B. UNE RÉFORME À LAQUELLE LE SÉNAT AVAIT SOUSCRIT, JUSTIFIÉE PAR LES DIFFICULTÉS STRUCTURELLES DES JURIDICTIONS SOCIALES

Lors de l'examen du projet de loi en 2016, souscrivant à la réforme alors prévue par ordonnance, le Sénat avait permis de l'inscrire directement dans la loi et d'ainsi mieux l'encadrer. D'après les constatations de votre rapporteur à l'époque, les juridictions sociales se trouvaient en effet dans une situation difficile , concernant tant leur fonctionnement (délais de traitement de 20 mois en moyenne) que leur composition, alors qu'elles s'adressent à des justiciables souvent vulnérables socialement et économiquement.

La hausse du stock des affaires non traitées était préoccupante : pour les TASS, le stock s'élevait à plus de 200 000 au 31 décembre 2017. Cette hausse des stocks s'expliquait par une combinaison de difficultés : les juridictions sociales n'étaient pas pilotées de façon centralisée, elles se heurtaient donc à des difficultés de gestion, des procédures inadaptées ainsi qu'au manque de personnel. La multiplicité de ces juridictions et la dualité entre l'ordre administratif et judiciaire était également source de complexité pour les justiciables, tant pour la saisine initiale que pour l'exercice de leurs voies de recours.

Votre commission avait donc souscrit à l'objectif d'une réforme consistant à assurer un traitement convenable du contentieux de la sécurité sociale et à faciliter l'accès à la justice dans ce domaine , dans l'intérêt du justiciable et d'une bonne administration de la justice.

C. UN PREMIER BILAN ENCOURAGEANT, DE NOMBREUX DÉFIS À RELEVER

La mise en oeuvre de cette réforme est conduite conjointement par le ministère de la justice, le ministère des solidarités et de la santé, le ministère de l'agriculture ainsi que la caisse nationale de l'assurance maladie. La direction de projet est confiée à la direction des services judiciaires , déclinée au niveau local par un comité national de pilotage de la réforme, présidé par Éric Négron, premier président de la cour d'appel d'Aix en Provence, tous deux entendus par votre rapporteur.

Logiquement, le ministère souhaitait, avant l'entrée en vigueur, réduire au maximum le stock des affaires des TASS à traiter . Grâce au renforcement des effectifs (100 contractuels et 30 juristes assistants), ce stock a diminué de près de 20 % pour atteindre 165 906 affaires au 31 décembre 2018.

Votre rapporteur estime que ce résultat n'est qu'à moitié satisfaisant puisque ce stock restant va s'ajouter au flux d'affaires nouvelles à traiter , depuis le 1 er janvier 2019, pour les 116 TGI spécialement désignés. À cet égard, les statistiques établies sur des bases déclaratives à ce jour l'estiment, tous contentieux confondus, à environ 200 000 .

Votre rapporteur alerte des conséquences de ce déstockage sur les vingt-six chambres sociales des cours d'appel spécialement désignées, moins nombreuses qu'auparavant pour traiter ces recours. Leurs délais de traitement sont déjà très longs : près de 20 mois en 2018.

De manière générale, la question du transfert des personnels auparavant affectés au secrétariat des TASS et TCI reste posée : ces personnels étaient des agents de droit privé dont la rémunération était prise en charge par les caisses de sécurité sociale, en majorité, ou des agents publics du ministère des affaires sociales, alors que leurs missions ont été transférées aux services judiciaires. Ils représentaient près de 600 emplois, dont 400 relevant de la sécurité sociale . Peu d'entre eux ont souhaité rejoindre les services judiciaires , ce qui suscite l'inquiétude dans les greffes des TGI, qui auront à assurer ces missions supplémentaires.

Il n'était pas possible d'intégrer directement ces personnels dans le corps des fonctionnaires de greffe des services judiciaires. Pour assurer la transition, les personnels qui le souhaitent ont été mis à disposition des juridictions jusqu'au 31 décembre 2019 pour continuer à exercer leurs fonctions dans le cadre de la nouvelle organisation juridictionnelle. Au terme de cette période transitoire, ils pourront soit réintégrer les caisses de sécurité sociale, soit intégrer le corps des greffes via un concours de recrutement spécifique .

Le ministère des affaires sociales s'est engagé à transférer 541 équivalents temps plein (ETP) à terme aux services judiciaires et à en mettre le même nombre à disposition pendant la période temporaire.

À cet égard, les besoins nouveaux en personnels ne sont qu'imparfaitement réglés puisque seuls 357 agents ont accepté la mise à disposition auprès de la Chancellerie , le différentiel étant compensé par le recrutement de contractuels et de greffiers qui connaissent moins bien cette matière. Il est évident que ce personnel, rompu à un contentieux très spécifique, est un atout dans les TGI nouvellement compétents, même si la question de leur connaissance des procédures juridictionnelles de droit commun se posera inévitablement à l'avenir.

Le renfort en magistrats paraît en outre très faible , puisque seuls 9 magistrats seront affectés en sortie d'école en 2020 sur le traitement du contentieux social.

Enfin, des difficultés d'ordre pratique doivent aussi faire l'objet de la plus grande attention. En matière d' informatique , les services de la Chancellerie ont assuré à votre rapporteur que le contentieux social pouvait être traité par les applications existantes des TGI et des cours d'appel. Il aurait vocation, à terme, à intégrer l'application Portalis.

L'implantation immobilière des pôles sociaux doit encore progresser . D'après les informations recueillies par votre rapporteur, 80 % des anciens TASS sont définitivement intégrés dans les locaux immobiliers des TGI désignés pour accueillir des pôles sociaux. 20 % des pôles sociaux ne sont donc aujourd'hui pas localisés dans les TGI ce qui doit être régularisé . Cette difficulté s'explique d'une part, en raison de la situation immobilière de certains TGI qui ne peuvent recevoir de nouveaux magistrats et, d'autre part, par des travaux qui ne sont pas encore achevés.

Enfin, ces aménagements immobiliers ont pu conduire dans certains ressorts à des rapprochements géographiques entre pôle social et conseil de prud'hommes sans qu'il soit envisagé, à ce stade, de rapprochements administratifs et sans porter atteinte à la spécificité de la juridiction prud'homale.

Votre rapporteur formule le voeu d'une appropriation complète par les magistrats et les personnels de greffe de ce nouveau contentieux, permettant de rendre des décisions de qualité dans des délais réduits.

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Année après année, votre rapporteur dénonce l'insuffisance des moyens de la justice, ainsi que les dysfonctionnements de gestion préjudiciables tant aux personnels judiciaires qu'aux justiciables.

Il constate, dans ce projet de loi de finances pour 2020, la poursuite de l'effort budgétaire engagé depuis plusieurs années par les gouvernements successifs en faveur de la mission « Justice ».

Il regrette toutefois que le programme consacré aux juridictions judiciaires soit celui qui connaisse l'augmentation - quasi-résiduelle - la plus faible de l'ensemble de la mission.

Compte tenu de la situation des juridictions, qui demeure extrêmement fragile, votre rapporteur constate qu'un long chemin reste encore à parcourir avant de parvenir à un véritable redressement de la justice.

Compte tenu de l'ensemble de ces observations, votre commission a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits des programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature » de la mission « Justice », inscrits au projet de loi de finances pour 2020.

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