EXAMEN DU RAPPORT

Réunie le mercredi 29 novembre 2023 sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission des affaires sociales a examiné le rapport pour avis de Mme Pascale Gruny, rapporteur pour avis, sur le projet de loi de finances pour 2024 (mission « Régimes sociaux et de retraite » et compte d'affectation spéciale « Pensions »).

Mme Pascale Gruny, rapporteur pour avis. - Il me revient de vous présenter les crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d'affectation spéciale « Pensions », que notre commission examine conjointement depuis 2018.

La mission « Régimes sociaux et de retraite » retrace les subventions d'équilibre versées par l'État aux régimes spéciaux de retraite structurellement déséquilibrés. Cette année, son périmètre est étendu aux régimes de l'Opéra de Paris et de la Comédie-Française, qui relevaient jusqu'alors de la mission « Culture ».

En 2024, les crédits de la mission progresseraient de 1,5 % par rapport à 2023, après avoir atteint un point bas en 2022. Cette augmentation s'explique en grande partie par l'indexation des pensions sur l'inflation de l'année précédente, dans un contexte de forte dynamique inflationniste. Les pensions devraient ainsi être revalorisées à hauteur de 5,3 % en 2024.

Sur les 6,23 milliards d'euros de crédits que recouvre la mission, 3,46 milliards seraient consacrés à l'équilibrage du régime du personnel de la SNCF, soit près de 56 %.

Dans la mesure où ce régime est fermé aux nouveaux entrants depuis le 1er janvier 2020, la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) et l'Agirc-Arrco, auprès desquelles sont affiliés les nouveaux agents de la SNCF, lui versent chaque année une compensation correspondant au montant des cotisations perçues au titre de l'emploi de ces agents. En effet, le régime de la SNCF conserve la responsabilité du paiement des pensions de son stock d'affiliés tandis que le produit de ses cotisations s'atrophie.

La Cnav et l'Agirc-Arrco, quant à elles, perçoivent un surcroît de cotisations à ce titre, sans avoir à supporter les charges de pension correspondantes avant plusieurs années, voire plusieurs décennies. En 2024, elles verseraient donc une compensation de 114 millions d'euros au régime de la SNCF, contre 81 millions en 2023.

Le relèvement progressif du taux de cotisation salariale applicable aux agents de la SNCF se poursuit. De 7,85 % en 2014, il s'élève aujourd'hui à 10,14 % et atteindra 10,95 % en 2026, contre 11,31 % dans le secteur privé. Au total, la subvention de l'État représenterait, en 2024, 62 % des charges de pension du régime, contre 65 % en 2023.

Le régime de la RATP, quant à lui, représente plus de 14 % des crédits de la mission. Fermé aux nouveaux entrants depuis le 1er septembre 2023 dans le cadre de la réforme des retraites, ses charges de pension seraient financées à hauteur de 64 % par la subvention d'équilibre, un niveau stable par rapport à l'an dernier.

Dans un souci d'équité, le législateur a prévu que le relèvement de deux ans de l'âge d'ouverture des droits et l'augmentation de la durée de cotisation requise s'appliquent également à eux. Le calendrier de montée en charge de la réforme est néanmoins légèrement décalé dans ces régimes, où la réforme de 2010 n'est pas encore pleinement arrivée à son terme. L'âge d'ouverture des droits atteindra donc 54 ans pour les agents de conduite de la SNCF et les agents d'exploitation de la RATP nés à partir de 1980, et 59 ans pour les agents sédentaires de la SNCF et les agents de maintenance de la RATP nés à partir de 1975. Les agents sédentaires de la RATP, quant à eux, se verront appliquer l'âge de 64 ans à compter de la génération de 1970, contre la génération de 1968 pour le droit commun.

Les services de la direction du budget n'ont pas été en mesure de me communiquer une évaluation précise de l'incidence financière de la réforme sur ces deux régimes. En tout état de cause, elle permettra d'accroître la part du financement des régimes concernés supportée par leurs bénéficiaires, au bénéfice du contribuable.

Pour terminer sur cette mission, il me faut vous indiquer que son périmètre devrait considérablement s'amenuiser dès l'année prochaine.

En effet, plutôt qu'un mécanisme conventionnel comparable à celui qui lie la Cnav, l'Agirc-Arrco et le régime de la SNCF, le Gouvernement a choisi, pour compenser les conséquences financières de la fermeture des régimes spéciaux, de les adosser au régime général, de même que l'ensemble des régimes spéciaux déjà fermés, dans le cadre de l'article 9 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024. En d'autres termes, ces régimes devraient désormais utiliser en priorité leurs réserves et bénéficieraient, une fois celles-ci épuisées, d'un versement d'équilibre de la Cnav, en lieu et place de l'État.

En contrepartie, la Cnav percevrait, d'une part, un versement de compensation de l'Agirc-Arrco et, d'autre part, des ressources de l'État correspondant aux crédits actuels de la mission, par le biais, soit d'une clé de TVA, soit d'une subvention, sans que le Gouvernement puisse nous garantir qu'il ne se désengagera pas au cours des années à venir. J'en veux pour preuve la suppression à l'Assemblée nationale des dispositions introduites par le Sénat sur mon initiative et visant à prévoir la compensation intégrale de la charge supportée dans ce cadre par le régime général.

Quoi qu'il en soit, si la modalité de compensation retenue s'avérait être une clé de TVA, la mission ne recouvrerait plus que les subventions versées aux régimes encore ouverts, à savoir ceux des marins, de l'Opéra de Paris et de la Comédie-Française, soit seulement 13 % des crédits actuels. Je souhaite donc que le Gouvernement privilégie le recours à une subvention à la Cnav, qui pourrait être retracée dans le cadre de la mission, sans perte de visibilité pour le contribuable.

J'en viens au compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions », qui retrace les recettes et les dépenses des régimes de retraite et d'invalidité des fonctionnaires de l'État.

Avec 65,1 milliards d'euros de recettes, le CAS devrait supporter 67,6 milliards d'euros de dépenses, un montant en forte hausse, à hauteur de 5 %. En effet, la dynamique inflationniste induit des niveaux élevés de revalorisation des pensions et a conduit le Gouvernement à augmenter la valeur du point d'indice de 3,5 % en 2022 et de 1,5 % en 2023, non sans effets sur les pensions, calculées sur la base du traitement indiciaire brut des six derniers mois d'activité.

Or, le principe d'un compte d'affectation spéciale est de financer certaines dépenses exclusivement par des recettes en lien direct avec elles. Par conséquent, son solde cumulé ne peut pas devenir négatif. En d'autres termes, l'État doit assurer, en tant que de besoin, le paiement des pensions de ses fonctionnaires par un relèvement du taux de sa contribution employeur.

Chaque année, le solde du CAS est donc inscrit en comptabilité pour former un solde cumulé. Celui-ci est passé de 900 millions d'euros en 2012 à 9,5 milliards d'euros en 2021 grâce aux excédents du CAS, qui résultaient à la fois de la montée en charge de la réforme des retraites de 2010, d'une inflation particulièrement faible et du relèvement progressif du taux de la contribution employeur de l'État. Ce dernier s'élève désormais à 74,28 % pour les fonctionnaires civils et à 126,07 % pour les militaires, contre 16,46 % dans le secteur privé. Je précise que ces excédents n'étaient pas mis en réserve, mais uniquement ajoutés sur le plan comptable au solde cumulé du CAS, avant d'abonder le budget général.

Or, depuis 2022, subissant les effets de sa transition démographique et du rebond de l'inflation, le régime de la fonction publique est devenu déficitaire. Son déficit devrait d'ailleurs se creuser extrêmement rapidement, passant de 600 millions d'euros en 2022 à 2,5 milliards en 2024. Le solde cumulé du CAS, qui ne s'élève plus, à ce jour, qu'à un peu plus de 8 milliards d'euros, ne devrait pas suffire à absorber ces déficits au-delà de 2025. Dès 2026, un relèvement du taux de la contribution employeur de l'État, déjà très élevé, sera donc nécessaire.

J'estime, pour ma part, qu'il est absolument indispensable d'amorcer au plus vite l'augmentation progressive de ce taux, sans quoi un relèvement soudain en 2026 serait extrêmement douloureux pour les ministères. Je regrette, à ce titre, que le service des retraites de l'État ne semble pas disposer - ou vouloir communiquer - d'une évaluation précise de l'ampleur du relèvement requis ni d'un calendrier de mise en oeuvre.

Il est particulièrement étonnant, dans ce contexte, que le Gouvernement ait prévu, dans le cadre du PLFSS, le transfert de près de 200 millions d'euros de recettes correspondant aux « gains » tirés de la réforme des retraites par le régime de la fonction publique vers le régime général. La réforme aurait dû permettre, en effet, de limiter le niveau du relèvement nécessaire du taux de la contribution employeur de l'État, dans la mesure où elle générerait une économie de l'ordre de 300 millions d'euros en 2025 et jusqu'à 1,2 milliard à l'horizon de 2035.

Au total, je vous invite, mes chers collègues, à donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission et du CAS, dans la mesure où il est inenvisageable de faire obstacle au paiement des pensions des fonctionnaires et des assurés des régimes spéciaux, mais en émettant des réserves relatives, d'une part, à l'absence de garantie de la compensation intégrale par l'État de la charge représentée par l'adossement des régimes spéciaux fermés pour le régime général ; et, d'autre part, au déficit de transparence sur l'augmentation à venir de la contribution employeur de l'État.

Mme Monique Lubin. - Je partage la totalité des conclusions de ce rapport, notamment l'inquiétude au sujet de l'article 9 du PLFSS, qui ne garantit pas la pérennisation d'un transfert de l'État pour compenser l'adossement des régimes fermés au régime général.

Concernant le CAS « Pensions », si l'État continue de diminuer significativement le nombre de ses fonctionnaires, tout comme les collectivités locales, qui n'ont pas le choix aujourd'hui, le produit des cotisations de retraite se contractera lui aussi. L'État doit donc prendre ses responsabilités et compenser cette diminution en augmentant significativement sa contribution employeur. C'est la seule solution. En tant qu'État employeur, il se doit d'assurer le paiement des retraites de ses anciens agents. Ne pas répondre à ce devoir serait une faute grave de sa part.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Tout d'abord, rappelons que l'examen de la mission « Régimes sociaux et de retraite » se fait dans un contexte particulier, après la réforme des retraites imposée aux Français avec le recours à l'article 49 alinéa 3 de la Constitution, contre les organisations syndicales et contre l'avis d'une très grande majorité de Français.

Au final, la loi de financement rectificative de la sécurité sociale (LFRSS) pour 2023 a acté la fin de cinq régimes spéciaux, dont le régime de retraite de la RATP, qui est fermé aux nouveaux embauchés depuis septembre 2023. Pour ce faire, le Gouvernement a argué que ces régimes coûtaient cher aux Français.

Cette mesure a pour conséquence d'augmenter leur déséquilibre : la caisse de retraite doit continuer à verser les pensions des retraités actuels et de ceux à venir alors qu'elle perçoit moins de cotisations.

Le surcoût trouve sa traduction à l'article 9 du PLFSS 2024, qui organise la bascule de ces régimes vers le régime général à compter de 2025, ainsi que la mise en place d'une convention prévoyant une participation de l'Agirc-Arrco.

Mme Pascale Gruny, rapporteur pour avis. - Madame Lubin, le nouveau schéma de financement des régimes spéciaux fermés entrera en vigueur en 2025. Nous aurons d'ici là l'occasion d'y apporter les ajustements nécessaires. Nous n'avons pas réussi à avoir cette année des réponses claires à nos questions au sujet de la compensation du surcoût pour la Cnav. Le Gouvernement hésite encore entre une subvention et une clé de TVA ; nous ne sommes pas favorables à cette seconde option, qui serait de nature à limiter la visibilité du contribuable sur ces financements.

Concernant la situation du régime de la fonction publique, le gel des recrutements entraîne naturellement celui des recettes, mais ce mouvement conduira, de fait, à moins de dépenses de pensions à l'avenir. L'essentiel est d'adapter l'organisation des services publics de telle sorte qu'ils soient à la hauteur des attentes de nos concitoyens. Il ne s'agit pas de recruter dans le seul but de payer les pensions de retraite des fonctionnaires.

Madame Apourceau-Poly, ne relançons pas le débat sur les retraites... Les régimes spéciaux sont structurellement déséquilibrés. La fin de ces régimes spéciaux aggrave en effet ce déséquilibre, mais cet effet sera compensé par l'adossement à la Cnav et la contribution de l'Agirc-Arrco. Ces régimes ont vocation à s'éteindre autour de 2120.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d'affectation spéciale « Pensions ».

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