B. D'AUTRES RÉFORMES, RELATIVES NOTAMMENT AUX IMPORTANTS NIVEAUX DE CONSOMMATION D'ALCOOL ET DE CANNABIS EN FRANCE, SONT NÉCESSAIRES

Si un quart des Français de 18 à 75 ans fument encore quotidiennement, la stratégie globale d'encadrement de l'offre et de la demande de tabac, qui vise à réduire l'accessibilité du tabac, à minimiser les incitations à consommer et à dénormaliser sa consommation, a produits des effets notables : le tabagisme quotidien a reculé de 8 points entre 1992 et 2020 ; chez les jeunes de 17 ans, la baisse a été de 16 points depuis 2000. À 13 ans, les jeunes sont deux fois moins nombreux à avoir expérimenté la cigarette en 2018 par rapport à 2006 ; seuls 4 % des élèves de 3 ème fument quotidiennement en 2021, contre 15 % il y a dix ans.

À l'instar de la politique de guerre au tabac, une politique plus volontariste doit émerger contre la consommation d'alcool en France . Une expertise collective de l'Inserm sur la réduction des dommages associés à la consommation d'alcool, parue en mai 2021 à la demande de la direction générale de la santé et de la Mildeca, montre que la consommation d'alcool en France concerne actuellement 42 millions de personnes par an . La France est au troisième rang de la consommation par habitant (12,3 litres d'alcool pur par habitant et par an) parmi les pays de l'OCDE derrière l'Autriche et la Lituanie, et au premier rang mondial pour la consommation de vin par habitant. Selon l'OCDE, suite à la pandémie de Covid-19, le nombre de personnes ayant augmenté leur consommation est plus élevé que celui des personnes l'ayant diminuée. Près d'un adulte sur quatre dépasse les repères de consommation à moindre risque et un tiers des adultes a au moins une consommation mensuelle épisodique excessive d'alcool. La consommation d'alcool est à l'origine de 41 000 décès annuels, dont 13 000 par cancer, et demeure la première cause d'hospitalisation. Alors que les femmes consomment en moyenne moins d'alcool que les hommes, elles présentent une incidence de cancers attribuables similaire à celle observée chez les hommes. Contrairement aux idées reçues, les niveaux de consommation faibles à modérés contribuent par exemple largement aux nouveaux cas de cancer du sein. L'incidence du syndrome d'alcoolisation foetale en France est de l'ordre de 1,3 %o naissances vivantes par an, soit environ 8 000 nouveau-nés, dont un dixième gravement atteint.

Source : Action addiction

Les pistes pour lutter contre les externalités négatives liées à la consommation d'alcool sont nombreuses et connues. Il s'agit de limiter l'accès à l'alcool et de réduire son attractivité, notamment en augmentant le prix des boissons alcoolisées (prix minimum ou/et taxation en fonction du grammage d'alcool). Le rapport de l'OCDE sur le modèle international de simulation des politiques de lutte contre la consommation nocive d'alcool (avril 2021) invite à fixer des politiques de prix pour limiter l'accessibilité financière de l'alcool - en particulier l'alcool bon marché. L'interdiction de la vente aux mineurs doit être respectée, conformément aux dispositions de la loi Evin. Les plages-horaires de vente d'alcool et le nombre de points de vente pourraient également être réduits, afin de rendre l'alcool moins accessible. La publicité en faveur de la consommation d'alcool, notamment en ligne, doit être drastiquement régulée. En effet, il est prouvé que l'exposition à des contenus marketing pro alcool augmente significativement l'envie de consommer, les quantités bues et la banalisation des alcoolisations excessives, notamment chez les jeunes. Il s'avère enfin primordial de rendre plus claire la communication des autorités publiques sur les risques liés à toute consommation d'alcool, même non abusive. La mention « à consommer avec modération » pourrait ainsi être remplacée par : « toute consommation d'alcool comporte des risques ». Des campagnes d'information sur les repères de consommation à moindre risque établis par Santé publique France, profondément méconnus des Français, doivent être menées.

La stratégie décennale de lutte contre les cancers 2021-2030, dans sa feuille de route 2021-2025, propose d'adopter un programme national de prévention du risque alcool , interministériel et pluridisciplinaire, pour améliorer la santé de la population. Ce plan, absolument nécessaire , va être rédigé par le ministère de la santé (DGS) ; il devra évidemment s'articuler efficacement avec le prochain plan gouvernemental contre les addictions.

S'agissant des drogues illicites, nous célébrons en 2021 le cinquantième anniversaire de la loi du 30 décembre 1970 relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l'usage illicite des substances vénéneuses. Elle punit l'usage, la détention, l'offre et le trafic de stupéfiants de peines d'emprisonnement et d'amende : tout usager de drogue illicite encourt une peine théorique parmi les plus élevées d'Europe, qui peut aller jusqu'à 3 750 euros d'amende et un an d'emprisonnement. Conçue avant tout pour juguler le début de l'épidémie d'héroïne, à une époque où l'on ne disposait pas des traitements de substitution aux opiacés, la loi prévoyait la possibilité d'une alternative sanitaire aux poursuites judiciaires. Elle considérait le toxicomane à la fois comme un délinquant et comme un malade.

L'application de la loi a fortement évolué depuis 50 ans. Les directives de politiques pénales invitant à privilégier certaines mesures et à en proscrire d'autres et l'apparition de nouvelles sanctions visant à systématiser la réponse pénale à l'usage de stupéfiants ont modifié sa nature. Actuellement , la répression de l'usage de cannabis mobilise de manière excessive à la fois les forces de sécurité et les fonctionnaires de justice. En 2020, plus de 160 000 personnes ont été mises en cause pour infraction à la législation sur les stupéfiants (ILS), contre seulement 4 000 en 1970. Plus de 80 % de ces infractions étaient constituées par un simple usage. Le taux de réponse pénale s'élève à 98 % depuis le milieu des années 2010 - c'est-à-dire que seulement 2 % des affaires sont classées sans suite. L'essor des alternatives aux poursuites permet de limiter les classements sans suite. Les peines d'amende représentent 72 % des condamnations pour usage en 2018, contre 41 % en 2008. Ces peines se sont imposées comme la forme la plus fréquente de réponse des tribunaux, notamment en raison du recours, depuis 2007, aux ordonnances pénales. En regard, les peines d'emprisonnement ferme ont significativement reculé : en 2018, on a tout de même comptabilisé 2 251 condamnations à une peine d'emprisonnement ferme pour usage seul (sans que le produit concerné puisse être connu), probablement en lien avec des cas de récidive.

Substances mises en cause lors de l'interpellation pour usage

(en %)

L'amende forfaitaire délictuelle, appliquée sur l'ensemble du territoire depuis un an, s'inscrit dans la continuité des évolutions du traitement policier et judiciaire de l'usage de stupéfiants, de plus en plus systématique et rapide et de plus en plus souvent tourné vers les sanctions financières. Cette dynamique de pénalisation financière s'est faite au détriment des mesures individualisées à dimension sanitaire. Les alternatives aux poursuites représentent les deux tiers des orientations prononcées en matière d'usage de stupéfiants ; on note un effacement progressif au cours des années 2010 des mesures à caractère sanitaire (injonctions thérapeutiques, orientations vers une structure socio-sanitaire) au profit des rappels à la loi. Les sanctions sanitaires représentent aujourd'hui seulement 7 % des alternatives prescrites pour sanctionner un délit d'usage, le niveau le plus bas jamais enregistré. Les injonctions thérapeutiques connaissent également leur plus bas niveau (4 % des alternatives aux poursuites) et s'adressent principalement à des usagers de crack et de cocaïne. L'orientation des jeunes usagers de cannabis vers les consultations jeunes consommateurs (CJC) est quasiment tombée en désuétude.

La dynamique de pénalisation financière de l'usage de substances illicites et la systématisation de la sanction se sont développées au détriment des mesures sanitaires individualisées, contrevenant à l'esprit de la loi de 1970.

Cette politique de systématisation et d'accélération de la sanction pénale semble malheureusement inefficace pour endiguer les consommations de substances illicites en France, au premier rang desquelles le cannabis.

La France se situe dans le groupe des pays européens où la prévalence de l'usage de cannabis est la plus forte au cours de l'année chez les 18-64 ans. 1,4 million de Français consomment au moins dix fois du cannabis au cours du mois écoulé, un nombre multiplié par deux entre 2000 et 2017 ; le nombre de Français ayant fumé du cannabis au moins une fois dans sa vie a été multiplié par 3,5 entre 1992 et 2017. Si les usages tendent à se stabiliser chez les adultes, la consommation augmente continuellement chez les jeunes : l'usage au cours du mois écoulé chez les 15-16 ans est de 24 %, contre seulement 7 % en Europe. Même au sein des établissements pénitentiaires, on estime que 30 à 40 % des détenus consommeraient du cannabis. Les professionnels sanitaires et pénitentiaires de la prison de Fresnes, rencontrés par la rapporteure, ont confié leur impuissance face à la consommation endémique de cannabis, que ce soit avant l'entrée en prison ou au cours de la détention.

Évolution des niveaux d'usage de cannabis entre 1992 et 2017, parmi les 18-64 ans

(en %)

Source : Baromètres santé 1992,1995, 2000, 2005, 2010, 2014, 2017

Le trafic ne faiblit pas, et les règlements de comptes sur fond de trafic de drogue ont fait 75 morts et 248 blessés en 2020 contre respectivement 63 et 192 en 2019, d'après les chiffres du ministère de l'intérieur.

Le chef de l'État a appelé en avril 2021 à lancer un grand débat national sur la consommation de drogue et ses effets délétères. Le rapport de la mission d'information commune de l'Assemblée nationale sur la règlementation et l'impact des différents usages du cannabis et votre commission des affaires sociales estiment qu'un débat national est indispensable ; il devra avoir lieu dans un climat apaisé et éclairé. Si certains usagers ont des consommations contrôlées de cannabis, de plus en plus de personnes se rendent compte de leur dépendance, notamment à cause de l'augmentation des teneurs de THC dans les produits consommés. Les effets délétères de l'usage de cannabis chez les plus jeunes sont de mieux en mieux documentés. Il est temps de trouver collectivement une autre réponse plus efficace à cet enjeu sanitaire et sécuritaire majeur.

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