N° 179

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 décembre 2022

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi portant diverses dispositions d' adaptation au droit de l' Union européenne dans les domaines de l' économie , de la santé , du travail , des transports et de l' agriculture
(procédure accélérée),

Par M. Hervé MAUREY,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .

Voir les numéros :

Sénat :

140 et 178 (2022-2023)

L'ESSENTIEL

Réunie le 6 décembre 2022, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a examiné le rapport pour avis de M. Hervé Maurey sur le projet de loi n° 140 (2022-2023) portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture (DDADUE), déposé au Sénat le 23 novembre 2022 par le Gouvernement.

Le titre I er du projet de loi contient pour l'essentiel des dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière. C'est pourquoi la commission des finances a reçu de la commission des affaires sociales une délégation au fond pour l'examen des articles 1 à 8 et 13 .

Sur proposition de son rapporteur, la commission des finances a adopté quatre amendements , qui seront ensuite présentés à la commission des affaires sociales :

- un amendement à l'article 3 visant à poursuivre le travail d'harmonisation des dispositions applicables aux mutuelles, aux institutions de prévoyance et aux sociétés d'assurance . L'amendement prévoit ainsi d'harmoniser les exigences applicables aux dirigeants de ces organismes. Il renforce le contrôle d'honorabilité des dirigeants de mutuelles, en l'alignant sur celui prévu pour les dirigeants de sociétés d'assurance et d'institutions de prévoyance ;

- un amendement à l'article 8 visant à restreindre le champ de l'habilitation demandée par le Gouvernement pour transposer la directive relative à la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises . En l'état, il excède très largement ce qui est nécessaire à la transposition de la directive et à ses conséquences pour les dispositifs instaurés au niveau national ces dernières années ;

- enfin, deux amendements rédactionnels sur les articles 2 et 5.

I. EN DÉPIT DE LA FRÉQUENCE DES PROJETS DE LOI D'ADAPTATION AU DROIT DE L'UNION EUROPÉENNE, LA FRANCE CONNAIT ENCORE DES RETARDS DANS LA TRANSPOSITION DES DIRECTIVES OU DANS LA MISE EN CONFORMITÉ DE SON DROIT NATIONAL

Alors que la France se préparait à prendre la présidence du Conseil de l'Union européenne, au premier semestre 2022, le Gouvernement avait déposé, au mois d'avril 2021, un projet de loi d'adaptation au droit de l'Union européenne 1 ( * ) . Il visait à montrer l'exemplarité de notre pays en matière de transposition du droit de l'Union .

Force est de constater qu'à peine un peu plus d'un an après sa promulgation 2 ( * ) , la commission des finances examine de nouveau des dispositions visant à adapter le droit financier, assurantiel, bancaire et économique à la règlementation européenne, pour lesquelles la France pourrait ne pas respecter les délais requis . Le rapporteur partage les regrets du Conseil d'État, qui déplore également dans son avis le retard pris par la France.

De ce fait, la commission des finances n'a disposé que de quelques jours pour examiner des articles techniques , portant des modifications directes ou des demandes d'habilitation à adapter notre droit pour tenir compte de directives ou de règlements soit très longs - le règlement sur les contreparties centrales compte 97 articles - soit soulevant des enjeux extrêmement significatifs pour nos entreprises .

II. QUATRE DISPOSITIONS MODIFIENT DIRECTEMENT LE DROIT EN VIGUEUR POUR L'ADAPTER AU DROIT DE L'UNION EUROPÉENNE, DONT UNE POUR CORRIGER UNE ERREUR AYANT CONDUIT À IMPOSER DES OBLIGATIONS EXCÉDANT LES EXIGENCES EUROPÉENNES

Quatre articles du PJL DDADUE comportent des dispositions visant soit à adapter directement le cadre national au droit de l'Union européenne , soit à corriger des erreurs à la suite de précédentes transpositions en droit interne des évolutions du droit de l'Union.

L'article 1 er renvoie à un arrêté la définition des seuils d'applicabilité de la directive « Solvabilité 2 » et des grands risques . Ces seuils sont aujourd'hui respectivement actualisés par la loi et par un décret en Conseil d'État mais les États membres ne disposent d'aucune marge de manoeuvre lors de leur actualisation tous les cinq ans par la Commission européenne, pour tenir compte de l'inflation.

L'article 2 définit les autorités d'enregistrement et de surveillance du produit paneuropéen d'épargne retraite individuelle (PEPP), en suivant la répartition des compétences qui prévaut actuellement entre l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et l'Autorité des marchés financiers. Si le règlement européen à l'origine de ces dispositions s'applique depuis le 22 mars 2022 , ce retard n'a pas eu d'impact - le PEPP étant pour le moment un « échec patent », pour reprendre des propos entendus en audition. Un seul produit a été développé jusqu'ici, en Slovaquie. Des dispositions complémentaires pourraient être envisagées par le Gouvernement d'ici la séance publique pour permettre au PEEP de s'intégrer dans l'écosystème des produits d'épargne retraite français .

L'article 3 vise à corriger une erreur commise dans le cadre de l'adaptation du droit français aux dispositions du règlement 2019/2088 sur la publication d'informations en matière de durabilité dans les secteurs financiers (règlement « SFRD »). En effet, l'article 29 de la loi « énergie-climat » 3 ( * ) , introduit à l'initiative du Gouvernement, conduit à appliquer les exigences du règlement SFRD à tous les produits proposés par les mutuelles et les institutions de prévoyance , y compris ceux permettant par exemple de couvrir les dommages corporels liés à un accident. Or, le règlement SFRD ne vise que les produits financiers ou les produits d'investissement fondés sur l'assurance (ex. assurance vie). Le rapporteur déplore ici l'obstination du Gouvernement à avoir voulu maintenir son dispositif en l'état en 2019 en dépit des alertes de la commission des affaires économiques du Sénat sur le fait que la rédaction excédait les exigences européennes.

En complément, sur cet article, la commission a adopté un amendement visant à poursuivre le travail d'harmonisation des obligations applicables aux mutuelles, aux institutions de prévoyance et aux sociétés d'assurance. En l'occurrence, il s'agit des exigences d'honorabilité des dirigeants : les dirigeants de mutuelles ne sont pas soumis à l'exigence d'absence de condamnation depuis moins de dix ans pour des délits ou des crimes lorsqu'ils bénéficient d'une dispense d'inscription au bulletin n° 2 du casier judiciaire . Une telle dérogation n'apparaît pas justifiée de sorte que l'amendement renforce le contrôle d'honorabilité des dirigeants de mutuelles.

L'article 5 adapte le droit des titres français afin de permettre la pleine application du règlement européen 2022/858 sur un régime pilote pour les infrastructures de marché reposant sur la technologie des registres distribués (DLT) 4 ( * ) , qui englobe la blockchain. Ce régime doit favoriser l'innovation dans le secteur financier , en permettant aux autorités de supervision nationales d'accorder à des acteurs de petite ou moyenne taille certaines exemptions règlementaires , tout en assurant un niveau de protection suffisant pour les investisseurs, les clients et la stabilité du marché.

III. CINQ DEMANDES D'HABILITATION À LÉGIFÉRER PAR ORDONNANCE, DONT UNE POUR LAQUELLE LE PÉRIMÈTRE DE L'HABILITATION DOIT ÊTRE MODIFIÉ POUR NE PAS CONDUIRE À UN DESSAISISSEMENT DU PARLEMENT

Au regard du nombre important d'habilitations à légiférer par ordonnance demandées par le Gouvernement , le rapporteur a utilisé trois critères pour s'assurer de leur bon usage : 1) l'absence de marges de manoeuvre laissées au législateur et aux États membres ; 2) un contenu de l'habilitation strictement limité à ce qui est nécessaire pour assurer l'adaptation du cadre national aux actes législatifs de l'Union européenne ; 3) un délai d'habilitation cohérent avec les délais d'entrée en application des textes européens.

À cet égard, le rapporteur considère que deux articles remplissent ces conditions , sans poser par ailleurs de difficultés sur le fond. L'article 4 vise ainsi à permettre la transposition de la directive 2021/2118 du 24 novembre 2021 relative à l'assurance de la responsabilité civile des véhicules automoteurs . L'article 6 porte quant à lui sur l'adaptation du droit interne au nouveau cadre pour le redressement et la résolution des contreparties centrales (chambres de compensation), mis en place par le règlement européen 2021/23 du 16 décembre 2021.

Concernant l'article 13, c'est moins le contenu que le délai de l'habilitation qui soulève des interrogations . Elle doit permettre la transposition de la directive 2021/2167 sur les gestionnaires de crédits et les acheteurs de crédits, qui désignent les sociétés destinées soit à gérer des prêts non performants au nom des banques propriétaires, soit à acquérir ces prêts . Il s'agit, des termes mêmes du régulateur, l'ACPR, d'un chantier éminemment complexe, qui touche tant au droit bancaire qu'au droit de propriété et aux droits des emprunteurs . Le délai d'habilitation de neuf mois apparaît dès lors optimiste . Il ne peut toutefois pas être prolongé, la directive devant prendre effet le 29 décembre 2023. La directive ayant été adoptée au mois de novembre 2021, le rapporteur ne peut que regretter que le Gouvernement n'ait pas agi avant, pour éviter tout risque de dérapage calendaire .

L'article 7 soulève quant à lui des enjeux sur le fond puisqu'il a trait aux informations relatives à l'impôt sur les revenus des sociétés que devront publier les entreprises, parfois qualifié de CBCR public 5 ( * ) . Deux éléments de ce dispositif méritaient d'être approfondis, même s'il a été difficile d'obtenir des informations précises de la part du Gouvernement . Le premier concerne les obligations qui pèseront sur les entreprises , qui doivent déjà transmettre ces données à l'administration fiscale, il ne s'agit pas en effet de leur imposer une nouvelle charge déclarative . Le deuxième enjeu a trait à la transposition de la clause de sauvegarde , qui devra permettre de garantir une juste protection des entreprises, sans pour autant remettre en cause le principe même de la directive.

Alors que, sur ces deux sujets, la directive laisse certaines marges d'appréciation aux États membres et qu'elle a été publiée il y a plus d'un an désormais, le rapporteur regrette que le Gouvernement ait fait le choix d'une habilitation , au lieu de travailler à la rédaction de dispositions « en dur ». L'habilitation est par ailleurs donnée pour un délai de six mois, alors que la directive entrera en vigueur le 22 juin 2023.

À ces critiques s'ajoute en plus, pour l'article 8 , un périmètre d'habilitation bien trop large . Elle vise à permettre au Gouvernement de transposer la directive sur le reporting de durabilité des entreprises (directive « CSRD ») et de procéder à diverses modifications du régime des obligations des entreprises en matière d'enjeux sociaux, environnementaux et de gouvernance . Si le cadre européen de la documentation extra-financière est aujourd'hui fixé par la directive sur le reporting non financier (directive « NFRD »), la directive CSRD apporte des avancées significatives en incluant davantage d'entreprises, des grandes entreprises au 1 er janvier 2025 aux PME cotées au 1 er janvier 2026, en prévoyant la prise d'actes délégués par la Commission européenne pour définir précisément les informations devant être communiquées par les entreprises et en exigeant la certification des informations fournies par un commissaire aux comptes ou un organisme tiers indépendant.

Cependant, l'habilitation est demandée par le Gouvernement alors même que la directive n'a pas encore été publiée , ce qui est pour le moins inhabituel . De plus, elle est, à ce stade, beaucoup trop large. En effet, l'habilitation va bien au-delà des seules obligations d'information en permettant de procéder à des modifications des obligations des entreprises en matière d'enjeux sociaux, environnementaux et de gouvernance. Aussi un amendement a-t-il été adopté pour restreindre le champ d'habilitation aux seules mesures modifiant les obligations de publication des entreprises, dès lors que ces obligations interviendraient dans un domaine déjà couvert par la directive CSRD et par les actes délégués adoptés par la Commission européenne sur son fondement.


* 1 Hervé Maurey était également rapporteur de ce projet de loi.

* 2 Loi n° 2021-1308 du 8 octobre 2021 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine des transports, de l'environnement, de l'économie et des finances.

* 3 Loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat.

* 4 L'Autorité des marchés financiers définit la technologie des registres distribués (distributed ledgers technology - DLT) comme un nouveau type de plateforme par laquelle des transactions entre participants s'effectuent de pair à pair, c'est-à-dire sans intermédiation d'une entité centrale, et sont automatiquement enregistrées sur des serveurs communs, qui servent de registres et qui sont visibles par tous les utilisateurs de cette technologie.

* 5 Country by country reporting : reporting pays par pays des principales informations fiscales sur les entreprises.

Page mise à jour le

Partager cette page