C. LE COMPTE A ÉTÉ MIS À CONTRIBUTION DANS LE CADRE DU SAUVETAGE DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉS

1. Une hausse de 15 milliards d'euros de ses crédits votée durant la crise

La loi de finances initiale pour 2020 avait ouvert 10,18 milliards d'euros de crédits sur le programme 731 « Opérations en capital intéressant les participations financières de l'État » et 2 milliards d'euros sur le programme 732 « Désendettement de l'État et d'établissements publics de l'État », soit un total de 12,18 milliards d'euros.

Compte tenu de l'impact de la crise sanitaire, deux mouvements budgétaires ont eu lieu sur le programme 731 en cours d'exécution :

• la loi de finances rectificative n° 1 a annulé 4,98 milliards d'euros de crédits afin de tenir compte de l'impossibilité de réaliser la privatisation d'ADP durant l'année ;

• la loi de finances rectificative n° 2 a ouvert 20 milliards d'euros de crédits mobilisables par l'État pour soutenir financièrement les entreprises stratégiques vulnérables durant la crise. Une vingtaine d'entreprises ont ainsi été identifiées comme risquant de disposer de fonds propres insuffisants pour se financer de façon autonome sur les marchés. Selon les informations transmises par l'APE à la rapporteure, toutefois, une actualisation en cours de cette liste devrait vraisemblablement conduire à la réduire : en effet, la reprise intervenue suite au déconfinement a été plus vigoureuse que prévu, certaines entreprises ont pu régler leurs difficultés de trésorerie, et les besoins en fonds propres ont parfois été revus à la baisse compte tenu des plans de restructuration mis en oeuvre. Selon l'évolution de la situation sanitaire et économique en 2020, une nouvelle actualisation pourrait néanmoins être nécessaire.

Le solde des deux mouvements budgétaires est donc de + 15,02 milliards d'euros en 2020.

Un assouplissement de l'encadrement européen des aides d'État
pour faciliter le soutien financier public

La Commission européenne a publié, le 20 mars 2020, une communication sur l'encadrement temporaire des mesures d'aide d'État visant à soutenir l'économie dans le contexte sanitaire. Ce document est venu préciser son interprétation de la « perturbation grave de l'économie », notion à l'aune de laquelle peuvent être jugées compatibles avec le marché intérieur certaines aides en vertu de l'article 107-2-b) du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

Dans le cadre de la crise sanitaire, les États membres sont ainsi autorisés à indemniser les entreprises des secteurs particulièrement touchés, notamment sous la forme de subventions directes, de garanties sur les prêts, ou de taux d'intérêt bonifiés. Cet encadrement temporaire a ensuite été élargi :

- le 3 avril aux entreprises fabricant des produits indispensables à la lutte contre le coronavirus ;

- le 8 mai aux mesures publiques destinées à la recapitalisation des entreprises ;

- le 19 juin aux micro, petites et jeunes entreprises.

C'est dans ce cadre temporaire que se sont inscrites les diverses mesures de soutien à l'économie mises en place par l'État français et que l'État actionnaire a pu adopter des mesures individuelles en faveur d'entreprises relevant du portefeuille de l'APE ( cf. infra ).

Certaines entreprises du portefeuille ont également pu bénéficier de mesures plus générales adoptées sur le fondement de cet encadrement temporaire (les compagnies aériennes, par exemple, ont pu bénéficier du moratoire sur le paiement de taxes et redevances aéronautiques en faveur des entreprises de transport public aérien sous licences d'exploitation délivrées par la France).

2. Des premières interventions de l'État pour secourir des entreprises stratégiques, qui laissent espérer un retour timide de l'État stratège, mais d'impossibles échanges sur les actions à venir
a) L'État actionnaire poursuit de nouveaux objectifs du fait de la crise, mais ne saurait s'exonérer d'une réflexion sur sa stratégie à long terme

La crise sanitaire a infléchi la politique actionnariale de l'État et lui impose désormais de réviser le pilotage des entreprises de son portefeuille autour de deux axes principaux :

• un suivi de la gestion opérationnelle de la crise par les entreprises en matière de chômage partiel, télétravail, relance des activités, etc. ;

• une analyse de l'impact de la crise sur les capacités financières des grandes entreprises à participation publique afin d'identifier notamment leurs besoins en fonds propres. Les 20 milliards d'euros de crédits ouverts sur le CAS en avril 2020 doivent permettre cette intervention de l'APE auprès d'une vingtaine d'entreprises stratégiques mais vulnérables.

La rapporteure regrette l'absence d'un troisième axe relatif à la redéfinition du rôle et des ambitions de l'État actionnaire. Le soutien apporté aux entreprises stratégiques ne saurait en effet n'être qu'une parenthèse dans la lente atrophie du portefeuille de l'État. Il doit être un outil plus large et pérenne au service de la protection d'actifs stratégiques, notamment face aux acquisitions prédatrices en temps de crise, du renforcement de notre souveraineté et de la mise en oeuvre d'une véritable stratégie industrielle.

La crise a révélé certaines de nos fragilités économiques et industrielles, comme une dépendance accrue aux importations pour certains biens stratégiques, et risque d'accentuer certaines autres déjà identifiées, comme les délocalisations.

Or le renforcement de notre souveraineté en la matière, qui passe par d'importants investissements dans certains domaines (produits sanitaires, batterie, etc.) et par la relocalisation de plusieurs productions, nécessite une participation de la puissance publique et une réelle capacité d'action de l'État. Compte tenu des nouveaux défis auxquels la France fait face, il paraît donc urgent d'élaborer une nouvelle doctrine pour l'État actionnaire qui tienne compte de cette extension de ses missions et de son champ d'action.

b) Air-France KLM, première intervention de l'État actionnaire

L'entreprise Air-France KLM a bénéficié dans ce cadre d'un soutien de l'État dès 2020, sous la forme d'un prêt d'actionnaire de 3 milliards d'euros, d'une maturité de quatre ans, avec deux options d'extension d'un an consécutives exerçables par l'entreprise. Le prêt d'actionnaire n'a, en octobre 2020, pas encore été tiré compte tenu de la priorité accordée au prêt garanti par l'État 7 ( * ) (PGE) de 4 milliards d'euros dont Air France-KLM a également pu bénéficier (et qui ne relève pas de l'enveloppe de 20 milliards d'euros). Le prêt d'actionnaire devrait être tiré d'ici janvier 2021.

La rapporteure déplore toutefois que ses interrogations relatives à un renforcement supplémentaire des fonds propres d'Air France-KLM soient restées sans réponse. Ce silence de l'État devant le Parlement est d'autant plus regrettable que son action concerne un symbole du transport aérien français qui intéresse au premier chef la représentation nationale, et que la presse s'est précisément fait l'écho de négociations en cours relatives à de nouvelles aides. En outre, le choix français de procéder à un prêt d'actionnaire est singulier, l'Allemagne ayant recapitalisé Lufthansa à hauteur de 6 milliards d'euros, et l'Italie ayant nationalisé Alitalia. Si comparaison n'est pas raison, des échanges auraient à tout le moins dû se tenir pour justifier la pertinence de la solution française.

Par ailleurs, sans qu'il ne s'agisse à proprement parler d'un soutien financier lié à la crise, l'État a souscrit à hauteur de 1,03 milliard d'euros à 87,8 millions d'obligations vertes à option de conversion et/ou d'échange en actions nouvelles et/ou existantes (OCEANEs) émises par EDF en septembre 2020. L'objectif de cette émission d'obligations convertibles, la plus importante en Europe depuis 2003, est de financer son développement dans les énergies renouvelables.

3. Une ouverture massive de crédits pour 2021 en prévision de nouvelles mesures de soutien

Le projet de loi de finances pour 2021 prévoit une ouverture de 12,97 milliards d'euros de crédits au titre de l'action n° 1 « Augmentations de capital, dotations en fonds propres, avances d'actionnaire et prêts assimilés » du programme 731 8 ( * ) .

1,7 milliard d'euros d'opérations sont déjà identifiés pour 2021, dont seuls 160 millions relèvent du périmètre de l'APE 9 ( * ) . Les principales opérations ne relevant pas du périmètre de l'APE sont un renforcement des fonds propres de l'Agence française de développement, à hauteur de 950 millions d'euros, et un investissement en fonds propres au titre du PIA 3, d'un montant de 500 millions d'euros. Dans ces cas, le CAS ne sert que de véhicule budgétaire entre un programme du budget général et les opérateurs bénéficiant des fonds.

En dehors de ces opérations, 11 milliards d'euros sont donc demandés pour 2021 10 ( * ) , sans information particulière quant à leur emploi, si ce n'est qu'ils devront renforcer les ressources des entreprises stratégiques vulnérables, niveau d'information qui ne peut suffire à approuver ces crédits...

En outre, les documents d'information transmis au Parlement, s'ils distinguent les dépenses prévues selon qu'elles relèvent ou non du périmètre de l'APE, ne le font pas concernant les recettes. Or selon la Cour des comptes, 72 % du nombre total d'opérations de recettes en 2019 ont eu lieu hors périmètre APE.


* 7 Ce prêt bénéficie d'une garantie de l'État à hauteur de 90 % et d'une maturité de 12 mois, avec deux options d'extension d'un an consécutives.

* 8 Il est également prévu une ouverture de 260 millions d'euros de crédits sur l'action n° 4 « Autres investissements financiers de nature patrimoniale »

* 9 Une souscription au capital de la Société pour le logement intermédiaire à hauteur de 111 millions d'euros et le financement de plans de transformation dans le secteur audiovisuel public pour 60 millions d'euros.

* 10 Il s'agit du report des crédits non-consommés de l'enveloppe de 20 milliards d'euros votée en LFR 2 (3 milliards d'euros devant être apportés à Air France-KLM, 1 milliard d'euros l'ayant été à EDF, et 3 milliards d'euros devant l'être à la SNCF, en vue de sa recapitalisation).

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