EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mercredi 17 novembre 2021, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission examine le rapport pour avis de Mme Brigitte Micouleau sur le projet de loi de finances pour 2022 (action « Mission intrministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) du programme « coordination du travail gouvernemental » de la mission « direction de l'action du gouvernement »).

Mme Brigitte Micouleau , rapporteure pour avis . - L'examen du budget de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) pour 2022 nous fournit l'occasion d'évaluer si les moyens que l'État consacre à l'impulsion et à la coordination des initiatives interministérielles en la matière sont en adéquation avec les défis à relever.

Comme vous le savez, l'alcool est la substance addictive licite la plus consommée dans notre pays. Deux documents récents, le rapport de l'OCDE sur le coût social de l'alcool en France et une expertise collective de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), nous alertent sur les lacunes de la politique de lutte contre l'alcool et les externalités négatives qui en découlent. Ils font suite à un rapport au vitriol de la Cour des comptes en 2016.

Il est désormais prouvé, même si cela est aussi souvent dénié, que toute consommation d'alcool, même modérée, comporte des risques, par exemple une augmentation de la probabilité de développer un cancer du sein chez les femmes. Mais notre préoccupation prioritaire doit, bien sûr, être celle des consommateurs « à risques ». C'est évidemment des personnes les plus dépendantes que les pouvoirs publics doivent se préoccuper prioritairement. Quelque 12 % des Français boivent plus de huit verres par jour et consomment 30 % du volume total d'alcool. En outre, 8 % de nos concitoyens sont dépendants à l'alcool et ne boivent pas moins de vingt verres quotidiens ; ils consomment à eux seuls la moitié de l'ensemble de l'alcool bu en France. La dépendance à l'alcool a des ressorts complexes, dont certains sont génétiques, mais le laxisme de la législation et des pouvoirs publics en matière de vente et de publicité d'alcool y a sa part. Il nous faut collectivement reprendre le contrôle sur notre consommation d'alcool. Les pouvoirs publics doivent débanaliser la consommation d'alcool et oeuvrer pour rendre l'alcool moins accessible. En adoptant la loi sur le protoxyde d'azote, le législateur a voulu protéger plus particulièrement la jeunesse de notre pays. Cette dernière n'est, hélas ! pas assez protégée de la tentation de l'ivresse.

La guerre au tabac, si elle n'est évidemment pas finie, a montré des résultats tout à fait encourageants. Néanmoins, n'oublions pas que les pouvoirs publics ont « mis le paquet » contre la cigarette : augmentation continue et importante des prix, paquets neutres, campagne de communication assorties de slogans-chocs tels que « fumer tue » ou « j'veux pas d'ta clope », remboursement des dispositifs d'arrêt du tabac pris en charge par l'assurance maladie. Sauver des vies coûte cher et exige une volonté politique forte, mais pour l'alcool comme pour le tabac, la santé publique l'exige.

S'agissant des drogues illicites, et à l'heure du cinquantenaire de la loi de 1970, il est l'heure de faire un bilan de notre politique. Force est de constater que l'esprit de cette loi, qui considérait le consommateur de substances illégales à la fois comme un délinquant et comme un malade, a peu à peu été détourné. Initialement votées pour répondre à « l'épidémie d'héroïne » qui sévissait dans les années 1970, les dispositions de cette loi servent actuellement principalement à réprimer l'usage de cannabis.

Le nombre de personnes mises en cause par les forces de l'ordre pour infraction à la législation sur les stupéfiants a été multiplié par 40 entre 1970 et 2020, passant de 4 000 à plus de 160 000. Quelque 80 % des personnes mises en causes le sont pour usage, loin devant les faits d'usage-revente, soit 9 %, et de trafic, 9 %. Depuis 1970, les interpellations au titre de l'usage ont augmenté deux fois plus vite que les procédures pour trafic.

La prédominance du cannabis est écrasante parmi les interpellations pour usage : 90 % en 2010 contre seulement 56 % en 1985. La systématisation de la réponse pénale, qui atteint 100 % aujourd'hui, et son accélération se sont malheureusement accomplies au détriment d'une réponse sanitaire individualisée. Ce contentieux occupe une partie excessive du temps de travail des forces de police et de justice, pour des résultats très décevants en termes d'évolution de la consommation et du trafic. Le taux de recouvrement des 60 000 amendes forfaitaires délictuelles, mises en place l'an passé, plafonne à un niveau extrêmement décevant.

Comme tous les dispositifs de réduction des risques et des dommages, les salles de consommation supervisée ont créé une polémique très forte en France. Sachons nous rappeler que le décret Barzach autorisant la vente libre des seringues en 1987 avait en son temps fait également couler beaucoup d'encre. Pourtant, rares sont aujourd'hui les pourfendeurs des programmes d'échange de seringues, qui sont même mis en oeuvre dans certaines prisons, conformément à l'objectif de la loi de modernisation de notre système de santé de 2016. Le ministre Olivier Véran prévoit d'ouvrir deux nouvelles structures chaque année. Cet effort semble insuffisant eu égard aux besoins en la matière : de l'aveu même du ministre, nous aurions « quarante ans de retard en la matière ». Je tiens à vous rappeler le nombre de salles d'usage supervisé chez certains de nos voisins européens : le Portugal en compte deux, mais sa population est six fois plus faible que celle de la France ; la Suisse, précurseur dans ce domaine, dispose de dix salles, l'Allemagne et les Pays-Bas, d'une trentaine. L'efficacité incontestable de ces salles, à la fois en matière de santé des usagers de drogues illicites, mais aussi de réduction des traces d'injection et des injections en public, ne doit pas nous empêcher d'être extrêmement vigilants quant à l'emplacement des futures « haltes soins addictions » et aux inquiétudes et difficultés des riverains des salles de consommation. Le Sénat a adopté la semaine passée un amendement de Corinne Imbert visant à implanter toutes les nouvelles « haltes soins addictions » sur l'emprise foncière d'hôpitaux, en s'inspirant du modèle strasbourgeois, afin de rapprocher les haltes de la prise en charge hospitalière.

Le budget de la Mildeca de 16,6 millions d'euros est presque stable pour l'exercice budgétaire de 2022. Somme toute modeste, ce budget est heureusement couplé avec le fonds de lutte contre les substances addictives de la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM), dont les dépenses sont plafonnées depuis 2019 à 130 millions d'euros, et qui en exécute chaque année environ 120. La Mildeca participe activement aux instances dirigeantes de ce dernier, notamment à son comité restreint, qui élabore le plan d'action annuel du fonds.

Après la dissolution, l'an passé, du centre interministériel de formation antidrogue, dont les missions ont été transférées à l'Office anti-stupéfiants (Ofast) qui dépend du ministère de l'intérieur, seul un opérateur demeure dans le giron de la Mildeca. Il s'agit du très utile Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), dont le nom va prochainement être modifié en « Observatoire français des drogues et des tendances addictives ». La subvention de charges pour services publics que la Mildeca versera à l'OFDT en 2022 est stable et d'un montant de 400 000 euros.

L'an prochain, la Mildeca va s'atteler à la rédaction du nouveau plan gouvernemental contre les addictions, l'actuel plan courant pour les années 2018 à 2022. Je souhaite que ce nouveau plan parvienne à déterminer quelques axes forts sur lesquels l'activité des pouvoirs publics et sanitaires devra se concentrer. Le docteur Nicolas Prisse, président de la Mildeca, m'a indiqué vouloir insister sur l'essor des usages de cocaïne et de crack, lié à la très grande disponibilité de la cocaïne sur le marché des drogues. Les usagers de crack du Nord-Est parisien ne sont que la partie émergée et médiatisée de l'iceberg.

Actuellement, 40 000 personnes sont en lien avec un centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa) ou un centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud) pour une addiction à la cocaïne basée. Contrairement aux idées reçues, l'addiction au crack ne concerne pas uniquement des publics très précaires, mais existe aussi, par exemple, en milieu professionnel. En l'absence de traitement de substitution, et même de traitement aidant au sevrage, et du fait de la hausse des consommations, la prise en charge des personnes dépendantes à la cocaïne se posera avec de plus en plus d'acuité dans les prochaines années. Les addictologues estiment que, si la durée du sevrage au crack est d'environ un mois, un an à un an et demi de postcure est nécessaire pour sortir de l'addiction profonde au crack.

Sur ces considérations, je vous propose, mes chers collègues, d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de l'action « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives » du programme « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » du projet de loi de finances pour 2022.

Mme Michelle Meunier . - Les budgets de la Mildeca sont en baisse tendancielle depuis plusieurs années. Or la consommation de drogues licites, comme la cigarette, s'est accrue durant le confinement. Il faut prendre en compte les risques qu'entraîne la consommation de drogues illicites, notamment les comportements, les fragilités et les dépendances qui y sont inhérents.

Qu'en est-il des aidants des malades alcooliques ?

M. Laurent Burgoa . - S'agissant de la prévention par les pouvoirs publics de la consommation d'alcool, je ne doute pas que Brigitte Micouleau ne parlait que des alcools forts et qu'elle ne voulait en aucune façon stigmatiser nos viticulteurs, pour qui l'année 2021 a été catastrophique.

Mme Pascale Gruny . - Les risques psychosociaux ont tendance à accroître les addictions, tout comme le confinement. La médecine du travail n'a pas la possibilité d'accompagner correctement les personnes dépendantes, qui sont licenciées et ne retrouvent pas d'emploi.

Qu'en est-il des aidants ou des proches des personnes droguées, qui sont confrontés à des difficultés extrêmement graves ?

L'accompagnement est primordial pour une personne qui a fait sa cure, car, sans emploi ou logement, elle retombe inéluctablement dans la dépendance. Ainsi, en Italie et en Suisse, les personnes sevrées sont placées dans des fermes ; le rapport à la terre leur permet de s'en sortir.

M. Daniel Chasseing . - Il faut, certes, renforcer la prévention, mais les crédits n'augmentent pas.

Je rejoins Laurent Burgoa : la majorité des Français prennent un petit verre de vin, ce qui ne constitue pas un danger pour la santé.

Est-il vrai que 57 tonnes de cannabis et 9 tonnes de cocaïne ont été saisies entre janvier et juillet 2021 ?

M. Alain Milon . - À la suite du changement climatique, nos amis vignerons devront veiller à l'augmentation du degré d'alcool de leur vin.

Par ailleurs, je n'ai vu nulle part mention du cannabis dans ce rapport. Qu'en est-il ?

Mme Victoire Jasmin . - S'agissant du trafic de stupéfiants et des « mules » en Guyane, un véritable travail de prévention doit être fait, en particulier dans les écoles, où se recrutent ces « mules ». En parallèle, les sanctions doivent être beaucoup plus importantes pour les trafiquants.

Mme Élisabeth Doineau , rapporteure générale . - Je propose à Mme la rapporteure pour avis de travailler, en amont du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), sur l'attitude que doit adopter la commission des affaires sociales par rapport aux addictions, tant au plan de la fiscalité que de la lutte contre ces dernières.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Se pose, in fine, la question des pays producteurs qui alimentent un flux continu et de l'attitude de la communauté internationale à leur égard.

Mme Brigitte Micouleau , rapporteure pour avis . - Le confinement a effectivement accentué toutes les tendances addictives de nos compatriotes. L'usage des écrans ne doit, à cet égard, pas être passé sous silence. La Défenseure des droits recommande d'ailleurs, dans son rapport annuel sur les droits de l'enfant, la réalisation d'une étude approfondie sur les conséquences des usages des écrans chez les enfants.

Nous n'avons pas abordé la question des aidants des malades alcooliques.

Nous ne stigmatisons aucunement le vin, lequel n'en demeure pas moins un alcool, de surcroît très consommé par les jeunes Français.

L'accompagnement social des proches et des aidants de personnes droguées est effectivement primordial. Nombreux sont les parents qui vont déposer une main-courante car ils se sentent aussi en danger.

Le rapport évoque le cannabis, dont les jeunes Français sont les premiers consommateurs en Europe. Quelque 44 % des Français ont expérimenté le cannabis et 3,6 % en ont un usage régulier dans l'année.

Je suis en total accord avec Mme la rapporteure générale sur la nécessité de travailler sur la fiscalité et des produits addictifs.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de l'action « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement ».

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