C. DES DOTATIONS DE FONCTIONNEMENT ET D'INVESTISSEMENT INSUFFISANTES POUR MAINTENIR LA CAPACITÉ OPÉRATIONNELLE DES FORCES

1. Un déséquilibre budgétaire qui ne cesse de s'aggraver

Depuis 2016, l'augmentation des budgets de la police et de la gendarmerie nationales bénéficie principalement à l'évolution des dépenses de masse salariale , laissant très largement de côté les dépenses de fonctionnement et d'investissement.

Le projet de loi de finances pour 2020 ne déroge pas à la règle .

Les crédits hors titre 2 des programmes 176 « Police nationale » et 152 « Gendarmerie nationale » s'élèvent à 3,204 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 2,298 milliards d'euros en crédits de paiement. Alors même que le budget de la mission « Sécurités » connaîtra, en 2020, une hausse sensible, les crédits hors titre 2 stagneront à périmètre constant par rapport aux crédits accordés en loi de finances initiale pour 2019 (+ 0,29 % en AE et - 0,26 % en CP).

Cette évolution budgétaire n'est pas satisfaisante : elle se traduit par une réduction progressive de la part de ces catégories de dépenses dans le total des crédits alloués aux forces de sécurité intérieure.

Évolution de la part des dépenses hors titre 2 (crédits de paiement)
dans le budget des forces de sécurité intérieure (en %)

Source : commission des lois du Sénat sur la base des documents budgétaires

Or, de l'aveu même des gestionnaires des programmes, le maintien de la capacité opérationnelle des forces dépend tout autant du renforcement du nombre de personnels actifs que de la capacité à les équiper et à entretenir leurs outils de travail.

Dès lors, l'augmentation continue des effectifs sans évolution, à due concurrence, des crédits de fonctionnement et d'investissement, risque de se traduire par une dégradation des conditions de travail des forces et, par conséquent, de leur efficience .

Un tel constat est aggravé par le fait que les crédits hors titre 2 constituent très fréquemment une variable d'ajustement en cours d'exécution budgétaire .

Appliquées à un budget composé à 85 % de crédits de masse salariale, les mesures de régulation budgétaire imposées en début d'exercice, à hauteur de 3 % des crédits de la mission au titre de la réserve gouvernementale et de 1,5 % de ces mêmes crédits au titre de la réserve ministérielle, pèsent lourdement sur les crédits hors titre 2. Sont, en pratique, plus particulièrement touchées les dépenses d'investissement, plus facilement compressibles que les dépenses de fonctionnement.

Si, depuis plusieurs exercices, la police et la gendarmerie parviennent à obtenir des dégels partiels des réserves gouvernementale et ministérielle, ceux-ci interviennent, en pratique, tardivement dans l'année. À la fin du mois d'octobre 2019, les directions générales de la police nationale et de la gendarmerie nationale n'avaient, à titre d'exemple, pas encore eu confirmation des mesures de dégel demandées. Or, l'engagement d'investissements se révèle, en pratique, complexe à engager dans des délais aussi restreints.

2. Une sous-budgétisation non résorbée des crédits de fonctionnement

En 2020, les crédits de fonctionnement s'établiront en crédits de paiement, pour la police nationale, à 774,13 millions d'euros et, pour la gendarmerie nationale, à 1,105 milliards d'euros, soit, à périmètre constant, des augmentations respectives de 4 % et de 0,4 % par rapport aux crédits accordés en loi de finances initiale pour 2019.

Si elle doit être saluée sur le plan de la sincérité budgétaire, cette évolution à la hausse se révèle, dans les faits, très largement insuffisante pour couvrir les dépenses de fonctionnement effectives des forces de sécurité.

Tant dans la police que dans la gendarmerie, les crédits de titre 3 prévus par le projet de loi de finances pour 2020 sont en effet inférieurs, à périmètre constant, aux dépenses constatées au cours des exercices 2017 et 2018 .

Cette sous-budgétisation des crédits de fonctionnement est d'autant plus regrettable qu'elle concerne des dépenses difficilement compressibles et pèsera, en conséquence, sur d'autres catégories de dépenses.

Programme 176 « Police nationale »
Dépenses de titre 3 programmées et exécutées
(en CP - millions d'euros)

Programme 152 « Gendarmerie nationale »
Dépenses de titre 3 programmées et exécutées (en CP - millions d'euros)

Source : commission des lois du Sénat sur la base des documents budgétaires

Plusieurs postes de dépenses apparaissent plus particulièrement sous-évalués.

S'agissant du budget de la police nationale , votre rapporteur s'étonne, tout d'abord, de la réduction, tant par rapport à la loi de finances initiale pour 2019 qu'aux dépenses exécutées en 2018, des crédits prévisionnels alloués à la formation initiale et continue des agents de la police nationale, en dépit de l'augmentation des effectifs et d'objectifs de recrutement élevés en 2020.

Par ailleurs, s'il se félicite que les efforts budgétaires réalisés à compter de 2015 sur les équipements soient, pour l'essentiel, maintenus en 2020, il observe, en revanche, une budgétisation insuffisante des crédits fléchés pour l'acquisition de munitions , estimés à 8,49 millions d'euros, contre 11,5 millions d'euros prévus en loi de finances initiale pour 2019 et 10,66 millions d'euros effectivement consommés au cours de l'exercice 2018.

Bien que les montants en jeu soient minimes à l'échelle de la mission, il n'en demeure pas moins que cette réduction des achats prévisionnels de munitions risque de nuire à l'entraînement au tir des agents de police, qui pâtit déjà, depuis plusieurs années, de l'insuffisance des équipements.

Évolution des dépenses de munitions dans la police nationale
(en millions d'euros)

Source : commission des lois du Sénat sur la base des documents budgétaires

Le budget présenté pour la gendarmerie nationale soulève tout autant de préoccupations. Parmi les principales insuffisances constatées figurent :

- le maintien à un niveau inférieur aux dépenses effectivement constatées les années précédentes des enveloppes consacrées à l'entretien des moyens mobiles (- 7 % par rapport à l'exécution 2018) et à la gestion du parc immobilier (- 28 % par rapport à l'exécution 2018 et - 39 % par rapport à l'exécution 2017) ;

- la baisse des moyens consacrés à l'acquisition d'habillements et d'équipements de protection et d'intervention des gendarmes (- 5 % par rapport aux crédits votés en LFI pour 2019 et - 16 % par rapport au budget exécuté pour 2018).

Il a été indiqué à votre rapporteur, au cours de ses travaux préparatoires, qu'une partie des réductions de crédits observées s'expliquait par les économies attendues de la création d'un service d'achat centralisé au sein du ministère de l'intérieur . L'optimisation de la chaîne d'achats et le renforcement des mutualisations sont, sans aucun doute, de nature à générer de telles économies. Pour autant, votre rapporteur demeure dubitatif sur la pertinence des objectifs affichés, l'ensemble des prévisions d'économies n'étant, à la date d'examen du projet de loi de finances au Parlement, pas encore documentées .

3. Une éviction inquiétante des crédits d'investissement

Les crédits d'investissement connaissent, depuis plusieurs années, une sous-exécution chronique , tant dans la police que dans la gendarmerie, et servent, en raison de la sous-budgétisation tant des crédits de masse salariale que des crédits de fonctionnement courant, de variable d'ajustement .

Votre rapporteur a déjà eu l'occasion, lors de l'examen des précédents projets de loi de finances, de faire état de ses inquiétudes quant aux conséquences néfastes de cette situation pour le maintien en conditions opérationnelles des forces et la qualité des conditions de travail des policiers et gendarmes.

Loin d'être porteur d'améliorations, le projet de loi de finances pour 2020 aggrave cet état de fait . Les crédits d'investissement connaîtront ainsi, à périmètre constant, une réduction de 13,6 % en autorisations d'engagement et de 14,9 % en crédits de paiement pour la police nationale . Il en est de même pour la gendarmerie nationale, dont les crédits d'investissement baisseront de 17,4 % en autorisations d'engagement et de 5,3 % en crédits de paiement .

Évolution des crédits d'investissement
des programmes 176 et 152

(en euros)

LFI 2019

PLF 2020

AE

CP

AE

CP

Programme 176
« Police nationale »

285 323 250

273 620 825

217 302 058

200 865 881

Programme 152 « Gendarmerie nationale »

170 000 000

173 958 612

140 149 677

164 514 781

Source : commission des lois du Sénat sur la base des documents budgétaires

a) Des efforts insuffisants pour rajeunir les parcs automobiles

En raison d'un sous-investissement chronique pendant de nombreuses années, les parcs automobiles de la police et de la gendarmerie nationales ont subi un vieillissement important .

Les efforts financiers consentis depuis 2015 n'ont porté que partiellement leurs fruits, les enveloppes allouées à l'acquisition de moyens mobiles subissant, chaque année, d'importantes coupes budgétaires, notamment en raison de la pratique des mises en réserve.

De ce fait, les retards accumulés n'ont pu, à ce jour, être comblés . Dans la police nationale, 8 320 véhicules sont ainsi maintenus en service bien qu'ils remplissent au moins un des critères de réforme. Au 1 er janvier 2019, 3 358, soit 11 % des 30 350 véhicules composant le parc automobile de la gendarmerie n'étaient pas opérationnels.

En dépit des objectifs affichés, les crédits prévisionnels alloués, par le projet de loi de finances pour 2020, à l'acquisition de moyens mobiles ne permettront pas de moderniser ces parcs .

S'agissant de la police nationale, la mise à niveau du parc à horizon cinq ans nécessiterait l'acquisition de 3 580 véhicules par an, pour un coût financier évalué à près de 80 millions d'euros. L'enveloppe prévisionnelle de 55 millions prévue pour 2020, en baisse de 24 % par rapport aux crédits alloués en loi de finances initiale pour 2019, se révèle bien en-deçà de ces attentes . Selon les projections communiquées à votre rapporteur, elle devrait seulement permettre l'acquisition de 2 500 véhicules, soit le renouvellement des véhicules réformés, sans pour autant permettre un rajeunissement du parc.

Le constat est similaire pour la gendarmerie nationale, dont les crédits alloués au renouvellement du parc automobile baisseront, en 2020, de 33 % par rapport à 2019. Selon les informations communiquées par la direction générale de la gendarmerie nationale, une telle enveloppe ne permettra l'acquisition que de 2 000 véhicules, volume également insuffisant pour enrayer le vieillissement du parc.

b) Un budget qui n'est pas à la hauteur de l'urgence immobilière

Dans ses précédents avis, votre rapporteur regrettait que les objectifs de réhabilitation immobilière du ministère de l'intérieur, pourtant essentielle au regard de l'état de délabrement du parc immobilier, ne trouvent pas, en dépit des efforts consentis, de traduction suffisante sur le plan budgétaire. Outre une programmation trop faible en loi de finances initiale, il s'inquiétait de la sous-exécution régulière de ce poste de dépenses.

Ce constat demeure pour 2020 , les dotations prévisionnelles allouées par le projet de loi de finances aux opérations de construction et de maintenance immobilières subissant une réduction de 10 % pour la police nationale et de 6,5 % pour la gendarmerie nationale 6 ( * ) .

Évolution des dépenses d'investissement immobilier
(en AE et en millions d'euros)

Source : commission des lois du Sénat sur la base des documents budgétaires

Votre rapporteur est conscient qu'une réhabilitation complète des parcs immobiliers nécessiterait un effort budgétaire sans précédent, estimé à 1,1 milliard d'euros pour la police nationale et à 1,2 milliard d'euros pour la gendarmerie, qui n'est pas à la portée de l'État au regard des contraintes budgétaires actuelles.

Il n'en demeure pas moins que, dans ce contexte, le maintien du modèle actuel de gestion immobilière, fondé sur une logique domaniale, interroge quant à sa soutenabilité à moyen et long terme . Entendu par votre rapporteur, le directeur général de la gendarmerie nationale a, à cet égard, évoqué la nécessité d'« inventer » de nouveaux modèles de gestion, plus souples et moins coûteux pour l'État. Votre rapporteur partage cette position. Il estime, à cet égard, qu' un audit mériterait d'être conduit afin de dresser une évaluation du système actuel et d'envisager, le cas échéant, la mise en place de modalités plus innovantes de gestion.

c) La création de la direction du numérique : des conséquences encore incertaines pour les forces de sécurité

À compter du 1 er janvier 2020, la gestion des systèmes d'information et de communication ainsi que des projets de modernisation numérique de l'ensemble des directions du ministère de l'intérieur sera placée sous le contrôle d'une direction du numérique unique , rattachée au secrétaire général.

Sur le plan budgétaire, cette réforme se traduit par un transfert de la quasi-totalité des crédits d'investissement numérique des programmes 176 et 152 vers le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur ».

Restent en revanche imputées sur ces programmes les dépenses liées au « sac à dos numérique », soit l'acquisition des postes de travail et des consommables, ainsi que les dépenses d'acquisition de certains équipements spécifiques, comme les tablettes et smartphones NEO ou encore les caméras mobiles.

Une telle évolution, d'ores et déjà mise en oeuvre au sein d'autres ministères, est vertueuse sur le plan budgétaire . En favorisant une mutualisation accrue entre les services, elle est en effet de nature à générer des économies substantielles. Elle devrait également permettre de renforcer le pilotage des projets informatiques du ministère qui a pu, par le passé, se montrer défaillant.

Il conviendra néanmoins d'être attentif aux conditions de mise en place de cette direction. Outre un maintien d'un socle budgétaire suffisant, il importera, en particulier, que les directions générales de la police nationale et de la gendarmerie nationale ne perdent pas, dans les faits, la maîtrise des projets de modernisation des systèmes d'information des forces de sécurité intérieure. Pour ce faire, votre rapporteur juge essentiel qu'elles acquièrent une place centrale dans la gouvernance de la nouvelle direction du numérique, dont les modalités font, à ce jour, encore l'objet de discussions.


* 6 En autorisations d'engagement.

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