D. LA POLICE DISPOSE-T-ELLE DES STRUCTURES LUI PERMETTANT PLEINEMENT DE FAIRE FACE A LA MONTÉE EN PUISSANCE DE LA COOPÉRATION POLICIÈRE EUROPÉENNE ?

Lors de la discussion au Sénat du projet de loi d'orientation, votre rapporteur avait insisté sur l'importance de la coopération policière internationale, au plan européen, notamment.

L'article 3 de cette loi inclut explicitement dans les « orientations permanentes de la politique de sécurité ...le renforcement de la coopération internationale en matière de sécurité, à partir des engagements internationaux et européens auxquels la France a souscrit». Reste à s'interroger sur les moyens pour concrétiser cet objectif.


Le service de coopération technique internationale de la police (SCTIP)

Votre rapporteur a évoqué à plusieurs reprises les attributions du service de coopération technique internationale de la police dans le dispositif de coopération policière européenne.

Il notait l'année dernière qu'un arrêté du 11 septembre 1994 avait réorganisé ce service. Sa nouvelle direction des affaires européennes et de la coopération institutionnelle doit axer plus particulièrement son activité sur la liaison avec les services homologues des autres États européens.

Il se trouve précisément que la loi d'orientation et de programmation (Annexe II) place le SCTIP parmi les services dont il est « indispensable de procéder à la modernisation », centrant toutefois les efforts de cette unité sur les seules représentations à l'étranger : « les services du SCTIP implantés au sein des locaux diplomatiques devront prendre également en compte la mise en place d'officiers de liaison de différents services tels que l'Unité de coordination de lutte antiterroriste, la Police de l'air et des frontières, la Direction de la surveillance du territoire », ajoutant que « le ministère des Affaires étrangères a commencé à inventorier le coût des implantations du SCTIP dans divers pays ». On peut souhaiter que cet inventaire soit rapidement achevé.

Sans méconnaître les résultats obtenus par les officiers de liaison en poste dans nos représentations diplomatiques -en matière d'échange d'informations sur le trafic de drogue notamment- votre rapporteur se demande si le SCTIP est suffisamment armé pour faire face au développement considérable de la coopération policière dans le cadre européen, qu'elle relève des accords de Schengen ou du troisième pilier de l'Union européenne.

En fait, le SCTIP a été conçu à l'origine comme uns structure légère, axée sur la coopération policière avec les États africains, et ses capacités opérationnelles n'ont pas augmenté au rythme de ses tâches.


• Plus globalement, cette observation conduit à s'interroger sur les moyens dont dispose le ministère de l'Intérieur pour accompagner le processus d'internationalisation de la lutte contre l'insécurité.

A titre d'anecdote, votre rapporteur a rencontré les plus grandes difficultés pour faire traduire de l'allemand en français un accord de sécurité conclu entre des Länder de RFA et le Luxembourg. Dépourvus de personnel spécialisé, les services du ministère de l'Intérieur ont renoncé au bout d'une quinzaine de jours à traduire eux-mêmes ce document et n'ont eu d'autre ressource que de s'adresser aux services du Quai d'Orsay. Autant qu'il est possible d'en juger, les services du SCTIP n'ont même pas été sollicités à cet effet.

Cet exemple, qu'on voudrait isolé, incite à penser que les moyens affectés à la coopération policière internationale ne sont pas encore à la hauteur des besoins et qu'ils devraient être accrus et surtout modernisés.

Par définition, une loi d'orientation trace un cadre général dont la mise en place concrète requiert de nombreux textes réglementaires, voire législatifs.

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• Votre rapporteur a noté avec intérêt le dépôt le 21 juin 1995 sur le Bureau du Sénat, d'un projet de loi « sur les activités privées de surveillance, de gardiennage, de transports de fond et relatif à l'activité des agences de recherches privées », ainsi qu'il était prévu par l'Annexe I de la loi d'orientation.

Ce projet de loi n'a pas encore été inscrit à l'ordre du jour des assemblées mais la session unique de neuf mois permet d'espérer qu'il le soit dans des délais pas trop éloignés.


• Pour ce qui est des polices municipales, le précédent Gouvernement avait présenté dès le 15 mars 1995 à l'Assemblée nationale un projet de loi relatif aux polices municipales. Ce texte demeure en instance.

Sans préjuger de la suite qui sera réservée à ces deux projets de loi, les prévisions législatives de la loi d'orientation ont donc été respectées.

2. La loi d'orientation attend encore plusieurs décrets d'application

En ce qui concerne « l'arsenal réglementaire » nécessaire à la pleine application de la loi d'orientation, on peut à nouveau saluer le très important effort entrepris en matière de rénovation des corps et des statuts.

En revanche, plusieurs articles importants de la loi d'orientation n'ont pas encore reçu leurs décrets d'application, situation à laquelle votre commission des Lois, très attachée à l'application des lois, ne peut qu'être attentive.

Sans énumérer l'intégralité des textes réglementaires qui doivent encore être publiés, votre rapporteur croit utile d'attirer l'attention du Gouvernement sur la non parution après pratiquement une année de plusieurs décrets conditionnant la mise en oeuvre de mesures pourtant présentées, à l'époque, comme particulièrement urgentes. Eu égard aux délais très serrés qui avaient été imposés aux assemblées -au Sénat, notamment- pour l'examen en première lecture du projet de loi d'orientation et de programmation, il serait regrettable que la rénovation du cadre juridique nécessaire au renforcement de la sécurité, rapide en amont, se trouve ralenti en aval.

Parmi les textes réglementaires qui font encore défaut, on relève notamment :


• Les décrets relatifs à l'établissement et à la suppression du régime de la police d'État et à la répartition des compétences entre la police et la gendarmerie.

Axe essentiel d'une politique efficace de sécurité, la répartition des compétences entre la police et la gendarmerie repose encore sur des critères géographiques surannés, que la loi d'orientation (article 8) a entrepris d'actualiser. Désormais, le critère de répartition doit s'apprécier de façon pragmatique, « en fonction des besoins de sécurité » de la commune appréciée.

Un décret en Conseil d'État doit définir les modalités d'application de ce principe nouveau, en particulier les critères concrets d'appréciation des besoins de sécurité de chaque commune.

Ce texte n'est pas encore publié, même si sa parution est annoncée comme imminente.

Votre rapporteur rappelle à ce sujet que dans sa déclaration de politique générale du 23 mai 1995, M. Alain Juppé, Premier ministre, a insisté sur « la complémentarité des deux composantes de la force publique -la police et la gendarmerie- la concertation de leur action, l'enrichissement de leurs savoir-faire respectifs ».

Il n'y a pas de doute que le décret en question est un des pivots de cette complémentarité, au même titre qu'un second décret annoncé par l'Annexe I de la loi d'orientation sur les principes de répartition des compétences et la coopération des deux services. Là encore, votre rapporteur ne peut que souhaiter la parution rapide de ce second texte.

L'article 10 de la loi d'orientation, relatif à la vidéosurveillance, est sans aucun doute celui qui a donné lieu aux plus vives discussions lors de l'élaboration de ce texte.

Un décret en Conseil d'État devait fixer les modalités d'application du dispositif, d'ailleurs déjà très précis en lui-même. Il est notamment indispensable de préciser la composition des commissions départementales de contrôle des systèmes de vidéosurveillance, leurs règles de fonctionnement et la procédure de présentation et d'instruction des demandes d'installation des nouveaux dispositifs de vidéosurveillance ainsi que de mise en conformité des dispositifs existants.

Un avant-projet a été transmis à votre rapporteur en mars 1995, à titre officieux et pour simple information. A ce jour, le texte définitif n'a pas encore vu le jour.

Votre rapporteur le déplore, s'agissant d'un domaine où le législateur a, quant à lui, fait preuve à la fois de rapidité et d'une grande précision juridique en dépit la technicité et du caractère très novateur de cette matière.

Les articles 11 et 12 de la loi d'orientation reconnaissent aux pouvoirs publics la faculté d'imposer certaines obligations de sécurité aux constructeurs et propriétaires ou usagers d'immeubles.

- Un premier décret devait déterminer les équipements concernés par l'obligation de procéder à des études de sécurité préalables à leur réalisation.

- Un second décret devait préciser les zones et les caractéristiques des immeubles assujettis à une obligation de gardiennage.

Le second, en particulier, semble susciter de vives réticences de la part des bailleurs sociaux, en raison des coûts d'un gardiennage efficace. L'argument financier mérite sans doute d'être pris en considération. Pour autant, la sécurité représente aujourd'hui une forme de solidarité où chaque acteur de la vie sociale doit concourir selon des modalités propres.

Les vols de voitures représentent une part significative de la délinquance, d'autant qu'ils facilitent la commission d'autres infractions.

Même si le nombre de ces vols a diminué en 1994 (303 000 contre 314 000 l'année précédente), il demeure très élevé quand on le compare à celui d'autres États de l'Union européenne, l'Allemagne fédérale par exemple (142 000 vols pour un parc automobile total 50 % supérieur à celui de la France).

L'année dernière, 79 000 voitures volées n'ont pas été retrouvées, ce qui donne une idée de l'ampleur des trafics.

Pour tenter d'y remédier, l'article 15 de la loi d'orientation a prévu qu'un système de marquage -en clair, un dispositif de détection électronique-pourrait être rendu obligatoire sur les véhicules neufs ou importés, dans des conditions fixées par un décret en Conseil d'État.

Là encore, l'élaboration de ce décret se révèle délicate car il faut concilier l'intérêt public et les considérations de coût, d'ailleurs justifiées, opposées par les constructeurs et les importateurs.

Quoi qu'il en soit, il n'en demeure pas moins que l'article 15 de la loi d'orientation demeure en l'état inappliqué.


Le décret sur le renforcement de la sécurité dans les manifestations sur la voie publique

L'article 16 de la loi d'orientation dispose que dans certaines circonstances faisant craindre des troubles graves à l'ordre public, le représentant de l'État dans le département et, à Paris, le préfet de police, peut interdire le port et le transport, sans motif légitime, d'objets pouvant constituer une arme au sens du code pénal, dans une aire limitée et proportionnée aux circonstances de l'espèce.

Cette disposition a été adoptée en vue d'éviter que se reproduisent les graves violences dont avaient été victimes les forces de l'ordre au cours de précédentes manifestations sur la voie publique. En effet, lors de manifestations, les policiers sont tenus d'intervenir « dans le respect du droit et des personnes, en conformité avec leurs traditions » (comme le rappelle l'Annexe I de la loi d'orientation). Face à des individus armés auxquels elles ne peuvent riposter par les moyens adéquats, les policiers et les gendarmes sont exposés à des risques très graves.

Un décret en Conseil d'État doit fixer les modalités d'application dudit article.

Là encore, il est souhaitable que ce texte soit publié dans des délais rapprochés, à la fois pour la sécurité des policiers et pour garantir l'exercice paisible du droit de manifester.

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