemble des territoires forestiers.

M. Joël Labbé . -Mes chers collègues, je ne vais pas non plus voter les crédits de la mission agriculture. Une partie de vos arguments, je les entends : il y a effectivement un manque d'ambition dans ce budget mais il y a un manque d'ambition criant vers la transition agro-écologique, pour moi c'est évident et fondamental. Par rapport à la montée en gamme qui est quand même absolument souhaitable, on en oublie la question de la compétitivité. Effectivement, dans le cadre de l'alimentation mondialisée, à trop courir après une compétitivité par rapport au sud-est asiatique et au Brésil, on n'y arrivera pas. Mais on arrive quand même à gagner des marchés : on va vendre des cochons en Chine. On ne peut pas dire que ce n'est pas bien pour l'agriculture quelque part mais d'un autre côté on continue à importer des cochons d'Espagne. La filière porc ne se porte pas si mal, mais est-ce seulement durable ? J'ai renoncé à essayer de convaincre la majorité ici mais je n'ai pas renoncé à m'exprimer et à essayer de convaincre sur des avancées possibles vers la relocalisation de la production de l'alimentation qui est une nécessité future absolue. Je vais poser deux amendements particuliers concernant l'aide pour la restauration collective publique. Si on l'a votée, c'est qu'on avait des raisons de la voter et d'imposer le local et le bio. Par contre, il y a des difficultés, notamment pour certaines communes pauvres. Il s'agit de cibler ces communes pauvres pour les soutenir avec 15 millions d'euros, ce n'est pas rien mais ce n'est pas non plus la mer à boire. Le second est le soutien supplémentaire aux projets alimentaires territoriaux pour développer les filières de proximité parce qu'il y a une nécessité de mettre en place les filières de proximité.

M. Michel Raison . -À mon tour de féliciter avec sincérité les trois rapporteurs qui ont su démontrer qu'au-delà d'un budget stagnant - on y est habitués - il y a un manque de vision d'avenir au moment crucial où tout le monde se rend compte que la ferme France s'affaiblit. Tout doit se côtoyer en agriculture : il n'y aura jamais qu'un seul système, qu'une seule solution. Il y a d'abord toutes sortes de clientèles en France et dans le monde et si la ferme France se replie sur elle-même, ce n'est pas uniquement l'affaire des agriculteurs, c'est l'affaire de tous les Français puisque que la force de production alimentaire est stratégique pour un pays. Nous avons le droit de nous soucier de l'avenir de cette ferme parce qu'elle ne se construit pas d'année en année, elle se construit longtemps en avance ! Il est nécessaire d'agir dès maintenant pour que dans 20 ans on ne soit pas complètement déstabilisés. Laurent Duplomb a insisté sur la recherche : formation et recherche sont évidemment les mamelles de l'avenir. Permettez-moi une expression : si on veut que le bébé pousse bien, il faut que dès le début il tête du bon lait. La recherche est extrêmement importante : il faut que le ministère nous entende et qu'il y ait une mise à plat des dossiers agricoles et non uniquement des discours qui caressent l'opinion.

M. Henri Cabanel . -Je remercie les trois rapporteurs. Pour avoir été rapporteur pendant quelques temps, je sais tout le travail qui a été effectué et je connais la frustration quand on fait des propositions qui ne sont pas suivies. Je commencerai par les satisfactions et les partagerai avec Laurent Duplomb sur les chambres de l'agriculture, le fait de conserver le budget des chambres départementales, parce que je pense que la proximité est très importante pour notre agriculture. Il faut accompagner nos agriculteurs au plus près. Et j'embrayerai sur le manque de vision sur la formation des agriculteurs qui me paraît indispensable pour accélérer l'évolution de notre agriculture. Aujourd'hui, les agriculteurs sont obligés d'avoir un « certiphyto », valable pour 5 ans. Je pense qu'il faut le faire évoluer vers une vraie formation qui puisse accompagner les agriculteurs vers un avenir plus serein car, effectivement, dans ce budget, il n'y a pas de vision, si ce n'est au niveau des MAEC. Je souligne l'effort qui est fait parce que quoi qu'on veuille, il faudra quand même que les agriculteurs aillent vers une agriculture plus durable, tant souhaitée par notre société.

Concernant l'innovation, j'étais hier dans mon département à Montpellier puisque s'inaugurait le salon du SITEVI, un salon international des techniques agricoles. Je l'avais dit dans l'hémicycle il y a quelques années : les efforts devraient être portés sur les appareils de traitement. Effectivement il y a de grandes innovations dans lesquelles il me semble que le ministère devrait faire beaucoup d'efforts pour lutter afin qu'il y moins d'intrants dans les parcelles. Le problème est le prix de ces appareils. Les agriculteurs ne pourront pas s'équiper s'il n'y a pas une aide conséquente. Cela permettrait de diminuer de moitié les traitements avec des produits phytosanitaires avec une meilleure efficacité.

Sur la pêche, un Brexit sans accord serait dramatique - on l'avait prédit il y a quelques années. Il va y avoir toute une filière économique de la côte atlantique qui va disparaître parce que ce n'est pas parce qu'on va mettre 50 millions d'euros de plus pour désarmer les bateaux qu'on va trouver des solutions pour tous ceux qu'on va laisser de côté. Je m'étonne qu'il n'y ait pas une vision sur l'avenir de cette pêche.

Enfin, sur les risques climatiques, je suis d'accord avec Jean-Claude Tissot, il est important de garder l'enveloppe et de ne pas la diminuer d'année en année : la solution assurantielle seule ne compensera pas tout. On ne luttera contre les aléas climatiques qu'avec une multitude d'outils dont les crédits du budget général sur la gestion des risques.

Pour finir, je me fais un peu de souci. Avec Daniel Gremillet et d'autres collègues, nous avons auditionné les SAFER.  Je pense que les agriculteurs sont en danger parce que tout un tas de sociétés acquièrent du foncier au détriment des agriculteurs et si nous n'y prenons pas garde, s'il n'y pas une loi sur le foncier, comme l'avait promis le président Macron, si on ne prévoit pas un véritable statut de l'agriculteur, demain, les agriculteurs deviendront les salariés de ces grandes entreprises. C'est un danger qui nous menace et auquel il faut être très attentif.

M. Alain Duran . - Je voudrais revenir sur une ligne budgétaire et m'indigner de l'augmentation de 6 millions que prévoit ce budget sur la ligne « prédateurs ». Ce choix traduit une incohérence entre le discours et les actes. L'incapacité de nos gouvernants à contenir ces situations insupportables qu'ils ont créées eux-mêmes en décidant de réintroduire des loups dans les Alpes, des ours dans les Pyrénées pose de grandes difficultés sur les territoires. Ce n'est pas avec des millions qu'on va régler le problème. Ils seraient plus utiles dans d'autres secteurs. Une incohérence entre les discours et les actes parce que là, avec des millions d'euros, on est en train de détruire une agriculture exemplaire, qu'on appelle tous de nos voeux. C'est une agriculture propre, sans pesticides, sans intrants, ce sont des circuits courts, une viande de qualité, qui respecte le bien-être animal. Et qui plus est avec ces millions d'euros, on fabrique encore plus de fragilités, on fabrique de l'angoisse, du mal-être pour une profession qui, honnêtement, n'en a pas besoin aujourd'hui. Je voulais simplement dire que ces choix sont insupportables ; on les traduit avec des millions d'euros et ce n'est pas acceptable. Nos territoires ruraux et nos territoires de montagne n'en peuvent plus. La colère monte et je ne crois pas que ce soit avec cette ligne abondée de 6 millions qu'on apportera une vraie réponse au vrai problème.

M. Franck Montaugé . -Merci à nos collègues rapporteurs pour leur travail. Deux petits points. Je ne vois pas dans ce budget, comme certains l'ont dit, d'anticipation à caractère budgétaire par rapport à la transition que va induire nécessairement la future politique agricole commune. On craint tous les questions budgétaires par rapport à ce budget-là. Je ne vois rien en termes de vision, d'anticipation dans ce budget par rapport aux difficultés considérables dans lesquelles l'agriculture française risque probablement de se trouver avec cette future politique agricole et en disant cela, j'espère me tromper. Je ne vois pas non plus de moyens suffisants en matière de formation et de recherche et en particulier sur le numérique dans le domaine agricole, ce qu'on peut appeler le « big data » agricole. Il y a un enjeu de souveraineté nationale par rapport à ce sujet considérable que l'on néglige complètement. On va se réveiller quand il sera trop tard et quand des données stratégiques pour l'agriculture et pour la France seront dans les mains d'acteurs qu'on ne pourra plus maitriser, si ce n'est pas déjà le cas. Il y a un gros sujet et on passe complètement à côté. Ce budget est un budget de reconduction et il n'est pas du tout à la hauteur des enjeux auxquels doit faire face l'agriculture pour exister au XXI e siècle au plan national, européen et mondial.

M. Pierre Cuypers . - Je voudrais revenir sur deux sujets. Je trouve que dans le budget de la forêt, il n'y a pas de mesure importante qui permettrait d'éradiquer un certain nombre de pandémies. Je pense à la chenille processionnaire qui aujourd'hui est en train d'envahir notre pays et nous n'avons pas de mesure qui soit prise avec des budgets conséquents. Or aujourd'hui on est en train de se faire grignoter. Dans mon département, on ne peut plus vivre à certaines périodes de l'année en raison du poil urticant. Il n'y a pas de moyen pour contenir ce phénomène ! Il faut que l'on arrive à traiter ce problème avec des budgets qui soient à la hauteur. Deuxièmement, je voulais poser une question à Laurent Duplomb qui souhaitait avoir 100 ETP supplémentaires pour le contrôle. Connaît-on le nombre de fonctionnaires attachés à l'agriculture ? Est-ce qu'on peut aussi avoir un éclairage sur l'évolution de la masse salariale des fonctionnaires qui sont attachés à l'agriculture par rapport à un nombre d'agriculteurs qui diminue de jour en jour ?

M. Franck Menonville . - Je voudrais vraiment remercier et féliciter les rapporteurs pour le travail qu'ils ont réalisé afin de nous éclairer sur ce budget. Je serai un peu plus équilibré sur ce budget. Grâce à notre mobilisation, on a quand même réussi à infléchir des éléments qui auraient accentué la situation de l'agriculture, comme sur la question des chambres d'agriculture pour lesquelles nous avons réussi à maintenir le budget et le maillage territorial. Ne pas imposer à marche forcée une régionalisation est une chose importante. L'an dernier, nous avons réussi à nous mobiliser pour que le TO-DE soit maintenu ; c'est une bonne chose qu'il le soit encore cette année. Il faut l'inscrire dans le temps, en tout cas le temps qui sera nécessaire pour garantir la compétitivité des exploitations concernées. Je pense qu'il faut également maintenir le CASDAR pour le mobiliser et en faire un outil stratégique dans le but d'accompagner toute la recherche et l'innovation. Ce sont les points assez positifs. Ma deuxième partie d'intervention sera plus négative et ira dans le sens de plusieurs interventions de mes collègues. Effectivement, c'est un budget purement budgétaire : on reproduit ce qui se fait depuis plusieurs années, des lignes budgétaires relativement linéaires, sans prendre en compte, que ce soit au niveau de l'agriculture ou de la forêt, les enjeux qui sont les nôtres en matière de formation, d'innovation, d'investissements sur l'avenir - on parlait d'intelligence artificielle. Avec le verbe nous pouvons faire beaucoup - transition écologique, transition agro-écologique, sortie des phytosanitaires, mais sur le terrain, c'est par l'innovation, par la recherche et par un investissement important que nous arriverons à répondre effectivement à ces enjeux. Le budget ne correspond pas et n'a pas de vraie vision d'avenir mais il ne fait que des arbitrages budgétaires.

M. Bernard Buis . -Je rejoins Franck Menonville sur la satisfaction du budget des chambres d'agriculture qui a été maintenu. Je crois que c'est important et tout le monde était mobilisé. Deux mots concernant l'innovation. Dans la Drôme, tous les deux ans, on a un salon qui s'appelle Tech&Bio où on voit beaucoup de matériel qui était au départ destiné à l'agriculture biologique - aujourd'hui beaucoup de conventionnels utilisent des robots désherbants ou autres ; ce qui permet d'avoir beaucoup moins de produits phytosanitaires. Effectivement, l'achat de ce matériel est assez onéreux mais la région Rhône-Alpes et le département de la Drôme financent les acquisitions ; ce qui fait que les agriculteurs peuvent avoir des subventions jusqu'à hauteur de 60 % pour acheter ce matériel qui devient très intéressant. Ce matériel est peu utilisé et il pourrait très bien se répandre. J'ai une inquiétude sur la loi foncière évoquée par mon collègue. On assiste de plus en plus à des acquisitions de fermes en montagnes par des associations qui défiscalisent puisqu'elles bénéficient de dons défiscalisés et la SAFER ne peut pas lutter dans la mesure où cela a pour effet de multiplier par quatre les prix du foncier. Aujourd'hui, on a donc des réserves naturelles qui sont inutilisées ainsi que des réserves d'animaux sauvages avec, derrière, un gros problème avec la prédation puisque sur ces montagnes-là, on a des loups à profusion et cela pose un problème pour l'agriculture environnante. Je pense que la loi foncière sera vraiment attendue.

M. Laurent Duplomb . - Je vais essayer d'être rapide pour répondre à toutes les questions et on le fera à plusieurs voix s'il y a des choses à ajouter. Sur la question de Daniel Gremillet sur les exigences franco-françaises, n'oublions pas que la compétitivité entre la France et les autres pays est caractérisée par trois points essentiels. Le premier est la différence de coût de la main d'oeuvre : 1,5 fois plus cher en France qu'en Allemagne, 1,7 fois plus cher en France qu'en Espagne, plus de 2 fois plus cher en France qu'en Pologne sur certaines productions. Deuxième élément de manque de compétitivité et d'exigences franco-françaises, c'est qu'entre 2016 et aujourd'hui, il y a 6 à 7 % de charges supplémentaires en France pour le même produit. Le troisième élément est donné par l'OCDE qui classe la France comme le pays où les normes environnementales sont les plus importantes. Ce qui crée obligatoirement des distorsions de concurrence avec les voisins qui sont juste à côté. Ce qui explique que 25 % du porc consommé en France est espagnol ou allemand alors qu'il y a encore quelques années, le porc français était encore exporté en Allemagne.

Sur les menaces sanitaires, je voudrais élargir le propos d'Anne-Catherine Loisier. En Chine, aujourd'hui, ce sont des millions de porcs chinois qui sont abattus, pas abattus pour être consommés, mais pour être enterrés, pour être détruits et enfouis. Aujourd'hui, en Chine, ce sont des fosses de dizaines de millions de mètres cubes qui sont creusés tous les jours pour enfouir les cochons. C'est ça la réalité de la Chine. Aujourd'hui, un agriculteur chinois qui a un voisin ayant attrapé la peste porcine africaine vend en une journée la totalité de son élevage. Sinon, en 8 jours, il est décimé. Le porc en France était à 80 centimes le kilo, aujourd'hui, il est passé à 1 euro 80 et il est vendu en Chine jusqu'à 6 euros le kilo.

Les experts disent que même si on arrive à se relever de la peste porcine africaine, cela prend plus de 10 ans. Ça veut dire que les cours du porc risquent d'être élevés près de 10 ans. Si cette crise arrive en France, ce serait une crise extrêmement grave qui serait loin d'être traitée en quelques semaines. Tout cela devrait aussi nous poser des questions.

Une remarque sur la relocalisation. Il faut qu'on développe les circuits courts. Il n'y a aucun problème là-dessus. Mais, comme pour les produits phytosanitaires, il ne faut pas opposer les produits locaux et le reste. Mon département produit 410 millions de litres de lait. Et ce n'est pas un département de Bretagne, c'est un département du Massif central où on produit du lait à plus de 600 mètres d'altitude. Si on voulait faire boire les 410 millions de litres aux 230 000 habitants, il faudrait qu'ils en boivent matin, midi et soir et tout le reste des 20 et quelques heures. On a besoin de relocaliser pour apporter un sentiment d'appartenance au consommateur mais, d'un autre côté, on ne peut pas tuer tout ce qui a été monté par l'agroalimentaire, secteur dont certaines industries sont des coopératives créées par les agriculteurs regroupés pour pouvoir peser sur 3 facteurs : la consommation directe qui passe par les GMS ou les circuits courts, la consommation hors foyer qui correspond à 1/3 de la production et les exportations qui compte pour 25 % des revenus des agriculteurs. Si on s'attache absolument à relocaliser, on oublie la nécessité d'exporter un certain volume.

Michel Raison, je pense que l'agriculture est en panne uniquement parce qu'il y a un manque de vision. Quand Gambetta disait qu'il fallait faire chausser les sabots de la République aux paysans, cela a abouti à ce qu'il y ait beaucoup de paysans sur les monuments aux morts entre 1914 et 1918, tout simplement parce qu'ils défendaient leurs terres, leurs propriétés. Une loi foncière ne doit jamais oublier que les agriculteurs et les paysans se sont battus pour avoir un lopin de terre et qu'il n'y a pas encore si longtemps flottait au-dessus d'eux une épée de Damoclès le 31 mars de chaque année parce qu'étant métayers, leur propriétaire pouvait les renvoyer du jour au lendemain en mettant quelqu'un d'autre à leur place. Cette loi foncière doit rester, sur le statut du fermage, une protection pour l'agriculture.

Cher Henri Cabanel, un point sur la formation des agriculteurs. N'oublions jamais qu'on a cédé une tentation dans le passé qui a abouti à arrêter de faire des stages à l'extérieur, de faire des kilomètres pour aller se former ailleurs. C'était une erreur. Quand je vois qu'un jeune s'installe à l'âge de 16 ans après avoir fait un apprentissage chez ses parents, une formation uniquement chez ses parents, dans un lycée agricole à 15 ou 30 kilomètres de chez lui, j'ai l'impression de retourner 80 ans en arrière. Il faut se poser cette question essentielle du décloisonnement de la formation agricole.

Sur les appareils de traitement, il y a effectivement un boulevard de développement.

Alain Duran, sur le loup, ce sont les paradoxes d'une société qui ne s'assume plus. Et sur l'agriculture, c'est malheureusement un exemple parmi d'autres. Quand on interdit le glyphosate et qu'on importe des céréales canadiennes qui sont toutes défanées au glyphosate, c'est la même chose. On ne regarde pas les problèmes en face et on oppose sans arrêt les choses. On veut une agriculture qui soit digne de ce nom et respectueuse de l'environnement et on lui met des contraintes tellement importantes que derrière on conduit certains agriculteurs au suicide et on diminue leur capacité de production.

Franck Montaugé, sur la PAC, je ne suis pas complètement d'accord avec toi. Il y a 15 millions d'euros dans ce budget qui sont consacrés par l'Agence de services et de paiements à la réforme informatique du traitement d'une certaine évolution de la PAC, et en particulier à une évolution de la PAC en termes de contrôles qui ne se feront plus sur place mais qui pourraient se faire de manière informatique en temps réel. Cela pourrait avoir des avantages sur le délai de paiement des aides PAC mais cela peut avoir d'autres inconvénients avec des vérifications à un jour près, à heure près, sans souplesse particulière.

Pierre Cuypers, il y a 15 130 fonctionnaires qui travaillent dans l'agriculture pour 500 000 agriculteurs. Cela fait un fonctionnaire pour 30 agriculteurs, c'est énorme. Et si on ajoute l'enseignement, on monte à 31 000 ce qui fait un fonctionnaire pour 15 agriculteurs.

Franck Ménonville, sur le TO-DE et CASDAR, je suis tout à fait d'accord. Il faut qu'on incite le gouvernement à continuer le TO-DE après la date fatidique.

Bernard Buis, je voudrais souligner cette reconnaissance que la région Rhône-Alpes-Auvergne avec son président fait un travail exceptionnel pour financer du matériel pour réduire l'utilisation de produits phytosanitaires.

Mme Françoise Férat . - J'ajouterai simplement quelques éléments. Henri Cabanel, sur les pêcheurs, tout est fait comme si on ne croyait pas au Brexit. On a mis 50 millions pour voir. Il fallait mettre quelque chose parce qu'on ne sait jamais. Mais ce n'est pas à la hauteur des difficultés qui s'annoncent à l'avenir. Sur les vétérinaires, Daniel Gremillet a raison. Qui mieux que ce binôme éleveur-vétérinaire peut repérer et encadrer d'éventuelles difficultés que ce soit en termes d'épidémie ou de maladie ? Une remarque plus générale et personnelle : pour moi l'agriculture est une chaîne où tous les maillons sont indispensables et qu'on a envie de localiser et de protéger. Mais il n'y a pas de vision. On gère le quotidien du mieux qu'on peut, on colmate les points qui dérangent. C'est comme si on attendait une rentrée d'argent car on sait que l'embellie va arriver mais dans le domaine de l'agriculture, elle ne va pas arriver. Qui mieux que les parlementaires dans les territoires sont au courant de ce qui s'y passe vraiment ? C'est un ensemble qu'il nous faut continuer de porter et de crier fort. Je salue l'engagement et la motivation de Laurent Duplomb.

M. Jean-Claude Tissot . - Je vais être bref. Je suis rassuré : je pensais être trop d'accord avec Laurent Duplomb mais on garde certaines divergences sur certains sujets. Je voudrais remercier mes collègues pour ce travail collégial mais aussi mon collègue Henri Cabanel qui était le précédent rapporteur.

Pour informer Alain Duran, on a une audition du préfet avec le groupe pastoralisme qui va nous faire part du plan loup qu'il a mis en place. Sur la forêt, je suis complètement d'accord, il faut un grand plan sanitaire et un grand plan de prévention.

Si on compare simplement les budgets, puisqu'on se compare souvent à l'Allemagne, 800 millions d'euros en Allemagne vont être investis sur la forêt tandis que nous n'en débourserons que 16 millions, dont 6 seront dédiés aux transports. Sur la relocalisation, je suis de l'avis de Joël Labbé mais il faut faire attention à ce que la marche ne soit pas trop haute. Je ne crois pas au fait d'imposer des choses aux gens. On arrive à des objectifs qu'on peut définir ensemble certes, mais grâce à l'adhésion des gens. Je pense qu'on est dans la bonne dynamique. Aujourd'hui des gens qui étaient très loin d'une production raisonnée comprennent que c'est une vraie demande sociétale.

Quand Laurent Duplomb parle de la problématique du porc, il ne faut pas oublier que la filière se porte bien parce qu'on a une rigueur en termes de règles, en termes de normes. C'est aussi l'antagonisme : quand on a beaucoup de normes, on évite les maladies.

Pour le budget de la PAC, on a un groupe de travail là-dessus et on a un vrai point de vue à faire valoir.

Quand on parle d'une réforme foncière, cela ne veut pas dire qu'on va spolier les gens qui ont acheté des terrains. Je suis d'accord avec Laurent Duplomb, il faut être très attentif à la règle du fermage parce que dans nombre d'endroits c'est la seule manière d'exploiter.

Mme Sophie Primas . - Merci à tous d'avoir participé à ce débat très riche. Je vous rappelle qu'il y a une proposition d'avis défavorable sur l'ensemble des crédits de cette mission et une proposition d'avis favorable sur les crédits du CASDAR.

La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales et un avis favorable sur les crédits du compte d'affectation spéciale Développement agricole et rural.

Mme Sophie Primas . - Afin d'interpeller le ministre en séance, les rapporteurs proposent à leur nom des amendements. Je leur laisse la parole pour qu'ils présentent rapidement ces amendements.

M. Laurent Duplomb . - Je propose de monter la ligne budgétaire dédiée à la promotion des alternatives aux produits phytopharmaceutiques de 300 000 euros à 1,3 million d'euros afin d'accompagner les agriculteurs après certaines interdictions de produits phytosanitaires. Je propose également d'augmenter de 3,4 millions d'euros la ligne correspondant aux contrôles des produits phytosanitaires importés de manière à ce qu'on se donne les moyens de mettre en place l'article 44 de la loi Egalim, c'est-à-dire de faire rentrer des produits qui répondent aux mêmes normes que celles qu'on impose à nos agriculteurs français.

Mme Françoise Férat . - Mon amendement concerne les stages tutorés. On a constaté que 80 élèves ont pu en bénéficier et que 95 % de ceux-là ont choisi d'exercer en production animale en zone rurale. Donc je vous propose de financer plus de places en augmentant cette ligne comme l'année dernière au total de 1,5 millions d'euros. Il manquerait 900 000 euros à ce stade pour atteindre ce niveau voté l'an passé au Sénat. Je vous propose d'adopter un amendement pour atteindre ce niveau.

M. Jean-Claude Tissot . - J'ai deux amendements : remettre le million d'euros pour le CNPF avec tous les arguments qu'on vient de développer sur la forêt et puis encourager l'État à participer au fonds d'indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques à hauteur de 5 millions d'euros.

M. Laurent Duplomb . - Je vous remercie d'avoir passé pas mal de temps sur l'agriculture. Je pense qu'elle le méritait.

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