II. RENAISSANCE ET ÂGE CLASSIQUE : ÉMERGENCE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

L'époque médiévale n'était pas propice à l'éclosion de la propriété littéraire. Les copistes, qui s'attachaient à prolonger le travail des Anciens, s'accommodaient de l'anonymat, et même lorsque l'élaboration d'un vaste commentaire prenait les dimensions d'une « somme », constituant une oeuvre à part entière, l'étroitesse du lectorat et la faiblesse des moyens de reproduction et de diffusion ne favorisaient pas l'émergence d'un droit des auteurs sur leurs oeuvres.

Le changement radical de perspective qui s'offre avec la Renaissance ne s'explique sans doute pas tant par une évolution des esprits, reconnaissant davantage la marge aux individus dans le contexte préludant à la Réforme, que par le contrecoup d'une innovation technique majeure : l'invention de l'imprimerie.

En offrant désormais la possibilité de reproduire un ouvrage à faible coût et à un grand nombre d'exemplaires, l'imprimerie modifiait radicalement les conditions dans lesquelles une oeuvre pouvait être publiée, diffusée et exploitée. La dimension économique nouvelle que prenait l'exploitation des productions de l'esprit s'accompagnait de l'essor d'une nouvelle profession, celle des imprimeurs, également appelés « libraires » et parallèlement, du développement de la contrefaçon.

Pour se prémunir contre cette concurrence déloyale, ces premiers éditeurs sollicitent du pouvoir royal des monopoles d'exploitation, destinés à leur permettre de rentabiliser les investissements importants qu'impliquent les travaux de révision des manuscrits et les opérations de fabrication des ouvrages.

Cette protection prend d'abord la forme d'un privilège consenti aux imprimeurs .

En 1469, l'Allemand Johan van Spyer reçoit la première franchise d'importation de l'imprimerie, et, en contrepartie, le monopole d'impression dans sa cité Etat pour une durée de cinq ans 8 ( * ) .

En France, la loi sur les « privilèges perpétuels » de 1686 accorde aux libraires des monopoles d'exploitation pour compenser leurs investissements.

Dictés par des préoccupations économiques, ces textes n'étaient pas exempts de considérations d'ordre politique, en permettant au pouvoir royal, à travers la délivrance et le retrait de ces privilèges, d'exercer son contrôle sur les publications.

La reconnaissance d'un droit des auteurs sur leurs oeuvres n'est apparue que dans un second temps .

III. AGE DES LUMIÈRES : ÉMERGENCE D'UN DROIT DES AUTEURS SUR LEURS oeUVRES

L'idée que les auteurs détenaient un droit sur leurs oeuvres est certes apparue dès le XVIe siècle, comme en témoigne une affaire plaidée devant le Parlement par l'avocat Marion en faveur de Marc-Antoine Muret. Celui-ci soutint avec succès que : « L'auteur d'un livre en est du tout maître, et comme tel, en peut librement disposer . » 9 ( * ) Mais ce précédent ne fit, semble-t-il, guère jurisprudence.

En 1660, Guillaume de Luynes, libraire, obtenait encore le privilège de faire imprimer, vendre et débiter « Les précieuses ridicules » pendant cinq ans contre l'avis de Molière qui ne voulait pas de cette publication et s'en plaint d'ailleurs dans la préface. 10 ( * )

Dès le XVIe siècle, les autorités vénitiennes avaient commencé de reconnaître aux auteurs des droits exclusifs, en subordonnant à leur autorisation écrite, la publication de leurs ouvrages.

Mais c'est en Angleterre que fut promulguée la première grande loi consacrant les droits de l'auteur. La loi du 10 avril 1710, dite loi de la Reine Anne , reconnaît aux auteurs un droit exclusif de reproduction pour une durée déterminée ainsi que la possibilité d'enregistrer leurs oeuvres en leur nom personnel et non plus à celui d'un éditeur.

En France , la jurisprudence du Conseil du Roi recentre progressivement sur la personne de l'auteur le privilège conçu dans l'intérêt des imprimeurs, à l'occasion de la querelle qui opposait les libraires parisiens, premiers bénéficiaires de la centralisation des privilèges, aux libraires provinciaux qui s'appuient sur les auteurs pour remettre en cause le renouvellement des privilèges de libraire.

Deux arrêts réglementaires du 30 août 1777 du roi Louis XIV marquent un tournant décisif. Ils consacrent tout à la fois les droits des libraires et ceux des auteurs, mais en prenant bien soin de les distinguer. Ils reconnaissent à l'auteur un privilège perpétuel pour récompenser son travail, et au libraire un privilège temporaire pour lui assurer le remboursement de ses avances et l'indemnité de ses frais.

La reconnaissance du droit des auteurs sur leurs oeuvres dramatiques fut en revanche freinée par l'opposition des comédiens, comme en témoigne l'affaire du « Barbier de Séville » (1776-1780) qui plaça Beaumarchais dans la situation de prendre la tête d'une association d'auteurs dramatiques pour défendre les intérêts des auteurs face à la puissante corporation des comédiens français . « On dit aux foyers des spectacles qu'il n'est pas noble aux auteurs de plaider pour un vil intérêt, eux qui se piquent de prétendre à la gloire. On a raison : la gloire est attrayante ; mais on oublie que, pour en jouir seulement une année, la nature nous condamne à dîner trois cent soixante-cinq fois ; et si le guerrier, l'homme d'Etat ne rougit point de recueillir la noble pension due à ses services, en sollicitant le grade qui peut lui en valoir une plus forte, pourquoi le fils d'Apollon, l'amant des Muses, incessamment forcé de compter avec son boulanger, négligerait-il de compter avec les comédiens ? Aussi croyons-nous rendre à chacun ce qui lui est dû, quand nous demandons les lauriers de la comédie au public qui les accorde, et l'argent reçu du public à la comédie qui le retient. » 11 ( * )

* 8 « Les droits d'auteur » rapport présenté par M. Michel Muller au nom du Conseil économique et social p. 10.

* 9 H. Falk « Les privilèges des libraires sous l'Ancien régime » cité dans le rapport n° 212 (1984-1985) de M. Charles Jolibois au nom de la commission spéciale du Sénat.

* 10 Olagnier tome 1 p. 85 cité dans Lucas « Traité » p. 5.

* 11 « Compte rendu de l'Affaire des auteurs dramatiques et des comédiens français (1780) » cité dans « Le combat du droit d'auteur », une anthologie historique » de Jan Baetens, p. 47.

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