II. UNE PROPOSITION DE RÉSOLUTION JUSTIFIÉE PAR LA PERSISTANCE D'UNE IMMIGRATION CLANDESTINE IMPORTANTE

La création d'une commission d'enquête sur l'immigration clandestine apparaît opportune.

L'actualité rappelle en permanence le difficile problème de l'immigration irrégulière. Les drames de Ceuta et Melilla ou les récents heurts à Mayotte à la suite d'une manifestation de clandestins dans les rues de Mamoudzou sont les illustrations paroxystiques d'un phénomène continu et massif .

Depuis 2002, la lutte contre l'immigration clandestine est au coeur de la politique du Gouvernement en matière d'immigration et est le pendant d'une action volontaire en faveur de l'intégration des étrangers en situation régulière. Comme le rappelle l'exposé des motifs de la proposition de résolution, « depuis les lois de 2003, la France s'est dotée d'instruments nouveaux pour lutter avec efficacité contre l'immigration clandestine ».

Cette législation a visé à préserver le droit de tout Etat souverain de régler l'entrée et le séjour des étrangers sur son territoire et de reconduire à la frontière ceux d'entre eux qui s'y seraient maintenus illégalement. Toutefois, elle a su ménager parallèlement la faculté régalienne de régulariser, en dehors de tout effet d'annonce, les situations individuelles complexes. Cet équilibre a permis d'écarter tout à la fois le mythe de l'immigration zéro et l'irréalisme d'une ouverture inconditionnelle de nos frontières.

Les premiers résultats ont pu être constatés, en particulier en matière d'éloignement et de traitement des demandes d'asile. Aux frontières de la métropole, la pression migratoire semble également avoir diminuée selon les chiffres du rapport annuel du Gouvernement au Parlement pour 2003 sur les orientations de la politique de l'immigration. Une inflexion de tendance est perceptible.

Toutefois, les chiffres de l'activité des services de la police aux frontières en France métropolitaine en 2004 et 2005 invitent à ne pas relâcher l'effort entrepris pour lutter contre l'immigration illégale. Ils démontrent tout à la fois l'ampleur de l'immigration clandestine et l'efficacité ainsi que le renforcement de l'action de la police aux frontières.

2004

1 er semestre 2004

1 er semestre 2005

Evolution

Non admissions

20 893

9 648

11 622

+ 20,46 %

Réadmissions France vers étranger

12 339

5 886

7 130

+ 21,13 %

Total non admissions + réadmissions

33 232

15 534

18 752

+ 20,71 %

Nombre de placements en zone d'attente

17 098

7 688

8 622

+ 12,15 %

Étrangers en situation irrégulière

44 545

22 078

32 098

+ 45,38 %

Porteurs de faux documents

11 687

5 620

6 016

+ 7,05 %

Aidants à l'entrée irrégulière

1 719

840

1 287

+ 53,21 %

Employeurs

1 025

533

706

+ 32,46 %

Salariés

1 204

547

1 347

+ 146,25 %

Éloignements effectifs

15 660

7 724

9 701

+ 25,60 %

Activité des services de la police aux frontières pour 2004 et 2005
en France métropolitaine

Par ailleurs, des efforts importants ont été entrepris pour mieux appréhender l'ampleur de l'immigration clandestine. Si par nature il est impossible de dénombrer précisément le nombre d'étrangers en situation irrégulière, le rapport annuel au Parlement précité propose néanmoins une série d'indicateurs permettant d'estimer le nombre d'étrangers se trouvant en situation irrégulière sur le territoire métropolitain et son évolution.

Ainsi, le nombre de personnes mises en cause pour un délit à la police des étrangers s'est élevé à 66 062 pour l'année 2003 et le nombre annuel de bénéficiaires de l'aide médicale d'Etat (AME), qui concerne pour une immense majorité des étrangers en situation irrégulière, est passé de 139 000 à 170 000 entre 2001 et 2003. Pour autant, ces indicateurs doivent être utilisés avec prudence, chacun ne permettant de cerner qu'une partie du phénomène.

Comprendre l'immigration clandestine est encore plus délicat dès qu'il s'agit d'en saisir les conséquences et le coût. L'exposé des motifs de la proposition de résolution souligne ainsi « des difficultés en matière de sécurité dans la mesure où cette immigration est principalement coordonnée par des organisations mafieuses ; des difficultés économiques en raison du travail au noir qui est la conséquence de cette immigration ; des difficultés sociales en raison de la précarité consubstantielle des conditions de vie de ces migrants ».

Surtout, l'immigration clandestine est un phénomène en évolution permanente .

Les pouvoirs publics, Etat et collectivités territoriales, ont ainsi dû faire face à un nombre croissant de mineurs étrangers isolés requérant des réponses différentes. L'ensemble du territoire français a été concerné, y compris des départements qui n'étaient pas confrontés jusque là au problème de l'immigration.

La question de l'outre-mer a également ressurgi avec une acuité nouvelle. Comme le relève l'exposé des motifs de la proposition de résolution, aux difficultés habituelles posées par l'immigration clandestine s'ajoutent « des difficultés démographiques [...] puisque ces collectivités au territoire limité subissent d'intenses flux migratoires en dépit d'un contexte économique et social souvent déjà délicat ». Outre la Guyane et Mayotte où près de 35 % de la population seraient des étrangers en situation irrégulière, la Guadeloupe, la Martinique et, dans une moindre mesure, la Réunion sont aussi touchées par une immigration clandestine en recrudescence. L'avis de votre commission sur les crédits du projet de loi de finances pour 2005 consacrés aux départements et régions d'outre-mer 1 ( * ) relevait ainsi qu'en Guyane, « les infractions à la législation sur les étrangers constituaient 43 % du nombre total des infractions » et qu'en Guadeloupe, le nombre des reconduites à la frontière ou expulsions avait augmenté de 53,50 % en 2003 par rapport à 2002.

Par ailleurs, les filières d'immigration clandestine dévoient parfois à leur profit les possibilités offertes par les droits de la nationalité et de la filiation ou les règles applicables en matière de regroupement familial.

Enfin, le cadre européen ajoute à la complexité, l'ensemble des Etats membres de l'espace Schengen étant solidaire pour garantir la régularité de l'entrée et du séjour des ressortissants des Etats tiers. L'action communautaire contre l'immigration irrégulière est en plein essor mais commence seulement à être opérationnelle et efficace. Un des axes de cette action consiste à associer les pays source ou de transit à la lutte contre l'immigration clandestine vers l'Europe.

Dans un tel contexte, il paraît souhaitable aujourd'hui qu'un travail approfondi permette d'améliorer notre connaissance de l'immigration clandestine et de ses effets afin d'y faire face dans le respect des libertés et de la tradition républicaine d'accueil. A défaut, les réflexions actuelles sur une immigration choisie seraient vaines.

Or, depuis 1998 et le rapport de notre excellent collègue José Balarello au nom de la commission d'enquête chargée de recueillir des informations sur les régularisations d'étrangers en situation irrégulière opérées depuis le 1 er juillet 1997, aucun travail global d'enquête n'a été accompli dans le cadre des assemblées parlementaires sur cette question au coeur des préoccupations de nos concitoyens.

Le Sénat pourrait donc apporter, à travers la création d'une telle commission d'enquête, une contribution importante à la réflexion sur l'immigration clandestine comme il l'a fait récemment à propos de la délinquance des mineurs.

*

* *

Compte tenu de l'ensemble de ces observations, votre commission des Lois vous propose d'adopter la proposition de résolution dont le texte est reproduit ci-après.

* 1 Avis n° 79 (2004-2005).

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