B. LES INITIATIVES DU GOUVERNEMENT

1. L'élaboration d'un plan de soutien à la modernisation des quotidiens et des hebdomadaires locaux

Les projets du Gouvernement

Lors de son audition par votre commission, le 21 octobre dernier, Mme Catherine Trautmann, ministre de la communication, a indiqué qu'elle faisait clairement le choix d'un plan de développement des quotidiens, ainsi que des hebdomadaires locaux. En effet, a-t-elle indiqué, « ce secteur joue un rôle essentiel pour le pluralisme et la démocratie. Il est également un facteur de la cohésion et du lien social. Il ne faut pas non plus sous-estimer sa contribution à l'activité économique, notamment locale. Simultanément, la presse quotidienne et assimilée supporte aujourd'hui des charges particulières, qui tiennent au poids de ses rédactions, à son histoire sociale, avec ses répercussions dans ses coûts de fabrication, sans parler des contraintes de son transport et de sa distribution, afin d'être disponible pour le lecteur, avant que celui-ci n'entame sa journée de travail ».

Une concertation avec les organes de presse concernés avait été lancée dès le 2 octobre afin de définir les orientations de ce plan.

A cette occasion, Mme Trautmann avait précisé certaines de ses intentions.

Elle avait tout d'abord indiqué qu'il s'agissait d'une démarche limitée dans le temps, quatre à cinq ans, supposant la création de ressources spécifiques et s'adressant à un segment spécifique et homogène de la presse. Elle avait aussi souhaité une concertation très active débouchant rapidement sur des mesures concrètes. Il s'agirait de dresser un constat précis des problèmes que rencontre la modernisation des entreprises et d'élaborer les mesures utiles dans un délai de trois mois.

Mme Trautmann avait enfin indiqué les thèmes sur lesquels elle souhaitait que des groupes de travail élaborent des propositions :

- l'amélioration de la connaissance du lectorat et de « l'acte de lecture » du quotidien, ainsi que la collecte d'éléments comparatifs entre pays européens ;

- le renforcement des rédactions, et en particulier la formation des journalistes, de même que l'ouverture sur le multimédia ;

- l'organisation de la fabrication : adaptation des effectifs, articulation du journalisme et des univers techniques, documentaires, artistiques etc. ;

- la création de nouveaux outils publicitaires allant plus loin que les initiatives de la presse quotidienne régionale concrétisées par le produit « 66-3 » ;

- l'encouragement du portage ainsi que les points de vente en banlieue, les distributeurs automatiques et la vente à la criée ;

- la diversification éditoriale vers le multimédia et l'utilisation des ressources d'Internet ;

- le lancement de campagnes d'image « offensives, modernes, jeunes, à l'adresse des lecteurs et des annonceurs ».

Tous ces thèmes ont fait l'objet de larges investigations les années passées, et l'on ne peut comprendre le lancement d'une nouvelle concertation que dans la perspective de la mise au point rapide d'un dispositif opérationnel, ce qui semble correspondre à l'intention du ministre. Cette perspective paraît d'autant plus probable que l'Assemblée nationale a institué en première lecture du projet de loi de finances, sur proposition de M. Jean-Marie Le Guen, rapporteur spécial du budget de la communication, un mécanisme de financement du plan de modernisation.

La taxe sur les imprimés publicitaires et les journaux gratuits

L'article 18 bis nouveau du projet de loi de finances pour 1998 crée une taxe de 1 % du montant hors TVA des dépenses ayant pour objet l'édition ou la distribution d'imprimés publicitaires à l'exception des publications touristiques, et les annonces et insertions dans les journaux gratuits.

Cette taxe est acquittée par les annonceurs assujettis à la TVA soumis de plein droit au régime normal d'imposition.

Il ressort de ce dispositif que :

- la taxe est créée de façon permanente ;

- les assujettis sont les entreprises et organismes dont les activités ou une partie des activités sont soumises au régime réel normal de la TVA. Ceci inclut dans le champ d'application de la taxe les personnes morales de droit public et les organismes sans but lucratif exerçant occasionnellement une activité à caractère commercial soumise au régime réel normal de la TVA.

Il faut noter que la référence au régime réel normal de la TVA n'assujettit à la taxe de 1 % que les entreprises et organismes effectuant un chiffre d'affaires commercial supérieur à 5 millions de francs en vente, ou supérieur à 1,5 million de francs en prestations de services.

- L'assiette de la taxe comprend les dépenses de publicité dans les journaux gratuits ainsi que dans tout ce qui est considéré comme imprimé publicitaire. Cette dernière notion figure dans l'article 20 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, dite loi Sapin, et a été explicitée dans les termes suivants par la circulaire d'application en date du 19 septembre 1994 :

« Il ne semble pas qu'on puisse considérer comme imprimé publicitaire tout ce qui est à la fois imprimé et destiné à la publicité. Il existe, en effet, de nombreux objets (casquettes, tee-shirts) qui portent une inscription publicitaire imprimée. Indépendamment du fait que de tels objets ne seraient pas qualifiés d'imprimés publicitaires par ceux qui les font fabriquer, la volonté du législateur était de viser les objets qui étaient le plus directement en concurrence avec les médias traditionnels, et notamment la presse écrite. Les objets cités ne rentrent guère dans cette catégorie et doivent, sauf exception, être considérés comme objets publicitaires et non comme imprimés publicitaires.

En reprenant les termes de la loi et en se souvenant de l'objectif de cette extension, on considérera que la loi s'applique seulement aux objets qui sont essentiellement des imprimés (ce qui élimine les objets qui ont une fonction propre et qui accessoirement porte une inscription) et destinés à être distribués au public visé par la publicité.

On considérera ainsi comme exclus au titre de l'imprimé publicitaire, même s'ils peuvent être concernés au titre de l'achat d'espace, les affiches, y compris celles destinées à être apposées dans les points de vente ou à être vendues, les objets publicitaires, qui ont un usage, indépendamment de la publicité qu'ils portent, les présentoirs figurant dans les devantures et magasins, qui ne sont pas distribués.

En revanche, on considérera comme visés par l'article 20 de la loi, dans la mesure où l'achat passe par un intermédiaire, tous les imprimés du prospectus au catalogue destinés à être distribués, que ce soit manuellement, dans les boîtes aux lettres, par publipostage personnalisé ou par mise à la libre disposition du public ».

- le produit a été évalué à 300 millions de francs par an

Commentaires de votre rapporteur

L'idée de taxer la publicité investie en dehors des « grands médias » (presse, télévision, affichage, radio et cinéma) est généralement justifiée par le fait que les investissements des annonceurs sont de plus en plus concentrés dans le secteur multiforme du « hors média » au détriment des supports traditionnels, spécialement la presse. Il semble que le hors média tende actuellement à capter près des deux tiers des investissements publicitaires, les médias en recevant encore quelque 36%. La presse écrite reste le premier média en termes de chiffre d'affaires publicitaire, si l'on y incorpore les petites annonces, mais sa part du marché des grands médias a régulièrement décru, passant de 51,1 % en 1992 à 47,3 % en 1996.

Il n'est pas nécessaire d'entrer dans le débat sur les responsabilités de cette évolution (et la régression du lectorat de la presse y est sans doute pour quelque chose) pour estimer utile d'organiser un transfert au profit de la modernisation d'une catégorie de presse à laquelle le concours de l'Etat est d'une part particulièrement légitime, puisqu'il s'agit d'une partie de la presse d'information générale et politique, d'autre part particulièrement nécessaire, puisque la sous-capitalisation des entreprises et les circonstances historiques qui alourdissent les coûts de fonctionnement de la presse quotidienne rendent particulièrement difficile le financement des programmes de modernisation et de rationalisation.

Ajoutons que la faible concentration des aides directes et indirectes de l'Etat sur la presse d'information générale et politique confirme l'opportunité de créer un mécanisme d'envergure consacré aux types de presse en situation difficile au sein de cette catégorie. On notera, à titre d'exemple, que sur une dotation de 2,750 milliards de francs en 1996, la presse quotidienne régionale a perçu 305 millions, ce qui représente 15% du montant global, alors qu'elle représente quelque 50% de la presse d'information générale et politique.

Il faut donc approuver le principe d'un financement du plan de modernisation de la presse quotidienne et de la presse hebdomadaire régionale par le produit d'une taxe sur la publicité hors média.

Encore conviendrait-il de bien préciser la portée de ce mécanisme.

Il ne semble pas justifié de le pérenniser au-delà de la durée d'application du plan de modernisation. L'objectif est de donner à la presse quotidienne les moyens de se remettre à égalité de concurrence avec le hors média, de procéder en particulier aux adaptations permettant de conquérir de nouveaux lecteurs. Il ne s'agit donc pas d'organiser un transfert permanent de ressources entre deux secteurs économiques en concurrence sur le marché de la publicité. La taxe sur le hors-média imprimé doit être comprise comme une action précise à durée limitée. L'aide permanente de l'Etat à la presse d'information générale et politique répond quand à elle à des objectifs d'intérêt public qui justifient un financement budgétaire. Il faut éviter de préparer le terrain à la débudgétisation de ces aides vers un compte d'affectation spéciale. Il est par conséquent souhaitable de limiter la durée d'application de la mesure adoptée par l'Assemblée nationale.

Par ailleurs, la définition de l'assiette adoptée par l'Assemblée nationale aura deux conséquence contestables.

D'une part, les entreprises de vente par correspondance, pour lesquelles l'édition et la distribution de catalogues n'apparaissent pas comme un investissement publicitaire mais comme le mode normal d'exercice de leur activité commerciale seraient soumises à la taxe. Ceci ne semble pas justifié.

D'autre part, l'Assemblée nationale a exclu de l'assiette de la taxe les publications touristiques. Ceci aboutit à exonérer les professionnels du tourisme de toute contribution sur leur publicité hors-média et à leur donner un avantage indu sur les autres acteurs économiques.

L'objectif de l'Assemblée nationale était en fait d'exonérer non pas les voyagistes mais les syndicats d'initiative et offices de tourisme. On peut y arriver par un biais différent, comme il sera indiqué ci-dessous à propos des assujettis.

Le choix d'assujettir les annonceurs, aussi nouveau qu'il apparaisse au regard des mécanismes existants de taxation du marché publicitaire, car les taxes sur la publicité télévisée et radiophonique sont acquittées par les diffuseurs et non par les annonceurs, ce choix paraît incontournable. L'assujettissement des prestataires de services publicitaires, qui avait été envisagé initialement, posait en effet de très difficiles problèmes d'assiette et de distorsions de concurrence.

Il faut noter que les « petits annonceurs » ne seront pas touchés par la nouvelle taxe dans la mesure où le régime réel normal d'imposition de la TVA, auquel il faudra être assujetti pour être assujetti à la taxe sur le hors média, n'est pas appliqué en deçà de 5 millions de francs de chiffre d'affaires dans le commerce et de 1,5 millions de francs de chiffre d'affaires dans les services, comme indiqué ci-dessus. C'est un aspect satisfaisant du mécanisme adopté. En effet, il est peu vraisemblable que les commandes publicitaires hors-média des petits annonceurs expliquent les pertes de marché de la presse écrite. Assujettir à la taxe cette catégorie d'entreprises apparaît donc injustifié et, de plus, serait source de complexités administratives inopportunes.

Il faut aussi noter le fait que les personnes morales de droit public chargées d'un service public et les organismes sans but lucratif sont assujettis à la TVA pour les activités commerciales qu'ils peuvent avoir occasionnellement. Si le chiffre d'affaires effectué dans le cadre de ces activités est supérieur aux seuils d'assujettissement évoqués ci-dessus, l'organisme concerné est soumis au régime réel normal de la TVA et se trouvera par voie de conséquence imposable à la nouvelle taxe de 1 %. Et cette taxation portera sur l'ensemble des dépenses de promotion hors-média de l'organisme en question, y compris celles qui n'ont pas véritablement une nature publicitaire et n'ont aucun lien avec les activités commerciales à l'origine de l'entrée dans le champ d'application de la taxe.

Il y a là un effet pervers à corriger en faisant en sorte que les dépenses publicitaires et de promotion liées aux activités non commerciales d'un organisme public ou sans but lucratif soient exonérées de la nouvelle taxe. Ceci permettrait de régler le cas des syndicats d'initiative et offices de tourisme sans exonérer l'ensemble des imprimés touristiques.

2. L'adaptation des aides à la presse

Mme Catherine Trautmann a affirmé, lors de la première séance de travail du groupe chargé d'élaborer le plan de soutien à la modernisation des quotidiens et hebdomadaires locaux, son intention d'engager dans les mois qui viennent l'adaptation des aides à la presse. On ne peut qu'approuver l'intention, dans l'attente de la réalisation. La réforme des aides à la presse a en effet été de multiples fois envisagée, éclairée par d'excellents rapports concluant généralement en faveur d'un recentrage au profit de la presse d'information générale et politique, mais n'a suscité jusqu'à présent que des initiatives de portée limitée tant s'avère complexe la remise en cause de situations acquises héritées de l'extension progressive des aides à l'ensemble de la presse.

3. Le régime fiscal des journalistes

L'initiative prise par l'Assemblée nationale de revenir sur le rétablissement, prévu par le projet de loi de finances, des déductions supplémentaires pour frais professionnels dont bénéficie une centaine de professions, a singulièrement compliqué un problème que la loi de finances pour 1997 avait réglé de façon satisfaisante.

Il faut rappeler que cette loi avait prévu simultanément la suppression progressive des déductions supplémentaires pour frais professionnels, et l'allégement du barème de l'impôt sur le revenu, la seconde mesure compensant les effets de la première sur les revenus des professions concernées.

Or, l'abandon par l'actuel Gouvernement de la réforme du barème de l'impôt sur le revenu a fait disparaître un élément essentiel de l'équilibre du dispositif, ce qui a motivé la décision de rétablir les abattements dans le projet de loi de finances pour 1998.

En ce qui concerne les journalistes, la loi de finances pour 1997 avait créé un fonds destiné à composer les pertes de revenus dues nonobstant la réforme des barèmes à la suppression de l'abattement de 30 % dont bénéficie cette profession.

La mise en place d'un mécanisme de remboursement, très lourd à gérer sur le plan administratif, avait été envisagée à la suite d'une mission confiée à M. Alain Badré, inspecteur des finances, et à M. Jacques Bonnet, président de chambre à la Cour des comptes.

A la suite de la suppression des déductions supplémentaires par l'Assemblée nationale, le Gouvernement a abondé de 100 millions de francs le fonds de compensation.

Il ne s'agit pas d'un retour à la situation postérieure à l'adoption de la loi de finances pour 1997 dans la mesure où l'abandon de l'allégement du barème de l'impôt sur le revenu va considérablement augmenter le nombre des journalistes éligibles à la compensation et vraisemblablement transformer ce mécanisme en une ingérable machine administrative chargée de rembourser à certains contribuables, à grands frais de fonctionnement, une partie de leur cotisation fiscale.

Face à cette courtelinesque perspective, votre rapporteur considère qu'il serait sage que l'Etat se donne le temps d'envisager avec la profession les moyens d'opérer sans heurt le retour au droit fiscal commun.

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