B. UNE AUGMENTATION INSUFFISAMMENT MAÎTRISÉE DES DÉPENSES DE MASSE SALARIALE

De même que l'an passé, l'augmentation, en 2020, du budget alloué aux forces de sécurité intérieure est absorbée quasi intégralement par la hausse des dépenses de masse salariale , qui s'élève, à périmètre constant, à 5,9 % pour la police nationale et à 2,7 % pour la gendarmerie nationale.

Cette croissance importante de la masse salariale s'explique par deux mouvements concomitants : d'une part, la poursuite d'un plan de recrutements ambitieux ; d'autre part, l'aboutissement de négociations ayant débouché sur d'importantes mesures de revalorisations salariales.

Mal maîtrisée, elle crée des déséquilibres , que votre rapporteur espère transitoires, dans l'allocation des moyens budgétaires , au détriment notamment de la réserve opérationnelle et de l'équipement des forces.

1. Des difficultés croissantes à respecter un plan de recrutement trop ambitieux

Conformément aux souhaits du Président de la République, le Gouvernement s'est fixé pour ambition de renforcer les forces de sécurité intérieure de 10 000 effectifs supplémentaires sur la durée du quinquennat, dont environ 7 500 policiers et 2 500 gendarmes.

Au titre de l'application de ce plan, le projet de loi de finances pour 2020 prévoit la création, à périmètre constant, de 1 398 emplois supplémentaires au sein de la police nationale et de 490 emplois dans la gendarmerie nationale .

Comme pour les années précédentes, ces effectifs complémentaires devraient principalement bénéficier aux forces de sécurité opérationnelles , dans l'optique d'accentuer la présence des forces sur le terrain.

Ainsi, dans la police nationale, le corps d'encadrement et d'application devrait voir ses effectifs augmenter de 1 903 équivalents temps plein, alors que les corps de hauts fonctionnaires perdra 239 personnels. De même, 404 sous-officiers supplémentaires devraient être recrutés en 2020, tandis que le corps des officiers diminuera de 258 ETP.

Dans un climat sécuritaire tendu, le renforcement des effectifs contribue, sans aucun doute, à alléger la pression sur les forces de sécurité intérieure. Votre rapporteur s'interroge toutefois sur la capacité du ministère à atteindre , d'ici la fin du quinquennat, ses objectifs de recrutements dans le respect des orientations budgétaires définies dans la loi de programmation des finances publiques pour 2018-2022.

Force est en effet de constater qu'au cours des deux derniers exercices, les directions générales de la police nationale et de la gendarmerie nationale n'ont été en mesure de respecter le schéma d'emplois fixé en loi de finances initiale qu'au prix d'importantes mesures de gestion budgétaire .

En raison d'une sous-budgétisation des crédits de titre 2 votés en loi de finances initiale , les intégrations des sorties d'école ont ainsi dû être décalées dans le temps , afin de réduire la charge financière annuelle des nouvelles recrues.

Afin de financer la sur-exécution des dépenses de masse salariale, d'autres postes de dépenses ont également été ponctionnés en cours d'année , en particulier l'enveloppe des réserves opérationnelles.

De telles pratiques budgétaires sont pour le moins contestables . Elles témoignent de l'insoutenabilité des programmations budgétaires initiales et confrontent les services à des difficultés importantes de gestion en cours d'année.

Il a été indiqué à votre rapporteur qu'une révision récente des outils de pilotage de la masse salariale aurait permis une revalorisation des crédits alloués au titre 2 , ce qui devrait atténuer, en 2020, les risques de dérive budgétaire. Votre rapporteur ne peut qu'approuver une telle évolution, qui va dans le sens d'une meilleure sincérité budgétaire.

Il continue néanmoins de s'alarmer de l'application de ce plan de recrutement massif, qui place la mission « Sécurités » sous tension. Outre l'éviction d'autres postes de dépenses, pourtant indispensables au maintien en conditions opérationnelles des forces de sécurité, les décalages, en fin d'année, des sorties d'école génère, sur le terrain, des vacances frictionnelles importantes qui nuisent, dans la pratique, à la capacité opérationnelle des forces. Il est ainsi fortement regrettable qu'au 1 er août 2019, 258 postes de commandement n'aient pu être pourvus au sein des unités de sécurité publique de la gendarmerie, en partie à cause du décalage, sur le second semestre 2019, des sorties d'écoles.

2. Des mesures de revalorisation salariale qui pèsent fortement sur le budget des forces de sécurité

Au-delà de l'impact des plans de recrutement, l'augmentation importante des crédits de masse salariale en 2020 s'explique surtout par le financement de nouvelles mesures de revalorisation générales et catégorielles.

Ces mesures sont issues de la conclusion de plusieurs protocoles :

- les protocoles pour la valorisation des carrières, des compétences et des métiers dans la police nationale et dans la gendarmerie nationale, signés le 11 avril 2016, qui transposent, pour les forces de sécurité, le protocole « parcours professionnel, carrières, rémunérations » de la fonction publique ;

- le protocole signé le 19 décembre 2018 par le ministère de l'intérieur, dans un contexte de forte mobilisation des forces de sécurité due au mouvement des « gilets jaunes », qui comprend plusieurs mesures nouvelles de revalorisation salariale.

En 2020, la traduction financière de ces protocoles devrait s'élever à 192,36 millions d'euros pour la police nationale , contre 64 millions d'euros accordés en loi de finances initiale pour 2019, et à 91,22 millions d'euros pour la gendarmerie nationale , contre 50 millions d'euros en 2019.

Décomposition des crédits de masse salariale du programme 176
(en millions d'euros)

Source : commission des lois du Sénat sur la base des documents budgétaires

De telles mesures de revalorisation salariale apparaissent indispensables pour améliorer tant la qualité de vie que les perspectives de carrière des forces de sécurité intérieure soumises, depuis plusieurs années, à une pression sans précédent.

Conjuguées au plan massif de recrutement programmé par le Gouvernement, elles représentent toutefois un effort budgétaire très important , qui paraît avoir été mal anticipé par le Gouvernement .

L'application du nouveau protocole de décembre 2018, avant même que le précédent n'ait été complètement financé, est en effet, de l'avis de votre rapporteur, source de risque sur le plan budgétaire , et ce d'autant que son impact financier est conséquent (59,6 millions d'euros pour la police nationale et 37 millions d'euros pour la gendarmerie nationale de mesures nouvelles sur l'exercice 2020). Dans sa note d'analyse de l'exécution budgétaire 2018, la Cour des comptes s'inquiète, ainsi, de la « soutenabilité incertaine de la progression des coûts salariaux de la mission, qui génère un risque d'éviction des dépenses d'équipement » .

Le projet de loi de finances pour 2020 conforte ces craintes : l'augmentation forte des dépenses de masse salariale entraîne en effet un dépassement du plafond fixé par la loi de programmation des finances publiques 2018-2022 d'environ 500 millions d'euros.

Au regard des dépenses d'ores et déjà programmées en 2020 au titre du protocole de 2016 et des perspectives en termes de recrutement des effectifs, il aurait sans doute été préférable de prévoir un étalement du financement des nouvelles mesures catégorielles dans le temps, de manière à s'assurer de la maîtrise, par le ministère de l'intérieur, de ses dépenses de masse salariale d'ici la fin du quinquennat.

3. Des postes encore insuffisamment dotés

En dépit de l'augmentation conséquente des crédits alloués au titre 2, certains postes de dépenses continuent, en 2020, d'être sous-dotés.

a) Les réserves civile et opérationnelle : une programmation qui n'est pas à la hauteur des ambitions affichées

Face à la mobilisation forte des forces de sécurité intérieure, le ministère de l'intérieur a souhaité s'appuyer sur de nouveaux viviers pour apporter un soutien aux effectifs actifs engagés sur le terrain et décharger policiers et gendarmes de l'exécution de certaines tâches.

C'est dans ce contexte que l'emploi des réserves de la police nationale et de la gendarmerie nationale a été revalorisé à compter de 2015 .

Les réserves de la police et de la gendarmerie nationales

Instituée par la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, la réserve civile de la police nationale est composée :

a) d'une réserve statutaire, qui découle de l'obligation de disponibilité des policiers dans les cinq années suivant leur départ à la retraite et jusqu'à 65 ans ;

b) d'une réserve volontaire, ouverte, depuis la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, à tout citoyen âgé de 18 à 65 ans, sous réserve du contrôle de la capacité physique et morale que requiert un emploi dans la police nationale.

La loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste a élargi la réserve statutaire aux anciens adjoints de sécurité disposant de trois ans d'ancienneté et n'ayant pas fait l'objet d'une sanction disciplinaire.

Régie par les articles L. 4211-1 et suivants du code de la défense, la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale comprend :

- une réserve volontaire, dite de premier niveau, composée de volontaires ayant signé un contrat d'engagement pour une période allant de un à cinq ans ;

- une réserve dite de second niveau, composée d'anciens militaires d'active soumis à une obligation de disponibilité de cinq ans.

Extrait de l'avis n° 153 (2018-2019) de M. Henri Leroy sur le projet de loi de finances pour 2019, fait au nom de la commission des lois, déposé le 22 novembre 2018.

Après avoir sensiblement augmenté entre 2015 et 2017, l'emploi des réserves est néanmoins, depuis 2018, fortement contraint par l'insuffisance des dotations budgétaires, et ce malgré le maintien d'objectifs d'emploi élevés .

En raison d'une sous-budgétisation des crédits du titre 2, tant dans la police que dans la gendarmerie, les enveloppes votées en loi de finances initiale ont servi, au cours des deux derniers exercices, de variable d'ajustement , induisant, mécaniquement, une réduction des capacités d'emploi.

Évolution de la mobilisation de la réserve civile
de la police nationale

Évolution de la mobilisation de la réserve opérationnelle
de la gendarmerie nationale

Source : commission des lois du Sénat sur la base des documents budgétaires

Le projet de loi de finances pour 2020 n'apporte, à cet égard, aucune perspective d'amélioration .

Au sein du programme 176 « Police nationale », le montant prévisionnel des crédits affectés au financement de la réserve civile est estimé à 27 millions d'euros , soit un montant inférieur aux dépenses réalisées au cours des exercices 2017 et 2018 , qui s'élevaient respectivement à 32 et 30,6 millions d'euros.

Pour la gendarmerie nationale, 70,7 millions d'euros sont fléchés, dans le programme 152, sur le financement de la réserve opérationnelle, contre 98,7 millions d'euros en 2018 et en 2019 .

Ces coupes budgétaires sont regrettables : comme l'ont indiqué les membres du conseil de la fonction militaire de la gendarmerie à votre rapporteur, la réduction progressive de l'enveloppe allouée à la réserve se traduit par un appauvrissement continu du vivier de réservistes . Ce mouvement risque, à terme, de nuire à la capacité de mobilisation de cette ressource, dont l'appui aux forces de sécurité est pourtant essentiel au quotidien et, qui plus est, pour la gestion de grands événements.

b) La gestion des heures supplémentaires : des inquiétudes qui persistent en dépit des avancées réalisées

En raison d'une augmentation importante de l'activité opérationnelle des services, la police nationale a accumulé, au cours des dernières années, un stock important d'heures supplémentaires non récupérées par les personnels et non indemnisées, qui s'élevait, à la fin de l'année 2018, à 23 millions d'heures .

Évolution du stock d'heures supplémentaires
effectuées au sein de la police nationale
(en millions d'euros)

Source : commission des lois du Sénat sur la base des documents budgétaires

Aux termes de négociations avec les organisations syndicales, le ministère de l'intérieur s'est attaché, dans un premier temps, à limiter l'augmentation du stock, par l'adoption de deux mesures :

- d'une part, l'adoption de mesures de contrôle et de régulation du temps de travail au sein des services, afin de limiter l'accumulation d'heures supplémentaires (dotation maximale d'heures supplémentaires par service, faculté pour les chefs de service d'imposer la récupération des heures supplémentaires en repos, etc. ) ;

- d'autre part, l'indemnisation, à compter de l'exercice 2020, du flux annuel d'heures supplémentaires jugées incompressibles, évalué à 2 millions d'heures. À cet effet, une enveloppe de 26,5 millions d'euros est inscrite au projet de loi de finances .

Conformément aux engagements pris par le ministre de l'intérieur lors de la signature du protocole d'accord de décembre 2018, des réflexions ont, parallèlement, été conduites sur l'apurement du stock des heures accumulées au cours des années passées , dont le rachat global est estimé à 230 millions d'euros .

A ainsi été actée, au mois de septembre 2019, l'indemnisation d'une première tranche de 3,5 millions d'heures . Celle-ci devrait intervenir dès le mois de décembre 2019, grâce au recours à la solidarité interministérielle.

S'il se félicite que le ministère ait enfin pris des engagements concrets en faveur de la résorption de ce stock d'heures, votre rapporteur déplore, à l'instar des responsables des organisations syndicales de la police nationale, qu'aucun calendrier précis, définissant les conditions et le rythme d'indemnisation de ces heures, n'ait été établi au-delà de cette première tranche d'indemnisation.

Il s'inquiète, au demeurant, de la fragilité et de l'incertitude consubstantielles au mode de financement identifié par le ministère de l'intérieur . Comme l'a indiqué M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur, lors de son audition devant votre commission le 14 novembre dernier, les prochaines mesures d'indemnisation auxquelles il sera procédé seront à nouveau financées par recours à la solidarité interministérielle, modalité de financement par nature non programmable et incertaine 5 ( * ) .


* 5 Le compte-rendu de cette audition est consultable sur le site internet du Sénat à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20191111/lois.html#toc7 .

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