B. L'ARTICLE ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Compte tenu des distorsions de concurrence engendrées au sein de l'Union européenne par l'absence d'harmonisation des législations nationales relatives au droit de suite, la Commission a présenté une proposition de directive consacrée au sujet dès 1996.

Cinq années de négociations supplémentaires ont toutefois été nécessaires à l'adoption de la directive du 27 septembre 2001 80 ( * ) que l'Assemblée nationale a transposé de manière formelle en droit national.

1. La nouvelle rédaction de l'article L. 122-8

L'amendement introduit à l'Assemblée nationale sur proposition du Gouvernement tend à réécrire l'article L. 122-8 du code de la propriété intellectuelle afin de transposer en droit national certaines dispositions de la directive du 27 septembre 2001 relative au droit de suite au profit de l'auteur d'une oeuvre d'art originale.

Votre rapporteur tient à souligner que cette nouvelle rédaction ne bouleverse pas l'esprit du droit de suite tel que défini par le législateur de 1920. S'inspirant très largement des dispositions de la directive mais également de celles de l'article 14 ter de la Convention de Berne pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques, elle se contente d'en rappeler le principe, le domaine et les modalités d'application au sens le plus large du terme.

Le nouvel article tend ainsi à :

- définir le droit de suite comme « un droit inaliénable de participation au produit de toute revente d'une oeuvre après la première cession opérée par l'auteur ou par ses ayants droit » ;

- clarifier les conditions d'application du droit de suite aux artistes étrangers et à leurs ayants droit ;

- réaffirmer l'application du droit de suite au produit de toute « revente d'une oeuvre [...] lorsque intervient en tant que vendeur, acheteur ou intermédiaire un professionnel du marché de l'art.

Seront donc effectivement concernées par l'application de cet article non seulement les galeries, mais également toutes les autres structures commerciales contribuant à la diffusion de l'art contemporain 81 ( * ) ;

- préciser que, si la responsabilité du paiement du droit de suite incombe au professionnel du marché de l'art intervenant dans la revente, sa charge repose exclusivement sur le vendeur de l'objet ;

- obliger les professionnels du marché de l'art à tenir à disposition de l'auteur ou de ses mandataires les informations nécessaires à la liquidation des sommes dues au titre du droit de suite.

2. Les mesures réglementaires envisagées par le Gouvernement

La nouvelle rédaction de l'article L. 122-8 du code de la propriété intellectuelle ne transpose pas l'ensemble des dispositions de la directive relative au droit de suite. Le Gouvernement a en effet choisi de déterminer « le montant et les modalités de calcul du droit à percevoir, ainsi que le prix de vente au-dessus duquel les ventes sont soumises à ce droit » par voie réglementaire.

Votre rapporteur tient à rappeler les dispositions de la directive en ces domaines, leurs conséquences éventuelles pour les professionnels français ainsi que les mesures réglementaires pouvant être envisagées par la Gouvernement.

a) Les dispositions de la directive relatives au montant, aux modalités de calcul du droit à percevoir, ainsi qu'au prix de vente au-dessus duquel les ventes sont soumises à ce droit

Deux dispositions du code de la propriété intellectuelle encadrent actuellement les modalités financières du droit de suite.

L'article L. 122-8 du CPI indique ainsi que « le tarif du droit perçu est fixé uniformément à 3 % applicables seulement à partir d'un prix de vente fixé par voie réglementaire. Ce droit est prélevé sur le prix de vente de chaque oeuvre et sur le total du prix sans aucune déduction à la base ».

L'article R. 122-1 du même code précise quant à lui que « le seuil de perception du droit de suite mentionné à l'article L. 122-8 est fixé à un prix de vente de 100 ».

La directive 2001/84/CE institue un régime à la fois plus souple et plus détaillé.

Elle fixe ainsi :

- un barème de taux 82 ( * ) dégressif ;

- un plafond applicable au montant total du droit de suite susceptible d'être versé par oeuvre (12 000 euros).

La directive laisse par ailleurs :

- les États membres fixer le prix de vente minimal à partir duquel les ventes sont soumises au droit de suite. Ce seuil d'application ne peut pas être supérieur à 3 000 euros ;

- les États membres fixer le taux applicable à la tranche inférieure à 3 000 euros, si ceux-ci ont choisi un prix de vente minimal inférieur à 3 000 euros, ce taux ne pouvant être inférieur à 4 % ;

- les États membres prévoir que le droit ne s'applique pas lorsque le vendeur a acquis l'oeuvre directement de l'auteur moins de trois ans avant la revente et que le prix de cette vente ne dépasse pas 10 000 euros.

La directive prévoit enfin des mesures transitoires à destination des États membres n'appliquant pas le droit de suite.

Le paragraphe 2 de l'article 8 de la directive dispose ainsi que « les Etats membres qui n'appliquent pas le droit de suite à la date d'entrée en vigueur de la Directive ne sont pas tenus, pendant une période n'allant pas au-delà du 1 er janvier 2010, d'appliquer le droit de suite au profit des ayants droit des artistes décédés ».

Le paragraphe 3 du même article prévoit quant à lui qu'un « un État membre à qui s'applique ce délai dérogatoire peut disposer d'un délai supplémentaire n'excédant pas deux ans, si cela se révèle nécessaire pour permettre aux opérateurs économiques dans cet État membre de s'adapter progressivement au système du droit de suite tout en maintenant leur rentabilité économique. S'il souhaite bénéficier de ce délai supplémentaire, l'État membre devra en exposer les raisons à la Commission avant le 1 er janvier 2009, et celle-ci émettra un avis. ».

b) Les conséquences éventuelles de la transposition de la directive pour les professionnels français


Les points positifs

Comme l'indique le rapport Kancel « les professionnels reconnaissent à la directive de 2001 trois vertus qui, couplées à la réforme du statut des maisons de ventes et à l'arrivée de Christie's et Sotheby's, pourraient peut-être contribuer à enrayer le déclin de la place de Paris en matière d'art contemporain. »

D'une part, la dégressivité du taux applicable devrait limiter les effets négatifs du droit de suite quant au maintien en Europe de grosses ventes d'art contemporain.

D'autre part, le plafonnement à 12 500 euros du droit versé pour une oeuvre devrait contribuer à limiter l'évasion des ventes qui atteignent et dépassent 2 millions d'euros vers les États-unis ou le Japon.

Enfin et surtout, les professionnels français se réjouissent de la perspective d'égalisation des termes de la concurrence entre Paris et Londres, puisqu'il s'agit là, incontestablement, des deux places européennes principales de la revente d'oeuvres du XX e siècle. L'égalisation sera progressive, dès 2006 pour les oeuvres d'artistes vivants, en 2010 ou 2012 pour les oeuvres d'artistes décédés. Elle pourrait contribuer à rééquilibrer les parts respectives de Paris et Londres, cette dernière place concentrant, selon les chiffres souvent cités et que l'on reprendra ici sans autre expertise, les deux tiers du marché de l'art contemporain en Europe.


Des contraintes supplémentaires pour les professionnels

Les galeries sont évidemment les premières concernées par les dispositions de la directive. Elles dénoncent à cet égard la contrainte supplémentaire que le droit de suite va représenter pour elles dans un contexte de forte concurrence internationale. L'encadré ci-dessous résume leurs principales craintes.

LES CRAINTES EXPRIMÉES PAR LES GALERIES

« [Les galeries] soulignent le risque de les voir privilégier les ventes en dépôt et d'abandonner définitivement les achats fermes aux artistes générant un droit de suite lors des reventes, au détriment des artistes eux-mêmes.

Elles insistent sur le rôle fondamental qui est le leur pour faire vivre les artistes par leurs achats, et pour soutenir leur carrière par leurs ventes.

Elles jugent le taux applicable aux petites et moyennes ventes particulièrement lourd (4 voire 5 %) et pénalisant, compte tenu du travail et de l'investissement des galeries pour faire connaître les artistes quand leur cote est encore, précisément, modeste.

Elles rappellent que, même en dépôt, l'équilibre d'une transaction entre le marchand, l'acheteur et le vendeur est global, et que le droit de suite qu'elles seront amenées à imputer au vendeur viendra nécessairement, au moins partiellement, en déduction de leur commission.

Outre le risque de délocalisation des ventes vers des places non taxées à l'étranger, elles soulignent celui, plus général, de découragement des collectionneurs devant une contrainte supplémentaire imposée au marché français.

Enfin, elles rappellent qu'elles fonctionnent pour la plupart comme des micros PME, avec un personnel extrêmement réduit, et, qu'à ce titre, il leur sera particulièrement difficile de faire face à la gestion d'une myriade de dossiers de versements. »

Source : « rapport Kancel »

Les sociétés de ventes volontaires expriment quant à elles une double inquiétude face aux dispositions de la directive.

D'une part, l'application des nouveaux taux de la directive risque de provoquer un alourdissement du droit de suite qu'elles seront amenées à retenir auprès de leurs clients vendeurs. La baisse du taux sur les tranches supérieures (qui a pour conséquence de faire baisser le droit versé pour les ventes supérieures à 225 000 euros) ne compenserait pas l'alourdissement pour les tranches inférieures de prix, notamment pour les ventes allant de 5 000 à 200 000 euros qui concentrent 70 % du droit perçu. Au total, le « rapport Kancel » estime que « c'est un accroissement du droit de suite d'à peu près 24 % qui serait à attendre ».

Les sociétés de ventes volontaires considèrent que cet alourdissement de la charge imposée au vendeur se répercutera en réalité sur leur propre marge, dans la mesure où la commission « vendeur » est la variable d'ajustement dans la concurrence que se livrent les sociétés pour faire venir à elles les possesseurs d'oeuvres intéressantes.

La seconde inquiétude des sociétés de ventes volontaires tient à la perspective d'une extension de la contribution sociale « diffuseurs » à leur propre activité symétriquement à l'extension du droit de suite aux galeries.


Une période transitoire susceptible de fausser la concurrence

Les professionnels français de l'art enregistrent avec intérêt la perspective d'une égalisation à terme de la concurrence au sein de l'Union. Ils regrettent toutefois que les pays n'appliquant pas aujourd'hui le droit de suite, notamment le Royaume-Uni, puissent bénéficier d'un délai de grâce jusqu'à 2010 voire 2012 concernant les droits à verser aux ayants droit des artistes décédés.

Le rapport Kancel souligne à cet égard que « cette dérogation est déterminante puisque, rappelons-le à titre de référence, 85 % (en montant) du droit de suite perçu par l'ADAGP en 2001 concernait des artistes décédés. C'est donc, en valeur, l'essentiel du marché, du moins en ce qui concerne les ventes publiques. »

Votre rapporteur tient à souligner le cas spécifique des galeries françaises. Bien qu'à l'image de leurs homologues anglaises, celles-ci n'appliquent aujourd'hui pas le droit de suite, elles devront pourtant y être immédiatement soumises au motif qu'aux termes de l'article 8 de la directive, la France fait partie des pays qui « appliquent » le droit de suite.

Le résultat pervers et paradoxal de la directive sera de créer artificiellement une dégradation des termes de la concurrence pendant 4 ou 6 ans au détriment des galeries françaises.

c) Les marges de manoeuvre offertes au Gouvernement

Bien que les marges de manoeuvres soient étroites, le Gouvernement entend préserver la compétitivité des professionnels français en jouant sur plusieurs leviers de plusieurs manières.

Le Gouvernement souhaite, en premier lieu, augmenter le prix de vente minimal à partir duquel les ventes sont soumises au droit de suite afin d'alléger de façon significative les procédures d'application de la directive pour les professionnels. D'après les informations fournies à votre rapporteur, le décret pourrait fixer ce prix à 500 euros -proposition du « rapport Kancel »- ou 1 000 euros -seuil applicable dans les principales places européennes (contre 15 euros actuellement). Si le prix de vente devait in fine être fixé à 1 000 euros, le nombre de dossier serait ainsi divisé par deux.

Le Gouvernement déclare également vouloir exempter de droit de suite les reventes d'oeuvres achetées directement à l'auteur moins de trois ans auparavant et dont le prix ne dépasse pas 10 000 euros .

S'agissant des galeries , et compte tenu du différentiel concurrentiel introduit par les dispositions transitoires de la directive, le Gouvernement envisage de les exonérer de l'application du droit de suite jusqu'en 2010/2012 pour les ventes d'artistes décédés , en considérant que celles-ci « n'appliquent » pas le droit de suite et qu'elles peuvent donc bénéficier du délai d'adaptation fixé à l'article 8 de la directive. Votre rapporteur tient toutefois à souligner que cette interprétation du texte communautaire, au demeurant légitime, risque toutefois de valoir à la France une procédure de recours en manquement de la part de la Commission.

Concernant les sociétés de vente volontaires , le Gouvernement souhaite appliquer l'augmentation obligatoire du taux de 3 à 4 % pour les ventes inférieures à 50 000 euros. Cette hausse étant susceptible d'avoir un effet direct sur la rentabilité des sociétés de vente par ailleurs fragilisées par les dispositions transitoires accordées aux États ne pratiquant pas le droit de suite qui pourraient attirer à eux de nombreuses ventes, le Gouvernement pourrait continuer, en contrepartie, de ne pas leur appliquer la contribution sociale de 1 % .

Sous réserve d'un amendement rédactionnel, votre commission approuve les termes de la transposition proposée.

* 80 Directive 2001/84/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 septembre 2001 relative au droit de suite au profit de l'auteur d'une oeuvre d'art originale.

* 81 Salons, antiquaires ayant un département d'art contemporain, foires, courtiers et sites de ventes en ligne, qu'il s'agisse de sites de ventes aux enchères ou de galeries virtuelles proposant, moyennant commission, des catalogues d'oeuvres d'art originales.

* 82 - 4 % pour la première tranche de 50 000 euros du prix de vente, les États membres pouvant, s'ils le souhaitent, préférer un taux de 5 % pour cette tranche;

- 3 % pour la tranche du prix de vente comprise entre 50 000,01 et 200 000 euros,

- 1 % pour la tranche du prix de vente comprise entre 200 000,01 et 350 000 euros,

- 0,5 % pour la tranche du prix de vente comprise entre 350 000,01 et 500 000 euros,

-0,25 % pour la tranche du prix de vente dépassant 500 000 euros.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page