II. LA RÉFORME DU RECRUTEMENT ET DE LA FORMATION : UN ENJEU DE PERFORMANCE POUR LES FORCES DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE

Dans un contexte sécuritaire tendu et mouvant, la qualité du recrutement et de la formation des forces de sécurité intérieure représente un élément clé de leur efficacité opérationnelle.

Cet objectif unanimement partagé au sein de la police et de la gendarmerie peine pourtant à se traduire dans la pratique.

Les recrutements massifs opérés depuis 2015 placent en effet, depuis quelques années, l'appareil de recrutement et de formation sous tension. Au-delà de ces difficultés conjoncturelles, des fragilités structurelles sont mises en avant, tant par les services d'inspection que par les représentants des forces eux-mêmes.

En dépit des premières réformes engagées, des marges de progression demeurent pour garantir une adaptation permanente des forces de police et de gendarmerie aux nouveaux enjeux de sécurité.

A. UN APPAREIL DE RECRUTEMENT ET DE FORMATION SOUS TENSION

1. Des objectifs de recrutement très élevés

Les recrutements de personnels actifs au sein de la police nationale et de la gendarmerie nationale ont connu une augmentation sensible depuis 2013 .

Dans la police, la moyenne annuelle des recrutements, tous corps confondus, s'établit à 8 314 sur la période 2013-2020, contre 4 779 pour la période 2010-2012. Cette croissance exponentielle du nombre annuel de recrutements concerne plus particulièrement le corps des gardiens de la paix (corps d'encadrement et d'application), qui a plus que triplé entre ces deux périodes.

Une évolution similaire, bien que moins marquée, s'observe dans la gendarmerie . Entre 2013 et 2020, la moyenne annuelle des recrutements des corps actifs a atteint 10 484, contre 9 727 sur le triennat 2010-2012. De même que pour la police, c'est le corps des sous-officiers qui a vu ses recrutements croître le plus (+ 35 % entre 2010-2012 et 2013-2020). Au total, sur la période 2018-2022, les prévisions de recrutement sont évaluées à 55 000 militaires , ce qui correspond au renouvellement d'un peu plus de la moitié des effectifs de la gendarmerie .

Cette hausse des recrutements s'explique par deux phénomènes concomitants .

Elle résulte, principalement, du renforcement conséquent des effectifs depuis 2015, d'abord dans le cadre des plans de lutte contre le terrorisme et contre l'immigration irrégulière, ensuite au titre du plan quinquennal de recrutement de 10 000 forces de sécurité complémentaires souhaité par le Président de la République.

Parallèlement, les recrutements sont, depuis plusieurs années, maintenus à un niveau très élevé en raison d'un nombre importants de départs à la retraite , correspondant à la fin de service de la génération issue du « baby-boom ».

Dans la pratique, la hausse des incorporations se traduit par une augmentation sensible des entrées en école, pour l'ensemble des corps.

Ainsi, dans la gendarmerie nationale, si les promotions d'officiers sont restées relativement stables, le nombre annuel d'élèves sous-officiers intégrés en école, qui s'élevait en moyenne à 3 385 entre 2011 et 2014, a atteint, en 2018, 4 259.

Dans la police, les promotions d'officiers de police, composées d'environ 70 élèves en moyenne, devraient accueillir, d'ici la fin du quinquennat, de 350 à 400 élèves. Le nombre d'incorporations en école de police d'élèves gardiens de la paix a, quant à lui, plus que doublé depuis 2010, passant d'une moyenne de 1 437 élèves en moyenne sur la période 2010-2014 à une moyenne de 3 796 sur la période 2015-2019.

Évolution des incorporations en école

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

Prévisions 2020

Police nationale

Commissaires

38

42

41

41

48

52

40

70

56

66

70

Officiers

100

70

70

70

66

68

69

72

70

70

300

Gardiens de la paix

1 500

500

500

2 058

2 628

2 917

4 731

4 505

3 376

3 452

3 580

Gendarmerie nationale

Officiers

382

496

465

422

418

458

422

429

452

NC

NC

Sous-Officiers

1 962

3 437

3 847

2 797

3 456

3 593

5 784

4 280

4 259

NC

NC

Source : commission des lois du Sénat sur la base des informations communiquées
par la DGPN et la DGGN

2. Une mobilisation forte des dispositifs de recrutement et de formation
a) La nécessaire mise en place de mesures correctives pour élargir la capacité de formation

Depuis 2015, les appareils de recrutement et de formation de la police et de la gendarmerie ont dû être adaptés, parfois dans l'urgence, afin d'être en mesure d'absorber les flux importants de nouveaux entrants.

Plusieurs mesures provisoires ont, dans un premier temps, été mises en place.

Dans la police, ce sont tout d'abord les conditions d'organisation des concours qui ont été ajustées afin d'atteindre les objectifs élevés de recrutements. Outre la modification de la composition des jurys, les épreuves du concours du corps d'encadrement et d'application ont été revues 7 ( * ) : suppression de l'épreuve de gestion du stress, jugée non sélective et chronophage, réduction de deux à une épreuve écrite.

Par ailleurs, dans les deux forces, les durées de formation en école ont été temporairement réduites afin d'accélérer les incorporations . Dans la police, entre 2015 et 2018, 11 promotions d'élèves gardiens de la paix ont vu leur scolarité réduite à 10,5 mois pour les élèves issus des concours externes et à 6 mois pour les élèves issus du concours interne, contre 12 mois en temps normal. De la même manière, dans la gendarmerie, le temps de la scolarité en école des sous-officiers a été réduit à 6 mois, contre 9 mois en temps normal.

Par la suite, police et gendarmerie se sont engagées dans une refonte pérenne de leurs appareils de formation pour élargir, de manière plus durable, leurs capacités d'accueil et être notamment en mesure d'absorber le flux des incorporations jusqu'à la fin du quinquennat.

Dans les deux forces, des moyens complémentaires ont été dégagés ou devraient l'être au cours des prochains exercices pour gérer l'augmentation des incorporations dans les écoles.

Outre un renforcement des effectifs des cadres de formation, une extension des capacités d'accueil immobilières a été initiée . Dès la fin de l'année 2016, la gendarmerie nationale s'est ainsi dotée d'une nouvelle école de formation des élèves sous-officiers, à Dijon, visitée par votre rapporteur le 12 novembre 2019. Dans la police, le site de Cannes-Écluse devrait également faire l'objet de travaux au cours des deux prochains exercices pour garantir l'accueil, à horizon fin 2020, de deux promotions annuelles de 400 élèves.

L'école de gendarmerie de Dijon,
une structure en pleine évolution

Inaugurée en novembre 2016 par Bernard Cazeneuve, alors ministre de l'intérieur, l'école de gendarmerie de Dijon a été créée afin de permettre à la gendarmerie de fournir l'effort de formation nécessaire à l'incorporation des nouvelles recrues.

Imaginée comme un nouveau centre de formation à la sécurité publique, complémentaire au centre de formation au maintien de l'ordre de la gendarmerie situé à Saint-Astier, cette école dispense, d'une part, la formation initiale de sous-officiers et, d'autre part, plusieurs stages de formation continue (stages de formation à destination des gradés, stages de recyclage à destination de gendarmes départementaux non gradés, etc. ).

Initialement dimensionnée pour accueillir 6 compagnies d'élèves gendarmes en formation initiale , l'école connaît une montée en puissance importante depuis sa création . Elle devrait ainsi accueillir 9 compagnies d'élèves en 2020 . Parallèlement, la montée en puissance de la formation continue (voir infra ) entraîne des charges de gestion complémentaires pour la structure.

Pour faire face à cette progression, des investissements importants sont programmés d'ici la fin du quinquennat (25 millions d'euros, au total, sur la période 2018-2022) pour, d'une part, élargir les capacités d'hébergement et, d'autre part, multiplier les infrastructures de formation (stands de tir, salles de classe, salles multimédias, salles de mise en situation, etc. ).

Parallèlement, des renforts d'effectifs sont également prévus dans les unités de gestion et les cadres de formation de l'école. 56 nouveaux postes seront ainsi ouverts en 2020 par rapport à 2019.

En complément, c'est par une réforme durable de leur organisation pédagogique que les deux forces entendent absorber le nombre important d'incorporations en école . La formation en école des sous-officiers de la gendarmerie a ainsi été réaménagée de manière pérenne à compter de janvier 2019 afin de limiter la durée de scolarité en école à 8 mois, au lieu de 9 auparavant.

La direction générale de la police nationale a, de son côté, décidé de revoir la formation initiale des élèves gardiens de la paix, à compter de juin 2020 . Consistant, jusqu'à présent, en une formation de 12 mois en école, suivie d'une année de stage, la formation sera désormais articulée en deux étapes : tout d'abord, une période de 8 mois en école de police, dédiée à l'acquisition des connaissances fondamentales et à des exercices pratiques ; ensuite, une période dite de « formation continuée », d'une durée de 16 mois, au cours de laquelle les gardiens de la paix seront en poste mais continueront à faire l'objet d'actions de formation (formation à distance de type e-learning , suivi de modules de formation continue), par une implication étroite de la hiérarchie. Cette refonte de l'organisation de la scolarité initiale devrait, de l'avis de la DGPN, permettre d'incorporer et de former plus d'agents chaque année .

b) Un risque de saturation des dispositifs de formation

Grâce à ces ajustements et à la forte mobilisation de leurs personnels, les directions générales de la police et de la gendarmerie nationales sont, jusqu'à présent, parvenues à réaliser leurs schémas d'emplois .

Si ces résultats méritent être salués, il doit toutefois être rappelé qu'ils ont été obtenus au prix de mesures correctives qui ne sont pas neutres et dont les conséquences sur le niveau de qualification des recrues demeurent, à ce jour, difficilement évaluables.

Ainsi, si la DGPN estime, à l'aune des évaluations réalisées, qu'aucune carence n'a pu être objectivement constatée à la suite de la réduction de la durée initiale de formation, tel n'est pas le cas des élèves eux-mêmes, qui ont émis des réserves sur la qualité de la formation qui leur a été dispensée. Dans les réponses adressées à votre rapporteur, la direction centrale du recrutement et de la formation de la police nationale (DRCFPN) relève ainsi : « La densité des contenus, le déséquilibre entre les parties théoriques et des exercices pratiques moins nombreux et le regret d'un trop grand “bachotage”, au détriment d'un suivi individualisé, ont été regrettés par les jeunes recrues. »

Les réformes pédagogiques engagées à plus long terme, en particulier la réduction de la durée de la formation en école des gardiens de la paix, mériteront, quant à elles, de faire rapidement l'objet d'une évaluation afin de s'assurer de leur adéquation avec les attentes des élèves et les besoins opérationnels du terrain .

Il convient, enfin, d'observer qu'en dépit des investissements complémentaires réalisés, les dispositifs de formation encourent un risque non négligeable de saturation . La croissance des incorporations en école n'a en effet pas été accompagnée , comme on aurait pu s'y attendre, d'une croissance suffisante des budgets de fonctionnement alloués à la formation qui sont, dans la police comme dans la gendarmerie, en stagnation depuis trois exercices.

Évolution des crédits alloués à la formation
en loi de finances initiale
(en millions d'euros)

Source : commission des lois du Sénat sur la base des documents budgétaires

Votre rapporteur a pu en observer les conséquences sur le terrain . À l'occasion de sa visite de l'école de gendarmerie de Dijon, il a en effet constaté que les marges de manoeuvre de l'école étaient considérablement réduites et que seul l'engagement considérable de l'équipe de direction et des formateurs, y compris dans l'aménagement même des infrastructures, permettait à l'école d'absorber l'augmentation du nombre d'élèves. Alors même que l'école devrait connaître une nouvelle montée en puissance sur le prochain exercice, il est regrettable que son budget de fonctionnement soit maintenu à un niveau équivalent à celui de l'année 2019.

3. Un appauvrissement inquiétant des viviers de recrutement

Par-delà les enjeux capacitaires, le maintien, à moyen terme, d'objectifs élevés de recrutement pose, pour les forces de sécurité, un enjeu majeur en termes de sélectivité et de qualité du recrutement .

Comme le relevait, en février 2017, un rapport de l'inspection générale des finances et de l'inspection générale de l'administration, « en même temps qu'un défi de qualité de “profilage“ de leurs recrutement, police et gendarmerie nationales sont confrontées à un enjeu fort d'attractivité qui les mobilise au plus haut niveau, pour pourvoir l'ensemble des postes » 8 ( * ) .

À l'occasion de son audition par votre rapporteur, le Général Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale, a indiqué que la gendarmerie parvenait, pour l'heure, à maintenir un niveau de sélectivité satisfaisant dans ses concours .

Cela est effectivement le cas pour le concours d'officiers, dont les ratios candidats reçus / candidats ayant composé les épreuves demeurent élevés (1 candidat reçu sur 15,6 en 2019). Le constat est en revanche moins net s'agissant des sous-officiers. Après une baisse importante, en 2016 et 2017, de la sélectivité au concours externe de sous-officiers (1 candidat reçu sur 4,8 en 2016 et 1 candidat reçu sur 3,4 en 2017), la gendarmerie a, il est vrai, recouvré des taux de sélectivité supérieurs (1 candidat reçu sur 6,1 en 2018), mais qui demeurent encore inférieurs à ceux des années précédentes (1 candidat reçu sur 6,9 en 2015, 1 sur 10,2 en 2014 et 1 sur 7,2 en 2013).

La police nationale est, quant à elle, confrontée à un appauvrissement certain de son vivier de candidats . À l'instar de la gendarmerie nationale, les corps de cadres, commissaires et officiers, parviennent à maintenir des taux élevés de sélectivité (3,13 % d'admis au concours externe de commissaire et 1,11 % au concours d'officiers en 2018). Entre 2012 et 2018, les ratios de sélectivité aux concours de gardiens de la paix ont en revanche fortement augmenté, de plus de 4 points aux concours externes et de 6 points environ aux concours internes. En 2018, le taux de sélectivité aux concours de gardiens de la paix s'est ainsi établi à 1 candidat reçu sur 10 aux concours externes et 1 sur 5 aux concours internes.

Évolution du taux de sélectivité
aux concours externes de gardiens de la paix

Évolution du taux de sélectivité
aux concours internes de gardiens de la paix

Source : commission des lois du Sénat sur la base des données DGPN
(données 2019 provisoires, établies sur le nombre de postes ouverts aux concours)

Soucieuses de renouveler leurs viviers de recrutement, police et gendarmerie ont entrepris de multiplier leurs actions de communication, en particulier auprès des universités , afin de renforcer leur attractivité auprès des jeunes diplômés.

En parallèle, la police nationale a déployé plusieurs mesures destinées à garantir, à moyen terme, des niveaux de sélectivité satisfaisants dans les concours . C'est ainsi qu'à l'occasion des dernières sessions, des transferts de postes ont été effectués, d'une part, entre les différents concours de gardiens de la paix (concours nationaux et concours Ile-de-France), d'autre part, entre les concours internes et externes, en fonction du nombre d'inscriptions et du niveau moyen des candidats.

A également été introduite, par un décret daté du 21 octobre 2019, une nouvelle voie de concours interne ouvert aux agents publics et aux contractuels issus des trois fonctions publiques, « afin d'élargir le vivier des candidats et de faire appel à des personnels dotés d'une expérience professionnelle identifiée ».

En dépit de ces mesures, qui vont indéniablement dans le bon sens, votre rapporteur s'inquiète de la capacité des forces de sécurité à réaliser, au cours des prochains exercices, les schémas d'emplois prévus sans abaisser de manière trop importante la qualité du recrutement . Si les viviers de recrutement venaient à ne pas être suffisamment renouvelés d'ici la fin du quinquennat, il importerait que soient réexaminés les objectifs annuels de créations de postes afin de ne pas abaisser irraisonnablement le niveau des incorporations en école .


* 7 Corps des gardiens de la paix.

* 8 Rapport IGA-IGF, « Évolution des effectifs de la police et de la gendarmerie nationale », février 2017.

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