II. PETITE ENFANCE ET ADOLESCENCE : DEUX AXES POUR UNE POLITIQUE FAMILIALE AMBITIEUSE

Malgré des éléments conjoncturels et structurels peu favorables aux comptes de la branche famille, le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale marque le début de la mise en oeuvre de mesures ambitieuses en faveur des familles, annoncées lors de la Conférence de la famille du 29 avril dernier.

A. LA PRIORITÉ DONNÉE EN 2003 À LA PETITE ENFANCE

1. La Conférence de la famille de 2003

a) Les besoins à prendre en compte

La reprise de la natalité

Si le Gouvernement a choisi la petite enfance comme angle d'attaque de sa politique familiale c'est que, plus qu'un épiphénomène, l'embellie démographique que connaît la France depuis 1995 semble devenir une tendance de fond.

Avec 804.000 naissances, l'année 2001 avait confirmé les orientations démographiques déjà observées en 2000, soit une augmentation du nombre des naissances de plus de 5 %, « la plus forte hausse enregistrée depuis 20 ans » (1981-1982) selon l'Institut national d'études démographiques (INED). Si l'on observe un léger fléchissement du nombre de naissances en 2002, il ne remet pas en cause le taux de fécondité de 1,9 enfant par femme en moyenne. L'INSEE 7 ( * ) impute en effet ce tassement à la baisse du nombre de femmes en âge de procréer.

Depuis 1995, le nombre de naissances est toujours supérieur à 730.000 par an, alors qu'il n'était que de 711.000 en 1993 et 1994, années durant lesquelles le nombre de nouveaux-nés avait été le plus faible de ces cinquante dernières années. Ce résultat est d'autant plus remarquable que le nombre de femmes françaises en âge de procréer (les femmes de 20 à 40 ans mettent au monde 96% des enfants) diminue depuis 1994, les générations nées avant 1975 étant remplacées par des générations moins nombreuses, et que l'âge moyen à la maternité ne cesse d'augmenter, pour atteindre 29,7 ans en 2002.

L'INED confirme d'ailleurs ce constat : « L'augmentation des naissances depuis 1995 traduit une hausse de fécondité encore plus importante en valeur relative car l'effectif des femmes d'âge fécond baisse progressivement ».

Fécondité pour 100 femmes

Année

Naissances par femme
(nombre d'enfants)

Age moyen
de la maternité

1982

1,91

27,1 ans

1992

1,73

28,5 ans

2002

1,90

29,7 ans

Source : commission des Affaires sociales.

Avec 1,9 enfant par femme en moyenne , la France se place au deuxième rang de l'Union européenne, derrière l'Irlande, et au troisième rang de l'Europe occidentale derrière l'Irlande et la Norvège. La moyenne de l'Union européenne est de 1,47 enfant par femme. La France est donc aujourd'hui le pays de l'Union européenne où naît le plus d'enfants, d'autant plus que le nombre de naissances en Europe diminue légèrement (- 0,1 %) selon les premières estimations pour 2001 publiées par Eurostat, l'office statistique européen.

Ces évolutions récentes sont toutefois d'une interprétation difficile. D'après l'étude d'octobre 2001 menée par l'INED, « lorsqu'on essaie de corréler les naissances et des évolutions macroéconomiques (chômage, investissement, moral des ménages, etc.), on s'aperçoit que c'est à l'indice du moral des ménages (par rapport à la situation présente, et non future) que les naissances correspondent le mieux ». Votre rapporteur remarque donc que les questions relatives à l'apparition de ce « mini baby-boom » restent entières, puisqu'on ne sait pas aujourd'hui analyser les raisons des variations de l'optimisme des Français.

D'autres explications sont cependant plausibles et qui tiennent à la généralisation de l'allocation parentale d'éducation (APE) aux mères de deux enfants, à une politique familiale plutôt favorable aux naissances, à la possibilité de concilier vie professionnelle et maternité plus facilement que dans d'autres pays européens ou encore à l'arrêt, pour les plus jeunes, de l'allongement de la durée des études et à l'amélioration de leur situation sur le marché de l'emploi.

On peut donc penser que les mesures proposées lors de la dernière Conférence de la famille en faveur de la petite enfance conforteront cette tendance positive, alors même que c'est l'embellie démographique qui avait alors justifié le choix de cette priorité . Votre rapporteur se réjouit de cet enchaînement vertueux.

Une offre de garde insuffisante

Le choix d'avoir un enfant expose les familles aux difficultés liées à l'insuffisance de l'offre de garde, tant au niveau collectif qu'individuel.

Ainsi, seul un tiers des enfants de moins de trois ans bénéficie d'un mode de garde « institutionnel » : crèche, assistante maternelle, garde à domicile par une employée. Près de la moitié des jeunes enfants sont accueillis au sein de la famille, notamment par les grands-parents ou le voisinage ; c'est d'ailleurs le principal mode de garde en milieu rural.

Les structures collectives sont les plus touchées par cette pénurie, faisant les frais d'une politique de rigueur budgétaire au cours de la seconde moitié des années quatre-vingt-dix : les dépenses d'action sociale les concernant ont augmenté de 9,4 % seulement par an entre 1994 et 1999, contre 21 % pour les aides à la garde individuelle par le biais des prestations familiales. Les dépenses en structures collectives s'élèvent ainsi à moins de 900 millions d'euros, à comparer aux 2,9 milliards d'euros que représentent chacune l'APE et l'APJE, le 1,7 milliard d'euros de l'AFEAMA et les 135 millions d'euros de l'AGED.

Concernant la responsabilité des collectivités territoriales dans ce déficit de places de crèches, votre rapporteur souscrit totalement à la remarque de notre collègue député Claude Gaillard lorsqu'il indique 8 ( * ) : « A partir des années 80, les coûts de construction et de fonctionnement des crèches ont été jugés trop importants par les pouvoirs publics. La décentralisation amorcée en 1983 a permis à l'État de transférer cette responsabilité vers les communes, mais les collectivités locales n'ont pas été dotées des moyens adéquats pour répondre aux besoins des familles. »

Ainsi, malgré les aides à l'investissement et les prestations de services prévues par les contrats crèches et les contrats enfance signés avec les CAF, 30 % du coût de ces structures sont assurés par les communes, qui n'en ont pas toujours les moyens, notamment en zone rurale où il existe aujourd'hui une véritable pénurie d'accueil collectif.

Au côté du financement, une seconde difficulté, qui tient à la complexité sans cesse croissante des normes d'encadrement et de sécurité, a freiné considérablement le développement de ces structures.

Les normes imposées aux établissements collectifs

Le décret du 1 er août 2000 impose des normes strictes aux structures d'accueil collectif. Ainsi, une crèche collective accueillant cinquante enfants doit être dirigée par un médecin ou une puéricultrice d'au moins cinq ans d'expérience. Si la capacité d'accueil est de soixante places, la présence d'un directeur adjoint (puéricultrice, infirmier, éducateur de jeunes enfants d'au moins deux ans d'expérience) est exigée. En outre, le concours régulier d'un médecin pédiatre est obligatoire.

Le personnel d'encadrement des enfants doit être titulaire du diplôme d'État d'éducateur d'enfants, du diplôme professionnel de puériculture ou d'une qualification arrêtée par le ministère des Affaires sociales. Le taux d'encadrement ne doit pas être inférieur à un professionnel pour cinq enfants qui ne marchent pas et un pour huit enfants qui marchent.

Enfin, toute création de crèche doit s'accompagner d'un projet éducatif pour l'accueil, le soin, le développement, l'éveil et le bien-être des enfants.

Pour tous ces motifs, la capacité d'accueil en structures collectives s'est développée trop faiblement : 5.000 places étaient créées en moyenne chaque année au milieu des années quatre-vingt ; ce chiffre est tombé à 1.500 entre 1996 et 1999. Depuis dix ans, le nombre de places en crèches n'a donc progressé que de 10 % et ce, malgré la mise en place de deux fonds de financement, les FIPE I et II. Ainsi, tandis qu'on cherchait à rendre l'accueil en crèche plus accessible aux ménages modestes, l'offre de garde collective ne suffisait pas à répondre aux besoins.

b) Une nouvelle méthode de travail

Partant de ce constat, M. Christian Jacob, ministre délégué à la famille, a choisi de placer la première Conférence de la famille de cette législature - elle n'avait pas eu lieu en 2002 pour cause d'élections présidentielle et législatives - sous le signe de la petite enfance, et plus particulièrement de son accueil.

Le Gouvernement a souhaité que cet événement ne se limite pas à l'annonce d'un train de mesures, mais qu'il devienne un véritable lieu de propositions et d'impulsion et qu'il soit l'occasion d'un débat approfondi avec l'ensemble des partenaires de la politique familiale . Dans cette perspective, une large concertation a eu lieu très en amont, afin d'offrir à chacun de ces acteurs l'occasion de s'exprimer sur les différents projets de réforme.

C'est dans cet esprit qu'ont été installés, dès le mois d'octobre 2002, trois groupes de travail appelés à émettre des propositions sur les engagements du Président de la République et du Gouvernement en matière de politique familiale : la prestation d'accueil du jeune enfant, les services à la famille et à la parentalité, les familles et l'entreprise.

Ces groupes de travail étaient composés des partenaires sociaux, des syndicats et des employeurs, des associations représentatives du mouvement familial, d'associations de professionnels des métiers de l'enfance, d'administrations, d'élus locaux et d'experts. Largement ouverte à la société civile et aux acteurs du monde économique, notamment au sein du groupe de travail « familles et entreprise », cette composition a permis des échanges riches et approfondis, une réflexion de qualité et a contribué à la formulation de propositions partagées et opérationnelles. En outre, une attention particulière a été attachée au dialogue avec le conseil d'administration de la CNAF, pour garantir un financement crédible des mesures proposées.

Les travaux de ces trois groupes de travail se sont déroulés entre les mois d'octobre et de février, mêlant auditions plénières et demandes de contributions écrites, techniques ou institutionnelles à des experts. Les conclusions de leurs travaux, sous forme de trois rapports, ont été remises à M. Christian Jacob le 25 février dernier.


Les principales propositions des groupes de travail

a) Le groupe de travail « prestation d'accueil du jeune enfant »

Pour réaliser l'objectif de simplification des dispositifs de prestations relatifs à l'accueil des enfants, en respectant les principes de libre choix par les parents du mode d'accueil de leurs enfants et de l'exercice ou non une activité professionnelle, deux scénarios de réformes ont été envisagés :

- mettre en place une prestation à deux étages, soit une allocation de base dérivée de l'actuelle APJE et un complément, en fonction du choix des familles d'interrompre une activité professionnelle ou de recourir à un mode de garde ;

- unifier totalement les prestations existantes en attribuant le même montant d'aide à toutes les familles.

Le premier scénario est apparu le plus consensuel et le moins coûteux. En outre, le groupe de travail a insisté sur la nécessité d'agir également sur le volet « offre de garde ».

b) Le groupe de travail « services à la famille »

S'agissant des services aux familles, les propositions ont porté sur :

- l'amélioration de l'accès à l'information des familles, notamment par le développement de « lieux ressources » et leur mise en réseau pour favoriser la mutualisation des expériences innovantes, un label « point-info famille » pouvant être attribué aux sites présentant toutes les conditions de fiabilité nécessaires ;

- la mise au service des familles du développement des nouvelles technologies de l'information, en particulier l'usage d'Internet ;

- la promotion et à l'accompagnement de l'essor des dispositifs de soutien à la parentalité qui se sont développés ces dernières années avec le soutien des pouvoirs publics ;

- le regroupement des différents comités de pilotage départementaux spécialisés au sein de comités d'animation départementaux de services aux familles, qui auraient pour mission de mieux fédérer et coordonner l'ensemble des initiatives locales et d'assurer un aménagement territorial équilibré de l'offre de services.

Ces différentes propositions ont été retenues et trois milliards d'euros leur seront consacrés en 2004 sur le budget du ministère de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

c) Le groupe de travail « familles et entreprises »

Les principaux objectifs généraux mis en avant par le groupe ont été :

- le développement de l'offre de garde d'enfants et plus généralement de services aux familles afin de faciliter la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle ;

- une meilleure harmonisation entre les temps familiaux et les temps professionnels par une gestion mieux adaptée des horaires de travail et des congés parentaux.

A cette fin, par le moyen d'un « crédit d'impôt familles », les entreprises pourraient être incitées à participer au développement de l'offre de garde ou de services familiaux proposé à leurs propres salariés (crèches d'entreprise, crèches interentreprises ou réservation de place de crèches dans d'autres structures notamment par voie de partenariat avec les acteurs institutionnels de la garde d'enfant) et à faciliter le recours aux congés parentaux par leurs salariés, par exemple en complétant les indemnisations attribuées au titre des congés de paternité ou de maternité.

Pour développer les services à caractère familial, le secteur de l'accueil des enfants et des services aux familles pourrait être ouvert aux entreprises privées.

Les deux propositions (crédit d'impôt et ouverture au secteur privé) ont été retenues. La première figure à l'article 68 du projet de loi de finances pour 2004 pour un coût prévu de dix millions d'euros.

Parallèlement, d'autres groupes de travail ont été constitués sur des sujets traités dans un autre contexte que celui de la Conférence de la famille, et dont certains ont déjà donné lieu à des mesures :

- le groupe de travail sur les manquements à l'obligation scolaire, présidé par M. Luc Machard, anciennement délégué interministériel à la famille, qui est à l'origine de l'abrogation de la mesure administrative de suspension ou de suppression des prestations familiales (article L. 552-3 du code de la sécurité sociale), inscrite dans le projet de loi relatif à l'accueil et à la protection de l'enfance. Il a également permis de jeter les bases du plan gouvernemental en faveur de l'assiduité scolaire et de la responsabilisation des familles, présenté en conseil des ministres le 26 mars dernier ;

- le groupe de travail sur les métiers de la petite enfance, présidé par Mme Marie-Claude Petit, présidente de Familles rurales.

Votre rapporteur approuve le choix d'une méthode de travail partenariale qui a porté ses fruits en termes de propositions.

S'appuyant sur le travail mené par ces trois groupes de travail et les propositions contenues dans leurs rapports respectifs, le Gouvernement, par la voix de son Premier ministre et du ministre délégué à la famille, a annoncé plusieurs mesures ambitieuses en faveur des familles, dont les plus importantes trouvent leur traduction dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale et le projet de loi de finances pour 2004.

Les mesures annoncées lors de la Conférence de la Famille 2003

1. Faciliter l'accueil de l'enfant avec la PAJE

Mise en place au 1 er janvier 2004, la prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE) regroupera les six prestations principales existantes, qui représentent huit milliards d'euros.

Coût prévu : 850 millions d'euros d'ici 2007 (140 millions d'euros en 2004).

2. Développer l'offre de garde grâce à l'amélioration du statut des assistantes maternelles et un plan de créations de places en crèches

- Mise en place d'un statut attractif pour les assistantes maternelles non permanentes.

Coût : 50 millions d'euros sur deux ans (10 millions d'euros en 2004).

- Lancement d'un « plan crèches » à partir de 2004 permettant de créer 20.000 places supplémentaires.

Coût : 200 millions d'euros (50 millions d'euros en 2004).

3. Inciter les entreprises à mener des actions de politique familiale en faveur de leurs salariés avec le « crédit d'impôt familles »

- Mise en place du « crédit d'impôt familles » annoncé par le Président de la République en faveur des entreprises avec un taux d'aide fiscale attractif, fin de permettre une conciliation plus aisée entre la vie familiale et la vie professionnelle.

Coût : 100 millions d'euros de dépenses d'ici à 2007.

4. Renforcer la médiation familiale et les services aux familles

- mise en place de points d'info familles, lieux « ressources » réunissant tous les acteurs institutionnels et associatifs des services aux familles ;

- lancement d'un portail Internet de services aux familles ;

- mise en place d'un financement pérenne pour la médiation familiale afin de garantir le fonctionnement des structures qui interviennent dans ce secteur.

Coût : environ six millions d'euros (trois millions en 2004).

* 7 Bilan démographique de l'année 2002 - INSEE - Janvier 2003.

* 8 Financement de la sécurité sociale pour 2004, Famille- commission des Affaires culturelles de l'Assemblée nationale. M. Claude Gaillard. Rapport n° 1157 tome 3 (2003-2004).

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