INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Dix années après son adoption par le Parlement, la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, plus connue sous le titre de « loi Toubon », du nom de son promoteur, est devenue un élément emblématique de notre paysage législatif et sa légitimité est maintenant parfaitement reconnue par une opinion publique qui, prise dans son ensemble, en comprend à la fois l'intérêt et la nécessité.

La défense de la place de la langue française en France n'était cependant pas un combat gagné d'avance. Votre rapporteur, qui avait eu déjà l'honneur de défendre ce projet de loi devant notre Haute assemblée en qualité de rapporteur de la commission des affaires culturelles, se souvient des commentaires sarcastiques qui avaient accueilli, dans une partie de la presse, l'initiative du ministre de la culture.

Il se trouve certes toujours nombre de nos compatriotes pour troquer dans certaines occasions l'usage de notre langue contre celui d'un « anglais de communication internationale », ou encore de cette « langue usuelle en matière financière » qui n'ose pas dire son nom.

Mais il est significatif que plus personne en France ne conteste ni le principe ni les dispositions de la « loi Toubon ». Celles-ci suscitent même un intérêt nouveau chez un nombre croissant de nos concitoyens : les associations de consommateurs ont maintenant pleinement conscience de la nécessité d'assurer une bonne information en français du consommateur, qu'il s'agisse de l'étiquetage ou du mode d'emploi des produits ; quant au monde du travail, peu mobilisé à l'origine pour la défense du français, il découvre le caractère discriminant que peut présenter, pour les salariés, l'usage de plus en plus fréquent de l'anglais, et leurs représentants n'hésitent plus à se prévaloir des dispositions de la loi garantissant l'usage du français dans l'entreprise.

Ces évolutions méritent d'être saluées : elles montrent que les dix années qui se sont écoulées depuis l'adoption de la « loi Toubon » ont contribué à asseoir son ancrage dans l'opinion et dans notre jurisprudence.

Mais si positif que soit ce constat, votre rapporteur estime qu'il ne doit pas nous dispenser d'un bilan global de ces dix premières années d'application de la loi du 4 août 1994.

La proposition de loi déposée par notre collègue Philippe Marini, qui sélectionne avec beaucoup de pertinence quelques secteurs sensibles -celui de l'Internet et de la communication électronique, celui du visage de nos villes, à travers la question des enseignes, celui du monde de l'entreprise en général, et enfin, celui, général, de l'application effective de la loi- nous en fournit une occasion bienvenue.

LA LOI DU 4 AOÛT 1994 : UN TEXTE DE RÉFÉRENCE

La loi du 4 août 1994 sur l'emploi de la langue française s'inscrit dans une tradition nationale bien établie : les différents régimes qui se sont succédé au cours des siècles ont toujours considéré que la question de la langue relevait de l'Etat. Ce principe, qui a reçu récemment une consécration dans la Constitution, ne relève cependant pas d'une singularité française, et la période récente a vu nombre d'Etats, en particulier à l'occasion de leur indépendance retrouvée, se doter à leur tour d'une législation linguistique.

UNE TRADITION FRANÇAISE : LA LANGUE COMME AFFAIRE D'ÉTAT

En France, l'intervention de l'Etat en matière linguistique remonte au XVIe siècle.

C'est en effet à « l'ordonnance sur le fait de justice » d'août 1539, dite ordonnance de Villers-Cotterêts , que remontent, sous l'Ancien Régime , les prémices de notre législation linguistique 1 ( * ) . Dans ses articles 110 et 111, elle énonce : « Afin qu'il n'y ait cause de doutes sur l'intelligence des arrêts de justice, nous voulons et ordonnons qu'ils soient faits et écrits si clairement, qu'il n'y ait, ni puisse avoir, aucune ambiguïté ni incertitude, ni lieu à demander interprétation ». « Et pour ce que de telles choses sont souvent advenues sur l'intelligence de mots latins contenus esdits arrests, nous voulons doresnavant que tous arrests, ensembles toutes autres procédures , soient de nos cours souveraines et autres subalternes et inférieures, soient de registres, enquestes, commissions, sentences, testaments et autres quelconques, actes et exploits de justice, ou qui en dépendent soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel français et non autrement ».

Ce texte, qui n'a été abrogé expressément ni explicitement par aucune autre disposition postérieure, doit être considéré comme toujours en vigueur.

En 1635, sous l'impulsion de Richelieu, Louis XIII créa l'Académie française, avec pour objectif de « rendre le langage français non seulement élégant, mais capable de traiter tous les arts et toutes les sciences ». L'Académie a continué jusqu'à aujourd'hui de jouer un rôle essentiel dans l'évolution de la langue française, tant par l'élaboration de son dictionnaire, que par les avis qu'elle rend sur les propositions de néologismes élaborées par les commissions de terminologie.

Sous la Révolution française , la Convention étend considérablement le champ d'application de la réglementation linguistique et l'assortit de sanctions sévères : un décret du 2 Thermidor An II dispose que « nul acte public ne pourra, dans quelque partie que ce soit du territoire de la République, être écrit qu'en langue française ». Toutefois, l'application de ce décret a été suspendue dès le 16 Fructidor et ce texte doit être considéré maintenant comme abrogé.

Le Consulat , à son tour, adopte, le 24 Prairial An XI (13 juin 1803), un arrêté qui, sous couvert d'imposer l'usage du français dans les territoires nouvellement conquis par la France, dispose en réalité pour l'ensemble du territoire national. Mais ce texte, moins ambitieux, n'était assorti d'aucune sanction, y compris à l'égard des agents publics qui n'en auraient pas respecté les prescriptions.

La Ve République a renoué avec cette tradition en créant successivement, en 1966, un Haut comité pour la défense et l'expansion de la langue française, et, en 1972, des commissions de terminologie placées auprès des administrations centrales. En outre, une loi du 31 août 1975 , issue d'une proposition d'origine parlementaire et adoptée à l'unanimité, a imposé un premier ensemble de prescriptions linguistiques dans le souci principal d'assurer la protection du consommateur.

UNE LOI QUI FAIT AUTORITÉ

La loi du 31 août 1975, dite « Bas-Lauriol », a eu le mérite d'ouvrir une voie novatrice. Mais la loi du 4 août 1994 , qui a repris certaines des dispositions de sa devancière, présente par rapport à cette dernière un certain nombre d'atouts décisifs : adossée au statut constitutionnel de la langue française, elle bénéficie d'un champ d'application large qui lui permet d'embrasser les différents domaines où la défense de la langue est nécessaire et son dispositif est assorti de sanctions destinées à garantir son effectivité.

Un adossement constitutionnel

La réforme opérée par la loi constitutionnelle du 25 juin 1992 a consacré le statut constitutionnel de la langue française, « langue de la République », comme le rappelle désormais l'article 2 de notre loi fondamentale.

Cette consécration fournit en quelque sorte un socle juridique solide auquel s'adosse la loi du 4 août 1994.

Le Conseil constitutionnel doit assurer le respect de ce principe, tout en le conciliant avec les autres grands principes auprès desquels il prend place, comme par exemple celui de la liberté d'expression et de communication.

La loi du 4 août 1994 confirme ce statut de la langue et rappelle dans son article premier que « Langue de la République en vertu de la Constitution, la langue française est un élément fondamental de la personnalité et du patrimoine de la France » , et qu'elle est « le lien privilégié des Etats constituant la Communauté de la francophonie ».

Un champ d'application large

La loi du 4 août 1994 comporte un champ d'application particulièrement large. Posant dès son article premier le principe que le français est « la langue de l'enseignement, du travail, des échanges et des services publics », elle touche aux différents aspects de notre vie culturelle, économique et sociale où la défense de notre langue est nécessaire.

? Le français, langue des échanges : le souci de l'information du consommateur

Dans ce domaine, qui constituait déjà la préoccupation première de la loi de 1975 « Bas-Lauriol », l'article 2 de la loi de 1994 impose l'usage du français dans la publicité et les échanges commerciaux.

La rédaction de l'article 2 marque la volonté de couvrir l'ensemble du champ des échanges. Elle dispose en effet que « dans la désignation, l'offre, la présentation, le mode d'emploi ou d'utilisation, la description de l'étendue et des conditions de garantie d'un bien ou d'un produit, d'un service, ainsi que dans les factures et quittances, l'emploi de la langue française est obligatoire ».

La circulaire du Premier ministre du 19 mars 1996 précise que cette obligation s'impose à « tous les documents destinés à informer le consommateur ou l'utilisateur », et en donne une liste non exhaustive. Elle ne dispense de cette obligation que « les factures et autres documents échangés entre professionnels, personnes de droit privé et étrangères, qui ne sont pas consommateurs ou utilisateurs finaux des biens, produits ou services ».

? L'information dans les lieux publics et les transports

L'article 3 de la loi de 1994 impose le français dans la formulation de toute inscription ou annonce apposée ou faite sur la voie publique, dans un lieu ouvert au public ou dans un moyen de transport en commun, et qui est destinée à l'information du public.

Le champ d'application de cette obligation est sensiblement plus étendu que dans la précédente loi du 31 décembre 1975. Cette dernière limitait en effet cette prescription linguistique aux seuls lieux appartenant à une personne publique, ou à une personne privée concessionnaire d'une mission de service public.

La loi de 1994 soumet au respect de cette obligation l'ensemble des personnes privées et publiques propriétaires d'un lieu ouvert au public, mais prévoit des sanctions supplémentaires lorsque l'inscription fautive est apposée par un tiers utilisateur sur un bien appartenant à une personne morale de droit public.

? Le français, langue des services publics

Les services publics sont soumis à des exigences particulières :

- l'article 5 impose le français dans la rédaction des contrats auxquels sont parties une personne morale de droit public ou une personne privée exécutant une mission de service public ;

- l'article 6 impose la mise en place d'un dispositif de traduction pour les colloques et congrès organisés par une personne morale de droit public ou par une personne privée chargée d'une mission de service public ;

- l'article 7 impose aux publications, revues et communications diffusées en France, l'obligation de comporter au moins un résumé en français, dès lors qu'elles émanent d'une personne morale de droit public, d'une personne privée exerçant une mission de service public, ou d'une personne privée bénéficiant d'une subvention publique ;

- l'article 14 interdit aux personnes morales de droit public et aux personnes privées chargées d'une mission de service public l'emploi d'une marque de fabrique, de commerce ou de service , constituée d'une expression ou d'un terme étranger dès lors qu'il existe une expression ou un terme français de même sens officiellement approprié.

Différentes circulaires sont venues préciser ou compléter le dispositif de la loi pour rappeler que le français devait être la langue de l'administration et des services publics :

- la circulaire du 12 avril 1994 du Premier ministre relative à l'emploi de la langue française par les agents publics rappelle que la langue est « un élément important de la souveraineté nationale et un facteur de la cohésion sociale ». Elle invite les agents publics à promouvoir son usage correct et son rayonnement, dans leurs activités en France, comme dans les instances internationales, pour que le français reste une langue de communication internationale de premier plan ;

- la circulaire du Premier ministre du 14 février 2003 est revenue sur les obligations particulières incombant aux agents publics dans le double souci d'assurer la présence du français sur le territoire national et d'affirmer la place du français sur la scène internationale ; les obligations générales formulées par ce texte ont ensuite été délivrées pour chaque administration, par une série de circulaires ministérielles.

? Le français, langue des colloques et des congrès

L'article 6 de la loi de 1994 garantit à toute personne participant à une manifestation, à un colloque ou à un congrès organisé en France par des Français, le droit de s'exprimer en français .

Elle impose également le français dans la rédaction des documents distribués aux participants pour en présenter le programme ; les documents préparatoires, les documents de travail, les interventions ou les actes des travaux doivent être accompagnés au moins d'un résumé en français .

? Le français, langue de l'enseignement et de la recherche

Aux termes de l'article 11 , le français est « la langue de l'enseignement, des examens, des concours, ainsi que des thèses et mémoires dans les établissements publics et privés d'enseignement » Des exceptions sont cependant prévues pour l'enseignement des langues étrangères, l'accueil des professeurs étrangers, les écoles étrangères et les établissements dispensant un enseignement international.

L'arrêté du 18 janvier 1994 relatif à la création d'une procédure de co-tutelle de thèse entre établissements d'enseignement supérieur français et étrangers s'inscrit dans cette perspective. Il précise que la thèse préparée en co-tutelle est rédigée et soutenue dans l'une des langues nationales des deux pays concernés et qu'elle est complétée par un résumé dans l'autre langue, si les langues nationales des deux pays sont différentes.

Dans tous les cas de figure, le doctorant est donc tenu de soutenir sa thèse ou d'en présenter le résumé en langue française.

? Le français, langue de travail

La loi « Bas-Lauriol » de 1975 comportait déjà des dispositions imposant l'usage du français dans la rédaction du contrat de travail et des offres d'emploi. Mais la loi du 4 août 1994 a renforcé et élargi ces exigences : elle impose le français, non seulement dans la rédaction du contrat de travail ( article 8 ) et dans celle des offres d'emploi ( article 10 ), mais également :

- dans celle du règlement intérieur et de tout document comportant des obligations pour le salarié, ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire à celui-ci pour l'exécution de son travail ;

- dans les conventions et accords collectifs du travail, et les conventions d'entreprise ou d'établissement ( article 9 ).

? Le français, langue de l'audiovisuel

L'article 12 de la loi a rendu obligatoire l'usage du français dans l'ensemble des émissions et des messages publicitaires des organismes et services de radiodiffusion sonore ou télévisuelle, tout en assortissant ce principe d'exceptions, que commande le bon sens, en faveur des oeuvres cinématographiques, audiovisuelles, ou musicales en version originale étrangère, et des programmes dont la finalité est l'apprentissage d'une langue.

Un dispositif équilibré et apprécié dans l'opinion

Le dispositif de la loi du 4 août 1994 est marqué par le souci de concilier la défense de la langue française avec d'autres impératifs. Cette volonté d'équilibre a contribué à asseoir l'autorité de la loi , et à faciliter l'acceptation de son dispositif .

? Une position ouverte à l'égard des traductions

Tout en imposant l'emploi du français, de nombreuses dispositions de la loi autorisent très libéralement la présentation conjointe de traductions .

Ainsi, les prescriptions linguistiques relatives aux échanges commerciaux et aux informations dans les transports et lieux publics autorisent la présentation conjointe d'une ou plusieurs traductions sous la seule réserve que la présentation en français soit aussi lisible, audible ou intelligible que la présentation en langue étrangère. Cette précaution, dont votre rapporteur souhaiterait que le respect soit plus systématiquement assuré, a pour objet de décourager des tentations récurrentes de contourner l'esprit de la loi en exilant le texte français dans une partie reculée de l'affiche ou en lui attribuant une police de caractères trop discrète.

Les prescriptions relatives au monde du travail prévoient également la possibilité d'assortir le règlement intérieur ou le contrat de travail de traductions en une ou plusieurs langues étrangères.

La loi impose aux seules personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé exerçant une mission de service public une exigence particulière : les traductions en langues étrangères de leurs annonces doivent être au moins au nombre de deux de façon à garantir un minimum de multilinguisme.

Dans plusieurs cas de figure, comme par exemple celui des colloques ou celui des publications, la loi accepte que des documents, des communications ou des revues soient délivrés en langue étrangère, et borne ses exigences à la présentation d'un résumé en français .

? Des exigences proportionnées à leur objectif

Les prescriptions de la loi sont proportionnées à leurs objectifs de protection des consommateurs, d'information du public ou de défense des salariés.

Le dispositif de la loi lui-même prévoit un certain nombre de situations dans lesquelles les exigences linguistiques cèdent le pas devant d'autres intérêts :

- les nécessités de l'enseignement et en particulier celui des langues étrangères et des langues régionales, ou encore celles des écoles étrangères ou des enseignements internationaux ;

- la liberté d'expression et de communication, en particulier à l'occasion de la diffusion d'oeuvres étrangères en langue originale ;

- les nécessités du commerce international qui dispensent certains établissements publics et notamment la Banque de France et la Caisse des dépôts, de rédiger en français les contrats destinés à être exécutés intégralement hors du territoire national.

? L'examen par le Conseil constitutionnel :

Le texte de la loi du 4 août 1994 tel qu'il a été adopté et voté par le Parlement reflétait un souci sincère d'équilibre entre la défense de notre langue et les exigences posées par nos grands principes constitutionnels.

Dans sa décision n° 94-345 du 29 juillet 1994, le Conseil constitutionnel a cependant censuré certaines de ses dispositions.

* Il s'agit tout d'abord de toutes celles qui prévoyaient que « le recours à tout terme étranger ou à toute expression étrangère est prohibé lorsqu'il existe une expression ou un terme français de même sens approuvé dans des conditions prévues par les dispositions réglementaires relatives à l'enrichissement de la langue française ».

Ces dispositions figuraient au deuxième alinéa de l'article 2 ( présentation des biens et services ), à l'article 3 ( inscriptions sur la voie publique et dans les transports ), à l'article 8 ( contrat de travail ), à l'article 9 ( rédaction de règlement intérieur et des documents comportant des obligations pour le salarié ), à l'article 10 ( offres d'emploi ), et à l'article 12 ( émissions et messages publicitaires radiodiffusés et télévisés ).

Le Conseil les a censurées, comme contraires à la liberté de pensée et d'expression proclamée par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, estimant que le législateur ne pouvait « imposer à des personnes privées, l'obligation d'user, sous peine de sanctions, de certains mots ou expressions définies par voie réglementaire sous forme d'une terminologie officielle ».

Le Conseil a relevé en outre, que les dispositions des articles 2, 3, 8, 9 et 10 précités n'opéraient aucune distinction entre, d'une part, les personnes morales de droit public et les personnes morales de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public, et d'autre part, les autres personnes privées, et que, eu égard au caractère indissociable de leur formulation, elles devaient être déclarées dans leur ensemble contraires à la Constitution.

* Le Conseil a également censuré les dispositions de l'article 7 subordonnant « l'octroi par une personne publique de toute aide à des travaux d'enseignement et de recherche à l'engagement pris par les bénéficiaires d'assurer une publication ou une diffusion en français de leurs travaux, ou d'effectuer une traduction en français des publications en langue étrangère auxquelles ils donnent lieu, sauf dérogation accordée par le ministre de la recherche. »

Le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition en considérant qu'elle imposait « aux enseignants et chercheurs, qu'ils soient français ou étrangers, des contraintes de nature à porter atteinte à l'exercice de la liberté d'expression et de communication dans l'enseignement et la recherche. »

Il a considéré que la faculté d'accorder des dérogations conférées au ministre de la recherche ne constituait pas une garantie suffisante pour préserver cette liberté dans la mesure où elle n'était assortie « d'aucune condition relative notamment à l'appréciation de l'intérêt scientifique et pédagogique des travaux ».

Votre rapporteur, comme de nombreux autres observateurs, s'était alors étonné de la sévérité du juge constitutionnel . Il avait en particulier eu le sentiment qu'imposer l'usage de mots français quand ils existaient, en lieu et place de vocables étrangers, ne revenait pas à imposer l'usage d'une terminologie officielle mais relevait du simple respect de notre langue.

Le contrôle peut-être un peu pointilleux auquel s'est livré le Conseil a du moins le mérite de montrer que la loi de 1994 a fait l'objet d'un examen vigilant, et que le texte qui a finalement été promulgué est irréprochable au regard de nos principes constitutionnels.

? Une loi dont l'utilité est pleinement reconnue

L'utilité de la loi est maintenant pleinement reconnue et ses dispositions font l'objet d'un large consensus qui transcende les sensibilités politiques.

Un sondage réalisé en février 2000 par la SOFRES, à la demande de l'Association Force ouvrière Consommateurs sur l'utilisation de la langue française dans l'étiquetage et les modes d'emploi des produits destinés à la consommation, en ont apporté la confirmation :

- 93 % de personnes interrogées trouvaient ces dispositions très ou assez utiles, et cette proportion était identique chez les sympathisants de droite et de gauche ; cette proportion montait à 98 % pour les cadres et les professions intellectuelles ;

- 77 % des sondés ont répondu non à la question de savoir s'ils trouvaient la loi rétrograde et peu adaptée à la mondialisation ;

- 86 % des personnes interrogées ont estimé que le français devait rester obligatoire dans l'étiquetage et les modes d'emploi.

Un régime de contrôles et de sanctions destinés à garantir l'application de la loi

La loi « Bas-Lauriol » de 1975 péchait par un régime de sanctions lacunaire et mal adapté qui n'a pas favorisé son application et son respect effectifs.

Le législateur de 1994 s'est efforcé de remédier à ces faiblesses en assortissant le dispositif de la nouvelle loi d'un régime de sanctions diversifiées, et de modalités de contrôles originales.

Pour marquer l'intérêt public qui s'attache à la défense de la langue française sur notre territoire, il a en outre précisé, dans l'article 20, que les dispositions de la loi de 1994 étaient d'ordre public . Les règles qu'elle édicte sont ainsi clairement affirmées comme relevant de l'intérêt général, leur observation s'impose à peine de nullité absolue et le code civil interdit que l'on y déroge par des conventions particulières.

• Une diversification des sanctions applicables

En matière contractuelle , que ce soit dans la rédaction des contrats signés avec des personnes morales de droit public, dans celle des contrats de travail, des conventions et accords collectifs de travail ou des conventions d'entreprise ou d'établissement, l'inobservation des règles linguistiques emporte l'inopposabilité relative du contrat .

En matière de droit du travail , et à l'exception des actes contractuels visés ci-dessus, le respect des prescriptions linguistiques est confié à l'inspecteur du travail , qui peut, à tout moment exiger le retrait ou la modification du règlement intérieur ou du document incriminé.

L'article 15 subordonne l'octroi de subventions publiques au respect des prescriptions linguistiques de la loi, et envisage, en cas de manquements, la possibilité de leur restitution totale ou partielle. Enfin, les personnes publiques d'un bien sur lequel une inscription fautive aura été apposée, peuvent retirer l'usage du bien au contrevenant.

Enfin, les infractions aux dispositions des articles 2 ( publicité et transactions commerciales ), 3 ( inscriptions et annonces dans un lieu public ), 4 ( présentation respective des mentions en langue française et en langues étrangères ) 6 ( organisation de colloques ) et 9 ( documents destinés aux salariés ) sont assorties de sanctions pénales et assimilées par le décret n° 95-240 du 3 mars 1995 à des contraventions de la 4è classe , punies d'une amende maximale de 750 euros. Le juge peut en outre adresser à la personne fautive l'injonction de se mettre en conformité avec la loi, et assortir cette injonction d'une astreinte.

? Le droit des associations d'ester en justice

La consécration, par l'article 19 de la loi, de la possibilité pour les associations de défense de la langue française d'exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne certaines infractions à la législation linguistique, participe également de la volonté d'assurer le respect effectif de la loi.

Ce droit, pour les associations, d'ester en justice, peut s'exercer à l'encontre des infractions aux dispositions des textes pris pour l'application des articles 2 ( publicité et transactions commerciales ), 3 ( inscriptions et annonces dans les lieux publics ), 4 ( présentation des textes français et étrangers ), 6 ( organisation de colloques ), 7 ( publications et revues ) et 10 ( offres d'emplois ). Actuellement, trois associations ont reçu l'agrément ministériel 2 ( * ) nécessaire pour exercer ce droit. Il s'agit de :

- l'Association francophone d'amitié et de liaison (AFAL) ;

- l'Avenir de la langue française (ALF) ;

- la Défense de la langue française (DLF).

? Le constat des infractions aux dispositions relatives à la publicité et aux transactions commerciales

L'article 16 de la loi du 4 août 1994 prévoit une procédure particulière pour la constatation des infractions aux textes pris pour l'application de l'article 2, relatif à la publicité et aux transactions commerciales.

Elle confie la recherche et la constatation de ces infractions, outre aux agents et officiers de police judiciaire, à certains agents publics, et notamment aux agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et de la Direction générale des douanes et droits indirects.

La loi définit en outre très précisément les pouvoirs dévolus à ces agents et la portée des contrôles qu'ils sont amenés à opérer.

UNE PRÉOCCUPATION PARTAGÉE PAR UN NOMBRE CROISSANT D'ÉTATS

Si la loi du 4 août 1994 s'inscrit dans notre tradition nationale qui assigne à l'Etat une responsabilité particulière en matière de défense de la langue française, cette préoccupation linguistique n'est pas pour autant le monopole de notre pays. D'autres Etats se sont également dotés d'une législation relative à l'emploi de leur langue et leur nombre tend d'ailleurs à augmenter régulièrement, en particulier dans les pays qui ont accédé à une pleine indépendance au lendemain de la chute des régimes communistes européens.

La charte de la langue française au Québec : un exemple à méditer

Le Québec a une longue tradition en matière de défense de la langue française et de son emploi dans la « Belle province » .

Dès 1910, une loi « Lavergne » a imposé l'usage du français et de l'anglais dans les titres de transport de voyageurs et dans les autres documents fournis par les entreprises d'utilité publique. Une loi de 1967 a par la suite rendu obligatoire l'étiquetage en français des produits agricoles.

C'est en 1969 qu'à été adopté le premier texte de portée générale : « la loi pour promouvoir le français au Québec » comportait notamment des dispositions consacrant le statut du français comme langue du travail, comme langue prioritaire dans l'affichage public, et comme langue d'usage dont l'enseignement est obligatoire dans le réseau scolaire anglophone.

La « charte de la langue française » qui lui a succédé en 1977 a été remaniée et complétée à plusieurs reprises.

Elle dispose, dans son article 1 er , que « le français est la langue officielle du Québec ».

De ce statut découlent un certain nombre de droits linguistiques fondamentaux reconnus aux usagers de l'administration, de l'enseignement et des services sociaux, ainsi qu'aux consommateurs.

Les cent premiers articles regroupés en chapitres distincts consacrent le français comme langue de la législation et de la justice, langue de l'administration, langue des organismes parapublics, langue du travail, langue du commerce et des affaires ou encore langue de l'enseignement.

Certaines de ces dispositions sont très proches de celles de la loi française .

C'est le cas par exemple des articles 41 et 43 qui rendent obligatoires l'usage du français dans la rédaction des offres d'emploi, des conventions collectives et des communications adressées par un employeur à ses salariés, ou encore de nombre de dispositions relatives au commerce, qui imposent le français dans les inscriptions et modes d'emploi relatifs à un produit (article 51), dans les catalogues et brochures (article 52), dans les contrats d'adhésion (article 55), dans l'affichage et la publicité commerciale (article 58).

D'autres dispositions formulent en revanche des exigences originales actuellement méconnues de notre droit, comme par exemple l'article 63 (« Le nom d'un entreprise doit être en langue française »), l'article 64 ( « Un nom en langue française est nécessaire à l'obtention de la personnalité juridique »), l'article 65 (« Les noms qui ne sont pas en langue française doivent être modifiés avant le 31 décembre 1980... »), l'article 66 (« Les articles 63, 64 et 65 s'appliquent également aux noms déclarés au registre constitué en vertu de la loi sur la publicité légale des entreprises individuelles, des sociétés et des personnes morales »). La charte autorise cependant les entreprises à faire figurer, « comme spécifiques », dans leur nom, des patronymes et des toponymes formés de la combinaison artificielle de lettres, de syllabes ou de chiffres, ou des expressions tirées d'autres langues (article 67), ou encore à assortir leur nom d'une version dans une autre langue que le français pourvu que, dans son utilisation, le nom de langue française figure de façon au moins aussi évidente.

A ces prescriptions linguistiques proprement dites, s'ajoutent plusieurs dispositions d'ordre institutionnel précisant la composition et les attributions de « l'Office québécois de la langue française », du « Conseil supérieur de la langue française » ou encore de la « Commission de toponymie ».

La politique de restauration linguistique en Lituanie

Au lendemain de son indépendance, la Lituanie a adopté en 1992 par référendum une nouvelle Constitution dont l'article 14 consacre le lituanien comme langue officielle du pays.

Pour remédier aux préjudicies subis par la langue lituanienne durant les années d'occupation soviétique, le Parlement -le Seimas- a beaucoup légiféré pour restaurer et généraliser l'emploi du lituanien dans les différents domaines de la vie de l'Etat et de la société.

Cette politique globale, qui correspond à un véritable projet de société, s'est traduite par l'adoption en 1995 d'une loi sur la langue officielle, et de multiples dispositions linguistiques éparses dans une centaine de lois.

L'article 3 de la loi de 1995 érige le lituanien en langue unique de la justice et de la législature : c'est en lituanien que doivent être adoptés et promulgués les lois et les actes juridiques. Le lituanien est également la langue de l'administration , et c'est dans cette langue que les services publics doivent s'adresser aux citoyens, même si certains textes, comme la loi sur la police, prévoient la possibilité d'attribuer des primes aux fonctionnaires dont le service requiert la connaissance d'une langue étrangère .

La loi impose le monopole du lituanien dans la désignation de noms de lieux, de villes ou de rues.

L'Etat garantit en outre à tous les citoyens le droit de recevoir leur instruction en lituanien, tout au long de leur scolarité, de la maternelle à l'université, et les établissements d'enseignement ont l'obligation de dispenser leur enseignement dans la langue officielle, sauf dérogations relatives aux langues des minorités nationales.

Les prescriptions linguistiques s'étendent au monde de l' économie . Les entreprises privées établies en Lituanie doivent détenir une raison sociale lituanienne conforme aux normes de la langue lituanienne, et aux règles prescrites par la Commission de la langue lituanienne. Toutes les enseignes publiques doivent être rédigées en lituanien , être écrites correctement et en alphabet latin.

L'article 4 de la loi consacre le lituanien comme langue du travail : « Toute institution, tout bureau, toute entreprise et organisme établi en République de Lituanie doit conclure ses affaires et conserver ses dossiers, rapports, documents techniques et financiers dans la langue officielle ». C'est également la langue des contrats et des transactions .

L'article 5 de la loi de 1994 sur la protection des consommateurs pose des exigences en matière d'information en lituanien dans des termes proches de ceux de l'article 2 de notre « loi Toubon ». L'article 13 impose dans la projection cinématographique et les programmations audiovisuelles, la traduction ou le sous-titrage systématique en lituanien. Quant aux médias écrits et électroniques, ils doivent respecter « les normes de la langue lituanienne correcte ».

La protection de la langue lituanienne est confiée à une « Commission d'Etat sur la langue lituanienne », instaurée par une loi de 1993 qui est chargée de veiller à la bonne application de la loi sur la langue officielle, ainsi qu'à la fixation et à l'enrichissement de la grammaire et du vocabulaire.

La politique de « lettonisation » vigoureuse

Au lendemain de l'indépendance, la Lettonie a restauré l'ancienne constitution de 1922 et transformé la loi linguistique de la République socialiste soviétique de Lettonie de 1989 en Loi de la République de Lettonie sur les langues . Constatant que « durant les dernières décennies, l'emploi du letton dans la vie de l'Etat et de la société a diminué de façon substantielle », le préambule de cette loi juge indispensable l'adoption de normes protectrices de la langue lettone, de façon à en généraliser l'emploi dans l'Etat, dans la société, et dans l'enseignement.

Son emploi s'impose dans les organismes d'Etat, mais aussi dans les entreprises, institutions et organisations établies en Lettonie. Celles-ci sont tenues d'utiliser la langue officielle dans leur gestion et dans tous les documents se rapportant à leur gestion, ainsi que dans leur correspondance avec des destinataires vivant dans le pays.

Le letton est la langue de la législature et seuls les citoyens lettons munis d'un diplôme officiel d'une école attestant leur connaissance du letton peuvent être candidats aux élections, locales ou nationales. Cette mesure de lettonisation de la vie publique peut paraître radicale, dans un pays où la population parlant le letton ne représente que 54,5 % de la population.

La loi sur l'éducation de 1991 en fait également la langue de l'enseignement.

L'article 20 de la loi sur les langues impose en matière de présentation et d'étiquetage de biens des normes proches des nôtres. L'affichage doit être rédigé uniquement dans la langue officielle, y compris les enseignes commerciales . Toutes les raisons sociales des entreprises établies en Lettonie doivent être rédigées uniquement dans la langue officielle, mais les entreprises étrangères peuvent utiliser en plus une dénomination étrangère avec l'autorisation du Centre de la langue officielle du Conseil des ministres. L'emploi exclusif d'une dénomination étrangère est interdit sans l'autorisation expresse du Centre de la langue officielle. Enfin, si les marques de commerce en d'autres langues n'ont pas à être traduites, elles doivent cependant être rédigées en alphabet latin.

La langue officielle est également obligatoire dans les médias publics mais les médias privés peuvent utiliser la langue de leur choix : langues des minorités nationales ou langues étrangères.

La République de Lettonie s'est également dotée de plusieurs organismes linguistiques : commission de contrôle linguistique, centre de la langue officielle.

La politique linguistique de l'Estonie

L'Estonie a adopté peu après sa proclamation d'indépendance, dès 1992, une nouvelle Constitution dont l'article 6 consacre l'estonien comme langue officielle, puis en février 1995, une loi sur la langue qui confirme l'estonien comme langue officielle de l'Etat et des collectivités territoriales et précise que « toute autre langue que l'estonien sera considérée comme une langue étrangère ».

La loi confirme l'estonien dans son rôle de langue de la législature (seuls peuvent être candidats à une élection nationale ou locale des estoniens munis d'un diplôme attestant de leur connaissance de la langue), de langue de l'administration , et de langue de l'éducation .

Elle impose l'usage de l'estonien pour l'affichage et la publicité commerciale, y compris pour les enseignes publiques , et veille à l'information du consommateur dans la langue officielle.

Enfin, les articles 21 et 22 de la loi précisent que la dénomination sociale et la raison sociale d'une entreprise doivent être formulées en estonien et en alphabet latin.

La loi sur la langue polonaise

La Pologne s'est dotée le 7 octobre 1999 d'une loi sur la langue polonaise, langue dont le Préambule de la Constitution a rappelé qu'elle était « un élément constitutif de l'identité et de la culture nationale ».

La loi édicte un certain nombre de principes destinés à garantir le bon usage de la langue polonaise et confie à un Conseil de la langue la responsabilité de fixer la langue, son orthographe et son usage.

Elle impose l'usage du polonais comme langue officielle dans les organismes constitutionnels, les administrations nationales et leurs échelons déconcentrés, ainsi que dans les institutions locales.

Ses prescriptions s'imposent également aux entreprises privées , y compris aux entreprises étrangères installées en Pologne. L'article 7 de la loi fait obligation à tout individu résidant en Pologne et à toute personne morale établie en Pologne, d'employer le polonais dans toutes les transactions commerciales , et en particulier dans la rédaction des offres, annonces, listes de prix, modes d'emplois, manuels d'entretien, certificats de garantie, factures, et publicités.

L'utilisation exclusive de termes étrangers n'est admise que dans la désignation des marques de commerce.

Les contrats conclus avec les pouvoirs publics ou avec une entreprise polonaise doivent être rédigés en polonais, dès lors qu'ils sont conclus en Pologne, même avec un partenaire étranger. Les versions multilingues sont autorisées, mais la version polonaise jouit d'une autorité juridique exclusive. L'article 8 précise qu'« aucun accord écrit dans une langue étrangère n'a de valeur légale ».

L'article 9 de la loi confirme le polonais dans son statut de langue de l'éducation et des examens.

Hongrie : des prescriptions limitées à la sphère économique

La langue hongroise, qui est une langue non européenne appartenant à la famille caucasienne, est parlée par la majorité magyare qui constitue 90 % de la population.

La Constitution de 1997 ne contient aucune disposition à l'égard du hongrois et les lois du pays ne traitent dans l'ensemble que fort peu de la langue hongroise. Certaines dispositions garantissent en revanche les droits linguistiques des minorités, en particulier en matière d'éducation. La loi sur l'enseignement supérieur, qui reconnaît une large autonomie aux établissements, leur laisse toute latitude pour adopter une ou plusieurs langues d'enseignement en plus du hongrois.

Le domaine économique et commercial est le seul où la Hongrie pratique un certain interventionnisme linguistique : le décret 18/1986 précise que la dénomination d'un magasin ne peut comprendre que des mots hongrois ou des mots étrangers acclimatés en Hongrie ; aux termes du décret n° 25/1986, les dénominations du commerce et les raisons sociales des entreprises ne peuvent recourir qu'à des mots hongrois.

La loi sur la langue russe

La Russie s'est également dotée en mai 2005 d'une « loi sur la langue officielle de la Fédération de Russie » qui fait du russe la langue des pouvoirs constitutionnels, des administrations nationales et locales, de l'état civil et des tribunaux. Elle impose également son emploi dans la publicité et les médias.

La politique linguistique fédérale américaine

La Constitution américaine de 1787 toujours en vigueur, mais plusieurs fois remaniée, ne contient aucune disposition linguistique consacrant l'anglais comme langue officielle du pays.

L'anglais est toutefois la seule langue utilisée par l'administration fédérale américaine, que ce soit au Parlement, dans les cours de justice, les services publics ou l'affichage.

D'une façon générale, le Gouvernement fédéral américain a toujours favorisé l'anglais au détriment des autres langues, qu'il s'agisse de celles des nouveaux immigrants ou de celles des peuples indigènes.

Sous une apparence de laisser faire, une politique d'assimilation et d'anglicisation s'est avérée extrêmement efficace, et malgré la diversité de leurs origines, 80 % des Américains parlent l'anglais comme langue maternelle.

Certains assouplissements sont intervenus dans la législation et la politique fédérale dans le cadre de la dynamique initiée en 1964 par l'adoption de la loi sur les droits civils ( Civil Rights Act of 1964 ) répondant aux revendications des Noirs américains.

Plusieurs lois sur l'éducation bilingue se sont efforcées, depuis 1965, d'apporter un remède à l'échec scolaire des élèves entravés dans leur scolarité par leur mauvaise connaissance de l'anglais. Il est cependant significatif que cet enseignement, dont ont bénéficié jusqu'à 3,5 millions d'élèves dans les années 1990 - dont 65 % d'hispanophones - répondait à un objectif d'intégration et d'anglicisation, et non à un objectif de conservation de la langue maternelle initiale.

L'arrêt rendu le 21 janvier 1974 par la Cour suprême Lau v. Nichols est venu consacrer cette possibilité de recourir à la langue maternelle de l'enfant comme langue d'enseignement.

Des lois sur les langues amérindiennes en 1992 et 2001 ont également encouragé le développement « d'écoles de survie de langues amérindiennes » ( Native americans language survival school ) en s'efforçant de concilier revitalisation des langues amérindiennes et maîtrise de l'anglais standard.

Sous la présidence de Bill Clinton, plusieurs assouplissements sont intervenus dans la politique linguistique des administrations fédérales, pour autoriser et prévoir la présence d'interprètes dans les procédures d'immigration, dans le déroulement des procès, et dans les soins médicaux dispensés aux immigrants.

On assiste cependant depuis quelques années à un reflux important de ces politiques sous la pression d'une vague d'unilinguisme anglais qui s'accompagne d'un certain raidissement à l'égard de l'immigration.

Des organisations puissantes comme « English only » ou « US English » jouent un rôle important dans le développement de ces mouvements d'opinion.

Ce raidissement s'est traduit à l'échelon des Etats comme à l'échelon fédéral.

Plusieurs Etats ont adopté des lois et règlements décrétant l'unilinguisme anglais. Ainsi, par exemple, en 1988, une réforme de la Constitution de l'Arizona a interdit aux employés de l'Etat de communiquer avec les administrés en espagnol ou en navajo.

Au niveau fédéral, la Chambre des représentants a adopté en 1996 un projet de loi consacrant l'anglais comme langue officielle du Gouvernement fédéral mais ce projet de loi n'a pas été adopté au Sénat. En revanche, une nouvelle loi sur l'éducation promulguée par le président George W. Bush en janvier 2001 (« No Child Left Behind Act ») a drastiquement réduit le recours au bilinguisme dans l'éducation : la loi limite dorénavant à 3 ans la durée des études dans les programmes bilingues rebaptisés d'ailleurs « programmes de développement de l'anglais destinés aux enfants dont les compétences sont limitées en anglais ».

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De ce rapide survol, quelques conclusions s'imposent.

Les législations relatives à l'emploi de la langue nationale sont généralement le fait d'Etats auxquels l'histoire a fait sentir souvent de façon tragique à quel point la langue était un élément fondamental de leur indépendance et de leur identité. Mais de grandes nations aux territoires étendus, comme la Russie et les Etats-Unis, sont également de plus en plus sensibles à ces questions linguistiques.

Ces différentes législations présentent en outre un certain nombre de points communs dans leur insistance à imposer l'usage de la langue officielle dans les activités régaliennes, ce qui va effectivement de soi, ainsi que dans l'enseignement et les médias. Votre rapporteur relèvera en outre que dans le domaine économique, la plupart des dispositifs étudiés s'accordent pour garantir, dans des termes très proches, l'information du consommateur dans sa langue. C'est un point important à souligner dans un contexte où les institutions européennes semblent tentées de nous dénier le droit d'exiger l'emploi du français en matière d'étiquetage : il semble que, dans ce domaine, l'élargissement de l'Europe puisse nous apporter de nouveaux soutiens dans une revendication légitime.

Votre rapporteur soulignera également que la loi française paraît, en termes de législation comparée, moins exigeante que d'autres quant à la formulation des enseignes et des dénominations sociales.

C'est un point qui mérite d'être médité.

* 1 Si l'on excepte une ordonnance moins célèbre, édictée par Louis XII en 1510 « sur la réformation de la justice » qui prescrivait l'usage de la langue vulgaire pour les enquêtes réalisées en pays de droit écrit.

* 2 Arrêté du 24 mai 2004 portant renouvellement de l'agrément d'association de défense de la langue française.

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