N° 131

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 novembre 2023

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur le projet
de
loi de finances, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale
en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour
2024,

TOME V

SOLIDARITÉ, INSERTION ET ÉGALITÉ DES CHANCES

Par M. Laurent BURGOA,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Mouiller, président ; Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale ; Mme Pascale Gruny, M. Jean Sol, Mme Annie Le Houerou, MM. Bernard Jomier, Olivier Henno, Xavier Iacovelli, Mmes Cathy Apourceau-Poly, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge, vice-présidents ; Mmes Viviane Malet, Annick Petrus, Corinne Imbert, Corinne Féret, Jocelyne Guidez, secrétaires ; Mmes Marie-Do Aeschlimann, Christine Bonfanti-Dossat, Corinne Bourcier, Céline Brulin, M. Laurent Burgoa, Mmes Marion Canalès, Maryse Carrère, Catherine Conconne, Patricia Demas, Chantal Deseyne, Brigitte Devésa, M. Jean-Luc Fichet, Mme Frédérique Gerbaud, M. Khalifé Khalifé, Mmes Florence Lassarade, Marie-Claude Lermytte, Monique Lubin, Brigitte Micouleau, M. Alain Milon, Mmes Laurence Muller-Bronn, Solanges Nadille, Anne-Marie Nédélec, Guylène Pantel, M. François Patriat, Mmes Émilienne Poumirol, Frédérique Puissat, Marie-Pierre Richer, Anne-Sophie Romagny, Laurence Rossignol, Silvana Silvani, Nadia Sollogoub, Anne Souyris, MM. Dominique Théophile, Jean-Marie Vanlerenberghe.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) : 16801715, 1719, 1723, 1745, 1778, 1781, 1805, 1808, 1820 et T.A. 178

Sénat : 127 et 128 à 134 (2023-2024)

4=4)3)

L'ESSENTIEL

La commission des affaires sociales a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » du projet de loi de finances (PLF) pour 2024, à nouveau marqués par la revalorisation des prestations sociales et de l'aide alimentaire pour faire face à l'inflation. Elle a également émis un avis favorable à l'adoption des articles 64 et 65 rattachés à la mission. Elle a enfin proposé l'adoption d'un amendement de crédits relatif au financement de postes de mandataires judiciaires à la protection des majeurs (MJPM).

I. UNE MISSION QUI VOIT À NOUVEAU LA SOLIDARITÉ MISE AU DÉFI DE L'INFLATION

A. DES DÉPENSES DYNAMIQUES DU FAIT DES REVALORISATIONS SUCCESSIVES DE PRESTATIONS

Portant les crédits alloués aux politiques publiques destinées à lutter contre la pauvreté, à la réduction des inégalités et à la protection des personnes vulnérables, la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » est naturellement destinée à jouer un rôle d'amortisseur social lors des crises. Cela se traduit par une part très majoritaire de dépenses d'intervention, qui cumulent 95,7 % des crédits de la mission.

Pour 2024, les crédits demandés s'élèvent à 30,85 milliards d'euros, en hausse de 4,64 % par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2023. À elle seule, cette mission représente 6,28 % des crédits de paiement du budget général proposé dans le PLF. Par ailleurs les dépenses fiscales rattachées à la mission sont évaluées à 12,27 milliards d'euros, soit 39,8 % du montant total des dépenses budgétaires de la mission.

 
 

de dépenses d'interventions

de dépenses discales

La mission comprend quatre programmes, dont la charge budgétaire est principalement constituée de la prime d'activité, soit 10,46 milliards d'euros financés par le programme « Inclusion sociale et protection des personnes », et de l'allocation aux adultes handicapés (AAH, 13,7 milliards d'euros) inscrite sur le programme « Handicap et dépendance ». À elles seules, ces deux prestations représentent 78,5 % des crédits de la mission.

Le programme « Égalité entre les femmes et les hommes », qui représente 0,25 % des crédits de la mission, prévoit notamment la création d'une aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales.

Enfin, le programme « Conduite et soutien des politiques sanitaires et sociales », doté de 1,35 milliard d'euros, finance l'ensemble des emplois et moyens de fonctionnement des ministères des solidarités et de la santé, ainsi que la subvention pour charge de service public versée aux agences régionales de santé (ARS).

Répartition et évolution des crédits entre les programmes de la mission

(en %)

(en milliards d'euros)

 

Source : Commission des affaires sociales du Sénat

La progression des crédits de la mission, particulièrement dynamique puisque leur hausse de 4,64 % est à replacer dans le contexte d'une contraction de 3,6 % du budget général de l'État, s'explique par différents facteurs :

le maintien d'un haut niveau d'inflation, qui nécessite des mesures gouvernementales d'aide pour les ménages les plus précaires. Il s'agit principalement de la revalorisation des allocations (AAH, prime d'activité, RSA recentralisé), ainsi que de l'augmentation des crédits dédiés à l'aide alimentaire ;

une évolution tendancielle des dépenses de guichet de la mission, qui tient à la fois à l'augmentation des bénéficiaires de l'AAH et au dynamisme du marché du travail qui augmente mécaniquement le recours à la prime d'activité ;

de nouvelles dépenses pérennes, avec la création d'une allocation universelle pour les violences faites aux femmes (+ 13 millions d'euros) ;

des mesures de périmètre et de transfert, notamment concernant les moyens dédiés aux prestations d'aide sociale à destination des personnes sans domicile fixe âgées ou en situation de handicap auparavant financés par le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables ».

L'augmentation faciale des moyens de la mission (+ 4,64 %) est à remettre en perspective avec le niveau de l'inflation : hors revalorisations légales de l'AAH et de la prime d'activité, les crédits de la mission n'augmentent que de 0,9 %.

B. UN SCHÉMA D'EMPLOI EN HAUSSE, EN DÉPIT DE DIFFICULTÉS PERSISTANTES DE RECRUTEMENT

Le programme 124, qui regroupe les moyens de fonctionnement et la masse salariale des ministères sociaux, voit sa dotation s'établir à 1,35 milliard d'euros en 2024 (+ 0,97 %). Cette augmentation s'explique en partie par le schéma d'emploi positif prévu pour l'année, avec + 68 ETPT supplémentaires, majoritairement dans les services déconcentrés. Parallèlement les agences régionales de santé voient leur subvention pour compensation de service public (SCSP) augmenter, également pour partie afin de financer de nouveaux recrutements dans les domaines de l'autonomie et du handicap.

Le rapporteur salue ces créations de postes dans des secteurs qui voient leur activité augmenter tendanciellement, mais émet un point de vigilance quant à leur réalité et à leur pérennité du fait du déficit d'attractivité dont souffre la sphère sociale.

II. INCLUSION SOCIALE : UNE HAUSSE DES CRÉDITS POUR RÉPONDRE À L'URGENCE SOCIALE, QUI RESTE À TRADUIRE DANS LES TERRITOIRES

A. PRIME D'ACTIVITÉ ET RSA : DES DÉPENSES INCERTAINES COMPTE TENU DE L'INFLATION ET DES EFFETS BUDGÉTAIRES DES RÉFORMES ENTAMÉES

Le nombre de bénéficiaires de la prime d'activité a sensiblement augmenté depuis la fin de la crise sanitaire sous l'effet mécanique de la reprise économique, atteignant 4,61 millions de foyers en 2023. Les montants ouverts en LFI pour 2024 à hauteur de 10,46 milliards d'euros conduisent à une baisse de 0,41 % par rapport à 2023. Compte tenu de l'inflation persistante et de la revalorisation légale attendue en avril 2024, cette légère diminution des crédits est de nature à mettre en doute la fiabilité de la budgétisation.

Parallèlement, les dépenses de RSA restent globalement stables
(- 0,81 %)
 :

dans le cadre du transfert de la compétence RSA en outre-mer1(*) et de l'expérimentation ouverte en 20222(*) pour les départements de Seine-Saint-Denis, de l'Ariège et des Pyrénées-Orientales, elles représentent respectivement 834 millions d'euros en outre-mer et 724 millions en métropole. Ces estimations de dépense prennent en compte la revalorisation annoncée de 4,6 % en avril 2024 ;

- en lien avec l'aide exceptionnelle de fin d'année, dont les 448 millions d'euros de crédits concernent près de 90 % des bénéficiaires du RSA.

L'année 2024 doit par ailleurs permettre de déployer plusieurs réformes concernant les dépenses en question, dont l'impact budgétaire reste encore à préciser. Il s'agit notamment du projet de loi pour le plein emploi, qui rénove le contrat d'engagement des bénéficiaires du RSA, avec des effets budgétaires incertains sur le taux de non-recours et sur le financement effectif des quinze heures d'activités hebdomadaire. Parallèlement, la montée en charge de la réforme du prélèvement à la source, déjà plusieurs fois reportée, est de nature à sensiblement augmenter les dépenses du programme en allocations.

B. PROTECTION JURIDIQUE DES MAJEURS ET DES MINEURS EN DANGER : MIEUX SOUTENIR LES ACTEURS POUR ÉVITER LA MALTRAITANCE

 

mesures de
protection exercées par mandataires

La mission consacre 857 millions d'euros à la protection juridique des majeurs en 2024, avec une hausse de 3,87 % pour assurer le financement des services de mandataires, des mandataires individuels et d'action d'information et de soutien aux tuteurs familiaux (ISTF). Cette hausse est le fruit d'un effet prix lié aux revalorisations salariales (+ 2,8 %) et de l'augmentation tendancielle du nombre de mesures prononcées par la justice du fait du vieillissement de la population.

Pour répondre à l'augmentation tendancielle de cette activité, qui aboutit à ce qu'un mandataire exercent en moyenne 56,4 mesures contre un niveau optimal évalué à 45 mesures par les acteurs du secteur, c'est une trajectoire pérenne d'augmentation qui est nécessaire afin d'éviter toute forme de maltraitance institutionnelle. Le rapporteur propose donc de reconduire la création de 200 postes, votée par le Sénat l'an dernier, en abondant cette action de 11 millions d'euros.

Les crédits consacrés à la protection et à l'accompagnement des enfants, des jeunes et des familles vulnérables connaissent pour leur part une baisse de 5,92 %, et s'établissent à 311 millions d'euros.

Concernant la seule compensation aux départements des frais relatifs à la mise à l'abri et à l'évaluation de la minorité des mineurs non accompagnés (MNA), les crédits prévus de 67,7 millions d'euros actent un retrait de 22,1 millions d'euros. La direction générale de la cohésion sociale (DGCS) justifie notamment cette diminution par l'impact du projet de loi immigration sur les flux de MNA, estimé à - 7,1 millions d'euros. Cette diminution semble pour le moins optimiste, et risque in fine de mettre en difficulté la trésorerie des départements.

L'obligation pour les départements, prévue par la loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, introduite par le Sénat, d'accompagner les jeunes majeurs de moins de 21 ans sortant de l'ASE est compensée par un abondement de 50 millions d'euros en faveur des collectivités en 2024. Ce montant paraît déconnecté de la charge réelle, puisque des crédits équivalents ont été proposés lors de la dernière loi de finances, alors qu'entre-temps les départements constatent une augmentation de 15 % de cette dépense.

Le manque de moyens alloués aux services mettant en oeuvre la protection des personnes, majeures comme mineures, risque de mettre en difficulté la trésorerie des collectivités territoriales et des associations concernées, voire de conduire à des situations de maltraitances institutionnelles.

C. DE LA STRATÉGIE PAUVRETÉ AU PACTE DES SOLIDARITÉS : DES ANNONCES NATIONALES AMBITIEUSES, QUI RESTENT À CONCRÉTISER DANS LES TERRITOIRES

La stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté (2018-2022) arrivant à son terme, le « Pacte des solidarités » a été dévoilé en septembre par la Première ministre afin d'en prendre le relai. Doté de 260 millions d'euros sur le périmètre de la mission - dont les 70 millions du programme « Mieux manger pour tous » - ce pacte comporte 25 mesures réparties sur quatre axes thématiques :

« Prévenir la pauvreté et lutter contre les inégalités dès l'enfance » : axe qui recouvre en partie les actions menées dans le cadre de la stratégie interministérielle de prévention et de lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes, dont les crédits n'ont en conséquence pas été reconduits ;

« Amplifier la politique d'accès à l'emploi pour tous » : axe qui s'inscrit dans la logique de la levée des freins périphériques à l'emploi, développée dans le cadre de la loi pour le plein emploi enrichie par le Sénat ;

« Lutter contre la grande exclusion grâce à l'accès aux droits » : axe qui concerne essentiellement le déploiement opérationnel de la solidarité à la source pour lutter contre le non-recours ;

« Construire une transition écologique solidaire » : axe qui vise notamment à lutter contre les dépenses contraintes en matière de logement, de mobilité, d'eau et d'énergie.

S'il a pu être reproché à l'ancienne stratégie nationale d'être peu lisible du fait de son périmètre qui a évolué - initialement dédiée à la jeunesse, elle a été élargie à tous les publics du fait de la crise sanitaire - cette remarque est également valable pour le Pacte des solidarités. La DGCS indique ainsi qu'il permettra d'augmenter de 50 % les crédits dédiés à la lutte contre la pauvreté d'ici 2027. Or il est extrêmement difficile de retracer la nature de ces financements, dont une partie substantielle consiste en un fléchage de dépenses identiques auparavant abritées par d'autres actions. L'éclatement du financement de ce pacte entre plusieurs missions contribue à en amoindrir la lisibilité pour le Parlement comme pour les acteurs concernés.

En revanche, le rapporteur se félicite que le Pacte des solidarités prévoie de poursuivre et d'amplifier la pratique de contractualisation avec les collectivités territoriale pour lutter contre les pauvretés.

 

des crédits du Pacte sont destinés à la contractualisation avec les collectivités

Il s'agit notamment, dans le cas des départements, des contrats d'appui à la lutte contre la pauvreté et d'accès à l'emploi (Calpae) qui, selon la DGCS, ne comporteront plus de mesures obligatoires, mais verront leurs actions déterminées à la suite d'un travail commun de diagnostic territorial.

D. L'AIDE ALIMENTAIRE : UNE AUGMENTATION DES CRÉDITS ENCORE INSUFFISANTE POUR RÉPONDRE À LA CRISE INFLATIONNISTE

Les crédits consacrés à l'aide alimentaire se voient portés à 142 millions d'euros, actant une augmentation de 20,6 % de la dépense, qui ne répond pourtant qu'imparfaitement aux besoins et à la situation rencontrés par les banques alimentaires.

Face au maintien d'une inflation élevée sur les denrées alimentaires (+ 13,7 % en 2023), les banques alimentaires sont touchées par un effet ciseaux :

une augmentation des files actives : les Restos du coeur ont ainsi vu une augmentation de 25 % du nombre de leurs demandeurs. Cet accroissement des besoins de l'aide alimentaire se double de l'apparition de nouveaux publics qui n'étaient que peu concernés par ce phénomène jusque-là, notamment de personnes en situation d'emploi stable ;

des difficultés croissantes d'approvisionnement : l'augmentation du coût des denrées alimentaires met en danger le financement des associations proportionnellement à la part que représentent les achats dans les denrées qu'ils distribuent. Parallèlement, si les dons des particuliers se sont maintenus, ceux en provenance de la grande distribution se tarissent pour les mêmes raisons.

 
 

de personnes accueilles par les banques alimentaires depuis 2020

des personnes ayant recours à l'aide alimentaire ont un CDI

Cette conjoncture particulière met en danger les banques alimentaires, ainsi que leurs bénéficiaires, ce dont témoigne la campagne médiatisée d'appel aux dons des Restos du coeur.

Compte tenu des retours des associations et des auditions menées, le rapporteur considère que l'effort réalisé sur cette mission n'est pas suffisant pour assurer la pérennité de ces actions.

Cependant, afin d'assurer une aide la plus rapide possible aux associations concernées, le rapporteur estime préférable qu'une dotation supplémentaire de 30 millions d'euros trouve sa place dans le projet de loi finances de fin de gestion plutôt que dans le PLF. À ce titre, il salue les efforts des rapporteurs du texte de la commission des finances.

III. HANDICAP ET DÉPENDANCE : UNE ANNÉE BUDGÉTAIRE PLACÉE SOUS LE SIGNE DE LA DÉCONJUGALISATION DE L'AAH

A. LA DÉCONJUGALISATION, UNE MESURE ATTENDUE QUI NE DOIT PAS METTRE FIN AUX RÉFLEXIONS CONCERNANT L'AAH

Les crédits dédiés au versement de l'AAH représentent 13,7 milliards d'euros pour 2024, ce qui marque une augmentation sensible de 9,3 %. Cette dépense est dynamique par nature (+ 44 % depuis 2018) du fait de l'augmentation des bénéficiaires et des revalorisations exceptionnelles (2018, 2019 et 2022) et légales (1er avril de chaque année pour prendre en compte l'inflation).

Cependant la hausse constatée des crédits pour l'année 2024 prend également en compte la mesure de déconjugalisation de l'AAH, entrée en vigueur au 1er octobre 2023, dont le coût en année pleine est évalué à 500 millions d'euros. Mise en place par la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat, la déconjugalisation de l'AAH était une mesure attendue par les personnes en situation de handicap, qui consiste à exclure les ressources du conjoint de la base ressource utilisée pour le calcul du montant de l'allocation. Son entrée en vigueur devrait permettre à 40 000 bénéficiaires en couple de voir leur allocation augmenter et à 80 000 nouvelles personnes de bénéficier de l'AAH.

Décomposition des facteurs d'augmentations de la dépense liée à l'AAH en 2024

Source : Commission des affaires sociales du Sénat

Un point d'attention doit demeurer quant à la conjugalisation des allocations des adultes en situation de handicap. En effet, la déconjugalisation de l'AAH risque d'entraîner des décrochements de revenus dans les parcours de vie de certains bénéficiaires, notamment pour ceux qui bénéficieront de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), qui elle n'est pas déconjugalisée.

Les articles additionnels rattachés à la mission

Deux amendements portant articles additionnels introduits par amendements lors de la discussion du PLF pour 2024 à l'Assemblée nationale ont été retenus par le Gouvernement dans le texte sur lequel il a engagé sa responsabilité, et rattachés à la mission « Solidarité, insertion et égalités des chances » :

 L'article 64 vise à permettre aux bénéficiaires de l'AAH de continuer à percevoir leur allocation s'ils décident de poursuivre leur activité après leur âge d'ouverture des droits à la retraite ;

 L'article 65 prévoit le maintien, pour les bénéficiaires de l'AAH qui perdraient le bénéfice de cette allocation à la suite de la revalorisation de leur pension du fait de la réforme des retraites, des prestations liées à l'AAH que sont la majoration pour la vie autonome (MVA) et le complément de ressources (CR).

Le rapporteur émet un avis favorable à l'adoption de ces articles qui permettent de tirer les conséquences de la réforme des retraites.

B. UN RAPPROCHEMENT DES TRAVAILLEURS ACCOMPAGNÉS AVEC LES SALARIÉS DU MILIEU ORDINAIRE QUI REND URGENTE LA REDÉFINITION DU MODÈLE DE FINANCEMENT DES ÉSAT

Le programme « Handicap et dépendance » contribue également à soutenir les établissements et services d'accompagnement par le travail (Ésat) à hauteur de 1,61 milliard d'euros en 2023, en leur versant une garantie de rémunération des travailleurs handicapés (GRTH) pour près de 120 000 travailleurs handicapés.

Le plan de transformation des Ésat lancé en 2021 est arrivé à son terme, mais différentes mesures ont été adoptées dans sa continuité à l'occasion du projet de loi pour le plein emploi. Ces dispositions renforcent les droits sociaux des travailleurs en Ésat et les font converger vers ceux reconnus aux salariés par le code du travail :

- reconnaissance des droits collectifs fondamentaux (droit syndical, droit de grève, droit d'alerte et de retrait) ;

- renforcement de l'association aux travaux du comité social et économique ;

- prise en charge des frais de transports domicile-travail ;

- extension du bénéfice des titres restaurants et des chèques vacances ;

- bénéfice d'une complémentaire santé.

Le rapporteur partage le souci d'une convergence des droits des travailleurs handicapés bénéficiant d'un accompagnement par le travail avec ceux des travailleurs en milieu ordinaire.

Il souligne cependant que les conséquences de ces nouveaux droits des travailleurs handicapés sur la trésorerie des Ésat sont réelles, et qu'il est urgent d'en repenser le modèle de financement, ce d'autant que des réflexions sont en cours sur l'augmentation de la rémunération des travailleurs des Ésat.

 
 

des ÉSAT sont en déficit

Coût de la mise en place d'une complémentaire santé pour les travailleurs handicapés dans les Ésat

IV. ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES : L'AIDE UNIVERSELLE D'URGENCE POUR LES PERSONNES VICTIMES DE VIOLENCES CONJUGALES, ADOPTÉE À L'INITIATIVE DU SÉNAT, SE CONCRÉTISE EN 2024

Les crédits du programme « Égalité entre les femmes et les hommes » représentent 76 millions d'euros, en hausse de 16,26 % par rapport à 2023. Cette hausse est à relativiser dans la mesure où, à périmètre égal, c'est-à-dire sans la création de l'aide aux victimes de violences conjugales, les crédits seraient en baisse de 3,65 %.

 

victimes de violences conjugales pourront
bénéficier de
l'aide nouvellement créée en 2024

Issue d'une proposition initiale du Sénat, la loi n° 2023-140 du 28 février 2023 crée une aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales. Cette aide d'urgence octroyée aux victimes de violences commises par le conjoint, le partenaire pacsé ou le concubin doit permettre une mise à l'abri, mais également assurer que les violences économiques ne font pas obstacle à un projet de séparation. Universelle, elle prend la forme, selon la situation financière et sociale de la victime et de la présence d'enfants, d'un prêt sans intérêt ou d'une aide financière sans contrepartie.

Cette aide doit entrer en vigueur d'ici la fin de l'année 2023, et les textes d'application sont attendus pour le 1er décembre selon la DGCS. Ils doivent notamment préciser les obligations d'information relevant des services de police, la manière dont le versement doit intervenir dans les trois ou cinq jours ouvrés, et l'articulation qu'elle connaît avec les droits à l'allocation du revenu de solidarité active (RSA).

Les crédits consacrés à cette nouvelle aide représentent 13 millions d'euros, estimation qui devra être réévaluée une fois les premiers retours d'expérience acquis, de même que le déploiement opérationnel au sein des CAF devra faire l'objet d'une vigilance particulière compte tenu de la nouveauté du dispositif.

Le rapporteur se félicite également que les associations oeuvrant pour l'égalité femmes-hommes aient été finalement entendues par le Gouvernement concernant le soutien aux actions de communication institutionnelles sur ce sujet, action qui voyait initialement ses crédits diminuer de moitié pour atteindre 600 000 euros.

Le rétablissement de l'enveloppe prévue en 2023 pour les actions de communication institutionnelle était d'autant plus important l'année des jeux Olympiques de Paris 2024 compte tenu des risques accrus de violences sexuelles et sexistes - mais aussi de traite des personnes - qui existent lors de tels évènements.

Réunie le mercredi 22 novembre 2023 sous la présidence de Philippe Mouiller, la commission des affaires sociales a examiné le rapport pour avis de Laurent Burgoa sur les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » du projet de loi de finances pour 2024.

Elle a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission, ainsi qu'aux articles 64 et 65 qui lui sont rattachés, sous réserve de l'adoption d'un amendement visant à garantir le financement de postes de mandataires judiciaires à la protection des majeurs.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 22 novembre 2023, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission examine le rapport pour avis de M. Laurent Burgoa sur la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » du projet de loi de finances pour 2024.

M. Philippe Mouiller, président. - Nous examinons à présent les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».

M. Laurent Burgoa, rapporteur pour avis de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». - Les crédits de paiement (CP) de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » s'élèvent à 30,85 milliards d'euros pour 2024, en hausse de 4,64 % par rapport à 2023.

À elles seules, deux prestations représentent 78,5 % des crédits de la mission : la prime d'activité et l'allocation aux adultes handicapés (AAH). À la faveur d'une inflation persistante, les crédits de la mission ont augmenté de 18 % depuis 2021, principalement du fait de la revalorisation de ces prestations.

Ce dynamisme est principalement porté par la revalorisation légale des prestations sociales - AAH, prime d'activité, revenu de solidarité active (RSA) recentralisé -, mais également par la mise en oeuvre de la déconjugalisation de l'AAH. Cette mesure, attendue par les personnes en situation de handicap, est entrée en vigueur au 1er octobre 2023, pour un coût en année pleine évalué à 500 millions d'euros. En excluant les ressources du conjoint de la base ressource utilisée pour le calcul du montant de l'allocation, elle devrait permettre à 40 000 bénéficiaires en couple de voir leur allocation augmenter, et à 80 000 nouvelles personnes de bénéficier de l'AAH.

En 2024 de nouveau, la mission sera mise à contribution pour répondre à l'urgence sociale qui résulte de l'inflation durable, qui était de plus de 4 % sur les douze derniers mois, mais atteint près de 13 % pour les seules denrées alimentaires. Les associations de solidarité et les départements font face à la fois à une augmentation soutenue des demandes d'aides et d'accompagnement et au renchérissement de l'ensemble de leurs coûts.

Au sein du programme « Inclusion sociale et protection des personnes », doté de 14,35 milliards d'euros au total, les crédits inscrits au titre de la prime d'activité s'élèvent pour 2024 à 10,46 milliards d'euros, pour la première fois en baisse depuis la reprise économique après la crise sanitaire. L'effectif des bénéficiaires reste stable, atteignant en moyenne 4,61 millions de foyers en 2024, ce qui s'explique par un fléchissement de l'amélioration sur le marché du travail.

Je pourrais, malheureusement, endosser à l'identique les remarques de mon prédécesseur, Jean Sol que je salue chaleureusement, puisque le déploiement de la « solidarité à la source » promise par le Président de la République, visant à réduire les indus en matière de prime d'activité, n'a toujours pas été réalisé.

Parallèlement, les crédits dédiés au RSA dans les départements où il a été recentralisé, de manière pérenne en outre-mer ou à titre expérimental pour les départements de la Seine-Saint-Denis, des Pyrénées-Orientales et de l'Ariège, restent stables à hauteur de 1,56 milliard d'euros. Nous devrons être particulièrement vigilants dans la mise en oeuvre de la loi pour le plein emploi, récemment votée, concernant le contrat d'engagement des bénéficiaires du RSA. S'il est acté que la compensation de la charge liée au transfert de la compétence RSA aux départements a été une énième occasion pour le Gouvernement de diminuer l'autonomie financière de ces derniers, charge à nous de nous assurer que les quinze heures d'activités offertes aux bénéficiaires seront effectives, et dûment compensées.

Les auditions menées avec les réseaux de l'aide alimentaire ont confirmé les difficultés des banques alimentaires à répondre aux besoins croissants, alors que dans le même temps leurs coûts d'approvisionnement augmentent. Les crédits consacrés s'établiront en 2024 à 142 millions d'euros, soit 20 % de plus qu'en 2023. Pourtant, cela reste encore insuffisant pour répondre à l'augmentation de files actives et à l'apparition de nouveaux publics : 10,7 % des personnes ayant recours à l'aide alimentaire ont un contrat à durée indéterminée (CDI).

C'est pourquoi, je salue l'initiative de mes collègues de la commission des finances, rapporteurs du projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023, qui ont obtenu du Gouvernement une dotation supplémentaire de 30 millions d'euros pour ces associations. Ce financement pourra ainsi être injecté plus rapidement dans la trésorerie des associations concernées que via le PLF pour 2024.

Concernant la lutte contre la pauvreté, le pacte des solidarités succède à la stratégie 2018-2022. Doté de 260 millions d'euros sur le périmètre de la mission, il comporte quatre axes pour lutter contre les inégalités dès l'enfance, amplifier l'accès à l'emploi pour tous, garantir l'accès aux droits et construire une transition écologique solidaire. Derrière les effets d'annonce, la lisibilité du plan laisse à désirer pour qui voudrait en saisir la portée réelle. La direction générale de la cohésion sociale (DGCS) m'assure qu'il permettra d'augmenter de 50 % les crédits consacrés à lutter contre la pauvreté d'ici à 2027. Mais dans le détail, une grande partie du pacte relève d'autres missions et de nombreuses dépenses fléchées dans la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » étaient auparavant abritées dans d'autres actions, si bien qu'en définitive il est impossible d'apprécier l'évolution de la dépense à périmètre constant. Cependant, je me réjouis que ce pacte poursuive la pratique de contractualisation avec les collectivités territoriales en y destinant 53 % de ses crédits.

Le programme consacre également 311 millions d'euros à la protection et à l'accompagnement des enfants, des jeunes et des familles vulnérables, enregistrant une baisse de 5,92 % des crédits. Concernant la seule compensation aux départements des frais relatifs à la mise à l'abri et à l'évaluation de la minorité des mineurs non accompagnés (MNA), les 67,7 millions d'euros prévus actent d'un retrait de l'engagement de l'État à hauteur de plus de 22 millions d'euros. La DGCS justifie cette diminution par l'impact escompté des mesures prévues dans le projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration sur les flux de MNA, de l'ordre de 7 millions d'euros. Même si j'espère à terme que le projet de loi portera ces effets, cette estimation me semble, à ce jour, pour le moins optimiste, alors que l'année 2023 a plutôt vu les flux repartir à la hausse. Or si l'optimisme est une vertu que je cultive à titre personnel, il est de nature à risquer de mettre en difficulté les finances déjà éprouvées des départements.

Par ailleurs, l'obligation faite à ces mêmes départements, introduite par le Sénat lors de la loi de février 2022 relative à la protection des enfants, d'accompagner les jeunes majeurs de moins de 21 ans sortant de l'aide sociale à l'enfance (ASE) sera compensée par un abondement de 50 millions d'euros en faveur des collectivités en 2024. Ce montant paraît déconnecté de la charge réelle, puisqu'il se borne à reconduire la dotation de 2023, alors que les départements ont constaté une augmentation de 15 % de la dépense.

Pour la protection juridique des majeurs, les crédits s'élèveront en 2024 à 857 millions d'euros, en hausse de 3,87 %. Cette hausse provient d'une revalorisation salariale de 2,8 % et de l'augmentation tendancielle du nombre de mesures prononcées par la justice du fait du vieillissement de la population. L'année dernière, une initiative du président Mouiller avait conduit à adopter un amendement de crédits d'un montant de 40 millions d'euros afin de répondre à cette charge de travail croissante. Cet amendement, non retenu par le Gouvernement, devait permettre d'entamer une trajectoire haussière. Afin de diminuer le nombre de mesures par mandataire - on compte actuellement 56 mesures par mandataire -, je vous proposerai de soutenir un amendement de crédits de 11 millions d'euros pour recruter 200 professionnels de plus, afin de minimiser le risque de violences institutionnelles envers les majeurs protégés.

L'évolution du programme « Handicap et dépendance » témoigne d'un engagement réel en faveur de l'autonomie des personnes handicapées, avec 15,38 milliards d'euros, soit une hausse de 9,2 % des crédits.

L'entrée en vigueur au 1er octobre 2023 de la mesure de déconjugalisation de l'AAH, longtemps soutenue par le Sénat contre l'avis du Gouvernement est une avancée, ouvrant toutefois des interrogations sur les décrochages de revenus que pourraient subir les bénéficiaires de l'AAH lorsqu'ils basculeront sur l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), qui, elle, est conjugalisée.

Le Gouvernement a également retenu deux amendements portant articles additionnels dans le texte sur lequel il a engagé sa responsabilité, lesquels ont été rattachés à la mission. L'un vise à permettre aux bénéficiaires de l'AAH de continuer à percevoir leur allocation s'ils décident de poursuivre leur activité après leur âge d'ouverture des droits à la retraite. L'autre prévoit le maintien pour les bénéficiaires de l'AAH des prestations liées - majoration pour la vie autonome et complément de ressources - lorsqu'ils perdent le bénéfice de l'AAH du fait de la revalorisation de leur pension. Ces deux articles tirent les conséquences directes de la réforme des retraites adoptée lors de la dernière session parlementaire. Aussi, je vous proposerai d'émettre un avis favorable à leur adoption.

Le programme « Handicap et dépendance » prévoit également le financement aux établissements et services d'aide par le travail (Ésat) de la garantie de ressources des travailleurs handicapés (GRTH) soit la rémunération de 120 000 travailleurs, qui représentera 1,61 milliard d'euros en 2024. Les récentes mesures adoptées dans le cadre du projet de loi pour le plein emploi visent à renforcer les droits sociaux des travailleurs en Ésat pour les rapprocher de ceux du milieu ordinaire : prise en charge des frais de transport, bénéfice d'une complémentaire santé, de titres-restaurant et de chèques-vacances. Cet alignement des droits des travailleurs handicapés sur le code du travail rend d'autant plus urgente l'évolution du modèle de financement des Ésat. Comment, sinon, absorber le seul coût de la mise en place d'une complémentaire santé évalué à 36 millions d'euros pour les Ésat, alors que 27 % d'entre eux sont en déjà en situation de déficit ?

Pour finir, les crédits du programme « Égalité entre les femmes et les hommes » s'élèvent à 76 millions d'euros pour 2024, en hausse de 16,26 % par rapport à l'année dernière. Cette augmentation s'explique par la création, sur l'initiative de notre collègue Valérie Létard, d'une allocation universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales. Dotée de 13 millions d'euros, elle entrera en vigueur au 1er janvier 2024 et permettra d'offrir aux femmes victimes de violences conjugales, sous trois jours, les moyens d'une mise à l'abri réactive et l'espoir d'un nouveau départ.

Je me félicite que le Gouvernement ait retenu un amendement de l'Assemblée nationale permettant de rétablir les crédits consacrés aux communications institutionnelles à leur niveau de 2023. Il aurait été incompréhensible que l'année où la France accueille les jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 cette enveloppe diminue de moitié, alors même que de tels événements accroissent les risques de violences sexistes et sexuelles et de traite des personnes.

Au total, l'évolution de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » témoigne d'une intervention croissante de l'État face à la crise inflationniste. Son poids dans les finances publiques, plus de 6 % du budget général, doit nous conduire à suivre avec attention les chantiers qui s'ouvrent en la matière.

À l'issue de cet examen, je vous propose de donner un avis favorable aux crédits de la mission, ainsi qu'aux articles 64 et 65 qui lui sont rattachés, et d'adopter un amendement augmentant de 11 millions d'euros les crédits de l'action n° 16 « Protection juridique des majeurs » du programme « Inclusion sociale et protection des personnes ».

M. Philippe Mouiller, président. - Merci au rapporteur pour la qualité de son travail.

Permettez-moi de faire une remarque sur la déconjugalisation : lors de nos travaux en commission, nous avions chiffré la mesure à 500 millions d'euros. Le Gouvernement nous avait alors objecté que celle-ci était largement sous-estimée. Je constate que notre estimation se révèle aujourd'hui fondée.

Mme Annie Le Houerou. - Cette mission regroupe quatre programmes dont l'AAH et la prime d'activité représentent, à elles seules, 75 % des crédits de la mission.

Concernant la prime d'activité, aucun crédit supplémentaire n'est prévu, alors que le taux de non-recours est très élevé, proche de 30 %. Vous avez évoqué une expérimentation en cours pour y remédier, à savoir le versement automatique, ou solidarité à la source : auriez-vous des éléments sur ce point ?

Je m'alarme également de lire dans votre rapport que quinze heures seraient « offertes » aux bénéficiaires du RSA. Or, ces heures ne sont pas offertes, les bénéficiaires du RSA vont devoir travailler pendant 15 heures pour 607 euros, encore faut-il les trouver. Nous nous étions opposés à cette contrepartie.

Plus de 10 % des personnes bénéficiant de l'aide alimentaire sont des travailleurs pauvres ; il s'agit également des personnes éligibles à la prime d'activité. Ce programme ne répond pas de manière adéquate aux besoins en matière de lutte contre la pauvreté.

Je constate deux avancées toutefois : les crédits alloués à la précarité menstruelle et à l'aide au budget, mise en place en 2023 et saluée par les associations qui la mettent en oeuvre, car c'est un bon outil de prévention pour lutter contre le surendettement.

Vous avez évoqué les difficultés des associations face à l'inflation, mais aussi face au nombre croissant de bénéficiaires, en hausse de 20 % selon une estimation de la Fédération française des banques alimentaires. En conséquence, le budget présenté n'est pas du tout à la hauteur des besoins évalués à 40 millions d'euros supplémentaires.

Au sujet des MNA, une baisse de 7 millions d'euros est prévue, car le Gouvernement miserait sur la loi Immigration, qui non seulement, n'est pas encore votée, mais de surcroît est déconnectée de la réalité. En effet, les départements qui gèrent l'accompagnement des MNA indiquent plutôt un afflux. Face aux difficultés, ils demandent déjà expressément un soutien au Gouvernement en la matière. Avec 3 millions d'enfants vivant sous le seuil de pauvreté, le budget n'est pas, encore une fois, à la hauteur des besoins.

Concernant la lutte contre les violences faites aux femmes, le budget est certes en augmentation avec le maintien du nombre de places d'accueil d'urgence. Cependant, sur la lutte contre la prostitution, favorisée par des événements tels que les jeux Olympiques et Paralympiques, rien n'est prévu dans ce budget. Je réitérerai donc notre demande concernant l'aide financière à l'insertion sociale (Afis) pour les personnes qui souhaitent sortir du système prostitutionnel : elle s'élève à 343 euros mensuels, ce qui est trop peu pour être efficace, et nous déposerons des amendements sur ce sujet.

Nous saluons l'aide universelle d'urgence, nouvelle disposition pour les femmes qui souhaitent quitter leur domicile. Pour autant, le budget ne prévoit pas les moyens donnés à l'État pour assurer cette mise en oeuvre. Dans l'ensemble, l'accompagnement humain de ces différents programmes et de ces dispositifs dans les préfectures est largement insuffisant, ce qui entraîne un ralentissement des programmes, un défaut de communication et, en conséquence, le taux de non-recours est très élevé. Pour toutes ces raisons, notre groupe ne votera pas les crédits de cette mission.

Mme Silvana Silvani. - Cette mission est particulièrement importante dans le contexte actuel : le taux de chômage augmente, tout comme le nombre de personnes pauvres, salariées ou non, qui s'élève déjà à plus de 10 millions. Ces personnes nécessitent des aides de plus en plus importantes, dont l'aide alimentaire qui répond à un besoin fondamental. Or le taux d'inflation ne sera pas nul et pourrait atteindre 2,6 % en 2024.

Tenter d'amortir financièrement une crise sanitaire et sociale est un choix politique qui a ses limites, puisqu'on n'agit pas sur la source du problème. Octroyer une prime d'activité compense de façon provisoire des revenus trop modestes - je rappelle que la prime d'activité vient en complément d'un revenu insuffisant pour vivre dignement -, mais cela ne règle en rien les causes ni l'augmentation du nombre de personnes concernées. On nous annonce un budget en augmentation de 4,6 %, mais au regard de l'inflation, la hausse n'est que de 2 %.

Je suis d'accord avec le rapporteur sur l'étranglement permanent de nos départements dans leurs missions et l'assèchement de leurs recettes. Mais s'agissant de la recentralisation du RSA, au vu de la somme importante consacrée à une expérimentation sur trois départements, je m'interroge sur son éventuelle extension à partir de 2024. Quelles en sont les modalités ?

Concernant les quinze heures dont bénéficieraient les allocataires du RSA, c'est loin d'être un cadeau : vous espérez que cette mesure sera compensée, mais pourriez-vous nous donner des précisions, notamment sur la part financée par les départements ?

Enfin, je veux dire mon étonnement sur le lien qui a été établi entre la loi Immigration et le budget consacré à la protection des jeunes majeurs. Anticiper les effets financiers d'une loi qui vient seulement d'être examinée par le Sénat pour justifier une diminution des crédits concernant la prise en charge des jeunes majeurs relève d'arguties ! C'est effrayant d'entendre cela de la part de Bercy !

Mme Pascale Gruny. - Cette mission est importante, car elle concerne l'aide aux personnes en difficulté. On aimerait qu'elles soient de moins en moins nombreuses, mais tel n'est pas le cas.

Je reviendrai sur la loi pour le plein emploi, dont j'étais le rapporteur : on ne peut pas encore en mesurer les effets et on ne connaît pas précisément les moyens financiers nécessaires à sa mise en oeuvre. Mais si l'on diminue le nombre de bénéficiaires du RSA, les crédits dédiés à la prime d'activité devraient logiquement augmenter dans la mesure où l'emploi qu'ils retrouveront sera a priori peu rémunéré. Il est préférable qu'ils soient en activité pour percevoir ce complément. Les expérimentations en cours datent seulement des mois d'avril et de mai, aucun bilan n'est donc disponible à ce jour.

Mon département - l'Aisne - comptant beaucoup de bénéficiaires, nous avions envisagé de participer à la recentralisation du RSA actuellement en expérimentation. Mais les moyens très limités à disposition nous auraient contraints à renvoyer les fonds actuellement versés aux bénéficiaires du RSA. On perd donc une politique de proximité importante sans véritable contrepartie financière. Pour ces raisons, j'espère qu'on ne nous obligera pas à mettre en oeuvre cette recentralisation.

Le budget tel qu'il nous est présenté me paraît insincère et d'un optimisme incroyable. Bien entendu, je suivrai le rapporteur, mais on risque d'avoir des déconvenues. Comme ma collègue, j'estime que tirer les conséquences d'une loi qui n'a pas encore été votée est proprement hallucinant - c'est quasiment du « jamais vu ».

À propos du financement des Ésat, nous l'avons martelé pendant la loi Plein emploi, des difficultés vont se poser, même si la convergence avec le milieu ordinaire est en revanche bienvenue.

Vous n'avez pas parlé de la pauvreté des retraités ; ce sujet est-il traité dans la mission ? Des retraités de plus en plus nombreux bénéficient des aides solidaires.

M. Daniel Chasseing. - Merci au rapporteur pour toutes ces explications très claires. Je voudrais saluer l'augmentation des crédits à hauteur de 4,6 % par rapport à la LFI pour 2023 et de 18 % par rapport à 2021, ainsi que la déconjugalisation de l'AAH.

À propos des heures compensées évoquées par plusieurs collègues, je ne pense pas qu'il s'agisse exclusivement de 15 heures de travail, car le ministre n'a pas dit cela ; je pense qu'il peut également s'agir de 15 heures d'activité pour la recherche d'un logement, pour la santé, l'accompagnement et la découverte de l'entreprise, ce qui va dans le bon sens.

En ce qui concerne les MNA, je rejoins les propos de mes collègues, les départements rencontrent de plus en plus de difficultés ; il faudrait donc revoir cette disposition.

Au sujet de la violence faite aux femmes, les aides augmentent de 16 % certes, mais les associations constatent une augmentation des violences, notamment dans les territoires ruraux. Il risque d'être difficile de maintenir des permanences dans tous les départements.

M. Laurent Burgoa, rapporteur pour avis. - Madame Le Houerou, je n'ai pas d'éléments d'information sur la retenue à la source pour la prime d'activité. Nous serons vigilants et interpellerons le Gouvernement sur ce sujet.

Concernant les quinze heures d'activité prévues dans le cadre du contrat d'engagement des bénéficiaires du RSA, je ne souhaite pas rouvrir le débat, car il s'est déjà tenu récemment dans l'hémicycle.

Concernant l'aide alimentaire, vous avez raison. Les demandes des associations atteignent même 60 millions d'euros. Nous avons travaillé en coordination avec la commission des finances qui a ajouté des crédits à hauteur de 30 millions d'euros supplémentaires dans le cadre du projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023 ; nous envoyons là un bon message à nos structures associatives.

Concernant les MNA, nous l'avons entendu lors de l'audition de l'Assemblée des départements de France, je rappelle que sur 10 MNA déclarés, 8 se révèlent in fine majeurs.

Concernant les problèmes liés à l'aide d'urgence sur les violences conjugales, outre les 13 millions d'euros prévus dans cette mission, d'autres crédits sont prévus dans d'autres missions, par exemple, pour la police et la gendarmerie qui disposent d'un budget dédié de 310 millions d'euros.

Madame Silvani, je partage votre point de vue sur l'étranglement des départements. À ce jour, l'extension de la recentralisation du RSA n'a été actée que pour un département, l'Ariège.

Madame Gruny, le budget ne mentionne pas spécifiquement la pauvreté des seniors, mais il est vrai que, dans la ruralité notamment, la précarité des plus âgés est un problème important qu'il faudrait prendre en compte.

Article 35

M. Philippe Mouiller, président. - L'amendement n°  II-41 vise à abonder de 11 millions d'euros le programme qui concerne la protection juridique des majeurs du programme 304.

L'amendement n° II-41 est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », sous réserve de l'adoption de son amendement, et à l'adoption des articles 64 et 65.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

______________

· Assemblée des départements de France (ADF)

Olivier Richefou, vice-président

· Ministère des solidarités et de la santé

Cécile Tagliana, déléguée interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté

· Inter-fédération de la protection juridique des majeurs (IF-PJM)

Ange Finistrosa, président de la Fnat

Hadeel Chamson, délégué général de la Fnat

Valérie Bonne, coordinatrice à l'Unaf

Alexandre Cobret, consultant séance publique

· Fédération française des banques alimentaires (FFBA)

Barbara Mauvilain, responsable du service des relations institutionnelles

Anne-Claire Alain, chargée de mission relations institutionnelles

· Restos du coeur

Louis Cantuel, responsable du pôle institutionnel et stratégique

Estelle Tovoli, chargée de relations institutionnelles

· Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei)

Luc Gateau, président

Lina Nathan, chargée de plaidoyer et campagnes

· Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (Fnath)

Sophie Crabette, directrice générale

Raphaël Lenoir, assistant au plaidoyer

Karim Félissi, avocat conseil

· Association des paralysés de France (APF France Handicap)

Carole Saleres, conseillère nationale Travail, emploi, formation et ressources - Direction du développement associatif et politiques d'inclusion

· Direction générale de la cohésion sociale (DGCS)

Jean-Benoît Dujol, directeur général

Catherine Morin, adjointe au service au droit des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes

Katarina Milectic-Lacroix, adjointe à la sous-direction des affaires financières et modernisation

Andrea Ferrari, chargé de questions parlementaires, bureau des budgets et de la performance

· Fédération nationale solidarité femmes (FNSF)

Françoise Brié, directrice générale

· Fondation des femmes

Floriane Volt, directrice des affaires publiques et juridiques

· Collectif féministe contre le viol

Élodie Cozic, coordinatrice

Alexandra Martel, coordinatrice

· Fédération nationale des centres d'information sur les droits des femmes et des familles (FNCIDFF)

Clémence Pajot, directrice générale


* 1 Loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 et Loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

* 2 Loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022.

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