III. LA LUTTE CONTRE LES GRANDS FLÉAUX SANITAIRES FAIT L'OBJET D'EFFORTS D'AMPLEUR CONTRASTÉE

Si le Gouvernement affiche comme objectifs prioritaires du budget de la santé la mise en oeuvre des lois concernant la veille et la sécurité sanitaires et la lutte contre l'exclusion, le poste le plus important de ce budget demeure celui de la lutte contre les fléaux sanitaires. Il représente en effet 1.666 millions de francs, soit plus du tiers du budget de la santé.

La lutte contre la toxicomanie fait l'objet de l'effort le plus important : si ses crédits régressent légèrement (- 1,9 %), ils s'établissent toutefois à 1.052 millions de francs.

La lutte contre le Sida, qui voit son champ élargi à l'hépatite C, est dotée de 523 millions de francs, soit une progression de 5,5 % par rapport à 1998.

Mais la lutte contre l'alcoolisme, et surtout la lutte contre le tabagisme, se voient attribuer des crédits indigents, d'une ampleur sans commune mesure avec celle qui serait nécessaire pour prévenir les conséquences sanitaires et sociales de ces deux fléaux.

A. LA LUTTE CONTRE LA TOXICOMANIE BÉNÉFICIE DE CRÉDITS D'UN VOLUME SATISFAISANT, MAIS UN PLAN GOUVERNEMENTAL D'ACTION FAIT TOUJOURS DÉFAUT

Les crédits de la lutte contre la toxicomanie sont retracés au sein de deux chapitres budgétaires. Le chapitre 47-15, doté de 815 millions de francs, a vocation à financer les actions sanitaires et sociales engagées par le ministère de la santé. Le chapitre 47-16 concerne l'action interministérielle de lutte contre la toxicomanie : après avoir progressé de 27 % l'an dernier, ses crédits sont réduits de 19,5 % cette année, une partie des crédits ouverts pour 1998 n'ayant pas été consommée et devant faire l'objet d'un report sur l'exercice 1999.

1. L'utilisation des crédits ouverts en 1998 (chapitre 47-15)

Les crédits prévus en loi de finances initiale sur le chapitre 47-15 s'élevaient à 779,6 millions de francs, répartis en 86 millions de francs pour l'article 10, 631 millions de francs pour l'article 40, 13 millions de francs pour l'article 50 et 49,6 millions de francs pour l'article 60.

Chapitre 47-15, article 10

Ces crédits ont été utilisés pour le remboursement aux centres hospitaliers de la prise en charge des sevrages des patients toxicomanes et l'achat de méthadone dans les centres spécialisés de soins aux toxicomanes.

Chapitre 47-15, article 40

En 1998, la somme de 631 millions de francs inscrite en loi de finances initiale a été abondée de crédits interministériels provenant du chapitre interministériel 47-16 de la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) pour un montant de 20,1 millions de francs : les crédits de cet article se sont donc élevés, au total, à 651 millions de francs.

Déconcentrés dans les DDASS, les crédits inscrits en loi de finances initiale ont permis de financer les centres spécialisés de soins aux toxicomanes (624,4 millions de francs) et la partie " ville " de réseaux " toxicomanie-ville-hôpital " (6,5 millions de francs).

Les crédits provenant de la MILDT, eux aussi déconcentrés dans les DDASS, ont par ailleurs permis :

- de poursuivre le rattrapage des déséquilibres budgétaires de l'ensemble des centres spécialisés de soins aux toxicomanes (soit 4,8 millions de francs) ;

- le développement du dispositif spécialisé de soins (centres de soins en ambulatoire pour développer les traitements de substitution ; centres avec hébergement collectif) (soit 12,3 millions de francs) ;

- le financement de centres de soins en ambulatoire pour leur activité de conseil auprès des professionnels médicaux ou sociaux amenés à prendre en charge des personnes toxicomanes (soit 3 millions de francs).

Utilisation des crédits du chapitre 47-15, article 50

Les crédits inscrits en loi de finances initiale sur l'article 50, soit 13 millions de francs, ont permis le financement de l'association nationale des intervenants en toxicomanie (ANIT) à hauteur de 490.000 francs.

Ces crédits ont, eux aussi, été abondés de crédits interministériels, provenant du chapitre interministériel 47-16 de la MILDT à hauteur de 5 millions de francs. Ces crédits ont été attribués à l'association " Toxibase " qui gère une banque de données informatisées sur les toxicomanes.

Les 12.410.000 francs restants ont été sous-répartis sur l'article 60.

Utilisation des crédits du chapitre 47-15, article 60

Les crédits inscrits en loi de finances initiale sur l'article 60, s'élevaient à 49,6 millions de francs.

Ils ont été abondés de 12,4 millions de francs provenant de l'article 50, de 11,7 millions de francs de crédits interministériels provenant du chapitre 47-16 (MILDT) et de 4 millions de francs destinés à la création de points écoute dans le cadre de la loi relative à la lutte contre les exclusions, soit un total de 77,7 millions de francs.

Les crédits inscrits en loi de finances, déconcentrés dans les DDASS, ont permis le financement :

- des 78 " points écoute " déjà existants pour les jeunes ou leurs parents (soit 29,1 millions de francs) et celui de nouveaux points écoute créés en fin d'année en application de la loi relative à la lutte contre les exclusions (soit 4 millions de francs) ;

- de 2 " sleep-in " à Paris et Marseille (soit 12 millions de francs) ;

- de 8 Quartiers Intermédiaires pour Sortants (QIS) au sein de maisons d'arrêt (soit 5 millions de francs) ;

- du " Kaléidoscope " de Paris (soit 3,5 millions de francs) ;

- de 26 ateliers d'insertion (soit 11,6 millions de francs) ;

- d'actions de prévention (soit 800.000 francs).

Les crédits provenant de la MILDT, déconcentrés dans les DDASS, ont permis :

- le renforcement des points écoute (soit 3,7 millions de francs) ;

- le financement d'un " sleep-in " (soit 6 millions de francs) ;

- le financement d'actions de formation (soit 2 millions de francs).

2. Les actions développées dans le domaine sanitaire et social

Les objectifs du plan triennal 1993-1996, prolongé par le plan gouvernemental du 14 septembre 1995, ont été atteints en 1997. Trois axes prioritaires ont été poursuivis en 1998 : l'amélioration du volet préventif de la lutte contre la toxicomanie, la diversification des modes de prise en charge et la mise en oeuvre de mesures de réinsertion des toxicomanes.

a) L'amélioration du volet préventif de la lutte contre la toxicomanie

Elle s'est traduite par la création de " points écoute ", d'une banque de données informatisées et la conduite d'actions de formation.

La création de " points écoute jeunes " et de " points écoute parents "

Afin d'intervenir au plus près de la population, et tout particulièrement auprès des jeunes en difficulté, 63 " points écoute jeunes " ont été progressivement créés. Il s'agit de permanences d'accueil, d'écoute et d'accompagnement éducatif qui ont pour objectifs de prévenir l'inadaptation de jeunes en difficulté, d'aider au rétablissement de leur équilibre psychologique et social, de répondre à des situations d'urgence liées à des détresses affectives, familiales et sociales et de favoriser l'accès à un service social.

De nombreuses familles se trouvent également désemparées face aux problèmes réels ou supposés de consommation de toxiques par leurs enfants : les " points écoute parents ", au nombre de 14, leur offrent un accueil et proposent des entretiens visant à prévenir ou à arrêter la détérioration de leur relation avec leurs enfants et éventuellement de prendre contact avec le système de soins. Ces points écoute sont implantés en priorité dans les quartiers en difficulté.

La constitution d'une banque de données informatisée

L'information pour tous les publics sur les problèmes de toxicomanie est un des points essentiels de la prévention : c'est pourquoi a été progressivement créé le service " Toxibase ", une banque de données documentaires informatisées sur les toxicomanies qui regroupe 17.000 documents sur les problèmes des toxicomanies. Accessible au grand public par le minitel et sur le réseau Internet, Toxibase propose une revue documentaire trimestrielle, une revue de presse et un service de recherche documentaire destinés à un public restreint.

Les actions de formation

Dans le cadre des crédits déconcentrés auprès des DRASS, des programmes de formation ont été financés dans 20 régions. Ces formations axées sur le thème de l'information et de la prévention des toxicomanies, touchent un public divers relevant du secteur médico-social, de la justice, de l'enseignement ou de l'entreprise.

b) La diversification des modes de prise en charge sanitaire des toxicomanes

Ce volet sanitaire vise cinq objectifs :

La poursuite de l'augmentation des capacités de prise en charge des toxicomanes avec hébergement

Le plan triennal 1993-1996 prévoyait le doublement des capacités de prise en charge avec hébergement des toxicomanes, le nombre de places devant être porté de 620 à 1.240. Cet objectif a été atteint fin 1997.

En 1998, un centre de post-cure supplémentaire a été financé, portant ainsi à 1.261 places la capacité de prise en charge avec hébergement hors familles d'accueil.

Le recours aux traitements de substitution

Les traitements de substitution constituent une modalité de prise en charge des personnes pharmaco-dépendantes majeures aux opiacés, notamment à l'héroïne. Ces traitements contribuent à l'amélioration de la situation du patient d'un point de vue social et somatique et concourent à la réduction des risques infectieux. Ils s'insèrent dans une stratégie thérapeutique d'ensemble de la dépendance visant, à terme, le sevrage.

Les deux médicaments disponibles sont la Méthadone et le Subutex. La Méthadone est le plus ancien des médicaments de substitution employés ; sa prescription initiale ne peut être réalisée que par des médecins exerçant dans un centre spécialisé de soins aux toxicomanes. Le Subutex, disponible en officine depuis février 1996, s'adresse à des patients pour la plupart déjà suivis en médecine libérale. Il peut être prescrit par tout médecin traitant après un examen médical dans le cadre d'un travail en réseau permettant d'assurer un suivi sanitaire et social.

Les plans gouvernementaux de lutte contre la toxicomanie ont fait en sorte que chaque département dispose, dès la fin de l'année 1997, d'une possibilité de prise en charge avec substitution. Cet objectif est atteint :

- 79 départements bénéficient aujourd'hui d'un centre spécialisé de soins aux toxicomanes permettant la dispensation de Méthadone (137 centres de soins prescrivent ce médicament) ;

- certains départements ne disposent pas de centres spécialisés de soins développant les traitements par la Méthadone. Il s'agit souvent de départements semi-ruraux qui organisent un mode de prise en charge fondé sur un travail en réseaux entre médecins généralistes ayant recours au traitement par Subutex, travailleurs sociaux et hôpitaux.

En 1998, environ 6.000 personnes bénéficiaient d'un traitement par la Méthadone et environ 50.000 personnes d'un traitement par le Subutex.

Le ministère prévoit d'amorcer, en 1999, une réflexion sur les indications comparées des différents traitements de substitution afin que l'accessibilité aux traitements de substitution s'établisse sur la base d'indications cliniques plus affinées que la seule notion de dépendance avérée aux opiacés.

Le développement des réseaux toxicomanie/ville/hôpital

Les réseaux toxicomanie/ville/hôpital visent à assurer la continuité des soins entre les médecins généralistes, les centres spécialisés de soins aux toxicomanes et les différents services hospitaliers concernés par l'accueil des toxicomanes au sein d'un même hôpital. Ils s'inscrivent dans les stratégies liées au sevrage et aux prises en charge avec substitution. Il existe aujourd'hui cinquante réseaux ville/hôpital.

L'ouverture du secteur hospitalier à la prise en charge des toxicomanes

Plusieurs textes réglementaires, comme la circulaire du 3 avril 1996, ont eu pour objet de réserver un certain nombre de lits pour le sevrage des toxicomanes. Elle affirme que, " du fait de sa mission de service public, l'hôpital doit offrir aux patients toxicomanes les soins médico-psycho-sociaux qu'ils requièrent ". Cette politique sera poursuivie en 1999.

La réduction des risques infectieux liés au VIH et aux hépatites

Dans le cadre de la prévention des risques infectieux, depuis 1993, ont été mis en place :

- 86 programmes d'échanges de seringues ;

- 148 distributeurs automatiques ou récupérateurs de seringues ;

- 32 lieux de contact pour usagers de drogues actifs les plus marginalisés, dits " boutiques ".

Ces " boutiques " sont des lieux refuges offrant des soins infirmiers de première urgence et dispensant du matériel d'injection stérile. Ils accueillent les toxicomanes non sevrés pour les écouter et les informer, notamment sur les risques infectieux, et tenter d'ouvrir un dialogue qui pourrait être l'amorce d'une démarche de soin. Elles assurent enfin une orientation vers le dispositif sanitaire et social.

Depuis 1997, a été aussi engagé un programme de réduction des risques liés aux hépatites B et C qui prévoit un plan d'études et de recherche, des mesures d'information et de réduction des risques et un plan d'information des professionnels de santé. Plusieurs actions ont déjà été menées :

- en partenariat avec la Croix Rouge, un programme de vaccination contre l'hépatite B a été réalisé dans 23 départements ;

- une campagne de vaccination contre l'hépatite B a été effectuée auprès des personnes en détention ;

- dans le cadre d'un programme national de santé relatif à l'hépatite C, une campagne d'information et de dépistage a déjà été menée en faveur des personnes toxicomanes dans tous les lieux d'accueil ou de contact pour toxicomanes (boutiques, bus, sleep-in, centres de soins spécialisés).

Ces actions ont été poursuivies et complétées en 1998 par :

- la diversification du contenu des trousses de prévention ;

- une information des professionnels par la diffusion d'une brochure d'information présentant une information générale sur le VHC et des recommandations sur l'articulation entre l'action des praticiens des réseaux toxicomanie ville/hôpital et celle des référents hospitaliers spécialisés dans la prise en charge de l'hépatite C.

c) La mise en oeuvre de mesures de traitement social et de réinsertion des toxicomanes

Longtemps, la politique de lutte contre la toxicomanie ne s'est exprimée que dans les domaines sanitaire et répressif. Or, le phénomène de la toxicomanie a évolué, les problèmes sanitaires s'avérant imbriqués avec des difficultés sociales. C'est pourquoi il apparaît nécessaire de proposer un " traitement social " de la toxicomanie qui s'est notamment traduit par la création de " sleep-in " et du " kaléidoscope ".

Les sleep-in, au nombre de trois, sont des centres d'hébergement de nuit en urgence pour toxicomanes actifs en situation de grande précarité. Ils offrent la possibilité d'une consultation sanitaire et sociale spécialisée dans l'accueil et l'orientation.

Le " Kaléidoscope ", qui fonctionnera en 1999, est un centre de jour et d'activités pour toxicomanes actifs et s'appuie sur la même démarche que celle des sleep-in, à savoir l'aide à l'insertion et l'accès aux soins.

D'autre part, 25 ateliers d'aide à l'insertion offrent, pour les toxicomanes suivis ou non sur le plan sanitaire en centre spécialisé de soins aux toxicomanes, une aide à l'insertion en proposant des remises à niveau scolaire, des activités permettant de recouvrer un sentiment d'estime de soi (chantier humanitaire par exemple) et l'acquisition de compétences pré-professionnelles.

Enfin, 8 quartiers intermédiaires sortants (QIS) ont été créés pour prévenir la récidive et la rechute dans la toxicomanie des toxicomanes sortant de prison.

La lutte contre la toxicomanie bénéficie donc de crédits d'un niveau satisfaisant qui a permis des réalisations intéressantes. Toutefois, depuis l'entrée en fonctions du Gouvernement, se fait attendre un plan triennal qui n'a toujours pas vu le jour. Il est vrai qu'un rapport de la Cour des comptes avait critiqué les plans précédents, et notamment leur impréparation et l'insuffisante évaluation des politiques déjà mises en oeuvre : à tout le moins peut-on espérer que compte tenu de ses délais d'élaboration, le futur plan, s'il doit voir le jour, ne s'exposera pas à de telles critiques...

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