II. LE PROJET DE LOI : ACCROITRE L'ÉGALITÉ DES DROITS ET RÉDUIRE LA PRÉCARITÉ

Le présent projet de loi a pour objet essentiel mais pas unique de transposer des directives européennes . Certaines mesures permettent ainsi une meilleure prise en compte des évolutions récentes du droit et de la jurisprudence communautaires dans le domaine de l'emploi public . Sont également proposées des modifications de certaines dispositions législatives qui, sans être dictées par le droit communautaire, sont conçues comme une conséquence nécessaire de la transformation du droit français de la fonction publique au contact du droit communautaire, ou qui permettent d'améliorer certaines procédures .

Sur le fond, le projet de loi tend principalement, d'une part, à poursuivre les efforts déjà engagés en matière de lutte contre les discriminations (chapitres I et IV) et d'ouverture des emplois publics aux ressortissants communautaires (chapitre II), et, d'autre part, à modifier les modalités de recrutement des agents non titulaires du fait de la transposition des directives 99/70/CE et 2001/23/CE (chapitre III).

A. LA POURSUITE DES EFFORTS DEJÀ ENGAGÉS EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE TOUTE FORME DE DISCRIMINATION ET D'OUVERTURE DES EMPLOIS PUBLICS AUX RESSORTISSANTS COMMUNAUTAIRES

1. La promotion de l'égalité entre les hommes et les femmes et la lutte contre toutes les discriminations

a) L'égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière de recrutement

En vertu de l'article 13 du traité instituant la Communauté européenne et surtout de l'article 3 de la directive 76/207/CEE du Conseil du 9 février 1976 29 ( * ) , l'Etat doit assurer un égal accès à l'emploi aux hommes et aux femmes.

Dans un avis motivé du 15 janvier 2001 30 ( * ) , la Cour de justice des Communautés européennes a considéré que certaines dispositions du droit français qui suppriment ou aménagent les conditions d'âge et de diplômes pour certaines catégories de femmes étaient contraires au principe d'égalité entre les hommes et les femmes. En effet, elle a affirmé que les hommes ayant « une qualification égale ou une situation familiale comparable » devaient pouvoir bénéficier des mêmes conditions de recrutement au sein de la fonction publique.

C'est pourquoi le chapitre premier du présent projet de loi prévoit l'extension aux hommes de plusieurs dérogations, jusqu'ici réservées à certaines femmes, dans la mesure où ils ont une situation familiale comparable.

Ainsi, l' article premier propose de modifier l'article 8 de la loi n° 75-3 du 3 janvier 1975 afin de supprimer la dispense de la condition d'âge prévue pour les veuves ou divorcées non remariées ainsi que pour les femmes séparées judiciairement et de rendre désormais inopposables les limites d'âge pour les mères et les pères d'au moins trois enfants ainsi que pour toute personne élevant seule un ou plusieurs enfants.

Il est également proposé, à l' article 2 , que les hommes élevant leur enfant ou ayant élevé au moins un enfant bénéficient également du report de la limite d'âge à 45 ans pour les concours de catégorie A (modification de l'article 21 de la loi n° 76-617 du 9 juillet 1976 portant diverses mesures de protection sociale de la famille).

S'agissant des dérogations à la condition de diplôme, l' article 4 du projet de loi tend à étendre aux pères de trois enfants la possibilité de se présenter sans diplôme à des concours, jusqu'ici réservée aux mères de trois enfants en vertu de l'article 2 de la loi n° 80-490 du 1 er juillet 1980 portant diverses dispositions en faveur de certaines catégories de femmes et de personnes chargées de famille.

Enfin, comme l'indique l'exposé des motifs, « en contrepartie de l'assouplissement important qui résulte des dispositions des articles 1 er et 2 du projet de loi », il est proposé de modifier les règles applicables en matière de dérogation aux limites d'âge lorsque les concours donnent accès à une période de formation obligatoire suivie d'un engagement de servir pendant une durée minimale. Jusqu'à présent, la limite d'âge pouvait uniquement être repoussée lorsque le candidat reçu était, compte tenu de son âge, en mesure d'accomplir son engagement de servir. L' article 3 prévoit que désormais toute personne pourrait au contraire être recrutée et faire valoir ses droits à la retraite avant d'avoir achevé son engagement de servir. Elle serait toutefois tenue de rembourser les sommes fixées par la réglementation applicable en cas de non respect de cet engagement.

b) Le renforcement des dispositifs de lutte contre les discriminations

L' article 16 du présent projet de loi prévoit d' améliorer les dispositifs actuellement mis en place pour lutter contre les discriminations au sein de la fonction publique, en les adaptant en particulier aux dernières évolutions du droit communautaire en la matière 31 ( * ) .

Cet article prévoit par conséquent de modifier les articles 6 -prohibition de toute forme de discrimination-, 6 bis -dispositions relatives aux discriminations en raison du sexe-, 6 ter -dispositions relatives au harcèlement sexuel- et 6 quinquies -dispositions relatives au harcèlement moral- de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

Les mesures proposées visent principalement à harmoniser les dispositifs prévus par chacun de ces articles afin que les fonctionnaires soient protégés dans les mêmes conditions, quelle que soit la raison de la discrimination subie (sexe, opinions politiques, religion, race, harcèlement...).

Elles tiennent également compte de l'évolution du droit communautaire en ce domaine, lequel va dans le sens d'un renforcement des dispositifs devant être mis en place par les Etats membres. Par exemple, serait désormais passible d'une sanction disciplinaire non seulement l'agent ayant procédé à des agissements discriminatoires, mais également celui ayant enjoint de procéder à de tels actes.

c) Des modifications apportées aux régimes relatifs aux congés de maternité, de paternité et d'adoption

Le présent projet de loi prévoit également, aux articles 17 à 20, de modifier les dispositions relatives aux congés de maternité, de paternité et d'adoption accordés aux fonctionnaires.

Il s'agit, d'une part, d'aligner , en cas d'adoption d'un enfant, les droits à congé des fonctionnaires sur ceux des assurés du régime général , et, d'autre part, de consacrer , en transposant certaines dispositions de la directive précitée du 23 septembre 2002, le droit pour tout fonctionnaire d'être réaffecté de plein droit dans son emploi, à l'issue d'un congé de maternité ou, par extension, d'un congé de paternité ou d'adoption.

Les mêmes dispositions sont prévues pour les trois fonctions publiques.

2. L'amélioration des conditions d'accès aux emplois publics pour les ressortissants communautaires

En vertu du principe de libre circulation des travailleurs, posé par l'article 39 du traité instituant la Communauté européenne, les Etats membres doivent abolir toute discrimination fondée sur la nationalité susceptible d'empêcher les ressortissants communautaires d'accéder à un emploi. Seuls les « emplois dans l'administration publique » sont exclus du champ d'application de cet article.

Au regard de la jurisprudence développée par la Cour de justice des Communautés européennes, le principe de libre circulation des travailleurs s'applique à la fonction publique française. En effet, d'une part les fonctionnaires sont considérés comme étant des « travailleurs » au sens de l'article 39 du traité 32 ( * ) et, d'autre part, la notion d' « emplois dans l'administration publique » ne recouvre que les emplois comportant une « participation, directe ou indirecte, à l'exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l'Etat ou d'autres collectivités publiques . » 33 ( * )

Afin de se conformer au droit communautaire, la France a adopté la loi n° 91-715 du 26 juillet 1991 portant diverses dispositions relatives à la fonction publique qui, tout en maintenant comme principe la nécessité de remplir la condition de nationalité française pour accéder à la fonction publique, a prévu, dans un nouvel article 5 bis de la loi précitée du 13 juillet 1983, une exception pour les ressortissants communautaires des autres Etats membres de l'Union européenne et de l'Espace économique européen qui peuvent désormais accéder aux corps, cadres d'emplois ou emplois de la fonction publique.

Toutefois, en vertu de l'article 5 bis de la loi du 13 juillet 1983, les statuts particuliers de chaque corps, cadre d'emplois et emploi doivent désigner lesquels d'entre eux sont susceptibles d'être ouverts aux ressortissants communautaires.

Restent réservés aux personnes disposant de la nationalité française les « emplois de l'administration publique », à savoir ceux dont les attributions ne sont pas séparables de l'exercice de la souveraineté ou comportent une participation directe ou indirecte à l'exercice de prérogatives de puissance publique de l'Etat ou des autres collectivités publiques .

Le constat s'imposant que de nombreux emplois restent encore inaccessibles pour les ressortissants communautaires depuis l'adoption de cette loi et le risque contentieux devenant important en la matière , il est proposé dans le présent projet de loi de modifier le dispositif de l'article 5 bis de la loi du 13 juillet 1983.

L' article 5 du projet de loi vise ainsi à renverser le principe initialement prévu, en disposant que désormais tous les corps et cadres d'emplois de fonctionnaires seraient accessibles aux ressortissants des autres Etats membres, sans que les statuts particuliers n'aient à le préciser . Seule serait maintenue l'exception selon laquelle sont réservés aux nationaux les emplois dont les attributions ne sont pas séparables de l'exercice de la souveraineté ou comportent une participation directe ou indirecte à l'exercice de prérogatives de puissance publique de l'Etat ou des autres collectivités publiques.

La loi française devrait ainsi mieux se conformer aux exigences communautaires, en rendant plus rapidement effective l'ouverture des emplois publics aux ressortissants communautaires et en raisonnant en terme d'emploi, et non de corps ou de cadres d'emplois, pour déterminer quels sont les postes devant rester réservés aux nationaux.

Enfin, l'article 6 du projet de loi prévoit qu'à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la publication de la loi, l'accès à tous les corps et cadres d'emplois soit permis par la voie du détachement , sauf si l'exercice des fonctions correspondantes est subordonné à la détention d'un titre ou diplôme spécifique. Actuellement, les statuts particuliers peuvent autoriser ou non le détachement au sein du corps ou du cadre d'emplois concerné, ce qui constitue un frein à la mobilité.

Cette disposition est directement liée au fait que la fonction publique est désormais soumise aux règles du droit communautaire. En effet, elle vise, tout d'abord à ne pas créer une « discrimination à rebours » à l'encontre des fonctionnaires français, dans la mesure où les ressortissants communautaires exerçant déjà l'une des professions concernées dans un autre Etat peuvent accéder à ces emplois. Ensuite, elle a également pour objet de limiter le champ des professions réglementées au sens du droit communautaire, la Cour de justice des Communautés européennes ayant pu se fonder notamment sur le fait qu'un corps de fonctionnaires n'était pas ouvert au détachement pour le qualifier de « professions réglementées » et considérer de ce fait qu'un ressortissant communautaire pouvait y accéder dès lors qu'il disposait déjà d'un titre ou diplôme spécifique obtenu dans un autre Etat membre et justifiait avoir exercé cette profession dans un autre Etat membre.

* 29 Directive 76/207/CEE du Conseil du 9 février 1976 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (voir l'annexe 2 du présent rapport).

* 30 Avis C(2001)1407 de la Commission européenne.

* 31 Est notamment intervenue la directive 2002/73/CE du 23 septembre 2002 qui a modifié la directive précitée 76/207/CEE du 6 février 1976.

* 32 Voir notamment l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 3 juillet 1986 « Lawrie-Blum-QP Bundesverwaltungsgericht ».

* 33 Arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 17 décembre 1980, « Commission contre Belgique ».

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